lundi 29 juin 2009

Retour sur le Festival du livre LIRE AU SOLEIL

Tout d'abord, dire mon sentiment de bonheur de voir se multiplier ainsi les manifestations littéraires, aussi variées dans leurs formes, leurs "sujets" que dans leur inscription géographique :
- festival du livre avec auteurs corses et non corses à Porto-Vecchio
- festival du polar méditerranéen avec animations variées à Ajaccio
- journée Libri aperti dans le Cap Corse
- à Bastia aussi, je ne me rappelle plus du nom de la manifestation littéraire (dans le cadre d'Arte Mare me semble-t-il)
C'est une bonne chose que de ne pas se contenter ainsi des journées du livre corse de la place des Palmiers à Ajaccio (qui n'offre que la possibilité de dédicaces).

Revenons au Festival du livre de Porto-Vecchio ; voici mon sentiment (ai-je besoin d'ajouter qu'il est partiel, partial, trop passionné pour être objectif ?), quel est le vôtre ?

La présentation de la plaquette éditée pour l'occasion dit ceci :

Ce festival du livre d'envergure nationale, à périodicité annuelle, pourrait faire de la Corse un haut lieu de réflexion et d'échanges sur les grandes questions littéraires. C'est dans cet esprit que nous avons conçu les thèmes des tables rondes du programme 2009 :
- "Dieu, sa vie, son oeuvre"
- "La modernité littéraire"
- "Les journalistes et le livre"
- "Ecritures méditerranéennes"
- "Réalité et littérature noire"
- "Voix de femmes du Sud"

J'étais présent le samedi après-midi (27 juin 2009), et j'ai pu voir deux des cinq débats prévus entre la veille et ce jour (les débats 4 et 5 de la liste ci-dessus). Ma mère a aussi pu rencontrer deux de ses auteurs fétiches : Jérôme Ferrari et Marie-Hélène Ferrari (+ bises et dédicaces). J'ai pu acheter "Murtoriu" de Biancarelli, un roman d'Ugo Pandolfi ("Du texte clos à la menace infinie", toujours aimé ce titre...) et les "Piccule fictions" (recueil de nouvelles policières dont la vente permet à différentes associations corses d'acheter des fauteuils pour handicapés).

Je voulais écrire ici un compte rendu de ces deux débats mais je me contenterai d'y faire allusion ; j'ai remarqué que la librairie organisatrice du festival ("Le verbe du soleil") filmait tout : nous pourrons tous voir et revoir les débats sur Internet (bientôt ?).

Les points positifs de ce festival :

- disponibilité et accessibilité des auteurs invités (après les débats ou aux stands de dédicaces devant la mairie et sur la place de la République - mais peut-être appelle-t-on cette place autrement ?)

- des débats qui mêlent (à égalité, dirai-je) auteurs corses et non corses ; c'est sous-entendre, sans psychodrame, que les écrivains corses participent de plain pied à la créativité littéraire mondiale

- des sujets assez généraux pour permettre à chaque auteur participant aux débats de dire la sienne

- enfin, des lectures d'extraits de certaines oeuvres (j'ai entendu lors du débat sur "Ecritures méditerranéennes", un extrait de "Mon voisin" de Milena Agus et un autre de "51 Pégase, astre virtuel" de Marcu Biancarelli par le comédien Christian Ruspini ; j'avais déjà eu l'occasion, par deux fois, de le voir sur scène jouer magnifiquement (à Aubagne) ou moins magnifiquement (à Furiani) "La confession de la bête", justement tirée du roman de Biancarelli). Pourquoi est-ce une bénédiction (pour moi) que ces lectures ? Parce que ces débats ont toujours tendance à devenir abstraits, à s'éloigner des textes (qui sont tout de même la cause première de tant de tintouin). C'est ainsi : généralement, les textes, les oeuvres disparaissent lors des salons et festivals littéraires !... D'où l'impérieuse nécessité et le plaisir toujours renouvelé de les entendre, de les lire, de les voir mis en scène, en images, etc... Grâces soient rendues à la personne qui eut l'idée de ces lectures et à Christian Ruspini : il me semble que c'est le seul et vrai moment au cours duquel nous avons pu un peu saisir et sentir ce qu'est cette "folie douce" des personnages de Milena Agus ou ce qu'est la violence glaçante de l'auto-analyse impitoyable du "poète" de "51 Pegasi"...

Passons aux points négatifs, les points à améliorer (selon moi, et selon vous ?) :

- à aucun moment (des deux débats auxquels j'ai assisté) le public n'a pu prendre la parole : il n'y a pas été invité en introduction, ni en fin de débat ! Je pense sincèrement que c'est un manque et que ce que nous apprend la "révolution numérique" (voir les blogs, les wikis comme wikipédia : pensate chì un wikipedia in lingua corsa hè custruitu da nimporta chì...), c'est justement qu'il n'y aura plus simplement des consommateurs (lecteurs) face à des producteurs (auteurs, éditeurs), mais de chaque côté, avec des façons spécifiques, des contributeurs...
Durant le premier débat, Milena Agus a insisté sur le fait qu'en Sardaigne, il y a des auteurs de la côte (Fois, Niffoi, Satta, Deledda) et des auteurs de l'intérieur (Atzeni et elle-même), tout comme il y a des "Sardi delle coste" et des "Sardi dell'interno". Ils vivent et explorent des espaces mentaux différents. J'aurais aimé demandé - publiquement (et non en privé après le débat) - s'il existe un dialogue entre ces deux catégories d'auteurs et d'oeuvres, s'il existe des oeuvres passerelles ou frontières... J'aurais aimé demandé - publiquement - aux deux auteurs corses présents (Jérôme Ferrari et Marcu Biancarelli) s'ils pensent qu'une telle catégorisation est pertinente en Corse...
Un peu plus tard, Milena Agus a évoqué la langue sarde, qu'elle ne parle pas, et elle a estimé que les efforts actuels pour lui donner une dignité qu'elle n'avait pas dans le passé relève d'une "mossa artificiale" (un mouvement, un élan artificiel). J'aurais aimé demandé pourquoi elle pense cela et si cela condamne définitivement la langue sarde dans ses perspectives d'évolution et j'aurais aimé demandé aux auteurs corses ce qu'un tel point de vue remuait en eux...
Un peu plus tard encore, Milena Agus a signalé qu'en Sardaigne, selon elle (elle a insisté sur l'aspetc très personnel de cette vision : "Io vedo questo"), il y a une forte recherche de normalité (sociale), de règles rigides... au contraire du cas corse, où Marcu Biancarelli estime que c'est souvent la folie ("je suis plus fou que toi") qui est valorisée... J'aurais aimé - publiquement - demandé à Milena Agus si c'est justement contre cette recherche de normalité qu'elle invente des personnages marginaux, décalés, fêlés, etc... J'aurais aimé demandé - publiquement - à Biancarelli si ses romans ne participent pas - par leur pessimisme - à la valorisation des comportements "fous"...

- deuxième point négatif : il me semble que l'animation des débats pourrait essayer d'évoquer ce qu'on appelle ici (sur ce blog) la "littérature corse". Non pas que je veuille imposer mes vues et mes perspectives à toutes et tous, partout ! Mais il me semble que cette perspective peut compléter et dynamiser de façon intéressante des débats qui peuvent parfois paraître un peu généraux, qui pourraient se dérouler au bord d'autres mers... Je suis ici un peu de mauvaise foi, car de la Corse il en a été question... mais justement, il a plus été question de la Corse que de la littérature corse.

- troisième point négatif : le même jour se déroulait une autre manifestation d'importance, la journée "Parlemu corsu", à deux pas de là... Il serait bon que ces deux organisations extrêmement intéressantes et sincères soient articulées, d'autant plus que le thème de ce jour était "lingua corsa, rock è mudernità" : le samedi soir, j'ai entendu chanter Petru Gambini et le groupe l'Altru Latu (Noi s'étant interrompu prématurément, malheureusement : la version du Dio façon Jimi Hendrix est vraiment époustouflante...). Pour moi, un album comme "Cunniscenza di u corpu umanu" des Cantelli s'inscrit dans l'imaginaire et la littérature corses... Entre parenthèses, je signale ici un autre groupe rock qui chante en langue corse : Ultim'attu (et ce n'est pas parce que mon frère est le chanteur que je le cite ici ! Enfin, oui, aussi !)

C'est tout pour ce soir, dite a vostra !

Et encore bravo aux organisateurs de ce festival : j'attends avec impatience le prochain !

jeudi 25 juin 2009

Qui identifiera les textes ici mêlés, et l'effet de ce traitement ?

Le hall d'arrivée de l'aéroport d'Aiacciu (Campu di l'Oru), tard le soir.

Vers le commencement du mois de mars de l'année 1841, je voyageais en Corse.

Musique.

Rien de plus pittoresque et de plus commode qu'un voyage en Corse : on s'embarque à Toulon ; en vingt heures, on est à Ajaccio, ou, en vingt-quatre heures, à Bastia.

Les passagers du vol précédent (le Choeur) se dirigent vers la sortie.

Là, on achète ou on loue un cheval : si on le loue, on en est quitte pour cinq francs par jour ; si on l'achète, pour cent cinquante francs une fois payés.

Ils sont gris.

Et qu'on ne rie pas de la modicité du prix ; ce cheval, loué ou acheté, fait, comme ce fameux cheval du Gascon qui sautait du pont Neuf dans la Seine, des choses que ne feraient ni Prospero ni Nautilus, ces héros des courses de Chantilly et du Champ de Mars.

Des silhouettes indistinctes.

Il passe par des chemins où Balmat lui-même eût mis des crampons, et sur des ponts où Auriol demanderait un balancier.

Certains sont accueillis par leur famille, d'autres regardent autour d'eux avec anxiété.

Quant au voyageur, il n'a qu'à fermer les yeux et à laisser faire l'animal : le danger ne le regarde pas.

Les haut-parleurs diffusent des messages pour ceux qui ont été séparés, ou dont la famille est en retard.

Ajoutons qu'avec ce cheval qui passe partout, on peut faire une quinzaine de lieues tous les jours, sans qu'il vous demande ni à boire ni à manger.

Quelques personnes tiennent des écriteaux avec, en grosses lettres, le nom d'un individu ou d'une compagnie.

De temps en temps, quand on s'arrête pour visiter un vieux château bâti par quelque seigneur, héros et chef d'une tradition féodale, pour dessiner une vieille tour élevée par les Génois, le cheval tond une touffe d'herbe, écorce un arbre ou lèche une roche couverte de mousse, et tout est dit.

Des voyageurs s'arrêtent pour les étudier et certains trouvent celui qu'ils cherchaient.

Quant au logement de chaque nuit, c'est bien plus simple encore : le voyageur arrive dans un village, traverse la rue principale dans toute sa longueur, choisit la maison qui lui convient et frappe à la porte.

Parmi cette foule, une femme (Lydia) se détache nettement par les vêtements aux couleurs vives et à la dernière mode qu'elle porte.

Un instant après, le maître ou la maîtresse paraît sur le seuil, invite le voyageur à descendre, lui offre la moitié de son souper, son lit tout entier s'il n'en a qu'un, et, le lendemain, en le reconduisant jusqu'à la porte, le remercie de la préférence qu'il lui a donnée.

Elle tient une grosse valise à la main.

De rétribution quelconque, il est bien entendu qu'il n'en est aucunement question : le maître regarderait comme une insulte la moindre parole à ce sujet.

Elle s'est arrêtée et regarde les différents écriteaux.

Si la maison est servie par une jeune fille, on peut lui offrir quelque foulard, avec lequel elle se fera une coiffure pittoresque lorsqu'elle ira à la fête de Calvi ou de Corte.

Un homme d'affaires, portant lui aussi un costume très distinct, la dépasse.

Si le domestique est mâle, il acceptera volontiers quelque couteau-poignard, avec lequel, s'il le rencontre, il pourra tuer son ennemi.

On entend un coup de feu.

mercredi 24 juin 2009

De la suite dans les idées ! Jehasse et Arrighi de retour

C'est avec un grand plaisir que je relaie dans ce billet un message écrit par Olivier Jehasse et Jean-Marie Arrighi.

Le duo d'historiens répond point par point aux objections et critiques émises dans les commentaires au billet "Toutes les réponses sont dans ce billet !"...

Le combat (pardon, le débat) continue !

(J'ai simplement ajouté des intertitres en rouge - peut-être en léger décalage avec les propos des auteurs - et souligné en gras les phrases qui ouvrent des pistes de travail, mais l'ensemble est à discuter, bien sûr).

Voici ce que nous pouvons répondre aux différents intervenants du blog :

Un Etat corse au XVIIIème siècle : matière à interprétations
Pour nous il ne s’agit évidemment pas de nier le travail de ceux avec qui nous avons des désaccords. Mais, au contraire d’autres époques que l’on peut envisager de plus loin et plus sereinement, l’histoire du XVIIIIe siècle corse est étroitement liée aux choix politiques et sociaux actuels. C’est l’époque des révolutions et de la formation des nations modernes. La Corse y a disposé d’un Etat jusqu’à la conquête française, c’est un fait admis de tous.
C’est sur l’interprétation de ce fait que les divergences surgissent : s’agissait-il d’un Etat solide, détruit par l’intervention militaire d’une grande puissance, ou d’un Etat non viable, que ses contradictions internes condamnaient à disparaître de toute façon ?. Si on pense que les Corses ont « adhéré » en 1789 à la nation française de manière définitive, on est tenté de monter en épingle les difficultés du régime de Paoli, que nous signalons pour notre part (problèmes financiers, petit nombre de cadres compétents, volonté d’affirmation des notables). Si on pense que la Corse était et reste une nation, on risque de mettre en valeur les seules réussites de Paoli, bien plus évidentes. Dans les deux cas, aucun historien n’invente, mais choisit quels faits mettre en valeur. S’il est de surcroît membre d’un parti politique, et même de sa direction, ce qui est le cas pour Rovere et Casanova, mais pas nous, il peut difficilement s’en abstraire. On trouve parfois ce qu’on ne cherchait pas, mais bien plus souvent ce que l’on espérait trouver.
Nous pouvons ajouter que, dans le cas du XVIIIe siècle corse, l’analyse communiste traditionnelle présente des blocages qui sont liés à l’histoire du marxisme français (survalorisation du peuple nécessairement de gauche, sous valorisation de la nation nécessairement de droite) malgré un texte de Staline sur les nations qu’il faudrait réétudier mais qui était occulté par la direction intellectuelle du PCF dans ses revues théoriques et dans ses productions historiques : l’époque révolutionnaire avait été prise en main par Soboul qui de la Sorbonne mandarinait toutes les problématiques historiques (j’ai été son étudiant - parenthèse d'Olivier Jehasse) au nom du peuple souverain ce qui l’enfermait dans une vision très hostile aux mouvements nationalitaires (à l’époque ils n’étaient que régionalistes d’ailleurs) et suprême drôlerie au nom de l’internationalisme prolétarien, ce qui était très beau intellectuellement mais complètement décalé par rapport aux aspirations de la jeunesse des années 70 qui était entrée dans une production théorique beaucoup plus libertaire. Il faudrait avoir le temps de raconter tout ça, parce que ce fut un grand moment. En Corse le PCF et ses historiens ont ressenti le développement du mouvement corse comme une attaque frontale contre lui (ce qui n’était pas faux) et sa production intellectuelle s’en est ressentie car les premiers autonomistes faisaient fort : ils piquaient Jean Nicoli au panthéon de la Résistance, parce que cela contrariait l’histoire officielle de la résistance écrite par Choury qui était la bible du PC. Ils s’étaient saisi du concept de peuple et les productions explicatives (elles n’étaient pas encore de la théorie, quoique !) réalisées par des idéologues de formation marxiste qui hésitaient entre antistalinisme et neostalinisme (c’est beau l’histoire intellectuelle de la revendication corse, elle mériterait une enquête sérieuse tant elle est foisonnante !) donnaient des boutons au PC qui défendait toujours une ligne ouvriériste, alors qu’avec Mao qui, avec la Révolution culturelle était devenu la nouvelle référence de la jeunesse politisée, c’était l’idée du peuple paysan qui prenait le dessus. D’où des débats forts et fermes (nous nous souvenons de quelques fêtes de Terre Corse à Ajaccio et Bastia en 76-77 où on avait bien ri mais sacrément discuté avec de bons dirigeants locaux). Bref nous nous connaissons bien, nous nous affrontons idéologiquement mais pas humainement et en 2009 le débat continue toujours et pourtant la roue à tourné et les conditions historiques sont totalement nouvelles.

Le "parti français" en Corse : combien de divisions ?
Concernant l’existence d’un « parti français » au XVIIIe, sa présence est certaine, même si le mot parti apparaît trop fort par rapport à l’état idéologique des Corses. Le mot parti recouvre le corse partitu et ce système d’allégeance ancien (il date du Moyen Age, voire plus tôt) ne correspond pas exactement à l’intérêt que les élites corses pouvaient porter à l’histoire et au pouvoir français dont les aventures italiennes ne les avaient pas laissées ignorantes de son poids naissant en Méditerranée. Son importance a cependant été très exagérée. Antonio Colonna, souvent cité à ce sujet, est à peu près de tous les « partis » autres que génois. Il existe une politique française consciente à partir de la création du Royal Corse, mais elle ne concerne qu’une petite minorité de Corses.

Le ralliement des notables après la conquête pose un autre problème. Pour beaucoup de ceux-ci, la cause de la révolte était l’impossibilité de toute promotion dans le cadre génois. Une fois Gênes chassée, toute solution qui garantit aux Corses des emplois et des titres est bonne à prendre : un Etat corse, ou bien une grande puissance, la France mais aussi l’Angleterre un peu plus tard, sans oublier les Etats italiens auxquels beaucoup sont liés par leur histoire familiale (cf Vergé-Franceschi).
Après la Révolution française, on a non pas un mais deux « partis français » : un monarchique, celui des ralliés de 1769 ; un républicain composé d’anciens patriotes qui ont quitté Paoli (qu’on pense à Antoine Gentili, ancien compagnon d’exil, à Abbatucci, etc.).

Paoli face à l'Angleterre
Concernant la dépendance envers l’Angleterre on ne peut totalement suivre le point de vue exprimé : Paoli est un politique et justement il est en rupture avec la tradition corse du mercenariat, et il ouvre un nouveau système d’alliance stratégique reposant sur une pensée totalement neuve : transformer les structures communautaires traditionnelles corses, en proto démocratie (nous disons proto parce que cette démocratie du XVIIIe ne correspond pas à notre vision post seconde guerre mondiale. Quant à sa liberté vis-à-vis de la couronne elle est totale, la royauté anglaise ne fonctionne pas comme l’état français, elle garde toujours plusieurs solutions sous la main et ne manipule pas. Enfin là encore il faudrait développer… car nous ne sommes pas atteint d’angélisme ni d’anglophilie….
L’appel de Paoli aux Anglais en 1793 va de soi dans une situation qu’on peut considérer comme de guerre mondiale. Si on rompt violemment avec un des camps, on est condamné à s’allier à l’autre pour survivre, surtout quand on n’a pas seul les moyens militaires de conquérir les ports tenus par l’adversaire. Paoli le fait sans renoncer à ses idées démocratiques et à son estime pour la révolution française, comme Elliot le constate avec surprise. Mais la guillotine, c’est désagréable. Napoléon fera suggérer plus tard à Paoli de dire qu’il a rompu non avec la France mais avec la Terreur.
La situation de Paoli au moment de la révolution américaine est du même genre (affrontement mondial entre deux grandes puissances, l’une alliée et l’autre ennemie). Il est pensionné de l’Angleterre, comme nombre des siens, et en espère le rétablissement de l’indépendance corse quand la conjoncture le permettra. Ses partisans sont des exilés embauchés dans l’armée britannique, pas explicitement pour combattre les Américains. Dans la guerre d’Amérique, comme plus tard dans les guerres napoléoniennes, il y a des Corses des deux côtés. L’histoire consiste aussi à accepter de se placer dans les situations concrètes de l’époque concernée plutôt que de s’en tenir à un point de vue de principe atemporel.
Paoli à Londres ne s’exprime pas sur la politique anglaise en général, ni sur la révolution américaine, sauf par le vague « non posso voler male agli Americani ». Les affinités idéologiques des deux révolutions sont évidentes même si le « remember Paoli » fait allusion en effet au massacre par les Anglais de troupes américaines près de la « General Paoli’s tavern » dont le nom montre bien la diffusion du mythe.

De la Nation, une nouvelle fois
Le terme de nation a un sens ancien, celui d’origine commune. Depuis la révolution française, il peut se définir soit sur des bases politiques (choix de vivre ensemble dans le même cadre, de créer ensemble un Etat), soit sur des bases « objectives », linguistiques, historiques, géographiques, etc.. L’accord est loin d’être total même aujourd’hui « en droit et en sciences politiques », notamment d’un pays à un autre. La première définition, dominante en France, présente le risque de confondre nation et Etat. Que dire de la Pologne qui de 1795 à 1918 n’a plus d’Etat ? Cesse-t-elle d’être une nation ? La seconde, de tradition allemande mais aussi ensuite marxiste et léniniste, risque d’interdire le libre choix des populations. En Corse les trois sens sont présents au XVIIIe : « nation » peut indiquer les Corses en général, ceux de l’intérieur par rapport aux villes contrôlées par Gênes, ou seulement ceux qui participent à la lutte patriotique.

Paoli, un ange ?
Sur le fait qu’il n’y ait pas à « angéliser » Paoli, ni aucun autre homme politique, c’est bien évident. Tout ce qu’on peut dire c’est que son régime doit être évalué par rapport à son temps et aux autres révolutions de l’époque, et qu’il apparaît nettement moins dictatorial et moins sanguinaire que ce qu’on connaît alors en Europe.

Et le "paolisme" ?
Etre paoliste pour nous, en résumé, cela veut dire défendre des valeurs universelles sans transiger, dans le cadre d’une société donnée dont on respecte l’identité. Ce n’est pas contradictoire.

Un récit de lecture : Nadine Manzagol

Et voici, au gré des conversations numériques, émerger, paré de quelques propos, une forme, extraite du roman "A funtana d'Altea" de Ghjacumu Thiers.

Le filtre est ici le regard d'une lectrice, Nadine Manzagol (mais c'est moi qui fait le lien numérique vers un autre billet de ce blog). Vous aurez peut-être envie d'élire un autre passage, ou de discuter celui-ci ou de discuter le point de vue, n'hésitez pas.

Je préfère nettement le Ghjacumu Thiers de "A Funtana d'Altea" à celui de " A Barca di a Madonna" parce que le premier, sous le prétexte d'une correspondance adressée à une journaliste italienne, ouvre un dialogue "supposé" entre deux continents qui débouche rapidement sur un plurilogue. Bien entendu c'est toujours l'auteur qui parle à travers les divers personnages. La journaliste italienne (qui se confond à d'autres figures féminines du roman) y est évoquée en creux. Cela introduit une perspective "en abyme" très baroque. Ce roman est ainsi construit comme un théâtre de la mémoire irrigué par des altérités virtuelles.
Tout en incarnant la culture corse en ses mythèmes insulaires, c'est à mon avis un des plus modernes des romans corses.
J'avais réalisé une interview de Ghjacumu à ce propos jadis dans "U Ghjurnale di a Messagera" n°2 en juillet 1992.

En réalité, il m'est difficile de choisir un passage précis de "A Funtana d'Altea" car c'est la structure même du roman qui en fait la modernité, et singulièrement quand c'est la mémoire et le passé enfoui qui y sont évoqués. Par exemple un paragraphe ce matin a retenu mon attention, en ce qu'il fait affleurer le non-dit au bord des fractures qui traversent notre culture. Et l'expression de l'indicible au coeur même de notre imaginaire. Ce passage se trouve page 141 de la version corse :

Una frizzione amara chì a memoria ci si arrena. Dicianu chì per noi altri a strada era fatta, diritta è fatata. Sbrullati sin'à l'ultimu, è cincina ver di e terre viote, vicinu à e cunfine trà mare è morte. A barbara furtuna hà lampatu i vascelli ed esiliati tetri ingutuppanu l'isula. Per sopra à issi marosuli quenciani, affacca un populu natu à l'albore anticu di i Tempi. Anticu quant'è l'acqua, quant'è l'aria è a terra mora di stu locu. Anticu di più chè e lastre scritte, di più chè e petre arritte, e stantare portaferru chì miranu u tempu cù a so aria gioconda, cù a so aria arcana. Un populu di pastori, cheti, fieri è pocu parullaghji. Liberi, fermi è chì pascenu e so pecure nasognule nantu à issa terra benedetta attente à rispinghje u mare, sempre. E' giganti chì li sfrumbuleghjanu calanche à dossu, da impetracci a burriana. L'acqua salita frighje è, spaventata si accheta, è posa pè qualchì tradimentu. Un' vi l'anu piattate, e calanche di i nostri miti. E' site ghjunti da fora, stupiti di pettu à e fronte di u granitu rossu, alte mezu chilometru, curve, castigate, insanguinate, ma vi ne site fatti figure di fantesia vostra. Diciate di monachi arritti cum'è sprupositi. Un vescu calatu, cù mitria è pasturale. Un lione pusoni à a cansa di u stradone, a donna chì dà da sughje è l'Erdiavule immensu è versighjente. Un' ci avete capitu nunda nè niente, è e stantare ridenu, fisse cum'è quelli chì sanu. U tempu, quì, si hè vulsutu firmà, à l'essezza di e petre. Un' ci avete capitu nulla. Vi pudia dì quessa, vi pudia. Ma ùn vi aghju contu chè di mè è di Funtana Nò.

E' u mare si affacca, di un colpu, spaventosu. Hè un dragone orrendu chì si lampa à l'assaltu di e nostre coste, atteppa pè e terre alte è si sparghje in tutte e foce. E ciccone battenu à strappera di battagliolu. Aiutu ! aiutu ! Sò ghjunti batelli fini cum'è cultelli o gonfii di velenu veloce. Dopu, sò seculi di ferru chì mena, di ferru chì strippa. E' di cori accuzzati cum'è lame. A voce furestera face alzà e forche, è si face à impicca impicca. I lumi, i ferri, u focu chì corre in ogni locu. I fiumi impauriti fughjenu à la surgente. Anu circatu l'agrottu sottu à e cote spaventate. Tuttu scompie, tuttu. Hè tempu di scumpiimenti. Crepa u cele chì ne fala una spiscia tamanta di spade lucciche è di piombu infiaratu. In l'aria insischita schjattanu rise chì mettenu u fretu à dossu. E' suldati maneschi passanu, à buleghju à preti, magistrati, turchi o cristiani, furesteri di tutte e sterpe lampati à fragassi a terra, iè, a terra. Incendiu. Assassinii. E case sprufundate. Ghjente stirpata. U cultellu chì mughja nantu à e carne impaurite. Sò tempi di zerga fiera è tempi di rivolta. Vene l'epica di a libertà, è po quella di e catene, sempre. Ci ghjimbemu sottu à bandere bugiarde chì cantanu l'assassinii. Lochi arrubati. Anima arrubata. Quantu costa ? Li licchemu i pedi. E' perdimu a parolla. I furesteri ùn sò più fora. I furesteri sò quì. I furesteri simu noi.

Un' aghju avutu asgiu à parlavvi di noi. Vi aghju dettu A Funtana Nova, è basta.

Il va sans dire que la suite de ces paragraphes, qui en développe le propos, est aussi remarquable.
Et j'aime particulièrement la grande poésie de cette prose où le grain même de la voix du narrateur est perceptible.
L'oralité s'y conjuge à l'écrit.

Blog Blog Blog : réflexions enthousiasmantes de François Bon

Voici les sites et blogs corses que je fréquente vraiment presque tous les jours, pour y voir ce qu'il y a de nouveau (et malheureusement, il n'y a pas du nouveau tous les jours !) :

- Marcu Biancarelli 2
- Marcu Biancarelli 3
- Isularama, de Xavier Casanova
- Gattivi Ochja, de Stefanu Cesari
- Terres de Femmes, d'Angèle Paoli
- Invistita, de Norbert Paganelli (rubrique News)
- Musa Nostra (le site et le forum sur la littérature corse)
- Foru Corsu (on voit tout de suite qui a écrit "aujourd'hui")
- Corsica Polar
- Revue Fora !
- Albiana
- A Piazzetta
- Rougelarsenrose, de Laure Limongi (13 billets évoquent la Corse, mais cela me suffit pour attendre le suivant)

Bien sûr je vais voir tous les autres, mais moins souvent.

Et puis je vais régulièrement sur le site de François Bon, Tiers Livre.net... C'est une mine de réflexions, de dialogues, de créations, de mélange de tout cela et cela ouvre d'importants horizons et cela soutient les efforts des blogueurs !

Voici ici les phrases d'un entretien (pour le Magazine littéraire en novembre 2006) que vous pourrez lire intégralement avec le lien en fin de billet ; ces phrases me font réfléchir, arrêtent mon oeil et mon esprit (en rouge), et vous ? :

Il faut d’abord s’entendre sur le mot blog : l’important, c’est la présence de notre littérature, des études qui la concernent, de sa vie créatrice, dans l’espace neuf de circulation de sens et de langage qu’est le réseau.

Nous disposons d’outils qui permettent des mises en ligne instantanées, très simples. Ce qu’on appelle blog, c’est une maquette préformatée, mais limitée, de ces outils. Aussi bien remue.net, site collectif, que mon site personnel, tierslivre.net, ont évolué vers cette idée de lieux d’écritures en constant renouvellement, carnet de liens et informations. Le rss est venu consolider ces pratiques nouvelles : on peut aisément suivre, avec netvibes ou bloglines, une cinquantaine de sites, en sachant instantanément ce qu’il s’y écrit de neuf. Cela aussi c’est un outil qui peut créer de nouvelles possibilités, ou déplacements, du rapport de la langue au monde.

Aujourd’hui, j’en suis à considérer qu’un site, via son effectivité très concrète, la façon dont il est lu, est une production esthétique aussi mûre que les autres. Elle ne concurrence pas, ne remplace pas le livre graphique, mais ces associations texte, son, image, sont potentiellement une combinaison, une production de temps, comme le cinéma et la musique produisent du temps, qui en fait un champ spécifique : dans la mesure où chacun, assigné à l’ordinateur par son travail, confère à l’outil informatique une part de son rapport au monde, c’est un champ poétique comme un autre. Plaçons ici de la langue. Retrouvons, même ici, notre fonction originelle : la littérature comme question posée au langage.

La bousculade culturelle qu’est le monde des blogs, avec sa réactivité, son désordre, est déjà centrale, en tout cas se mêle à égalité aux médias traditionnels, mais on fait comme si c’était une sorte de bruit de fond. La question plutôt devrait être : comment veiller ensemble à ce que ce soit un véritable espace critique, un véritable espace d’expérimentation et création ?

Les sites qui m’intéressent le plus, je crois que c’est ceux qui utilisent vraiment l’outil Internet pour construire une intervention, une matière spécifique (voir mon carnet de liens), plutôt que les sites qui sont seulement une médiatisation de l’activité de l’auteur concerné.

Le danger du blog, c’est qu’il pourrait donner l’impression que ce que vous nommez « l’expression du moi » a un statut de supériorité, voire serait irréductible dans le travail littéraire. Si c’est une tendance de la société, cette hypertrophie du moi, ou cette exhibition de l’intime, alors les blogs vont l’accentuer. C’est sans doute ce qui se passe côté Skyblogs ? A nous de faire en sorte, si nous considérons que le travail littéraire n’est pas « l’expression du moi », d’insérer et faire vivre sur le Net d’autres modes de réflexion du monde, de travail de la langue sur le monde. Je ne me considère d’ailleurs pas indemne de cette réflexion, on n’avance que via ses erreurs.

A lire ce qui était, au temps de Flaubert et Baudelaire, ou Proust, l’échange dans la communauté littéraire, alors oui, Internet nous permet de restaurer, dans le monde d’aujourd’hui, son éclatement et sa dispersion, ce qu’ont pu exprimer, au temps des Lumières plutôt que dans l’image Verdurin, les « salons ». Par exemple, quel bonheur que la « liste Perec », et le fait que trois cents personnes puissent échanger sur Perec même si l’un est au Japon et l’autre dans les Vosges. Je suis plus réticent sur ce vocabulaire agora démocratique. D’une part le mot agora : personnellement, je souffre d’agoraphobie, ce n’est pas une pose. J’aime Internet parce qu’il me permet des dialogues, parfois très intenses, qui respectent mon besoin privé de silence. Mais le mot démocratie ici est déplacé : les journaux ou les sites qui mettent leurs « forums » au même niveau que leurs articles font passer le bruit de fond avant le travail de contenu. Pour ce qui est de l’écriture, l’ordinateur ne change rien à la difficulté, au harassement. L’Internet littéraire, c’est celui qui met en rapport avec l’énigme, pas celui qui la remplace par la conversation : imaginez un blog Celan… Parallèlement à cela, pour s’en tenir à Celan, sa correspondance est abondante, de la même façon qu’on a je crois quelques 3000 lettres de Beckett : c’est ce temps social de l’écrivain, cette activité autour ou en amont de l’oeuvre, que capte Internet : ce n’est donc pas un détournement, ni une fonction neuve .

Internet est aussi, désormais, un lieu d’échange prescriptif. Un lieu d’échange hors des prescriptions dominantes. On peut défendre un livre qui serait complètement ignoré du système consensuel dominant, avec ses éternels romans formatés, et ses académies ringardes. Le système des prix littéraires fait partie de ce qu’il nous est indifférent de voir s’écrouler un jour. Nous n’attendrons pas des vieilles valeurs le cautionnement de celles qui naissent. C’est ce que j’aime dans la communauté Internet : assez de belles choses pour qu’on ait envie de les suivre, on travaille sans se préoccuper du reste. Le meilleur, le possible de l’Internet littéraire est encore à venir. Mais déjà, c’est cela aussi la fascination : naissent des démarches, via l’outil Internet, qui interrogent notre rapport aux livres, à la langue, sans l’annuler du fait de l’écran, de la technique. Mais à condition que nous, ce lien, on l’exprime, on en fasse un objet de circulation, de résistance.

Voici l'entretien intégral.

Suite à la lecture de cet entretien, je reviens sur deux idées, à discuter :

1. Nous avons besoin des Pouvoirs publics pour fabriquer, diffuser, analyser la "bibliothèque" corse (c'est-à-dire les livres)
2. Nous n'avons pas besoin des Pouvoirs publics pour faire vivre la "littérature" corse (c'est-à-dire les lectures)

Qu'en pensez-vous ?

mardi 23 juin 2009

Prenons les choses à l'envers : cummenti (1) - Natali, Crésus et son fils

Le billet numéro 26 de ce blog, daté du 26 février 2009, intitulé "Passé Présent Futur", engageait les lecteurs à aller voir une quinzaine de "cummenti" que j'ai écrits (en 2002, semble-t-il) en vue d'une très hypothétique "anthologie de littérature corse"...

Le problème est bien sûr qu'à cette époque-là, je n'utilisais pas l'outil du blog et que le site d'Interromania qui abrite ces cummenti ne laisse pas facilement la possibilité de laisser des commentaires.

D'où l'idée suivante ; régulièrement je reprendrai un de ces cummenti dans un des billets de ce blog, avec des compléments ou des variantes, nous verrons. Mais surtout avec l'espoir que ces propos passés pourront éveiller des échos chez les internautes : tout est à discuter, compléter, critiquer.

Pour le premier billet de ce genre, commençons avec le premier cummentu (qui, je le rappelle ici, est une variante du "récit de lecture") :

Question : Quel est le rapport entre ces deux textes ?

Texte 1 :

Crésus lui-même eut le sort que voici : il avait un fils dont j'ai parlé plus haut, fort bien doué, mais muet. Au temps de sa prospérité Crésus avait tout essayé pour le guérir et, notamment, il avait envoyé consulter l'oracle de Delphes à son sujet. La Pythie lui avait répondu :

Lydien, roi de peuples nombreux, Crésus insensé,
N'appelle pas de tous tes voeux le moment où tu entendras dans ton palais,
La voix de ton fils : mieux vaut pour toi qu'il reste
Bien loin ! Car il ne parlera qu'au jour de ton malheur.

Or, lorsque la forteresse tomba, un Perse marcha sur le roi sans le reconnaître et Crésus, dans ce désastre, le vit approcher avec indifférence : peu lui importait de mourir sous ses coups. Mais, quand le muet vit l'homme approcher, l'effroi et la douleur firent jaillir sa voix, et il s'écria : "Soldat, ne tue pas Crésus !" Ce fuent ses premiers mots, et la parole lui resta pendant tout le reste de sa vie.

Texte 2 :

Se a voi non regge più il cuore di mirar la Patria tradita, e combattuta da' suoi Figli, e da quelle mani stesse, cui, secondo ogni Legge, toccherebbe il difenderla con quanto han sangue nelle vene, io certamente, non solo non posso a guisa di certe Anime vili, di certi cuori di puro sasso, udire con ciglio sereno, e trapassar ciò con timido, e pigro silenzio (come mal vi apponete) che anzi sento abbruciarmi il petto di sì focoso zelo, che ove ancor fossi muto per natura, il mio ardore, rotti i legami della lingua, mi farebbe prorompere articolatamente in altissime grida, rinnovando in me il prodigio del Figlio di Creso, allorchè vidde un Soldato nemico, che non conosceva il Re suo Padre, avventarsegli col ferro sguainato alla vita : e vorrei essere spada, o coltello, per trafiggere codesti Mostri di sconoscenza, e di perfidia.

Réponse : le fils de Crésus.

Le premier texte est d'Hérodote, "L'Enquête", Livre I (85).
Le second est le premier paragraphe du "Disinganno intorno alla guerra di Corsica" (1736). Publié, traduit et présenté par Jean-Marie Arrighi et Philippe Castellin en 1982, par La Marge (mais où trouver aujourd'hui ce livre, sinon en bibliothèque ?). Leur présentation est extrêmement intéressante pour mesurer les aspects audacieux ou timides, les contradictions aussi d'un texte d'argumentation juridique et théologique qui cherche à convaincre du bien fondé de la révolte contre Gênes.
Bien sûr, ce qui m'a attiré, c'est la figure du Fils de Crésus que Natali référence ainsi : "Valer. Max. lib. 5. cap. 4." (voir ici pour lire - en français, certes, mais c'est tout de même déjà émouvant - ce que Natali a lu dans la version originale latine, c'est le paragraphe 6) et qu'Arrighi et Castellin présentent ainsi dans leur propre note : "Crésus est le dernier roi de Lydie. Selon Hérodote, son fils, muet, aurait retrouvé miraculeusement la parole en le voyant menacé par un soldat perse." (Le texte de Valerius Maximus est tout de même moins riche que celui d'Hérodote, pour l'imaginaire, alors il est légitime de convoquer ici le texte que Valére Maxime a certainement utilisé pour son propre travail ! L'idéal aurait été une interview du fils muet... pour poursuivre avec les histoires de parole entravée et libérée, voir ici.)

En 2002, le cummentu disait donc ceci :

En 1736, Giulio Matteo Natali, partisan de l’indépendance corse, écrit le Disinganno intorno alla Guerra di Corsica, pour prouver le bien fondé de la lutte des Corses contre le pouvoir de Gênes... Voici les deux premiers paragraphes de ce texte écrit en italien et traduit en français par Jean-Marie Arrighi et Jean-Pierre Castellin.

« Si vous désormais, ne pouvez plus assister au spectacle de la Patrie trahie, combattue par ses Fils, et par ces mains mêmes à qui, selon toute loi, il incomberait de la défendre de tout le sang qu’elles ont dans leurs veines, à coup sûr ne puis-je moi-même, à la façon de certaines âmes viles, de certains coeurs de pierre, écouter en demeurant serein et passer outre en m’imposant un silence timide et honteux que vous tentez sans succès de vous infliger ; silence si contraire à l’ardeur du zèle qui enflamme mon coeur que, fussé-je même muet de naissance, les liens entravant ma langue se rompraient et que, soudain, jaillirait hors de ma bouche hurlante un flot de paroles articulées - miracle, à mon propos renouvelé, qui advint au fils de Crésus voyant un soldat ennemi qui marchait l’épée nue sur le Roi son père, à son insu : et je voudrais être épée, ou couteau pour transpercer ces monstres d’ingratitude et de perfidie.

Pour vous en donner toutes les preuves possibles, j’ai estimé opportun de vous communiquer les arguments qui me semblent les plus aptes à convaincre ces gens de l’énormité de leur faute et, quand se présentera à vous l’occasion de répondre à quelqu’un d’entre eux, à balayer au moins en partie l’offense publique de leurs propos. Bien que, au demeurant, vous eussiez à vous garder de pareille engeance comme de pestiférés : Ennemis d’eux-mêmes, de leur propre intérêt, de leur propre honneur, ce ne sont plus des Hommes mais seulement des bêtes fauves dotées d’une apparence humaine. Quant à moi, je ne puis en souffrir la vue, et quant à nos Amis, les propos qu’ils tiennent à leur sujet sont tels que toutes les invectives, tous les reproches adressés par Tullius à Lucius Catilina seraient, par comparaison, réputés par vous applaudissements ou éloges. »

Commentaire

Ce qui saute aux yeux, c’est la beauté violente des cris de Natali dans ce texte politique important qu’est le Disinganno. Mais à qui ces cris sont-ils adressés ? Aux possibles défenseurs de la Nation. Et qu’est-ce qui a conduit notre auteur à pousser ces mêmes cris ? Le spectacle d’une Nation « combattue par ses Fils ». Les Fils prêts à se sacrifier pour leur Patrie contre les Fils entraînés dans la voie du parricide !

Or, devant un tel désastre, le texte n’appelle pas à la guerre civile, Natali ne se contente pas de hurler : il raisonne au moyen de paroles dont les effets recherchés doivent porter la vie et non la mort. Ce paradoxe devient une véritable contradiction dans le deuxième paragraphe. Car enfin, pourquoi fournir « les arguments qui semblent les plus aptes à convaincre » de leur erreur ces Fils dénaturés, s’ils sont « seulement des bêtes fauves dotées d’une apparence humaine » ? C’est donc que la violence est ici autant réelle que rhétorique, pour la forme ; tandis que la volonté de convaincre est bien au coeur du propos. Natali crée en fait dans le début de son discours la mise en scène nécessaire à la naissance d’une littérature de combat. La raison se pare des masques effrayants de l’horreur, de l’indignation et s’incarne pour cela dans la figure du « fils de Crésus », un personnage qu’il est donc nécessaire d’interroger.

Ce personnage enrichit notre imaginaire d’une parole au milieu des combats, des crimes et des vengeances. Mais de quel genre de parole ? Natali nous dit que le fils muet de Crésus se mit à parler pour la première fois au moment où un soldat perse allait tuer son père. C’est Hérodote, dans son Enquête, qui nous raconte l’ensemble de l’histoire : « l’effroi et la douleur firent jaillir sa voix, et il s’écria : ‘Soldat, ne tue pas Crésus !’ ». Et Natali reprenant cette anecdote enrichit la voix de l’exhortation abondamment représentée dans notre littérature et qui connaît le succès que l’on sait dans les discours en Corse ou sur la Corse.

Mais la figure convoquée partiellement par Natali est plus complexe. En effet, chez Hérodote, les premiers mots du fils coïncident avec la perte de l’Empire et du pouvoir par le père et donc avec le début de son malheur. Parole qui se révèle finalement vaine, inutile, n’écartant le danger que pour mieux laisser plonger dans la misère, inéluctablement, puisque l’oracle de Delphes l’avait prédit à Crésus : « Il ne parlera qu’au jour de ton malheur. »

D’une certaine façon, la littérature corse ressemble à cette parole du fils de Crésus. La peur de la disparition et de la mort réelles ou fantasmatiques (du peuple, de la culture, de la langue corses) a joué un rôle important dans nos consciences. Et la prise de parole née d’une telle peur est forcément exhortation à éviter le malheur puis lamentation déplorant ce malheur (lorsque l’exhortation a échoué). Il est alors peut-être plus essentiel de mettre en avant un troisième aspect de l’anecdote du fils muet.

Avec ses premiers mots, le fils (remarquons qu’il n’est pas nommé) de Crésus (dont le nom perd de la valeur) accède à la société des hommes : il dévoile le réel (en effet il apprend au soldat ignorant que celui-ci allait assassiner Crésus), il rend aux êtres leur désir de vie (Crésus face à sa chute était indifférent à sa propre mort) et il intervient dans le cours des événements (Crésus vivra et deviendra le conseiller de Cyrus, le chef des Perses). La littérature politique décrit la réalité pour la modifier. Mais la figure du fils de Crésus reprise par Natali ajoute à celle-ci la capacité à proposer à ses lecteurs (nous, aujourd’hui) des images riches de contradictions et de métamorphoses futures. Le texte d’Hérodote dit ceci : « Ce furent ses premiers mots, et la parole lui resta pendant tout le reste de sa vie. » Quelles furent ses paroles, ses discours : des poèmes ? des stalbatoghji ? des mythes ? des contes ? des murmures inaudibles ?

Natali raconte au moyen du fils de Crésus comment la parole lui vint. On pourrait ainsi imaginer la littérature corse prenant sa source dans le langage multiple et inarrêtable de Natali,à la fois épée brandie, cri hurlé, discours pour décrire et convaincre, et paroles encore non prononcées...


(Je viens de trouver une référence d'article ainsi libellé ! :
N'est-ce pas une occasion merveilleuse de prendre contact avec Annie Allély, afin de lui signaler qu'elle participe déjà sans le savoir à la vie de la littérature corse ?)

lundi 22 juin 2009

Un récit de lecture : Francesca

Voyant - via la liste de diffusion "Cuurdinazione corsa" - que Francesca faisait la promotion enflammée du premier livre de Jean-Pierre Arrio (que je n'ai pas lu), j'ai sollicité ce "récit de lecture" (vous savez comment il est défini sur ce blog, et que chacun d'entre vous peut proposer le sien).

C'est avec plaisir que nous recevons donc trois extraits commentés de "Cosu Nostru" (édition Albiana, 2009) ! (Evidemment, si vous n'étiez pas du même avis que Francesca, un propos contradictoire et argumenté serait le bienvenu.)

Le message sur Cuurdinazione corsa

A lire sans se prendre la tête, un excellent polar 100% ajaccien, « Cosu nostru » : en français mais avec de nombreuses incursions du corse dans les dialogues (comme dans la vie), la vie ajaccienne plus vraie que nature, de l’humour, de la « macagna », ce qui n’exclut pas une vision de la Corse d’aujourd’hui intéressante, tous les ingrédients du « polar » dans une veine authentiquement corse. On rit, il y a du suspense, on se reconnaît, ou alors on identifie son voisin (or, tout est fiction, inutile de chercher des modèles existants)…

Chez Albiana. par Jean-Pierre ARRIO, dont c’est un coup d’essai : un coup de maître.


Récit de lecture 1

L'ispettore Battì Stellini hè un "estetu" à modu soiu...mi sò spanzata :

Sans être particulièrement calmes, les nuits ajacciennes n'étaient plus secouées par les nuits bleues des années quatre-vingts, où l'on pouvait compter trente ou quarante botti en ville même ou sur la rive sud, dont le bruit arrivait alors en roulant sur les flots du golfe, grondant comme la répercussion d'un coup de tonnerre.

Parfois c'était imperceptible, seules les grandes vitres des baies de l'appartement tremblaient. D'autres fois l'écho renvoyait le son amplifié : ça, c'est si ça sautait vers le quartier des Salini ? Le mieux, niveau sonorité, c'était l'attentat urbain : ça claquait sec ! le coeur faisait un bond dans la poitrine.

Mais l'idéal, le fin du fin, le dessert de l'inspecteur, c'était le mélange de tout ça les soirs d'hiver glacé. Une "ambiance Belfast" de révolution en marche ! Mieux qu'une séance ciné : l'impression que l'inéluctable était en route. Combien avait-il passé de nuits étoilées à évaluer les charges, à chercher la localisation, à réfléchir sur les destinataires putatifs ?

Tiens ! Cette nuit promettait finalement : un concert de sirènes de bon aloi trouait la nuit de son cri d'espoir, traversant la ville vers le lieu, peut-être, de quelque tentative... qui sait ? L'inspecteur se cala confortablement dans son fauteuil et alluma sa Marlboro.

Vingt-trois heures cinquante. Une détonation sourde et courte, un léger écho, pas de vitre qui tremble... : petit attentat vers la sortie de la ville, un véhicule peut-être, une vengeance, sûrement.

Minuit et six minutes. La déflagration avait surpris l'inspecteur en train d'allumer une autre clope : forte, pas d'écho, la vitre derrière lui qui vibre... : plein centre. Une banque certainement, ou non, tiens ! les impôts plutôt. Il ferma les yeux à demi et renversa langoureusement sa tête sur le dossier du fauteuil en laissant lentement s'échapper la fumée de sa cigarette.

Minuit seize. Elle est puissante celle-là...

è a surpresa pè l'ispettore serà putente anch'ella!

Un veru stilu d'autore, un spiritu cù a distanza, hè què chì mi piace.

Arrio sfrutta tutti l'ingredienti "nustrali" per fà un veru "polar", Aiacciu hè l'Aiacciu urdinariu in a so vita cuttidiana ma piglia un visu neru, stranu, tuttu fenduci ride à ogni pagina.

A dicu subitu, ùn sò fan di i polar, ma cunnoscu u generu cumè tutt'ognunu (cumu fà altrimenti, simu nutriti da u sinemà americanu è u sinemà francese ùn pare più capace di fà altru chè u polar (micca cusì bonu, d'altronde). Mi pare di rispettà tutte e regule di l'arte quessu, cù in più un "cosu nostru"...

Récit de lecture 2

Nantu à i raporti trà a Corsica è u cuntinente, eccu un passagiu chè trovu bè vistu nantu à a "tendenza" di i Francesi, di qualsiasi categuria suciale o intellettuale, à caccià a parolla "Republica" cum'è un esorcistu caccia u so crucifissu da alluntanà u Diavule, ogni volta ch'ellu si tratta di a Corsica ; ghjuveria a Corsica da unificatrice di a Francia, da cunsulatrice di tutti i so guai, da ersatz di a so grandezza culuniale persa...?

Battì avait découvert avec étonnement dès ses premiers pas sur le continent que des gens d'horizon divers, des progressistes, des humanistes, des fonctionnaires souvent, se découvraient immanquablement, au sujet de la Corse, des missions à accomplir ; ou une vocation de civilisateurs francocentristes dès l'abord des côtes de l'île. Effectivement l'homo corsicanus s'étonnait encore vaguement que tel libre penseur libertin libertaire occupé d'ordinaire à philosopher sur l' art contemporain dans l'éducation des masses mute instantanément en parangon de vertu républicaine au contact de ce fief de bouseux rétrogrades ; tel écrivain raffiné se transformait illico en censeur jacobin ; tel recteur d'académie ouvert et fin lettré y devenait en moins de temps qu'il ne faut pour le dire un beauf de première zone ! Tel amuseur télévisuel à l'esprit d'ordinaire acéré et subtil se changeait, dès que le sujet était abordé, en raseur balourd. Tel artiste tourmenté et hypocondriaque se découvrait aussi sec un point d'équilibre immuable et transcendant : l'idéal français!
Même chose pour certains flics... Celui-là appartenait apparemment à la portée.
Nous sommes le révélateur de l'unité républicaine, là est le rôle des Corses, leur voie ; là est le chemin : participer à donner à cette nation en souvenir un idéal commun autour de la remembrance originelle, de la fade réminiscence d'un passé colonial unificateur.

(...)

Nantu à l'architettura senza ambizione nè identità di a cità d'Aiacciu, peghju, u scempiu di i so lochi storichi, qualchì nota intelligente è ghjusta in u passagiu quì sottu :

(L'ispettore, mudernista, celibatariu dipoi a partenza di a moglie, si cerca un loft, chiestula impussibule in Aiacciu.)

C'était un bourg endormi et ronronnant, bien que jeune, et sans activité commerciale particulière, contrairement à sa soeur ennemie, Bastia, nettement plus industrieuse et avec une réelle histoire citadine qui se reflétait dans ses quartiers, ses rues et ses immeubles.

Le "vieil" Ajaccio en revanche ressemblait à un hameau, certes charmant, mais constitué seulement de quelques artères et venelles et entouré d'une immense banlieue. Même les "beaux quartiers" s'apparentaient plus à une zone périphérique de cité-dortoir qu'à une ville méditerranéenne : aucun charme, aucun cachet, aucune unité... C'était à se demander comment les prix de l'immobilier avaient pu atteindre de tels sommets pour des constructions si peu élégantes.

Pas une seule des municipalités qui se succédaient depuis des décennies n'avait été en mesure d'appréhender correctement ce phénomène. Résultat, des immeubles sans style continuaient à pousser dans l'anarchie la plus totale au gré des ventes de terrain, sans plan d'ensemble ni réflexion.

Sans ambition surtout : ici, nul building de verre ne venait enrichir le paysage de sa touche de modernité; aucune voie nouvelle n'était tracée pour former de nouveaux quartiers et impulser une nouvelle force à la cité; pas de concours d'architectes non plus pour réaliser d'ambitieux plans d'habitats ou de bureaux plus humains en projetant l'identité traditionnelle de la ville dans le futur.

Au contraire, on paraissait s'y délecter d'effacer les seules traces intéressantes du passé : la piazzetta était devenue invisible au promeneur, la fontaine du cours et la caserne avec sa terrasse ombragée de platanes avaient été rasées ; les noms de lieux aux rondes saveurs latines disparaissaient des panneaux signalétiques au fur et à mesure que poussaient les "résidences du Soleil" et autres "allée des Lauriers-Roses"... un gâchis, quoi!

Hè per tutte 'sse note chì u libru mi pare d'andà al di là di u "polar" per porghjeci un ritrattu d'una irunia acuta di a nostra sucetà è in particulare di a cità d'Aiacciu...

dimanche 21 juin 2009

Le Festival littéraire de Porti Vechju

Il s'appelle aussi "Festival du livre de Porto-Vecchio" ; organisé par l'Association "Lire au soleil" : voici le site : Lire au soleil ; et le programme du festival :

VENDREDI 26 JUIN - Centre culturel
17H00 : Table ronde "La modernité littéraire "
18H30 : Table ronde "Dieu, sa vie, son œuvre", en l'honneur et avec la participation du Président du Festival, Jean d'Ormesson, de l'Académie française
20H00 : Inauguration du Festival : mot du Maire

SAMEDI 27 JUIN - Haute ville
11H00-12H30 : Table ronde "Les journalistes et le livre"
11H00-13H00 : Dédicace de Jean d'Ormesson, de l'Académie française
16H00-21H30 : Dédicaces auteurs
16H00-20H00 : Présentation des ouvrages par Pascal Plat
16H00-17H30 : Table ronde "Écritures méditerranéennes"
17H30-19H00 : Table ronde "Réalité et littérature noire"
19H00-20H30 : Table ronde "Voix de femmes du sud"

DIMANCHE 28 JUIN - Librairie Le Verbe du Soleil
11H30 : Dédicaces auteurs - Apéritif.

Voilà qui est très attirant ; d'autant plus que (pour la première fois, me semble-t-il) 40 auteurs seront présents durant ces trois jours, liste impressionnante (voir la rubrique "Auteurs présents") qui mêle des auteurs corses (voire qui publient en langue corse) avec des auteurs non-corses afin de parler littérature !

Nous parlerons bien sûr d'autres initiatives (le prochain festival littéraire de polars d'Ajaccio en juillet, la journée littéraire organisée par Jean-Pierre Santini dans le Cap Corse, etc.).

Alors que faire lors de ces trois jours ?

Voici une liste, à compléter comme vous le désirez :
- discuter avec les auteurs (dédicace facultative, l'important est la rencontre, le dialogue, l'enrichissement de l'oeuvre via cette phase délicate pour le lecteur qu'est la découverte de l'auteur en chair et en os, et du lecteur pour l'auteur...)
- acheter des livres, beaucoup, les feuilleter, les parcourir, les lire, les relire, en parler (sur ce blog ou ailleurs)
- discuter entre lecteurs (sans les auteurs, qui peuvent se révéler encombrants dans ce cas-là !), poursuivre la discussion via le Web

mais surtout, surtout :

- prendre la parole publiquement lors des Tables rondes, poser publiquement les questions relatives à la littérature, à la lecture et à leur vitalité respective (en général dans le monde, mais aussi dans les domaines particuliers suivants : la France, Porti Vechju, la Corse, l'Europe, les petites littératures, le sud de la Corse, Porto-Vecchio, la Méditerranée, les littératures multilingues, la littérature corse, la littérature française, etc. etc.).

Je ne sais pas comment tout cela sera organisé (vu le nombre d'invités et de tables rondes, j'imagine les difficultés et je compatis), mais d'ores-et-déjà, je suis admiratif.

Nous avons besoin de rendez-vous littéraires réguliers, conviviaux, surprenants et ambitieux.

A bientôt !

vendredi 19 juin 2009

Comme le dit Stephen King... ou Un nouvel appel aux lecteurs !

Oui, il écrit ceci dans une terrible nouvelle de "Différentes saisons" (1982), intitulée "La méthode respiratoire" :

IT IS THE TALE, NOT HE WHO TELLS IT

Je l'écris en majuscules car je crois me souvenir que cette devise est gravée (sur le linteau d'une imposante cheminée d'un club new-yorkais réservé à des gentlemen qui aiment les histoires proprement in-croyables et absolument véridiques...).

(Je vous laisse d'ailleurs découvrir cette nouvelle vraiment terrible.)

L'important, dans le cadre de ce petit billet, est donc d'insister sur ce postulat :

C'EST L'HISTOIRE, PAS CELUI QUI LA RACONTE...

De même, c'est l'échange de lectures, de points de vue, d'avis qui importe à ce blog et non l'identité des participants... Elle n'a pas non plus aucune importance, cette identité, mais il me semble qu'elle en a moins que ce qui est dit : textes, oeuvres, énoncés, commentaires, dialogues, propos, c'est cette matière qu'il semble important de placer dans un espace commun (ici numérique). Ceci dit, pour libérer quelque peu la parole : nous n'y jouons pas notre vie, nous y jouons plutôt la vitalité de l'imaginaire corse (ce qui est à la fois dérisoire et ambitieux). Mais vous n'êtes peut-être pas d'accord ?

C'est une manière de renvoyer la balle à Xavier Casanova (mais est-ce bien lui ?...), qui sur son blog - Isularama -, évoque un des billets de ce blog-ci : allez-y voir !

Lisez aussi le commentaire que j'ai accroché à son billet (j'y dis des choses absolument nouvelles et renversantes).

mercredi 17 juin 2009

Qui a lu ce livre ?

Voici le tout premier paragraphe d'un livre corse que je n'ai pas encore lu... que j'aimerais pouvoir prendre le temps de lire, passant de sa version italienne originale à sa traduction française... dont je me souviens que Leonu Alessandri en disait du bien... (j'avais par ailleurs beaucoup aimé son "Indépendandiste corse", incroyable chronique, notamment du projet de "prise" de Bastia : qu'on ait pu imaginer ça, et le planifier !).

Voici ces premières lignes (de qui sont-elles ? : Francesca et MB n'ont pas le droit de jouer avant que deux jours se soient passés...), lignes qui montrent bien que l'absence de récit - ce silence-là - est le pire des malheurs !


Fra le tante disgrazie patite della Corsica sotto il governo de' Genovesi, non debbe a mio credere la menoma stimarsi quella di esser quel Regno stato mai sempre negletto dai molti e famosi storici, che tolsero il genio laudabile, di esercitare la leggiadria delle lor penne erudite nello Raccontamento fedele di tutti gli avvenimenti, guerre, e mutanze di stato della nostra Italia, e dell'Europa tutta. Conciossiachè il silenzio degli scrittori sinceri non pure ha tenute celate agli occhi del mondo, e de' Principi gli antichi pregi di quell'Isola e suoi Nazionali, ma ancor libero ha ceduto il campo ai Signori Genovesi di farla comparire ai guardi altrui tutta diversa da quel che rimasse fino all' anno 1729, perloché vilipesa e derisa dalle Nazioni tutte si pianse la Corsica. quando per l'opposito nel cuor di tutte svegliar potevano e doveano alta pietade le sue afflizioni, e lodevole rinomanza le naturali sur doti, il valore, e virtù de' suoi popoli, che anche fralle tenebre del vilipeso lor nome non intralasciarono di un qualche raggio di gesta gloriose diffondere al cospetto del mondo.


Parmi toutes les souffrances que la Corse a endurées sous le gouvernement des Génois, il ne faut pas, à mon avis, considérer comme la moins cruelle celle de se voir oubliée de la foule des historiens célèbres qui ont exercé l'art de leurs plumes érudites dans le récit fidèle de tous les événements, guerres et changements de gouvernement de notre Italie et de l'Europe entière. Si bien que le silence des écrivains sincères non seulement a tenu caché aux yeux du monde les mérites anciens de l'île et de ses nationaux, mais encore a laissé le champ libre à Messieurs les Génois pour la présenter aux étrangers tout à l'opposé de ce qu'elle fut jusqu'en 1729. Ainsi la Corse se vit avec tristesse méprisée et moquée par toutes les nations, au moment où ses malheures pouvaient et devaient dans le coeur de toutes éveiller la plus profonde pitié, et lorsque devaient lui valoir une renommée louangeuse ses dons naturels, le courage et la vertu de son peuple qui jamais, même dans les ténèbres de l'opprobre, n'a cessé de faire briller devant l'univers la lumière de sa geste glorieuse.

lundi 15 juin 2009

u ghjacaru neru

Lisant ce soir le recueil de poèmes "Forme animale" de Stefanu Cesari, je me prends à relire, et à relire encore trois des poèmes de la première partie, celle justement intitulée "Forme animale" (la seconde s'intitule "U carattaru di l'acqua").

Ce billet ne sera pas une analyse en bonne et due forme du recueil (y a-t-il eu d'ailleurs des recensions de celui-ci, des articles critiques - dans la presse ou dans les revues littéraires comme Avali, Bonanova ou A Pian'd'Avretu - , des échos de lectures sur des sites, des blogs ou des forums ? Je suis preneur.)

C'est un écho numérique après une première lecture rapide, parce que ces trois poèmes ont accroché mon oeil : arrivé au bout du dernier mot, il revient avec plaisir au premier (comme dans "Helter Skelter" des Beatles)... J'y reviendrai dans l'espace des commentaires (vous aussi peut-être, avec un regard différent sûrement ?)

(Pour une évocation de la poésie corse contemporaine, on peut voir, outre l'anthologie de Durazzo, la présentation de Paul-Michel Filippi sur le site de Transcript, l'article de Fusina dans le Mémorial des Corses, les propos de Nurbertu Paganelli, interrogé par André Chenet, sur son blog "Danger Poésie".)

Voici d'abord la version corse, originelle, et la version française (par l'auteur), originale.

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Ghjacaru neru

Trà no ci hè un ghjacaru neru
ci bastani dui o trè paroli di miseria :
parlemu
Ci hè l'ochji
castulenti
di l'animali
tra no
u puntià di a so fami
ci teni in corpu com'è u disiriu

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Entra in panni di a Bestia
runzà a lingua 'lla Bestia
licà a tarra è cunnoscia u silenziu
à u pilamu
Calpistà in u sangu
una furesta carnali
sciuma à i labbra
è invaddulà si in l'ochji di l'acqua
par apra
a pantaniccia

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Ti scrivaraghju in faccia tanti paroli vani
chì 'n u sguardu di l'altri parlarani
una fabeta di lingua
à fior' di visu una bucia calcosa
o micca, a saparè tu
calchì dulori ghjustu
capaci à di
u guasgi tuttu

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J'écrirai sur ton visage des mots qui ne servent à rien
tu ne parleras dans le regard des autres
qu'une langue incertaine
aux mensonges forcés
à même la peau

l'inutile douleur du tatouage
pour tout dire

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Entrer dans la peau de la Bête
gronder dans la langue de la Bête
lécher la terre connaître
le silence
au pelage
piétiner dans le sang
notre forêt liée écume aux lèvres
se vautrer

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Chien noir

Un chien noir entre nous
quelques mots de misère suffisent :
nous parlons
il y a l'oeil
étincelle
de l'animal
entre nous
l'intermittence de sa faim
lieu et corps du désir

samedi 13 juin 2009

Il s'endort en regardant les images

Et la question est : quelles images ?...

Je vais lier dans ce billet trois oeuvres : "Repérages" de Nadine Manzagol (éditions A Fior di Carta, 2008), "Le voyage en Corse" de Michel Vergé-Franceschi (éditions Robert Laffont, collection Bouquins, 2009) et le court-métrage "2001 II" de Gérard Guerrieri (déjà évoqué dans le billet "De quoi rire").

(A ce propos si des lecteurs de ces billets - qu'ils soient tous remerciés publiquement ici - trouvent que certains noms de créateurs ou d'oeuvres reviennent trop souvent, je répète humblement que ce blog n'en est qu'à ses débuts et qu'il ne tient qu'aux autres que moi-même de signaler les oeuvres corses qu'ils aiment et qui n'ont encore jamais été citées ou commentées ici : ce sera avec un immense plaisir, et si cela est déjà arrivé plusieurs fois, cela n'est pas encore assez à mon goût ; d'ici-là, je dois m'excuser d'exposer un imaginaire personnel qui repose en effet sur quelques noms, et quelques oeuvres, souvent remâchés, revus, relus...)

"Le voyage en Corse" de Michel Vergé-Franceschi
Revenant au sujet de ce billet, je dois d'abord faire part de mon émotion lorsque j'ai appris (via le blog de Xavier Casanova) que Michel Vergé-Franceschi venait de publier une "anthologie de voyageurs de l'Antiquité à nos jours" (c'est le sous-titre). Je me suis dit, à la fois ravi (un peu) et navré (surtout) : "Encore !"
Ravi parce qu'un livre qui évoque la Corse d'une façon ou d'une autre, dans une collection de grande diffusion nationale est toujours pour moi, au minimum, une belle occasion de remettre sur la table publique la question d'une "littérature corse" (comme définie dans le premier billet de ce blog).
Navré parce que voir revenir, en 2009, dans toutes les librairies de France et de Navarre toute la série des images, clichés, stéréotypes produits sur la Corse par le regard des "Voyageurs" extérieurs à l'île, c'est presque désespérant. Je fais part ici d'un sentiment personnel que vous ne partagerez peut-être pas, n'hésitez pas à me contredire. Car ce qui me désolerait encore plus, ce serait que ce livre (qui a certainement bien des mérites) paraisse sans qu'il en soit rien dit, ou qu'on le feuillette et le lise comme s'il n'apportait rien de neuf ou n'était pas susceptible d'être débattu.

Je ne remets pas en cause le fait d'avoir un oeil sur l'oeil du Voyageur... En attestent les billets évoquant ici Balzac et Mérimée (qui ont donné lieu à des débats : voir les commentaires).
Je ne remets pas en cause l'intérêt du travail considérable fourni par l'auteur pour prendre connaissance, classer, citer tous les extraits de textes très divers réunis dans l'ouvrage (1248 pages !).
Ce que je remets en cause c'est le fait de présenter une nouvelle fois la Corse d'abord comme une "matière" (le "voyageur", nous explique bien l'auteur, vient chercher un site géostratégique, des ressources naturelles, ou des émotions, en ce qui concerne les écrivains romantiques) plutôt que comme un "Sujet". Il me semblait pourtant que les Corses avaient pris la parole et la plume depuis longtemps.

D'ailleurs (c'est peut-être une des faiblesses méthodologiques du livre), l'auteur signale que très peu de voyageurs sont venus en Corse durant la période médiévale et il a donc recours à d'autres textes pour pouvoir évoquer la "description de la Corse" de cette époque, et ces auteurs sont corses ! : "De fait, ce sont les chroniqueurs indigènes qui, plus que les voyageurs, nourrissent alors la littérature insulaire" (page 11). Donc l'ouvrage de Vergé-Franceschi participe de deux genres distincts : l'anthologie des récits de voyageurs extérieurs à la Corse et les descriptions générales de la Corse (parfois écrites par des Corses). Ce flou entretient peut-être la confusion et finit par corroborer l'idée que le regard des Voyageurs est le paradigme d'un discours global sur la Corse, d'un discours qui tend vers le "vrai". Sinon pourquoi inclure les extraits des Chroniqueurs corses ?
De même, d'autres que moi, pourront s'étonner de l'absence des auteurs italiens du XIXème siècle, comme Niccolò Tommaseo. Pourquoi cette absence ? Alors que les travaux se sont multipliés ces dernières années sur les rapports intellectuels et autres entre les Corses et les Toscans (notamment par Marco Cini). Ces regards-là sont eux aussi très importants.

Je n'ai fait que feuilleter l'ouvrage, pour l'instant : j'ai lu l'introduction de François Moureau, universitaire spécialiste des littératures de voyage (voir ici une interview intéressante qui finit sur un éloge de la littérature de voyage d'aujourd'hui), l'avant-propos et la note de Michel Vergé-Franceschi et quelques unes des nombreuses pages introductives de l'auteur (en italique dans l'ouvrage) qui présentent les extraits classés en différentes catégories (Première partie, "Coups d'oeil et vues d'ensemble" : et notamment, "la traversée", "les deux ports principaux", "une île carrefour", "les bains et eaux thermales", "le peuple corse", "la langue corse", "l'hospitalité", "les ressources de la mer", "la société corse", etc. ; Deuxième partie, "Le sites" : et notamment, outres les villes, villages et sites naturels, "château", "cimetières", "églises", "urnes funéraires", etc.)

Un autre point qui m'a posé problème : l'auteur cite, au chapitre "Hospitalité", la nouvelle de Mérimée, "Mateo Falcone" ; hors, c'est une fiction, non un récit de voyage... Combien d'autres fictions aurions-nous pu intégrer alors ! Une proposition : une fiction écrite par un Corse, en latin, le "Vir Nemoris" ; il se trouve qu'il y est notamment raconté une sorte de "voyage en Corse", accompli par Circinellu traversant l'île d'Ouest en Est, fuyant les armées françaises et parcourant les hauts lieux historiques...

Me reste donc cette impression d'un travail incomplet, peu clair dans son projet et ne problématisant pas assez son sujet. Mais qui suis-je pour ainsi exprimer une opinion si fragile ? Je demande à être détrompé ! Je reconnaîtrai mes torts et mes erreurs sans difficulté...

"Repérages" de Nadine Manzagol
Il se trouve que je viens de lire un tout petit livre de Nadine Manzagol : "Repérages". Il s'agit d'un scénario pour création audiovisuelle, le texte est donc la description d'une suite de 20 scènes (intérieur nuit, extérieur jour, etc.). Le scénario est suivi d'une sorte de postface explicative qui dit l'essentiel du projet : "Désirant mettre en scène le travail des collecteurs de traditions et de témoignages d'existence (qui oeuvrent pour une mémoire revivifiée et contemporaine, intergénérationnelle et multiculturelle en Corse) ; j'ai choisi un thème qui évoque une forme de spatialisation ludique, bien connue sur l'île, pour figurer un certain rapport au lieu." Cette forme est une "figure géométrique carrée" que je vous laisse découvrir.

Dois-je commencer par ce qui ne m'a pas emballé ? Un aspect parfois très explicatif, un peu plat, des propos des différents "personnages" du scénario, aspect qui leur enlève toute singularité ; comme si chaque nom renvoyait en fait à un seul et même narrateur un peu impersonnel.

Ce qui m'a plu au plus haut point, c'est justement les métamorphoses de cette figure géométrique dans le temps et dans l'espace, dans ses usages aussi : figure pour jeu d'enfants, figure religieuse propre à la méditation, figure initiatique pythagoricienne, etc. Mais dans tous les cas, une figure faite pour habiter le monde réel et construire un monde mental. Une figure d'institution.

Autre point qui m'a sauté aux yeux, l'auteur prend acte de l'évolution culturelle de la Corse actuelle (elle l'appelle "déculturation") et met en scène, donc, des "collecteurs de traditions", c'est-à-dire des personnes, d'une façon ou d'une autre, qui sont à la fois incluses dans ces traditions (héritage) et extérieures à celles-ci (l'héritage a été perdu).

Et c'est là que nous pouvons établir un lien avec l'ouvrage de Michel Vergé-Franceschi. Voici l'extrait qui m'a frappé :

Un promeneur : Venez voir cette petite église, là au creux de la place entourée d'un muraillet. Une piévanie ancienne sans doute ! C'est comme un abri naturel pour ces enfants qui en ont fait leur aire de récréation. On imagine que tant de générations, ici ont dû venir y jouer, y bavarder, y prier, s'y recueillir, s'y rassembler au gré des jours, de coutumes collectives et de solitude. regardez ce détail sculpté dans le portique, que d'heures n'a-t-il pas fallu à l'artisan qui l'a gravé ! Il en a acquis une force d'expression très singulière. Oui, elle paraît hors du temps cette chapelle ! Hors de notre temps contemporain, secrète et un peu magique comme si elle s'ouvrait sur un théâtre antique et agreste de gestes et de rituels dont nous avons perdu le sens. Ce dont nous cherchons la trace pour recomposer l'histoire et en restituer quelques fragments oubliés. Heureux si nous y parvenons ! Mais ce qu'il me semble le plus énigmatique parfois c'est de découvrir un espace mêlé de nature et d'architecture qui révèle, tel équilibre singulier d'existences qui est l'empreinte même de ce lieu, et qui se prolonge dans notre imaginaire...

Une femme : Quel lyrisme, Jérôme ! Tu as l'air d'un voyageur en pays étranger !

Jérôme : Mais nous le sommes tous, d'une certaine façon ici même, en redécouvrant des strates de temps successifs qui nous révèlent d'autres réalités, à la fois si proches et si ignorées...

Sur une aire de terre battue, à quelques mètres de là, les petites filles, en riant, se tenant par les mains, tournent très rapidement sur elles-mêmes, pieds joints près des cartons maintenant défoncés. Elles chantent :

"Casa aperta, spalancata ! Ci entre u sole à lume offertu ! E' ci piglia à mani sparte. Surisi è ciotta scaccani in i lavi di l'ochji crosci" (Ghjacumu Thiers)

La vivacité de leur rire fait se retourner les promeneurs dont l'attention est bientôt attirée par les enfants qui jouent à "U Tre". Ils s'approchent d'eux, qui, un instant distraits, se provoquent l'un l'autre quelques instants pour se donner contenance devant les visiteurs. Puis, Carlu, dépité de perdre devant une telle assistance, balaye tous les cailloux d'un revers de la main et s'enfuit en défiant son adversaire. Mais celui-ci, loin de se fâcher, s'en va de son côté près des petites filles et fait la roue sur les cartons pour les amuser, comme en une pirouette de salutation.

Voilà une scène qui convient à mon coeur (mais le vôtre est certainement fait différemment) : des personnages de Corses se revêtent eux-mêmes de l'apparence du Voyageur dont parle Vergé-Franceschi. La remarque ironique de la "femme", la réponse paradoxale de "Jérôme", la petite scène des enfants pour finir par les cailloux balayés d'un revers de main et cette "pirouette de salutation", je trouve que tout concourt à poser avec gravité les enjeux de l'imaginaire corse aujourd'hui tout en s'accordant la mise à distance du second degré, de la mise en fiction et des gestes simples et mystérieux de l'enfance. Cela me paraît une façon plus riche de poser la question de l'Oeil du Voyageur.

La question pourrait donc être la suivante : quel(s) regard(s) la Corse produit-elle sur elle-même et sur le monde ? et non plus seulement et toujours "quels regards Sénèque, Monseigneur Giustiniani, Mérimée et consorts ont porté sur la Corse ?" Les oeuvres qui répondent à la première question (ou la mettent en scène) devraient avoir au moins autant d'espace sur les tables des librairies de Corse ou de toute autre terre émergée sur notre planète que ceux qui s'attelent à la deuxième question, non ?

"2001 II" de Gérard Guerrieri
Dans "Repérages", il est question à un moment donné de la Libération de la Corse en octobre 1943 et de la participation des Goumiers marocains. Cela m'a aussitôt fait penser au court-métrage de Guerrieri qui met justement en scène l'oncle Augustin décidé à emporter chez lui la grande stèle du monuments aux morts au col de Teghime. Pourquoi ce désir ? Parce que cette stèle cache en fait le monolithe noir envoyé aux Grands Singes puis aux Hommes par les Extraterrestres afin de leur donner "la faculté d'évolution cognivite" (sic), comme il est montré dans "2001 l'Odyssée de l'espace" de Stanley "Cubique" (comme dit l'oncle : voyez le film ici).

Vous voyez le lien avec le travail de Michel Vergé-Franceschi et le scénario de Nadine Manzagol !

jeudi 11 juin 2009

Reçu, lu, aimé, cité

J'ai reçu aujourd'hui quelques ouvrages des éditions A Fior di Carta, que j'avais commandés.

J'ai lu, pour commencer un des ouvrages de Jean-Claude Loueilh : "X-Making". Pour deux raisons : il est très court, même s'il y a de quoi renouveler sa lecture, en tout cas en ce qui me concerne et aussi parce qu'il porte un regard sur le premier long-métrage de cinéma de Gérard Guerrieri, justement intitulé "X-Making", film qui m'a beaucoup fait rire et que j'aime.

J'ai aimé lire ce texte de Jean-Claude Loueilh, décrivant le film, proposant une analyse très fine, très sombre, tout en notant que c'est un film "qui va s'amuser et faire rire à gorge déployée, directement - incù amicizia diretta -."

Et je cite maintenant dans ce billet les passages qui désignent explicitement des scènes, des plans ; pour le fond de l'analyse, il faut aller voir le livre. Pourquoi faire ça ? Pour prolonger encore une trace du film (hors discours d'analyse et de commentaire), pour signifier encore une fois qu'il faut se replonger dans les oeuvres (comme Francis Ponge dans l'eau de la Loire). Rappelons que le film de Guerrieri raconte comment un producteur de film corse (Marco) cherche à tourner la premier film pornographique insulaire en langue corse grâce à la présence de son ancien ami d'enfance (Polo) devenu star du X aux "States" (sous le pseudo de Mister Mojo) et d'Apollonia, hardeuse professionnelle...

Voici donc quelques morceaux d'imaginaire corse contemporain... (Peut-être n'appréciez-vous ni le film ni le livre évoqués ici ? Parlons-en !)

Page 12 :

Marco et Polo déjeunent en conversant dans un restaurant ; plan moyen sur les deux convives à une table qui porte une bouteille d'huile d'olive au col sophistiqué. Que peut-il y avoir de culturel dans le cul ? Et de sentimental dans le sexe ? Le restaurant, dont la salle ne sera jamais montrée, semble chic. Au-delà de l'huile d'olive une baie panoramique. Il suffit que la caméra s'élève un peu pour découvrir, en légère plongée en deçà des compaings, de la bouteille prétentieuse et de la baie, la zone. La zone "industrielle" de bric et de broc d'abord ; avec ses hangars, remises et ateliers de carrosserie d'abord ; mais aussi la zone de campement gitan avec ses caravanes et son linge qui sèche ; entre les deux une route défoncée où passe une circulation chiche de banlieue pavillonnaire...

Page 15 :

Marco ira donc mendier mais "en ami" auprès d'un "entrepreneur" - qui s'entraîne au golf devant les immeubles de Paese Novu ! - en l'appâtant. Qu'il intervienne dans le bouclage financier du film et dans une scène il pourra substituer son organe à celui de Mojo, se payer Apollonia ! Scène sombrement drolatique du démarchage, sous le soleil des bâtiments, au-dessus d'un paillasson de plastique vert pour green, quand, club à la main, notre commerçant se fait tirer la manche, radine, excipe de son épouse, de sa famille, de la fidélité jurée, de ses 20 années de mariage - quand en voix off il salive et savoure à l'avance le bon coup à venir, car elle doit "être bonne", en escomptant comment s'en tirer à moindre coût -.

Page 16 :

Le producteur de Mojo à L.A. se trouve campé dans un décor d'acier - verre - cadillac, cigare à la Welles vissé aux lèvres quand il écoute avec commisération les plaintes de son étalon éperdu dans le désastre final. Mais se retrouve enfin réimplanté oncle de la diaspora retrouvant l'accent pour découvrir des "arrangements".

Page 17 :

Mr Mojo gesticule le kung-fu en kimono de soie. Marco, sous les strobos, d'abord retenu par des amis, repart comme pantin au baston dont il vient d'être soustrait. Anto, jaloux et ressentimental, poursuit Mojo sur les parkings herbeux et sableux de l'Arinella. Sur la plage, près de la Madrague, dialogue de sparadraps - sur la pommette, sur le nez - entre Marco et Mojo. Scène d'étreinte à improviser en décor squatté : paysage d'aïeule, d'emprunt et toute empreinte, avec les moyens du bord d'une bande son mirlitaire sur le Teppaz, sous le crucifix et auprès du portrait d'un défunt mari (scène, pour le cas, proprement sacrilège, obscène au-delà de tout X). Interrompue, avec le coït, par le retour impromptu de la propriétaire. Débandade des pieds nickelés, perchman en perdition...

mercredi 10 juin 2009

Toutes les réponses sont dans ce billet ! Profitez-en !

Grâces soient rendues à Olivier Jehasse et Jean-Marie Arrighi pour avoir pris la peine de répondre aux quelques interrogations présentées dans le billet du lundi 25 mai 2009, intitulé "Ou bien explose-t-il ? (Langston Hugues)".

Marcu Biancarelli et moi-même y formulions quelques questions sur l'"Histoire de la Corse et des Corses" de ces deux auteurs.

Les voici de nouveau, accompagnées de leurs réponses, écrites à quatre mains. N'hésitez pas à formuler de nouveaux commentaires et de nouvelles questions. Il est temps qu'un débat historiographique précise tout cela.


Questions de moi-même :

1. Y a-t-il en ce moment quelqu'un qui écrive une Histoire des livres intitulés "Histoire de la Corse" (ou "des Corses" ou "du peuple Corse" ou "de la Corse et des Corses" ou "de Corse" ; déjà, cette multiplicité de titre est à interroger...) ?
Ecrire l'histoire d'un peuple, d'une région, d'un ensemble de personnes... quelle ambition !
La réponse est non à ma connaissance, mais il faudrait chercher l’info. Faut-il rêver du LIVRE unique où tout le savoir historique serait concentré ? Nous avons déjà trop le rêve DU roman qui d’emblée hisserait la Corse au niveau de Kadaré ou Sciascia dans la littérature universelle DU dictionnaire où la langue corse serait totalement décrite. Accumulons les briques, chacun selon ses capacités et ses centres d’intérêt, en sachant que le mur ne sera jamais tout-à-fait fini.

2. Mais voici une formulation différente de ma première question : pourquoi n'y a-t-il pas de débats organisés entre les Historiens de la Corse qui, visiblement, usent de projets, de méthodes et d'écritures très différentes ? Quelle commune mesure (et quelles différences) entre les travaux d'un Robert Colonna d'Istria, d'un Antoine-Marie Graziani, d'un Jehasse/Arrighi, d'un Michel Vergé-Franceschi, d'un Ghjacumu Gregorj, d'un Andria Fazi, d'un Fernand Ettori, d'un Ange Rovere, d'un Francis Pomponi, d'un Pierre Antonetti, etc. ? Sans parler des écrits de Jureczek ou de Valli, et de bien d'autres, que je ne connais pas.
Pas de débats parce que souvent les débats sont rares comme les critiques littéraires d’ailleurs. La commune mesure entre tous c’est que l’histoire est d’abord une science en rapport étroit avec l’idéologie au sens marxiste du terme, à savoir un discours de représentation du monde inscrit au cœur d’une société à un moment précis d’élaboration et de fonctionnement d’un système de production. Cette idéologie fait de l’histoire une science humaine à part, car c’est une science dialectique :
- elle repose sur des critères stricts d’analyse et de reconnaissance des faits qui méritent d’être considérés comme des faits historiques, elle les organise suivant les règles d’un discours maîtrisé reposant sur la logique démonstrative proprement fille de Descartes.
-Mais elle est écriture et donc l’angle d’attaque, le lexique, le style, l’objet de l’histoire en deviennent différents suivant l’époque, l’expérience, l’habileté de l’auteur. C’est pourquoi Olivier Jehasse étudie l’histoire de Rome de façon polyglotte (chaque langue porte un regard spécifique sur le même évènement) et travaille beaucoup sur le lexique analytique des textes politiques, administratifs, religieux, mais aussi sur les œuvres littéraires et philosophiques car les mots sont vivants l’ont toujours été et dans notre espace linguistique d’aujourd’hui, ici et maintenant ils ont une longue histoire et une richesse de sens rare et belle.
Tous les auteurs cités sont de statuts différents qui sont tous légitimes pour écrire de l’histoire. En premier lieu l’angle de visée historique varie entre un journaliste essayiste, des universitaires, des militants culturels. Ensuite il y a le temps où l’histoire est produite et les générations d’historiens ont une certaine importance. Dans la liste il y a au moins deux groupes, ceux des années 70, ceux des années 2000, et il faut savoir que Graziani, Vergé, et nous-mêmes sommes de cette deuxième génération, et clairement opposés à la génération Pomponi, Rovere, pour des raisons politiques et proches pour des raisons extrêmement nombreuses des regards d’Antonetti mais surtout d’Ettori. Ce qui n’a pas empêché à l’époque quelques débats et rencontres riches entre ces deux groupes (je pense aux Universités d’Eté de Corti et aux discussions informelles qui se sont déroulées tout au long de ces années). Il faut ajouter que pour les années 1970, les débats entre Pomponi, Ettori, Antonetti étaient liés à leur position chronologique et idéologique devant leur objet. Les autres sont beaucoup inscrits dans le même espace, quel que soit ou fut leur degré d’implication dans l’histoire régionaliste, autonomiste, nationaliste. Ce qui montre qu’il y a les clivages proprement politiques entre les individus et leurs engagements respectifs à partir des années 1970. Cela explique déjà beaucoup les différences d’approche sur le sujet historique dénommé Corse.
Le travail par exemple de Rovere et Casanova sur la période de la révolution corse repose clairement sur une affirmation de départ : le peuple corse a adhéré à la nation française en 1789, et dès lors il ne pouvait pas, même avant, exister de nation corse. Dès lors les contradictions internes de la révolution corse sont, non pas inventées, mais montées en épingle et la moindre hésitation d’un notable est érigée en preuve. Quels que soient nos propres points de vue, nous partons du travail historique pour tirer des conclusions, et non l’inverse.
Pour qu’il y ait débat intéressant il faudrait de toute façon des thèmes précis de débats (et non « l’histoire de la Corse » en général), sur les sujets qui « fâchent » : XVIIIe ou époque contemporaine.

3. A quand cette "oeuvre colossale" d'histoire sociale et populaire de la Corse à la manière d'Howard Zinn, réclamé par Marcu Biancarelli ?
Première réponse : quand un travail de définition d’une histoire sociale sera refait en fonction des données de notre présent. Quant à l’histoire populaire je crois que nous avons tenté d’y apporter une attention forte. Pour les temps médiévaux, modernes et contemporains l’affaire nécessite l’apparition d’une méthode totalement nouvelle dépassant les cadres établis de ce que les communistes du XXe siècle (nous pensons à Soboul et Lefebvre ou encore à l’Ecole de la Revue Annales Economie Sociétés Cultures) définissaient comme telle.

4. A quand une thèse sur l'évolution de l'historiographie corse contemporaine ? (Il me semble qu'Eugène Gherardi a travaillé sur celle du XIXème siècle). Y a-t-il un doctorant dans l'avion ?
Pour Eugène Gherardi je confirme et il y a déjà des livres disponibles. Pour le reste nous ne sommes pas sûrs que l’avion soit construit… et prêt à décoller !!

5. Car l'on sent bien (mais vous n'êtes peut-être pas d'accord) que l'Histoire corse de Jehasse/Arrighi se rapproche d'une visée "nationale" et "populaire" (je ne dis pas "nationaliste", ni "populiste"). Est-ce un signe des temps ?
Cela ne mérite-t-il pas des études, des débats ?
Visée nationale oui au sens latin du mot, mais il va falloir développer cette réponse. Visée nationaliste pourquoi pas, cela ne gêne aucun des deux auteurs, même si il y a un refus de toute transgression des règles de la méthode. En fait nous pourrions plutôt définir notre enracinement comme étant celui de deux « naziunali », au sens de Pasquale Paoli, car profondément nous sommes tous les deux des paolistes. D’un autre côté notre livre voulait s’appeler Nouvelle histoire des Corses, car il paraissait essentiel de sortir de l’histoire d’un territoire et entamer une nouvelle approche du point de vue des acteurs qui ont choisi (il y a fort longtemps) de s’appeler ainsi et d’être reconnus comme tels par tous les autres acteurs historiques les environnant, de manière proche ou lointaine d’ailleurs, ce qui est et reste une grande originalité dans l’histoire des peuples.
Visée populaire, essentiellement oui, car aucun évènement ne laisse les peuples en dehors du chemin, et souvent pour ne pas dire toujours ce sont eux qui sont créateurs d’histoire et bien évidemment pas uniquement en Corse. Avec en plus un enracinement dans le passé qu’il convenait de valoriser : le mot peuple est ancien, il a 3000 ans, il a une origine étrusque certaine, il a un sens précis d’homme en action par le travail et le combat et ce avant Rome qui va lui donner un statut politique pour la première fois de l’histoire des sociétés. C’est un mot central dans notre appréhension du monde, et nous assumons d’être reconnus comme des « Popolari corsi ».

Questions de Marcu Biancarelli :

1. Pour ce qui est du livre de Jehasse et Arrighi, je l'ai trouvé très bon, même si à mon sens il n'atteint pas ce livre qui n'existe pas encore et qui serait la grande histoire sociale dont nous parlons.
C’est exact, mais ce n’était pas son but.

2. Comme j'ai bien plus de qualités que de reproches à mettre en exergue concernant cette publication, je me permettrai donc les deux critiques suivantes :
- il m'a semblé que l'Italie était vue (encore et toujours) comme une entité trop souvent étrangère à l'île. Sans doute y aurait-il aujourd'hui moyen, en tout cas avant 1850, de parler sereinement aujourd'hui de l'Italianité de l'île sans prendre les mille détours stylistiques d'usage que la peur d'être taxés d'irrédentistes nous impose.
Il me semble que nous disons clairement — peut-être faut-il le dire encore plus nettement —que les Corses se sont toujours considérés comme italiens tant que l’Italie a été une notion géographique, linguistique et culturelle. Ils n’ont pas majoritairement voulu entrer dans l’Italie politique quand elle a existé ni au XIXe siècle (voir le chapitre sur le Second Empire) ni en 1940 où l’Italie c’est aussi le fascisme. Nous sommes les premiers à dire nettement que le 30 novembre 1789 n’a aucune importance que symbolique dans le rattachement à la France, que l’on ne peut dater réellement que du Second Empire. Les aspects linguistiques sont aussi soulignés : détachement progressif de l’italien induit au départ par le succès de la politique française.

3. - L'autre critique (mais je la veux bien sûr constructive) est que les fluxs migratoires restent abordés de façon marginale, et que la part n'est pas encore faite des apports des différentes émigrations tant en matière culturelle que sociologique.
C’est vrai mais c’est rude à développer, on manque de travaux et surtout d’informations dépassant soit les livres de souvenirs, soit les articles vraiment solides tout au long des siècles. On la piste tout le temps au moins depuis la Préhistoire mais la mettre en évidence demande un travail d’exploration que les limites de rédaction du livre n’ont pas permis de faire. Nous savons qu’un travail a été initié par Didier Rey et Philippe Pesteil, mais il semble que c’est sur l’immigration en Corse ici et maintenant. A voir. Mais nous ajouterons que pour bien saisir l’histoire sociale il convient de lire les écrivains, ce que l’on appelle les littérateurs, les créateurs. Il est certain que ce sont les œuvres littéraires qui montrent quelquefois, quand elles sont bonnes, cette réalité beaucoup mieux que les historiens ne peuvent le faire. A cet égard les œuvres des écrivains contemporains de Corse, ceux cités par MB, mais aussi les siennes et celles de Jérôme Ferrari sont plus expressives et significatives que ne le seront jamais les œuvres des historiens. Souvent la vérité d’une société se découvre mieux dans une fiction que dans une analyse objective de données qui oublient toujours la dimension culturelle, spirituelle, psychologique et mentale des acteurs du monde social.
Rajoutons qu’il faut distinguer évidemment les émigrations corses et les immigrations en Corse, avec leur poids spécifique. Le nom même d’Histoire des Corses correspond à la volonté d’intégrer ces mouvements de recherche d’argent ou de pouvoir, ou simplement d’une vie moins dure, mais où la Corse reste toujours un centre symbolique.

4. Pour le reste, je ne suis pas historien moi-même et je reste humble face à ce travail. Je le répète c'est une des Histoires de l'île que j'ai lu avec le plus de plaisir et en partageant en général les analyses des auteurs.
Merci MB a sapiami…