samedi 26 septembre 2009

CUNTORNI 2009 PORTIVECHJU

L'année 2009 est donc décidément un tournant majeur pour la vie littéraire en Corse et pour la littérature corse ! (Voir le précédent billet sur ce sujet ici).

Vendredi 2 et Samedi 3 octobre 2009, à Porto-Vecchio, à l'initiative d'Ariel Yerushalmi et Marcu Biancarelli, aura lieu le 3ème numéro du festival littéraire et artistique "CUNTORNI" qui veut mettre l'accent sur les expressions artistiques qu'on dira rapidement "périphériques", en marge des grands courants économiques du monde des lettres et des arts, et donc méconnus, et donc qui doivent s'organiser pour se faire connaître. Ce sera pour moi l'occasion de découvrir de nouveaux noms, de nouvelles oeuvres : auront-elles un effet sur la littérature corse ? La littérature corse aura-t-elle un effet sur ces oeuvres et leurs auteurs ?

Vous reconnaîtrez dans ces analyses et actions des échos avec les efforts fournis par d'autres groupes culturels, associatifs, littéraires en Corse ; abondance de biens ne nuit pas.

Demandez le programme :

Festivali Cuntorni
Assuciazioni A Pian d’Avretu
2 è 3 d’uttrovi 2009 Portivechju

Cuntorni : una filusuffia
I grossi centri urbani di u mondu mudernu ùn sò micca soli à pruducia a cultura di u XXIu seculu.
I lingui d’influinzi forti ùn sò micca soli à purtà a criazioni ughjinca.
À spissu dinò, esci da a minuranza un attu criativu chì si lia à l’univirsali pà arricà una cuntribuzioni impurtanti à a culturali glubali.
In corsu, sardu, friulanu, catalanu, in uccitanu, ma dinò in francesu, in talianu o in ispagnolu, i « zoni periferichi » di l’Auropa cuntempuranea, di un Mari Tarraniu sempri cussì attivu in materia di custruzzioni literaria, si sprimi u geniu particulari di i populi.
I verghi esistini puri da u particulari à l’univirsali, i currenti si scontrani, si mischiani, s’influenzani.
Sò ’ssi diffarenti modi di sprissioni artistichi, sciuti quinci o culandi, chì u festivali Cuntorni circa di metta in rilazioni dipoi quattru anni.
Sò st’assi di riflissioni, chì spiccani è aduniscini i culturi in un mecanismu cumplessu, chì intaressani a noscia manifistazioni da u so principiu.
L’edizioni 2009 liarà in un embiu cumunu i criatori di Corsica, di Sardegna, di Catalogna, d’Uccitania, di u Salentu, di u Friuli o di l’Andalusia.
Si dici in Corsica chì a diversità faci ricchezza. Chì Cuntorni 2009 sighi dunca l’occasioni di fà nascia ’ssu scambiu riccu trà i nosci culturi, è di fà crescia più chè mai a noscia divizia.
Marcu Biancarelli Ariel Yerushalmi



Le Vendredi 2 octobre
Programme Cuntorni 2009

11.00 h. Réception des invités. Discours d’introduction et présentation du programme (Marcu Biancarelli et Ariel Yerushalmi). Lieu : Centre Culturel.

14.30 h. Débat. De l’importance d’être à Cuntorni. Ariel Yerushalmi, Maurizio Mattiuzza, Francesco Abate, Paolo Cantarutti, Giovanni Rizzo, Francesco Pallara, Gian-Carlo Vellescig, Miguel Angel Arcas, Gérard Jacquet. Modérateur : Paulu Desanti. Lieu : Centre Culturel.

16.00 h. Spectacle théâtral. Christian Ruspini proposera un pièce théâtrale originale. Lieu : Centre Culturel.

17.30 h. Lectures poétiques. Patrizia Gattaceca, Alain Di Meglio, Jean-François Agostini, Stefanu Cesari, Maurizio Mattiuzza, Marco Porcu, Paulu Santu Pariggi, Gérard Jacquet, Jean-Yves Casanova, Giovanni Rizzo, Olivier Ancey, Francesco Pallara, Miguel Angel Arcas, Pierre-Laurent Santelli, Alberto Masala, Jacques Fusina, GF Terrazzoni. Lieu : Centre culturel.

20.30 h. Concert récital poétique. Enedina Sanna / Enzo Favata, Sos Cantores di Cuglieri (Sardaigne) : La storia di Donna Francesca Zatrillas. Lieu : Centre Culturel.

22.30 h. After au Bastion de France.Avec le musicien frioulan Lino Straulino.

Le Samedi 3 octobre

10.30 h. Débat. OEuvres et contextes. Francesco Abate, Marcello Fois, Jérôme Ferrari, Najat El Hachmi, Marceddu Jureczek, Miguel Angel Arcas. Modérateur : Ariel Yerushalmi. Lieu : Centre Culturel.

14.30 h. Débat. Médias et Périphéries. Pere Manzanares, Paolo Cantarutti, Piero Mannironi, Paulu Desanti, Marceddu Jureczek. Modérateur : Pierre Ciabrini. Lieu : Centre culturel.

17.00 h. Grand débat. Créer dans les marges, ou : Comment depuis les marges, s’insérer dans la culture globale ? Najat El Hachmi (Maroc, Catalogne), Marcello Fois (Sardaigne), Maurizio Mattiuzza (Frioul), Alberto Masala (Sardaigne), Jérôme Ferrari (Corse), Miguel Angel Arcas (Andalousie), Marcu Biancarelli (Corse), Francesco Abate (Sardaigne), Giovanni Rizzo (Salento), Jean-Yves Casanova (Occitanie). Modérateur : François-Xavier Renucci. Lieu : Centre Culturel.

20.30. Concert. Pierre Gambini (Corse).

22.30 h. After au Bastion de France.
Avec le groupe Sitikis (Sardaigne)


Les invités à Cuntorni 2009
Marcello Fois, Francesco Abate, Alberto Masala, Marc Porcu, Enzo Favata, Enedina Sanna, Piero Mannironi Najat El Hachmi, Jean-Yves Casanova, Pere Manzanares, Gérard Jacquet, Maurizio Mattiuzza, Giancarlo Vellescig, Paolo Cantarutti, Lino Straulino, Giovanni Rizzo, Francesco Pallara, Miguel Angel Arcas, Jérôme Ferrari, Marcu Biancarelli, Stefanu Cesari, Jean-François Agostini, Alain Di Meglio, Paulu Desanti, Marceddu Jureczek, François-Xavier Renucci, Pierre Gambini, Groupe Sitikis, Ariel Yerushalmi, Jacques Fusina, Christian Ruspini, Patrizia Gattaceca, Olivier Ancey, Paulu Santu Pariggi, Ghjuvan Federiccu Terrazzoni.

mercredi 23 septembre 2009

La langue, l'accent, les mots

Il y a peut-être nécessité à oraliser la littérature corse ; à la faire entendre ; la faire lire à haute voix ; afin d'entendre une multitude d'accents en même temps que les principales langues de cette littérature (corse, français, italien, latin, etc.)

La littérature corse de langue corse peut-elle faire du bien à la langue corse ? L'enrichir ? La présenter comme une langue vivante ?

Au même titre que les chansons (combien ont découvert la langue corse en chantant avec les Muvrini ?), la littérature corse peut-elle être un lieu de partage de la langue corse avec tous ceux qui ne la parlent pas, ou pas bien, ou pas suffisamment ? Un lieu où l'on puisse partager ses maladresses, ses prononciations incertaines (où mettre l'accent tonique ? comment faire sonner telle consonne et telle voyelle ?), ses hésitations, ses scrupules... mais aussi ses plaisirs, parfois enfantins lorsqu'une "autre" langue (qui peut aussi être la "nôtre" dans le même temps) occupe notre gorge ?

Le sujet de la langue (n'importe quelle langue) est ultra-sensible, on le sait bien. D'où l'idée que tous les jeux qui associent plusieurs langues (bien ou mal parlées) sont peut-être l'occasion de lever quelques obstacles psychologiques. Le jeu de la lecture et de l'écoute est-il à tenter ? Sûrement... Nous essaierons de faire cela, le 22 octobre 2009, lors du Club de lecture dans la librairie internationale "All Books and Co" à Aix-en-Provence.

En attendant, je me souviens très bien avoir commis de nombreuses erreurs de prononciation des textes littéraires de langue corse. Je me souviens de la première phrase du texte-incendie de "A Funtana d'Altea" de G. Thiers, la prononçant de mémoire devant l'auteur - "A valle si ne stà accumpulata sottu à a serra cheta ma sempre minacciosa." - l'auteur m'indiqua que le "e" de "serra" se pronçait entre le "a" et le "è", ou quelque chose comme ça.

Ou bien au collège à Ajaccio, mes amis me reprenant dans un rire parce que je prononçais toutes les voyelles de l'expression "ancu eiu" (au lieu d'enlever oralement le "u de "ancu")...

Rien que de très normal : quand on apprend une langue, on fait des erreurs. Le problème est quand une grand partie d'une population adulte se retrouve dans la position d'enfants face à l'apprentissage tardif de sa propre langue (qui sans être maternelle ou première est tout de même un peu "maternelle et première"). Ma cumu fà sè ùn avemu micca a pussibilità di sbaglià ci ?

Est-il permis à un Corse de commencer à parler sa "propre" langue comme une vache espagnole ? Est-ce tolérable ? Est-ce un plaisir et un enchantement d'entendre des étrangers apprendre cette langue et la parler avec leur accent ? Je pense que oui.

Tout cela pour vous dire que j'ai beaucoup apprécié le film de Jacques Audiard, "Un prophète" - vous n'êtes pas obligé d'être d'accord, parlons-en, j'ai moi-même quelques critiques négatives à lui faire - et que j'ai particulièrement apprécié une analyse de l'accent de Malik, personnage principal du film, lorsqu'il se met à parler corse. Cette analyse est faite par Vanina Bernard-Leoni, de la revue Fora !, lors d'un numéro de l'émission passionnante "Ma Corse me Suis Partout" (avec Laurent Vitali et Marina Raibaldi) sur France 3 Corse Via Stella. (Voir ici : attention les propos de Vanina se trouvent vers la 32ème minute, mais les propos de l'invité principale, Marie-Ange Pugliesi, à propos des Rencontres de Bonifacio sont aussi intéressants !).

Il me semble que les premiers mots corses de Malik adressés à quelqu'un d'autre que lui-même sont : "Parlu a to lingua"... Il s'adresse à César Luciani, le chef du clan corse en prison. Etonnement de Luciani.

Je suis d'accord avec Bernard-Leoni sur le fait que la langue corse est ainsi montrée d'un point de vue positif, dans des circonstances naturelles d'utilisation, dans un contexte multilingue roboratif (français, arabe, corse). Qu'en pensez-vous ?

Signalons que la discussion va aussi impliquer Marina Raibaldi (et son accent croate), Alain Fleischer (et son "L'accent : une langue fantôme" - que j'ai très envie de lire maintenant), Michael Cimino (avec un extrait de "Voyage au bout de l'enfer" en version française ; film sublime ! - d'ailleurs j'aime autant Christopher Walken que Robert de Niro, personnellement) et Tarantino (avec son récent et multilingue "Inglourious Basterds")...

samedi 19 septembre 2009

Un récit de lecture : Pasquale Ottavi et Ghjacumu Thiers

Reçu il y a quelques jours déjà - mais j'attendais de pouvoir remettre la main sur mon exemplaire de "Septième ciel", dernier roman de Ghjacumu Thiers, avant de le publier - un récit de lecture de Pasquale Ottavi sur ce roman. Or, je ne le retrouve toujours pas, cet exemplaire ! Donc, voici le texte d'Ottavi auquel j'ajouterai bientôt les extraits par lui choisis. Une analyse fouillée qui m'a notamment ouvert les yeux sur un aspect pourtant évident des livres de cet auteur : ses personnages ne se parlent pas !... (Voir ici, ici et ici les billets précédemment consacrés à ce roman sur ce blog).

A noter que la version originale corse de cette analyse sera normalement publiée dans le prochain numéro de la revue "Bonanova".

Bonne lecture :

"Septième ciel" : quelques brèves réflexions

Le dernier roman de Jacques Thiers, "Septième ciel", a de quoi surprendre. Le titre même du livre, dès qu’on l’a entre les mains, déconcerte. Qui plus est lorsqu’on le découvre accompagné du sous-titre Rumanzu. Ajoutons-y alors la langue initiale du récit, en continuité avec le titre précité, le français : une femme s’y exprime en cette langue ; un français que nous qualifierons de « chez nous », pétri de mélange des codes : « … on n’a pas les pieds qui nous avancent du lit » (p.9) ; un français qui ouvre une fenêtre sur les langues en usage en Corse, tout au moins celles de son environnement spatiotemporel : nous allons en effet y retrouver le corse, le français, l’italien. Fermons le ban avec la discontinuité de la narration, de son absence de logique, tout au moins en apparence.

Une fois que l’on a pénétré au cœur du texte, on s’aperçoit que, du strict point de vue des faits, une seule et même scène nous est proposée, qui se déroule dans un avion, entre continent et Corse. Tout au long des chapitres, nous découvrirons des monologues muets, construits au fil des pensées, des phantasmes et des angoisses de personnages qui, tous, participent à un voyage en direction de l’île, tous y retournant plus ou moins, quelle que soit la langue qu’ils utilisent. L’un revient d’un voyage d’agrément, l’autre agit par nécessité ou guidé par un besoin personnel. Nous retrouvons ainsi une scène narrative très prisée chez l’auteur, ainsi que son goût pour l’étude psychologique : plusieurs personnages, en quelque sorte, ici, pensent tout en n’agissant/n’interagissant pas. Aucun dialogue ne prend forme entre eux, du début à la fin de l’histoire. Nous ne pouvons nous référer qu’à un seul point d’accroche : les soupçons réciproques que certains éprouvent, notamment le policier Antoni, auxquels on peut ajouter le dénouement d’une histoire dont le déroulement semble sans queue ni tête.

Une fois la lecture terminée, demeure une impression de malaise et de confusion, comme si tout ce que l’on a pu connaître en termes de -non-évènements n’avait été au bout du compte qu’une sorte de rêve dérangeant, teinté d’une étrange ambiguïté. Impression selon nous souhaitée et (habilement) entretenue par l’auteur au fil des pages. Dans ce nouvel opus, on retrouve en fait quelques unes de ses préoccupations fondamentales. A commencer par la question de l’identité : identité collective inaboutie, inassouvie, car éparpillée en mille bris, jugulée et comme prostrée dans les visions et représentations multiples des personnages présents à l’intérieur de la carlingue, avec en toile de fond l’échec d’une revendication collective, échec aux raisons diverses, qu’elles soient d’origine interne ou externe. Le tout en relation avec les difficultés qu’éprouve la société corse à élaborer et proposer une vision cohérente de son avenir, si tant est d’ailleurs que l’on puisse concéder à la population insulaire le statut de société à part entière. Une impression de paralysie se profile donc, que rend le mot agrancu, omniprésent dans A barca di a madonna, comme le fait remarquer à juste titre Anna Giaufret, qui finit par irradier l’ensemble de l’histoire. Ceci nous conduit à identifier une seconde constante dans l’écriture de Thiers, étroitement corrélée à la problématique identitaire, une sorte d’impossibilité ontologique à proposer une narration cohérente : « si les voix énoncent des vérités contradictoires, il est un obstacle qui fait écran encore en amont au dévoilement des faits : l’impossibilité énonciative ou le manque de fiabilité des narrateurs ». Ici, le soupçon de mensonge, ou de duperie (de farce ?), découle de la production des discours muets délivrés par les passagers, que renforce le climat de paranoïa entretenu par les préventions mutuelles de certains personnages qui s’estiment espionnés par l’un d’entre eux, lequel a toujours l’air de regarder ailleurs… Dernière constante, nous semble-t-il, la formulation d’une interrogation existentielle quant au sens même de la vie : quelle substance attribuer finalement à ce laps de temps que nous passons en ce monde, pourvus d’une conscience agissante et complète, au-delà du (des) lieu(x) qui nous a (ont) vu naître, grandir et vivre ?

La complexité de l’écriture, chez Thiers, naît sans aucun doute de ce faisceau, de cet entrelacs d’interrogations fondamentales. L’auteur refuse une quelconque attitude de connivence avec le lecteur, bien qu’en apparence chaque personnage semble s’adresser directement à lui tout autant qu’au narrataire. En mélangeant volontairement les langues, avec un art consommé (l’argument du voyage fonde et justifie une sorte d’extra-territorialité des codes linguistiques et de leur usage multiple), il pose le problème des constituants intrinsèques de l’identité du peuple corse dans le monde actuel : s’agit-il encore de clamer, sur un mode anachronique, l’incantatoire union du peuple, de la nation et de la langue, alors qu’actuellement tout concourt à signifier la mixité foisonnante des rencontres et des échanges humains, culturels et linguistiques, dont on semble en mesure de tirer parti au bénéfice de sociétés plus ouvertes et plus humaines ? La difficulté à identifier un sens précis à la vie, aux évènements qui s’y produisent, ceux qui rapprochent ou qui séparent les gens, en particulier lorsque la perception de la réalité s’exprime dans la polyphonie des voix -et des langues-, révèle une vision très singulière de ce en quoi peut consister le sentiment de présence au monde, à la réalité, du point de vue de l’individu. Celui-ci demeure, en dernier recours, la seule instance légitime, apte à exprimer la vérité du monde : elle n’appartient qu’à lui, de façon stricte, dans toute sa subjectivité. Enfin ce roman nous propose, comme l’ensemble de l’œuvre narrative de l’auteur, un certain point de vue quant à l’acte d’écriture, très vraisemblablement hérité de la pensée littéraire de la fin des années cinquante, selon laquelle le poids du doute pèse sur la création littéraire comme sur l’écriture romanesque en général (la lecture de l’épilogue en rend suffisamment compte). Posture que l’on retrouve chez Beckett et Camus. Une sorte d’interrogation première, essentielle, quant au sens de notre itinéraire de vie personnel, de tous les faits et de toutes les croyances que nous désirons y déposer, engranger et assumer, dans le cours pétri d’incertitudes de notre propre cheminement.

Un récit de lecture : Emmanuelle Caminade et Marcu Biancarelli

Avec grand plaisir, voici un double propos d'Emmanuelle Caminade, grande lectrice de Jérôme Ferrari qui vient de commencer à lire les ouvrages de Marcu Biancarelli.

1. Premiers propos, assez critiques et nuancés, sur "Prighjuneri/Prisonnier" :

J'ai publié sur mon blog une critique de "51 Pegasi".
C'est un livre qui m'a beaucoup plu, contrairement à "Prisonnier".
Car, mise à part la nouvelle éponyme, de loin la meilleure, la qualité littéraire de ce recueil ne me semble pas manifeste.
Et, si j'ai ri - d'un rire «potache» un peu facilement obtenu - aux premières nouvelles, j'ai commencé à m'ennuyer à la huitième ("Noirs et rouges" : un texte plutôt laborieux ) et ai eu beaucoup de mal à terminer le recueil.
Les dernières nouvelles, répétitives à mon sens, me semblent manquer d'imagination et de rythme, même "Un camp là-bas", celle qui traite des nationalistes comme des Pieds nickelés, à la manière des frères Coen.
Peut-être est-ce dû à un effet de saturation, compréhensible pour qui n'a pas été impliqué dans le contexte local de l'époque (que J. Ferrari m'a un peu expliqué).
C'est pourquoi je ne comprends pas bien votre idée de présenter cet ouvrage lors du Club de lecture pour faire connaître Marcu Biancarelli (heureusement qu'il est épuisé !).
Faire connaître "51 Pegasi" m'aurait semblé plus judicieux.
J'ai commandé "Extrême Méridien".
Par ailleurs, je serais curieuse de connaître la poésie de Marcu Biancarelli.
Existe-t-il des éditions bilingues ? (La comparaison de "Le conteur", la troisième nouvelle de "Prisonnier", d'un style très différent, au texte en langue originale, m'a bien convaincue qu'une traduction ne pouvait pas rendre toute la musicalité d'une langue...)


2. Seconds propos, très élogieux, accompagnés de deux longs extraits, à propos de "51 Pegasi", donc : voir sur le blog d'Emmanuelle Caminade, "L'or des livres".

Personnellement, je tiens, vous le savez, à ce que tous les avis se fassent jour, se disent courtoisement et ne heurtent pas inutilement les sensibilités des auteurs ou des lecteurs. Je trouve que les avis d'Emmanuelle Caminade sont très intéressants et nuancés, parce que sincères et précisément "situés" (ancrés dans une subjectivité assumée). Et vous n'êtes peut-être pas d'accord avec ceux-ci : parlons-en !

Un point d'explication : il est fait allusion à un Club de lecture, c'est celui que l'Amicale corse d'Aix organise le jeudi 22 octobre 2009. Le premier numéro est consacré (ne dites pas, "encore !", les prochains porteront sur d'autres auteurs, vous pouvez faire des suggestions d'ailleurs) à deux livres de Jérôme Ferrari et Marcu Biancarelli... en partenariat avec la librairie internationale "All books and co" : voir ici pour la preuve ! L'idée est d'engager le plus de lecteurs ayant lu (préférentiellement) ou non les ouvrages en question à prendre la parole pour donner leur point de vue, amicalement, et lire des extraits des oeuvres ! (Nous avons pris modèle sur les clubs de lecture suédois, espagnol et italien qui existent déjà à "All books and co" ; un grand merci à l'équipe dynamique et curieuse de tout de cette librairie !)

Un récit de lecture : JPA et Petru Santu Leca

Reçu aujourd'hui un deuxième récit de lecture de JPA. Un grand merci !

Le voici offert à votre regard, n'hésitez pas à rebondir ! A bientôt :

Appena di puesia...
Quissu u puema m'ha scummossu da a prima volta chi l'aghju intesu ; ùn ci hè tant'affari ad aghjungna : a musica di i paroddi, quidda di a lingua, incàlcani pricisamenti l'atmosferu ch'ha vulsutu discriva l'autore :
Pesu di u ricordu, tristezza, ma dinò malincunìa...
Ghjè, par me, un capu d'òpara ! Un asempiu di sintimu, di purezza è di "lindezza" (si diciarà què ?)
Sans philosopher, Leca nous fait ressentir ses sentiments. Il nous fait entrer dans cette chambre qu'on devine meublée d'une armoire et d'un lit en noyer aux draps blancs.
On devine les matins calmes et tristes, sans parole, entre la mère et le fils, avec la vision du jardin mouillé de rosée derrière la fenêtre de la cuisine...

Ce poème fut publié dans "L'Annu corsu" en 1924.
On le trouve dans "L'Anthologie de la litterature Corse" de Ceccaldi (p.368), mais il faut l'avoir entendu récité par Antoine Ciosi, avec sa belle voix chaude, sur un album que j'avais enfant (enfin, mon père), je ne sais plus lequel...

Je retrouve dans cette poésie toute la simplicité des poètes corses : sans flonflon ni tralala, ni excès de sensiblerie !


Anniversariu

Dumane so nov'anni, o Mà, chì babbu hè mortu.
Ma cum'è ch'elle sò cusì tranquille l'ore
E ch'ellu canta u russignolu in fondu à l'ortu,
Quand'ellu pienghje è ch'ellu soffre lu me core ?

Digià nov'anni ! Mi ricordu quella sera
Piena d'affannu, di spaventu è di dulore.
A bassa voce, tu dicii una prighera,
E cu tecu prigava, o Mà, lu nostru amore.

Babbu più calmu ripusava in lu so lettu
E lu silenziu ingutuppava lu paese.
Ma eiu sintia tamanta angoscia in lu me pettu
sulamente à guardà le care mani stese.

E strinsi quella sposta annantu à lu linzolu
Dicendu pianamente: O Bà, comu ti senti ?
"Mi sentu megliu: vai à dorme, u me figliolu..."
Eppò per sempre, li so ochji funu spenti

Dumane so nov'anni, o Mà, chì babbu hè mortu.
Ma cum'è ch'elle sò cusì tranquille l'ore
E ch'ellu canta u russignolu in fondu à l'ortu,

Quand'ellu pienghje è ch'ellu soffre lu me core ?


Petru Santu LECA

Le Testament du Minotaure

(Une nouvelle fois, je tiens à dire que si certains noms reviennent souvent sous ma plume, ce n'est pas le signe que je me désintéresse des autres auteurs et artistes ou qu'ils ne méritent pas notre curiosité ; c'est le fait que j'ai des limites qui me sont imposées par le temps, mes capacités intellectuelles et mes penchants pour certaines formes et tonalités plus que d'autres ; c'est pourquoi je profite de ce début de billet pour glisser ce message : je vais de nouveau évoquer le cinéma de Gérard Guerrieri - voir les autres billets ici et ici et ici - mais je prie tous les visiteurs de ce blog de venir ici évoquer d'autres cinéastes corses, d'autres films, bien sûr ! ce blog est aussi fait pour cela...)

Ceci étant dit, alerté par Pascal Génot, j'ai regardé sur Dailymotion le tout premier court-métrage de Gérard Guerrieri, tourné en deux jours seulement, en 1994, soit cinq ans avant "Corsica Taf".

Voici mon message à Pascal, après avoir vu le film, intitulé "Le testament du Minotaure" :

Il faudrait pouvoir le voir en une seule fois, ce serait mieux.
Comme d'habitude je trouve que c'est un mélange d'ambition assumée, de
n'importe quoi et de révélateur magnifique de la Corse, d'une certaine
génération en Corse et de ce que le cinéma vient faire là-dedans.
J'ai pensé à "Pierrot le fou", aux westerns quasi expérimentaux de Monte
Hellman (avec Jack Nicholson).

Ce Gérard, je trouve, a un sacré talent : "toi Gérard tu as besoin d'une greffe de cerveau mais on n'a pas le temps là", "à moi on me traite pas
d'antimatière !", "avant j'avais pas de couilles et maintenant je suis une grosse
couille ! ça part toujours en couille ! je vais te faire chier les couilles
par le cul !" : je ne peux pas m'empêcher de rire. Et ce recours au son
strident qui couvre tout, et les photos qui finissent sur la caméra.
Et le premier plan sur cette fameuse petit "montagne" à côté de
Saint-Florent (dont j'avais étudié la géologie particulière avec Joseph
Palmieri en hypokhâgne à Giocante), et, dans sa filmographie, ce retour permanent au col de Teghime
pour filmer tranquillement ("Le testament du Minotaure", "Corsica Taf", "2001
II").
Je trouve ce type génial et un jour on fera une rétrospective (on pourrait
l'imaginer de suite !)

Un point négatif : la vidéo est donc découpée en 9 morceaux qu'il faut regarder les uns à la suite des autres, et 9 clics cela fait 9 coupures non voulues par le réalisateur. A part cela, je suis vraiment épaté par la maîtrise technique et la cohérence esthétique (mais je me trompe sûrement, vous n'êtes pas de cet avis, parlons-en !).

Un dernier point, je n'ai pu voir son dernier long-métrage, "Fin de règne" (juste un extrait sur Internet), ni le pilote de sa série "Corsicaland" (mais je viens d'apprendre que vous pourrez le voir bientôt à Corte, lors des "Nuits du court-métrage en Corse", le 1er octobre 2009 : cliquez ici pour plus de renseignements).

Bon visionnage ! Ici "Le testament du Minotaure"...

samedi 12 septembre 2009

Prenons les choses à l'envers : cummenti (5) - Couvertures bariolées, ciseaux dorés, gâteaux en forme de roue...

Marie-Gracieuse Martin-Gistucci est-elle un auteur oublié ? Est-ce à juste titre ? Qui a lu ses livres ? Qui voudrait parler de ses lectures ?

Voilà quelques questions absolument capitales !

Il y a longtemps - du temps d'Ajaccio - j'ai lu ses nouvelles (surtout son premier recueil, "L'île intétieure", et puis le second, "Le miroir fantasque" ; je ne me souviens pas vraiment de "Jours ajacciens") mais pas ses deux romans, "Port de la lumière" et "La mère inconnue". Elle a aussi écrit différents articles sur la culture corse dans la revue "Etudes corses", était spécialiste de littérature italienne et a notamment traduit les oeuvres d'Antonio Gramsci.

J'ai raconté dans un autre billet ma rencontre avec elle, la lettre qu'elle m'envoya, et l'importance pour moi de la nouvelle intitulée "La confession du solstice".

Voici - déterré, au même titre que le Muscone d'Avretu, "pour voir" - un cummentu écrit il y a quelques années et placé sur le site Interromania. Peut-être rencontrera-t-il un écho, ou suscitera-t-il l'envie de lire, et de relire, les oeuvres de Marie-Gracieuse Martin-Gistucci (écrivain corse et ajaccien ; mais je ne crois pas l'avoir trouvée dans le "Dictionnaire égoïste d'Ajaccio" de Constant Sbraggia, ouvrage que je lis avec un certain plaisir ! j'y reviendrai). Elles ont été éditées par La Marge et Jean-Jacques Colonna d'Istria.

En 2002, le cummentu disait donc ceci :

Marie-Gracieuse Martin-Gistucci est l’auteur de trois recueils de nouvelles et de deux romans en langue française, tous publiés aux éditions La Marge. Elle a aussi écrit en langue italienne et en langue corse. Son oeuvre, importante, survit pour notre bonheur à sa récente disparition. Le commentaire qui va suivre voudrait être un hommage à sa mémoire.

La dernière nouvelle, « Encore sur ce navire... », du premier recueil de nouvelles, L’île intérieure (1987), commence ainsi...


Mais les rêves...

Mais les rêves reviennent ; les mêmes ou d'autres ? D'autres, mais les mêmes, et parfois ils me surprennent, mais souvent je les reconnais.

Le bateau glisse, se déchire un passage en pleine terre. Je sais que cette terre est la Sardaigne, je le sais même si rien ne le dit. C’est une rue pavée de dalles qui se ressoudent derrière la poupe, à peine passée. Et le navire est haut, noir, hissant sa fumée aux cimes de ses deux cheminées, et du navire on peut descendre pour acheter des choses dans les boutiques qui bordent la rue. Mais après, même si on a trouvé l’argent pour payer, les lires qu’on n’a jamais, et acheter quoi ? Des couvertures bariolées, des ciseaux dorés, des gâteaux en forme de roues, il faut pouvoir rattraper le navire qui se sauve, et on ne le peut pas toujours et alors le navire s’en va, inexorable ; il abandonne le voyageur dans la nuit de la rue, lumineuse et surpeuplée l’instant d’avant et qui s’est faite soudain déserte, un désert uni de pavés, sans la moindre trace du passage d’un aussi grand navire... Et c’est la solitude et hors de portée est la chaleur des cabines, le refuge dans la lumière ; le grand navire s’est effacé à l’horizon de la rue vide. Il n’y a plus personne, plus rien.

Et ce même navire, si on est resté à bord, il va, dans l’aube, aborder des rives attendues, une terre bleue par la distance qui se précipite. Et l’on n’a pas le temps de se préparer, de rassembler les bagages ; il faut s’en aller, vite ; déjà tout le monde est parti.

Et le navire encore, mais cette fois je sais où il va, il va vers l’Afrique ; il glisse dans un liquide froissement de satin ; il n’a pas eu besoin de s’étrangler à travers les rues sardes, il est en haute mer. Et la mer se fait verte, presque jaune, moirée de volutes roussâtres. J’approche alors de cette autre terre vers qui la nuit je m’essouffle, on approche de Tunis. Et voilà que le navire enfile l’étroit chenal, l’interminable chenal d’eau de mer à travers l’eau basse et stagnante du Bahira, eau presque terre. Au bout, au bout (si on arrive au bout) je sais qu’il y a la maison de mon père, que je serai chez moi, dans ma ville. »


Commentaire


Un personnage prend la parole et nous fait part de son intimité. Quoi de plus intime en effet qu’un rêve, ce réseau d’images oscillant entre la transformation du passé et le fantasme de l’avenir ?

Nous voici donc sur un navire qui nous transporte dans une géographie personnelle à la fois connue ou explicite et étrange ou implicite. Un triangle méditerranéen se dessine : la Sardaigne, la Corse (« des rives attendues ») et la Tunisie. Mais rien n’est simple ! La littérature est là pour le dire. La relation entre l’origine corse et l’enfance tunisienne est entravée par la présence de la terre sarde, d’où l’image paradoxale sur laquelle s’ouvre la nouvelle : « Le bateau glisse, se déchire un passage en pleine terre. » L’esprit déchiré du personnage prend ainsi la forme d’un navire qui tente difficilement, douloureusement, de relier entre eux des pans d’enfance (comme la méditerranée relie - ou ne relie pas - une île occidentale et une rive africaine). Cette douleur se ressent même quelquefois dans la syntaxe du discours du personnage : l’abondance des conjonctions de coordination « et » et « mais » précipite le rythme et produit un effet d’accumulation et de juxtaposition étranges d’événements divers qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus.

Marie-Gracieuse Martin-Gistucci nous propose une ouverture où les éléments du réel enfantin sont retravaillés par les rêves angoissés de l’adulte, encore et encore, comme l’indique le titre. Et c’est peut-être là une des voies d’une littérature corse, ici et maintenant : une littérature où la hantise donne forme à des thèmes majeurs comme l’enfance, le souvenir, l’ici et l’ailleurs, l’identité. Le mot hanter, en effet, associe ce qui est le moins familier (le fantôme qui vient nous effrayer, un navire qu’on voit « s’étrangler à travers les rues ») à ce qui l’est le plus (le lieu que l’on fréquente habituellement, « la maison de mon père »). Bien souvent dans les nouvelles de Marie-Gracieuse Martin-Gistucci une sourde culpabilité est la cause des hantises et obsessions des personnages. Leur prise de parole se veut alors enquête pour expliquer cette culpabilité, matière même de l’enquête (puisque les souvenirs sont aussi des mots) et remède. Car une fois dite, la hantise peut devenir une part assumée de l’identité et de l’imaginaire personnels.

Mais ce que nous rappellent le titre comme la première phrase de cette nouvelle est que cette prise de parole est à renouveler sans cesse : « ...les rêves reviennent... » C’est bien que le métier à tisser, littéraire ou non, de l’identité, individuelle ou collective, ne s’interrompt jamais.

Réflexions sur l'édition corse (Xavier Casanova et Penserosu)

On ne me reprochera pas (ou on le fera, pourquoi pas) de proposer ici un billet qui renvoie à un autre billet d'un autre blog...

Xavier Casanova est écrivain, il participe activement aux réflexions initiées par le Manifeste de Luri et anime le blog "Isularama" : c'est une mine de propositions, de points de vue, de présentations concernant la littérature et la culture corses. Le visiter offre des surprises (choses dont on ne parle pas ailleurs, sauf erreur ; points de vue décalés ; perspectives vue par un fin connaisseur des rouages de l'édition) et des pépites comme les micro-vidéos (dont nous avions déjà parlé ici-même).

Son dernier billet regarde avec bienveillance la naissance d'une collection littéraire. Il propose des réflexions vraiment intéressantes sous le titre enthousiasmant "Le coup d'accélérateur des lettres corses" en évoquant la nouvelle collection "Centu Milla" aux éditions Albiana (quatre ouvrages viennent d'être publiés ; que ceux qui les ont lus n'hésitent pas à dire ce qu'ils en pensent !).

Oui, il me semble aussi qu'une vraie politique éditoriale de la part des éditeurs est absolument essentielle pour assurer une production aussi diverse et riche que possible. Autant qu'une collaboration efficace des éditeurs entre eux. Autant que l'introduction des livres corses (quelle que soit leur langue d'écriture) dans l'enseignement (de la maternelle à l'université jusqu'à la formation continue) - d'ailleurs, il serait bon de savoir ce qu'il en est dans la réalité. Autant que les initiatives des auteurs eux-mêmes (en groupe, ou seuls). Autant que le travail des libraires et des institutions et associations pour organiser salons et festivals.

Je dirais même, presque autant que la réalité des lectures par les lecteurs réels...

Appel aux lecteurs : y a-t-il des collections particulières, des éditeurs particulières qui suscitent votre satisfaction ? Y a-t-il des manques que vous aimeriez voir combler ? Je pense par exemple à un ancien billet qui abrite deux commentaires de Penserosu - l'animateur du forum de Musa Nostra - sur la question des genres de livres édités en langue corse :

1 :
L'optimisme de Francesca me mettant du baume au coeur, je veux bien espérer que les jeunes seront familiarisés avec le corse au point de lire les ouvrages, comme on peut lire des romans en espagnol ou en anglais dès lors qu'on y a été formé ; des romans policiers, du fantastique, des BD inédites et en phase avec l'actualité, voilà ce qui sans doute relancerait l'intérêt pour la langue.
Souvent les collégiens et les lycéens sont rebutés par l'aspect "à thèse" de nos romans ; il faut exploiter aussi d'autres voies...

2 :
Par exemple, il me semble qu'il faudrait de la création dans la bd pour tous les âges et non des traductions ; Tintin en corse alors que la facilité pousse à se le procurer en français, c'est pas motivant. De plus combien de jeunes le lisent encore réellement ? Les adultes chercheront ce type de lecture mais les jeunes doivent découvrir une histoire, être tenus en haleine, lire la fin étonnante, avoir la clé de l'énigme : j'imagine des aventures d'enfants corses pour les 9-12 ans, avec pas plus de 50 pages, de belles illustrations, un genre de "chair de poule" ou de "club des cinq" réactualisé.
Plus grands ils pourraient lire avec avidité l'équivalent d'un "Eragon", du fantastique ; ils adorent qu'il y ait de l'humour (surtout celui de leur temps) mais pas trop de discours politiques ou de références savantes...
Trop souvent, personnellement, les illustrations des bd corses ne m'attirent pas ; cela n'engage que moi mais je les trouve parfois peu esthétiques, confuses...Vous faites allusion aux films de Gérard Guerrieri ; le peu que j'en ai vu m'a beaucoup plu, j'ai ri, mais c'était en français... Je vous livre cela sans trop réfléchir mais la question est intéressante et il faut la creuser.

La discussion se poursuit.

(Promis, le prochain billet évoquera la lecture d'un livre !)

mardi 8 septembre 2009

Récit de lecture : Emmanuelle Caminade et Jérôme Ferrari, de nouveau

En préambule à la présentation de ce "récit de lecture" du premier roman de Jérôme Ferrari, "Aleph zéro", par Emmanuelle Caminade, sur son blog "L'or des livres", je voudrais dire (répéter en fait) ceci :

- le blog "Pour une littérature corse" a une seule vocation : donner la parole à des lecteurs afin de susciter des discussions. Tous les points de vue sont discutables.

- ce blog ne cherche en aucun cas à imposer un point de vue unique sur la littérature corse, à décider unilatéralement ce qui serait de la littérature corse ou non, ce qui serait de la bonne littérature corse ou non, ni à condamner tel ou tel auteur (par un propos ou par une absence de propos).

- je ne cherche pas personnellement à juger du haut de je ne sais quelle chaire ou du fond de je ne sais quelle chapelle dans le seul but évidemment secret de devenir le pape de je ne sais quelle église.

- message à tous les auteurs qui ont pu se sentir blessés par mes propos tenus ici ou par les commentaires que j'ai autorisés : je pense n'avoir placé ici que des propos qui voulaient jouer un rôle dans une discussion littéraire. Certains de ces propos l'ont fait de manière polémique, maladroite, et cela peut blesser. J'en suis bien désolé. Mais leur intérêt pour la chose littéraire me semblait devoir justifier leur publication : je ne me suis pas privé, ensuite, de systématiquement répondre à des commentaires qui me paraissaient discutables à la fois sur le fond et sur la forme montrant ainsi que je n'étais pas d'accord. Enfin, je vous prie de croire que je n'ai jamais publié de commentaire de façon anonyme ou sous un pseudo, je les ai toujours signés de mon nom, bien lisible.

- message à tous les lecteurs de ce blog et aux commentateurs passés ou futurs : la courtoisie et la sincérité me semblent être deux qualités essentielles et non contradictoires ; je vous demande donc d'être les deux, même si l'équilibre est toujours difficile à trouver. Ensuite dire sincèrement et courtoisement ce qui nous a plu ou déplu dans telle ou telle oeuvre implique que l'on prenne en compte les réponses qui vous sont faites : le silence est discourtois et dommageable. Admettre des erreurs ou des excès est une qualité, il faut une certaine force d'âme pour le faire, je nous y engage (car je m'inclus dans le groupe des producteurs de ce blog). Je vous en remercie par avance.

Le seul but de ce blog est de participer, avec des lecteurs qui ont effectivement lu les oeuvres dont ils parlent, à la vie de la littérature corse, sans a priori et sans exclusive.

C'est pourquoi je me permets de vous signaler de nouveau le blog d'Emmanuelle Caminade, devenue une fervente lectrice des oeuvres de Jérôme Ferrari : vous trouverez dans son dernier billet une présentation de "Aleph zéro" (il est rare que l'on parle de ce livre) avec trois extraits où l'on sent déjà le style de l'auteur se mettre en place (l'extrait du soutien-gorge d'Anna est à la fois très drôle et pathétique, je trouve, et vous ?).

Peut-être cela vous donnera-t-il envie de lire ou relire ce roman, voire d'en parler, ici ou ailleurs !

Au plaisir de vous lire, chères lectrices et chers lecteurs ! (Oups, je finis sur un discours de type électoral, je sens qu'on va m'en tenir rigueur ! Ici un peu de musique pour pouvoir relire tranquillement le préambule de ce billet...)

dimanche 6 septembre 2009

Promotion de la littérature corse ?

Voici un message à caractère informatif qui cache un appel au secours...

Vous le savez peut-être déjà mais la littérature corse a un besoin impérieux de se faire connaître et reconnaître : dans l'île mais aussi hors de l'île.

Tout ce qui concourt à cette (re)connaissance me paraît bon.

Je présente donc ici une de ces initiatives, à laquelle j'ai adhéré en m'inscrivant sur la liste de diffusion "corsauteurs", en mettant en lien le site qui présente la chose ("Collectif d'acteurs culturels en Corse") et en envoyant un message après les 71 premiers déposés sur la liste de diffusion.

Cette initiative est connue sous le nom de "Manifeste de Luri" et a été prise par quelques auteurs réunis lors de la journée "Libri aperti" organisée par Jean-Pierre Santini pour la deuxième année consécutive. Je n'étais pas à cette journée.

Les questions sont maintenant les suivantes : comment promouvoir la littérature corse ? Est-il judicieux et possible de réunir tous les acteurs du livre corse ? La perspective de "Marseille-Provence 2013" est-elle pertinente ? Doit-on se mettre d'accord sur une définition de la littérature corse ? Faut-il faire un choix parmi les oeuvres à promouvoir et si oui selon quels critères, décidés par qui ?

N'est-ce pas l'occasion d'allumer une guerre civile culturelle ?!! Je plaisante, cela permet de détendre un peu une atmosphère qui peut être parfois quelque peu pesante, au vu des emportements très humains des uns et des autres (je ne peux pas m'en plaindre, non plus, puisque je réclame que cette littérature soit réellement vivante !)

Donc, je vous recommande chaudement de vous inscrire sur la liste de diffusion "corsauteurs", de vous tenir informé et de participer : cela ne peut pas être totalement en vain ! En tout cas je salue l'initiative !

Voici le message que je viens d'envoyer (évidemment, vous n'êtes absolument pas obligés d'être d'accord avec quoi ou qui ce soit ! parlons-en...) :

Bonjour à tous, d'abord, heureux de prendre ici la parole et de participer avec vous à cette aventure.

Ensuite, merci d'avoir placé le blog "Pour une littérature corse" parmi les liens. Je vais compléter cette liste avec d'autres sites.

Enfin, quelques petites réactions aux débats déjà bien engagés.

1. C'est un détail, mais qui a son importance. La perspective de Marseille-Provence 2013 me semble un bon rendez-vous, en terrain neutre pour une première tentative de présentation si possible exhaustive de a production littéraire corse. Que cela se déroule dans la ville de Marseille me paraît naturel, mais on pourrait penser à des actions peut-être plus restreintes sur l'ensemble du territoire qui a été élu "Capitale européenne de la culture", à savoir "Marseille-Provence" qui regroupe 130 communes contenues dans cette liste :
Marseille-Provence recouvre aujourd’hui :
Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole (CUMPM);
Communauté d'agglomération Toulon Provence Méditerranée (TPM);
Communauté d'Agglomération du Pays de Martigues (CAPM);
Communauté d'Agglomération Arles Crau Camargue Montagnette;
Communauté d'Agglomération Pays d’Aubagne et de l’Etoile;
Communauté d'Agglomération du Pays d’Aix (CPA);
Villes de Salon de Provence, Istres, et Gardanne

Il y a beaucoup de Corses et de non-Corses susceptibles d'être intéressés par cette littérature sur ce territoire, autant en profiter.

Voir ici la carte : http://www.marseille-provence2013.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=135&Itemid=317

2. Le timing : s'il s'agit de déposer un projet dans le cadre de Marseille-Provence 2013, il faut le faire avant juin 2010 (et avant c'est encore mieux). A voir bien sûr avec Corsica Diaspora (qui organise la biennale culturelle euroméditerranéenne à Marseille en décembre 2009 et 2011 pour préparer l'échéance 2013).

Voir ici : http://www.marseille-provence2013.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=190&Itemid=495

3. Une définition de la littérature corse.
La plus large possible. J'ai proposé sur le blog "Pour une littérature corse" celle-ci : La littérature corse est la somme des textes qui nourrissent l'imaginaire corse. Cette littérature est écrite et orale, multilingue (latin, italien, corse, français - bien d'autres encore ?), produite par des auteurs corses ou non. Mais je conçois qu'elle soit trop extensive (puisque j'y inclus Mérimée et Balzac et même des discussions de comptoir...). C'est pourquoi il me semble que la définition proposée par Jean-Pierre Santini est un bon départ : "On considère donc comme production de la littérature corse tout ouvrage affichant un rapport à la Corse écrit et édité en Corse ou ailleurs". Ce qui est à peu près la même chose. Mais le but premier ne me semble pas de définir un ensemble problématique en soi, mais plutôt de donner à lire une production littéraire vivante (dont les limites sont floues, les thématiques variées, les intentions contradictoires). D'où l'intérêt d'une définition la plus large possible : elle permet de susciter le débat, et les discussions collectives mettront l'accent sur ce qui paraît important et pertinent.

4. La proposition de Xavier Casanova d'une description précise de la réalité éditoriale et d'un outil de recensement public de tout ce qui se publie dans le cadre de cette "littérature corse" me semble très nécessaire et utile.

5. Concernant la nature de la structure pour réunir TOUS les acteurs de la littérature corse. Je me demande s'il est possible de créer une association qui convienne à chacun. N'est-il pas préférable de créer une fédération d'associations, sachant qu'il existe de nombreux "groupes" d'acteurs, organisés depuis longtemps parfois, dans des institutions, associations, entreprises, revues. Si l'on rajoute les histoires personnelles, normales puisque ce sont des choses humaines faites par des humains, les choses se compliquent encore un peu. Donc, je me demande si la meilleure structure n'est pas une structure très souple, dans laquelle on peut entrer très facilement, dont on peut sortir aussi facilement, qui ne réclame de personne de faire allégeance à qui que ce soit, etc. Un simple partenariat entre les différents "groupes" est-il encore plus préférable ? Ce sont des questions. En tout cas, il me semble à moi comme à vous, absolument essentiel que tous les acteurs du livre corse soient présents dans cette aventure pour qu'elle soit crédible et efficace.

En définitive, l'acte d'inscription sur cette liste de diffusions (corsauteurs) est un premier pas qui ne devrait qu'intéresser tous les acteurs concernés.

6. Reste le mot d'ordre commun. Je ne crois pas qu'il puisse être l'accord sur une définition de la littérature corse, qui fait débat. La question de la promotion, dans l'île et hors de l'île, me paraît très bonne, assez neutre et en même temps essentielle pour susciter l'intérêt de chacun. J'y ajouterais pour ma part la notion de débat. J'imagine qu'on puisse promouvoir une littérature au moyen, notamment, de l'organisation de discussions sur les valeurs, l'importance, la pertinence des oeuvres corses. Il ne me semble pas bon d'exclure a priori tel ou tel ouvrage, par contre il ne me semble pas crédible de présenter tous les ouvrages comme si tout le monde pensait la même chose sur tous ces ouvrages. Il serait bon de promouvoir la lecture vivante, donc les désaccords argumentés, de la littérature corse. Exemple : je considère personnellement chaque production de la littérature corse comme quelque chose d'extraordinaire (par déformation passionnelle et irrationnelle) mais certains livres me tombent des mains et d'autres m'enthousiasment. Il me semble que si l'on veut une promotion de la littérature corse, c'est parce qu'on est persuadé qu'elle a une valeur, qu'elle ouvre des voies originales (pour la Corse et pour ailleurs), qu'elle travaille des enjeux humains contemporains, avec ses spécificités, ses qualités, ses défauts. Peut-on intégrer cette dimension de débat dans le travail de promotion ? Et ce pour tous les ouvrages quels que soient leur genre et leur langue originale (corse, français, italien, latin, etc.)

7. Une réunion physique à "Prumitei" me semble une très bonne idée, fortement symbolique, sur le terrain neutre d'autres arts.

Enfin, voilà, ce message est bien long, désolé. Je vais le placer aussi en billet sur "Pour une littérature corse", histoire de diffuser via ce canal aussi.

A très bientôt.

samedi 5 septembre 2009

Charlie Galibert / Ouessant 2009

Le jury du Prix du Livre Insulaire de Ouessant a primé cet auteur corse, dans la catégorie Science/Essai.

La délibération - dont j'étais - a tourné à l'avantage de l'ouvrage de Charlie Galibert sans trop de difficultés, mais en même temps d'autres ouvrages ont attiré notre attention, et notamment le travail de Philippe Verdol, "L'île-monde dans l'oeil des pesticides" (chez Ibis Rouge). Une étude passionnante sur l'usage des pesticides en Guadeloupe pour la culture des bananes et ses conséquences sur l'environnement, la santé publique et les comportements alimentaires, sociaux, psychologiques des Guadeloupéens. Passionnante étude parce qu'extrêmement informée et objective (les passages juridiques et politiques sont justement parfois un peu arides pour un lecteur non averti) et liant l'intime de l'auteur (qui se considère contaminé comme beaucoup de Guadeloupéens) avec les enjeux environnementaux, psychologiques et économiques mondiaux. Je le recommande donc chaudement parce qu'il est bienvenu de voir de vraies études scientifiques se marier à un engagement au service de la vérité et du bien général.

Le travail de Charlie Galibert - "Sarrola 14-18. Un village corse dans la Première Guerre mondiale" - combine les qualités du précédent ouvrage avec un art plus maîtrisé du tissage narratif, interprétatif, documentaire et philosophique.

Son ouvrage ne peut que susciter la curiosité des personnes attachées à la période de la Première Guerre mondiale conçue comme le fondement de notre monde, comme un événement majeur pour l'histoire de l'humanité. L'auteur multiplie les approches, historique, anthropologique, philosophique pour essayer de mieux saisir ce qui peut paraître mystérieux : l'obéissance aux ordres et l'acceptation de l'horreur quatre années durant ; le rôle d'un conflit meurtrier dans la fabrication et la transformation des identités (personnelles et collectives).

De fait, l'ouvrage est absolument passionnant pour ceux qui s'intéressent à la Corse en général, à ce qu'elle était avant 1914 (et même bien avant, puisque l'auteur retrace l'histoire "guerrière" de notre société plusieurs siècles auparavant) et ce qu'elle est devenue après 1918 (le dernier chapitre conduit jusqu'à l'érection du monument aux morts de Sarrola en 1929 et même jusque dans les années 1930). Et comment la guerre mondiale a contribué à l'évolution d'une société entre ces deux dates. L'auteur multiplie - parfois de façon trop systématique ou moins convaincante ai-je trouvé personnellement, mais cela ne m'a pas empêché de lui accorder avec plaisir mon vote - les échelles de grandeur : de la Grande Histoire à la petite (celle d'un couple du village de Sarrola, dont le mari part à la guerre avant de revenir et de devenir maire) en proposant des analyses générales liées à des études très précises des langages utilisés dans des documents familiaux (lettres, carnets, devoirs de classe) ou publics ou officiels (chansons, ouvrages scientifiques ou de fiction - la littérature corse est donc très présente... - voir par exemple la très belle inteprétation du discours d'inauguration du monument aux morts, pages 473 et sq.).

Bref, j'arrête là, n'ayez pas peur des presque 500 pages et de l'écriture serrée, l'auteur a fait en sorte avec les jeux de typographie et de mise en page que la lecture soit aisée et agréable. Les dernières phrases me semblent fixer un horizon mental susceptible de donner envie de lire tout ce qui les précèdent et aident à mieux les comprendre :

Mon approche de la guerre de 1914-1918 en Corse s'arrête sur cet héritage, désormais durablement installé, d'émigration hors de l'île. La continuité de ces discours et critiques ne manquent pas d'être toujours validés par certains observateurs de la société corse contemporaine. Pour décrire l'absence de développement des îles d'Océanie, Ray Watters propose le mot de "MIRAGE" : MI comme migration, R pour récépissé des mandats, A pour aide publique, G pour gouvernement (dans le sens d'emploi de la fonction publique territoriale) et E pour éducation. A la Corse de faire en sorte que ce ne soit pas là pour elle l'ultime forme historique, l'héritage, un siècle plus tard, de la der des ders.

Vous avez peut-être lu cet ouvrage avec un autre oeil, plus critique que le mien : n'hésitons pas à discuter des mérites et des défauts de l'ouvrage !