mardi 28 septembre 2010

URGENT : Où seront P. Gattacecca, D. Verdoni, P. Ottavi et A. Di Meglio le 8 octobre 2010 ?


Ils seront tous ensemble (à l'invitation de l'Amicale corse, qui profite de leur présence professionnelle à la Faculté de Lettres de l'Université Aix-Marseille) :

- à la librairie All Books and Co, (rue cabassol), à Aix-en-Provence, entre 17 h 30 et 20 h ; ils liront des poèmes corses, des traductions en français de ces poèmes, ils évoqueront la poésie corse contemporaine, la question de sa diffusion, ils présenteront les publications du Centre Culturel Universitaire de l'Université de Corse (avec ou sans les éditions Albiana), ils répondront à toutes vos questions, il signeront tous leurs livres si vous avez envie d'acquérir certains de ces ouvrages ; bref, ce sera un beau moment convivial et littéraire, sous le titre magnifique (non ?) suivant : "La poésie corse, et ses langues".

- au local de l'Amicale corse (18 avenue Laurent Vibert), la soirée se poursuivra avec nos invités, occasion d'approfondir tous les sujets précédemment abordés et peut-être de voir la poésie devenir chant.

Il est bien sûr recommandé à tous les curieux de la Corse en général et de sa littérature contemporaine en particulier de venir nous retrouver dès 17 h 30 ! De façon plus claire encore : venite numerosi ! Il n'est pas nécessaire d'être un parfait corsophone ni de connaître quoi que ce soit à la littérature corse : il vous suffit d'avoir envie de découvrir tout cela. La parole sera libre, vous pourrez parler en corse ou en français, poser des questions qui vous brûlent les lèvres ou rester silencieux, feuilleter les livres sans les acheter, les acheter sans les lire, les lire et en parler un peu plus tard, me proposer (ou non) vos récits de lecture pour ce blog, etc.

Bref, vous ferez bien comme vous voudrez... mais venez ! Vous serez accueillis avec joie ! Ce n'est pas tous les jours que nous disposons pendant plusieurs heures de quatre écrivains corses en même temps !

Pour plus de renseignements, écrivez-moi (f.renucci@free.fr) ou appelez-moi (06 88 80 62 83).

(Concernant l'image, voir ici.)

lundi 27 septembre 2010

Du style de Jérôme Ferrari (et de celui d'Emmanuelle Caminade)


Je reporte en ce nouveau billet un commentaire envoyé par Emmanuelle Caminade (qui fait donc référence au billet "Je vais le relire ! Je vais le relire !"). Bonne lecture, bonne discussion ! Et merci à Emmanuelle :

« ... mais n'y a-t-il pas trop d'emphase chez Ferrari ? Cette critique, légitime, a été faite dans un article du magazine "Politis", à propos de "Où j'ai laissé mon âme". Et je me dis, bon, de l'emphase, oui, cela s'entend certainement, mais c'est peut-être le signe que l'auteur n'a pas abdiqué toute compassion pour ses personnages. »

Je rebondis à ce passage de ton billet, bien qu'il ne concerne pas directement le fond du sujet, pour approfondir le hors-sujet en quelque sorte – désolée Norbert, FXR s'en va dans toutes les directions et je ne l'aide pas à redresser la barre !


Il fait en effet référence a une discussion que nous avons esquissé à la fois sur ton blog et par mail privé et à ce court mais intéressant article dans lequel le journaliste regrette la tendance à « l'emphase » de Ferrari et conclut « Mais la tentative d'accrocher le lecteur à des personnages peu ragoûtants est réussie »...

J'aimerais en effet prolonger cette discussion au sujet de la musicalité du style de Ferrari, de son lyrisme « emphatique » ou empathique et de son rapport au pardon dans "Où j'ai laissé mon âme" qui avait été le point de départ de notre échange.

Si le style de Ferrari est très visuel et propose ou suscite, par ses références, de nombreuses images, je le ressens également comme très musical , du fait de sa fluidité et de son ampleur mélodique, une ampleur - ou emphase pour ceux qui n'y sont pas réceptifs – à mon sens indispensable pour donner de l'unité au chaos. Pour tendre à cette harmonie non factice qui englobe les contradictions.

Et ce style lyrique permet, comme dans un opéra, d'apporter du sens autant par le texte, par les images suscitées - comparables au décor et à la mise en scène – que par sa musique. Une musique qui peut venir conforter, amplifier le texte ou creuser un écart un décalage avec le texte.


Cet écart, dans le monologue d'Andreani d' "Où j'ai laissé mon âme", me semble très riche car il permet une approche complexe. Et mon interprétation personnelle du thème du pardon fondé sur la foi en l'homme et l'écriture – à défaut des Ecritures - repose sur la musique entendue et les images vues - suscitées par les références aux mythes rédempteurs, plus que sur le texte au sens strict (l'analyse et l'argumentation ne cherchant qu'à expliquer, à tenter de vérifier une intuition...).


Et les lecteurs de ce blog, qu'en pensent-ils précisément ?
Ils me semblent – blogueurs exceptés - bien mutiques (Pas revenus de vacances ? Pas encore réussi à consacrer moins de trois heures à la lecture de ce court roman? Ou pas encore réussi à réunir les fonds nécessaires à cet investissement ?)
Et moi qui croyait que les lecteurs corses s'intéressaient à la « littérature corse »!


Pour la photo, voir ici.

dimanche 26 septembre 2010

Je vais le relire, je vais le relire !


Lui : - De quel livre s'agit-il ?

Moi : - "Ecrire en corse", de Jacques Fusina, il vient de paraître, chez Klincksieck.

Lui : - Et alors ?

Moi : - Comment ça : "et alors" ? Mais enfin, c'est la PREMIERE monographie sur la littérature de langue corse, la première, vous rendez-vous compte ? Septembre 2010 ! Alors que le premier auteur mentionné dans l'ouvrage est Guglielmo Guglielmi (1644-1728) et que des centaines de noms sont cités au cours des 190 pages ! Mais pourquoi avons-nous attendu si longtemps ? (Question passionnante, je vous assure).

Lui : - Bon, bon, mais maintenant ça y est, c'est fait : alors satisfait du résultat ?

Moi : - Alors, je vais vous dire, moi, je ne suis pas spécialiste comme l'auteur, hein ? Sur les 175 titres de la "bibliographie des oeuvres citées" (pages 163 à 169), je n'en ai lu qu'une quarantaine, et ma mémoire est défaillante. Je ressens donc d'abord beaucoup d'admiration et de gratitude pour une telle synthèse. D'autant plus que l'ouvrage allie l'intérêt d'une présentation bio-bibliographique qui traverse plusieurs siècles à une réflexion sur les aspects les plus importants d'une telle "littérature de langue corse" : le passage de l'oral à l'écrit, la question du choix entre les différentes langues, l'évolution du statut des écrivains, le rapport entre écriture savante et écriture populaire (notamment dans le cadre des "almanachs" au cours du XIXème siècle - tiens, il serait passionnant de disposer d'une réédition critique (avec traduction en français) d'un de ces almanachs, pour bien se rendre compte d'une telle pratique)...

Lui : - Ah, mais vous êtes toujours à réclamer que d'autres travaillent pour votre plaisir, vous !

Moi : - Oui, je sais, mais enfin, il y a une université faite pour ça et de nombreux passionnés qui n'officient pas dans ce cadre universitaire... cela fait un grand nombre de personnes compétentes. Moi, je ne suis qu'un lecteur, hein !

Lui : - Il a bon dos le lecteur... Et à part ça, il y a d'autres moments réflexifs qui vous ont intéressé dans cet ouvrage de Jacques Fusina ?

Moi : - Oui, notamment les chapitres 35, 40 et 50. (Je vous rappelle que l'ouvrage est divisé en 50 courts chapitres qui répondent chacun à une question qui fait le titre du chapitre). Pourquoi ces chapitres ? Eh bien parce qu'ils portent le regard de l'auteur sur les grandes lignes de l'évolution de la littérature de langue corse des dernières décennies. Ecoutez plutôt : "35. Quelles évolutions peut-on observer dans la littérature contemporaine ?", "40. Quels problèmes généraux se posent pourtant à l'écriture d'expression aujourd'hui ?", "50. Pourquoi écrire en corse aujourd'hui ?" Fantastique, non ?

Lui : - Passionnant...

Moi : - Vous faites de l'ironie maintenant ? Non, mais si vous n'avez aucun goût pour la représentation qu'offre la littérature, il faut le dire tout de suite, cela m'évitera... Veuillez m'excuser, je m'emporte, je m'agace, mais je sais bien que tout le monde ne pense pas comme moi, il faut que je l'accepte, je sais... mais qu'est-ce que c'est difficile !

Lui : - Allez, calmez-vous, je plaisantais.

Moi : - Non, mais, sérieusement... vous connaissez un peu les livres corses ? Vous les lisez avec plaisir ? Qu'est-ce que vous cherchez en les lisant ? Franchement, je brûle de le savoir.

Lui : - Il est 15 heures 15... Le mistral dans le ciel écrase du bleu à pleines mains (c'est Giono qui écrit cela dans "Le serpent d'étoiles")... Quittez cet ordinateur, vous alignez des mots à peine réfléchis, vous vous gargarisez avec les mots des autres, vous vous parez de billets numériques, pour jouer le rôle de quel paon, on se le demande ! Mais sortez donc, respirez un peu. C'est pour votre bien que je dis ça.

Moi : - ...

Lui : - ...

Moi : - Je disais qu'il était passionnant de voir s'exprimer le point de vue de l'auteur dans ces chapitres 35, 40 et 50. Car, voilà ce que je voulais dire, je trouve que la littérature (ou la représentation artistique en général) n'est jamais aussi vivante que lorsqu'elle est sujet de débat entre chacun de nous (et pas seulement entre scientifiques). Elle n'est jamais aussi vivante que lorsque s'expriment des visions différentes, singulières, des goûts et des désirs différents, singuliers. Et c'est pourquoi je suis profondément heureux lorsque je lis les phrases suivantes écrites (page 120) par Jacques Fusina lorsqu'il évoque les livres des années 1990 et 2000, en reprenant et en commentant l'étude d'Alain Di Meglio ("Eléments de continuité et de rupture dans l'expression littéraire corse" : "La volonté de distanciation par rapport à la société locale, une moindre affirmation d'engagement politique, des projets littéraires plus individualisés, une diversité d'influences et de postures laissent en effet l'impression d'écritures se complaisant de plus en plus dans des formes provocantes, transgressives ou iconoclastes, avouées d'ailleurs par certains des jeunes auteurs eux-mêmes. Une des questions d'importance que pose en conclusion l'étude citée est bien celle, encore en débat, d'une littérature d'expression corse qui serait résolument détachée du rapport à la Corse et à laquelle plusieurs auteurs actuels semblent non seulement répondre par l'affirmative, mais encore y trouver les fondements de leur production. Au prix, ajouterons-nous, d'une surévaluation des critères d'accessibilité à la langue qui leur fait non seulement tourner le dos à l'ostentation linguistique (comme marque rejetée des situations de diglossie), mais parfois aussi négliger le simple bénéfice d'une rigueur ou d'une clarification linguistiques (ce qui n'aurait pourtant rien de commun avec un supposé purisme)."

Lui : - Ah oui, d'accord, je vous vois venir avec vos gros sabots : vous cherchez encore à enflammer les esprits ! Vous cherchez la polémique pour la polémique !

Moi : - Absolument pas. Et vous le savez bien. Mais votre crainte de tout débat est telle (je veux dire de tout débat réel : celui dans lequel des amis discutent de leurs désaccords) que vous appelez pyromane et criminel quiconque recherche un tel débat. Un espace public n'est pas un désert ni une arène ; ce devrait un lieu tel le tillac du "Quart livre" sur lequel tombent les paroles gelées qu'évoque Rabelais, un lieu de réjouissances ludiques, reprenant à nouveaux frais les significations et valeurs que les générations précédentes nous ont transmises. Non ? Alors, il me semble que ce propos de l'auteur est tout à fait pertinent et en même temps il rate l'essentiel : l'iconoclasme des oeuvres évoquées - pensons à "Prighjuneri" de M. Biancarelli et "Variétés de la mort" de J. Ferrari et à leur mauvais goût parfois affiché, leur violence satirique, leur aspect débridé, hirsute, irrécupérable - était absolument nécessaire, vital, vivifiant parce qu'en réaction avec une société corse invivable dans laquelle la violence armée a tué nombre de personnes mais encore de rêves. Est-ce qu'un ouvrage sur la littérature d'expression corse ne devrait pas faire une place aux conditions historiques et sociales dans lesquelles elle se produit ?

Lui : - Vous m'en demandez trop. Mais peut-être que vous ne me posez pas vraiment la question ?

Moi : - Ok, vous reconnaissez une question rhétorique quand elle pointe le bout de son museau, mais ce que je voulais dire c'est que je trouve le jugement de Jacques Fusina pertinent sur la réalité de l'écriture de ces livres mais incomplet parce qu'il ne permet pas de comprendre pourquoi de tels écrivains ont agi ainsi et pourquoi des lecteurs (tant de lecteurs ?) ont aimé et aiment encore ces livres. Ainsi, il écrit deux pages plus loin, dans le chapitre 36, à propos de Marcu Biancarelli : "Bien qu'ayant commencé à se faire connaître par des poèmes (Viaghju in Vivaldia), Marcu Biancarelli, né en 1968, s'oriente rapidement vers la prose par deux recueils de nouvelles en éditions bilingues, Prighjuneri/Prisonnier et San Ghjuvanni in Patmos/Saint Jean à Patmos, primés au Salon du livre insulaire d'Ouessant. C'est aussi le cas pour son premier roman intitulé 51 Pegasi, astru virtuali (traduit en 2004) au ton quelque peu provocant, tout comme les nouvelles, mieux en phase avec les goûts d'un public plus jeune, et résolument éloigné non seulement d'une écriture de la tradition ou même de l'engagement idéologique, mais aussi de tout lyrisme, en privilégiant au contraire une ouverture géographique autant que sociologique. C'est aussi la raison pour laquelle ses textes ont parfois été utilisés sur la scène pour des créations théâtrales intéressantes (Jean-Pierre Lanfranchi, Christian Ruspini). Certaines des traductions en français sont l'oeuvre du complice Jérôme Ferrari, jeune romancier publié chez Actes Sud. Le recueil Stremu miridiani/Extrême méridien a ajouté encore à la popularité de Biancarelli, qui multiplie à plaisir déclarations et entretiens, sans compter une intense communication par les blogs où il explique et justifie sa posture littéraire. D'aucuns considèrent cette activité et ce style comme la voie de la modernité qu'attendait vainement l'expression littéraire corse." Bon, clairement, nous comprenons que l'auteur ne pense pas comme "d'aucuns", et c'est tout à fait normal et légitime. Mais il me semble que la posture littéraire de cet auteur (M. Biancarelli) a des causes plus complexes et profondes. Il est abondamment nourri de littérature de langue corse (fait des allusions aux oeuvres de Ghjacumu Thiers ou de Rinatu Coti, ou bien encore pour leurs aspects "politiques" aux romans de Sebastianu Dalzeto, nourris de socialisme, ou bien encore aux auteurs corses, comme Anton Francescu Filippini, qui se sont rapprochés de l'Italie), il entre en dialogue avec eux, il revivifie ces oeuvres en les engageant dans ce dialogue romanesque. Ainsi j'ai lu ses livres comme des textes profondément en colère, profondément "lyriques", mais un lyrisme à la Flaubert, un lyrisme débarrassé de toute naïveté (par exemple en ce qui concerne les relations d'amitié dans "Murtoriu", mais je n'en dis pas plus, il faut lire ce livre - dont la traduction est au combien attendue !). Alors, oui, peut-être que le style de son écriture est moins recherché que celui d'un Jérôme Ferrari, mais n'y a-t-il pas trop d'emphase chez Ferrari ? Cette critique, légitime, a été faite dans un article du magazine "Politis", à propos de "Où j'ai laissé mon âme". Et je me dis, bon, de l'emphase, oui, cela s'entend certainement, mais c'est peut-être le signe que l'auteur n'a pas abdiqué toute compassion pour ses personnages. Chez Ferrari s'exprimerait une sorte de voix emphatique et chez Biancarelli une voix plus prosaïque.

Lui : - Vous délirez, là non ?

Moi : - Toujours rêvé à l'étymologie de ce verbe : "sortir du sillon"... Oui, oui, c'est bien ce que je fais.

Lui : - Reprenez le fil, allons.

Moi : - Oui, je voulais simplement signaler ceci. La littérature corse est née à partir du moment où des auteurs et des lecteurs (cela inclut des lecteurs "professionnels" comme les éditeurs, les libraires, les bibliothécaires, etc.) ont écrit et lu avec le désir de prendre en charge - par des moyens littéraires - toutes les contradictions des sensibilités et des situations sociales et historiques de la Corse. Pour moi, cela a commencé avec "A Funtana d'Altea" de Ghjacumu Thiers en 1990. Mais c'est un point de vue partiel et excessif !

Lui : - (A part) Aïe, aïe... il radote.

Moi : - En plus, on peut lire page 137 (chapitre 40), sous la plume de Jacques Fusina, ceci : "Il faut donc se réjouir de cet important regain et comprendre certaines des postures des jeunes écrivains qui rejettent de plus en plus nettement la période précédente dite du "riacquistu", trop marquée, selon eux, par l'engagement politique et culturel, pour revendiquer des attitudes plus individualistes et des itinéraires plus personnels face à la question littéraire en général." Donc je vois bien que l'auteur est "compréhensif" et qu'il ne rejette absolument pas cette expression-là. Et j'espère avec lui - c'est déjà le cas, me semble-t-il - que bien d'autres types d'écriture (en langue corse ou en langue française) seront expérimentés par les écrivains insulaires.

Lui : - (A part) Ouh là, revoilà l'obsession multilingue...

Moi : - Car enfin, un autre aspect passionnant du livre de Jacques Fusina est de se centrer sur l'expression littéraire en langue corse tout en laissant de la place à bien des livres qui ne sont pas écrits en langue corse ! A son corps défendant. Puisque le dernier chapitre (le 50ème, pages 158 et 159) dit ceci : "Mais certains des observateurs actuels vont plus loin en proposant de ne pas limiter la littérature corse à son expression en langue corse, mais d'étendre cette définition à des textes écrits en d'autres langues : le latin, l'italien, le français, chronologiquement venus de l'histoire, et aussi toute autre langue, dès l'instant que l'oeuvre concernée porterait son influence dans l'imaginaire collectif corse. Une telle redéfinition n'est pas sans hardiesse, puisque tels textes se présenteraient alors comme des sortes de miroirs où se reflète, et en même temps se constitue, cet imaginaire collectif, à supposer cependant qu'il existe car, comme pour l'identité, il convient de se méfier de toutes ces visions trop facilement englobantes dans un domaine où l'acte même de l'écriture reste, tout du moins dans son premier mouvement, éminemment individuel." Mais l'auteur lui-même, comme je le disais...

Lui : - Ho ho !... allô ! Il ne m'entend pas !

Moi : - ...comme je le disais, l'auteur lui-même signale nombre de publications en italien, en latin (notamment le "Vir Nemoris", oeuvre extraordinaire appelée à devenir une référence incontournable pour cette littérature corse, si, si), en français aussi (notamment les textes de Marie-Jean Vinciguerra, de Jean-Marie Arrighi, de Jean-Claude Rogliano). C'est pourquoi il me semble qu'il sera à la fois très pertinent d'étudier les littératures corses d'expression italienne, corse, française en faisant attention à la question linguistique tout comme nous aurons besoin de monographies sérieuses et agréables comme celle de Fusina sur une littérature corse entendue comme une expression littéraire qui a utilisé et utilise encore plusieurs langues.

Lui : - ... et le rapport avec la photo au début du billet ?

Moi : - ... absolument aucun.

Lui : - C'est vraiment n'importe quoi ! (Il sort.)

Moi : - Ouaip. (Il sort, parce qu'il fait vraiment beau aujourd'hui, malgré le mistral.)

A propos du "hard-selling" (dixit Norbert)


Oui, je me souviens d'un propos - ma foi, assez juste - de Norbert Paganelli pointant du doigt la pratique, sur les sites et les blogs, qui consiste à parler sans cesse d'une seule et même chose (livre, auteur, sujet). Ainsi, en ce moment, circulent et reviennent régulièrement des titres de livre :
- "Où j'ai laissé mon âme", de Jérôme Ferrari (édition Actes Sud : vous pouvez notamment écouter l'auteur lire les pages 12 à 15, depuis "J'ai été heureux de me retrouver dans la rue" jusqu'à "notre haine, notre cruauté - et notre joie.")
- "Ecrire en corse", de Jacques Fusina (édition Klincksieck)
et maintenant
- "Vae victis, et autres tirs collatéraux", de Marc Biancarelli (édition Materia Scritta)

Du premier, il en a été et il en est encore largement question (notes de lecture, articles de presse, analyses). Et même de façon satirique.

Je suis en train de lire le second : et dire qu'il nous aura fallu attendre septembre 2010 pour disposer de la première monographie sur la littérature d'expression corse ! L'ouvrage existe enfin et il permet de prendre la mesure de l'ampleur et de l'ambition des oeuvres écrites en langue corse. Comme il s'agit d'un ouvrage de "vulgarisarion sérieuse", la lecture en est très agréable et toujours instructive. J'y reviendrai sur ce blog, à moins que vous ayez envie de proposer avant moi votre point de vue sur cet ouvrage déjà fondamental ? N'hésitez pas à initier ici une discussion (ou à signaler qu'une discussion a commencé ailleurs).

Concernant le troisième, voici trois lieux numériques qui viennent de signaler la sortie du recueil d'articles de Marc Biancarelli :
- la Gazetta di Mirvella
- le forum de Musa Nostra
- le Foru corsu
Mais il manque quelque chose d'essentiel : le livre n'est pas encore mis en ligne sur le site des éditions Materia Scritta ! Il serait parfait que le site puisse proposer (comme sur le site des éditions Klincksieck) un résumé et le sommaire de l'ouvrage, voire même un extrait et la possibilité de laisser un commentaire. Cela faciliterait grandement la prise de connaissance de l'ouvrage et sa vente. Bien sûr, ce propos n'est pas une critique, c'est une respectueuse demande ; j'apprécie beaucoup le travail de Materia Scritta (voir ici les billets consacrés au "Bar à tisanes" (ici et ici) et à "Hölderlin et Paoli").
Ainsi, avec ces atouts supplémentaires (absolument nécessaires), il sera encore plus facile de faire du "hard-selling", c'est-à-dire d'engager tous les amoureux de littérature, de la Corse et de la littérature corse à acheter tel et tel ouvrage, à en parler, etc. etc.
Non ?

(Concernant la photo :
Theatre Royal chorus, Tamarama Beach, ca. 1938 / by Sam Hood)

samedi 25 septembre 2010

Poésie en marche


Quelqu'un, ("elle", "je", "tu"), marche (c'est dans le Cap Corse, en bord de mer), régulièrement.

Puis raconte ses marches, variations infinies de sensations renouvelées, de sentiments éprouvés sans cesse, de pensées ressassées, approfondies, reprises.

Ce quelqu'un est une quelqu'une. Aujourd'hui - depuis cinq ans - elle s'est isolée dans ce village autrefois d'enfance. Elle y éprouve la solitude. Elle s'y interroge sur ses sentiments. Et notamment, régulièrement, sur le sens à accorder à cette étrange période de vie, période venant après toute une vie déjà vécue. Période de création, mais aussi de profonde angoisse ; ce qu'on appelle aussi un "moment critique".

Lisant ces "Carnets de marche" d'Angèle Paoli, c'est cela que j'ai ressenti : l'effort de remettre sans cesse l'ouvrage sur le métier, effort vécu parfois comme une véritable épreuve, une souffrance, vécu d'autres fois comme une délivrance, une découverte. Soixante-et-une fois, l'auteur repart sur les chemins, les sentiers, retrouve les êtres familiers de ces lieux, agréables ou pas, bergers ou chasseurs, nomme les éléments de la flore, de la faune, des sommets et des hameaux, convoque les passés (de l'enfance, du temps de Gênes), contemple lumières, ciels, couleurs de la mer. Soixante-et-une fois - pour moi - l'auteur écrit pour nous aujourd'hui de la littérature corse la plus vivante qui soit, celle qui fait quelque chose avec la matière réelle de l'île aujourd'hui à travers une sensibilité extrême, sans fausse pudeur, et dans une forme littéraire d'une souplesse infinie (proseetpoésie en même temps). Une écriture humble (accrochée au sol concret du corps et de la terre) et très ambitieuse (exercice spirituel cerclé d'une angoisse parfois très douloureuse).

Bref, vous l'aurez compris : j'ai lu avec enthousiasme les 122 pages de "Carnets de marche" (publié aux Editions du Petit Pois ; le livre se commande sur leur site Internet, le papier est beau et on sent même sous les doigts les lignes d'écriture) comme l'alliance d'une série de tentatives sans cesse recommencées et d'un roman à suspense ; quelque chose comme la sensation de la vie passe dans cette écriture, chacun des 61 "essais" devant se lire d'une traite, dans un emportement semblable à celui de la marche, quelque chose de très lent et de très rapide en même temps. (Mais peut-être n'avez-vous pas le même avis, ni sur la qualité de l'ouvrage ni sur son intérêt pour la littérature corse d'aujourd'hui ?)

Dans ma mémoire, un passage incroyable où lieux et corps se confondent. C'est "l'essai" 28. Entre la page 65 et la page 67 :

Après plusieurs jours de réclusion forcée, désir de reprendre la marche et de respirer.


Odeur de résine mouillée, à peine franchies les dernières marches qui descendent au carrughju. Mon passage est salué par le braiment hystérique d'un âne, puis d'un autre. Besoin de m'éloigner de l'hystérie qui gagne du terrain et menace ma tranquillité. Odeur de chèvre et de mousse. Une tiédeur douce caresse mes épaules. Un calme étale enveloppe la nature assoupie. Enfin paisible, rassérénée. Un parfum poivré d'immortelles monte par endroits, à hauteur du jacassement des geais. Le Merchione a retrouvé sa dureté schisteuse, son vert-de-gris mat. La mer d'un bleu soutenu et lisse bourdonne en contrebas. Je travers une zone ombreuse et humide, privée de soleil. Hanging Rock (Australie) domine le vallon de son dôme grêlé de trous. Un premier tintement de sonnailles m'avertit que les chèvres aujourd'hui sont descendues vers la mer. Je repense à la suggestion de Sol. Ma mise à l'écart du monde ne serait-elle pas une sorte de confrontation à l'épreuve du ventre de la baleine ? Si cela était, j'aimerais qu'il en sorte quelque chose de grand ou de beau. Quelque chose qui me prenne en profondeur. Elle, elle voit plutôt cela comme une sorte de descente dans les entrailles ou comme un nécessaire plongée en moi jusque dans les viscères ordinairement inaccessibles. Paradoxalement, je me sens à la surface des choses, pareille à un bouchon léger qui flotte sur les vagues. Loin, très loin des noirs abysses où dort le coelacanthe. Odeur brûlante d'urine. Le chien noir du berger surgit, qui me dépasse dans sa course. Je le laisse poursuivre son chemin. Je bifurque sur le sentier qui descend vers la marine émeraude. Ficajola perdu, là-bas, au-dessus des monts encore inexplorés. Tu retrouves avec bonheur ton poste de vigie. Le bêlement déchirant d'une chèvre emplit la conque où tu te trouves. Tu la cherches des yeux, guidée par son pleur. Elle est perdue quelque part sur un à-plat de rocaille et la couleur de sa toison se confond sans doute avec celle de la pierre. Elle demeure longtemps invisible. Un oiseau de proie trace de grands cercles concentriques. C'est quelque part en dessous de ces cercles qu'elle se trouve, sans doute. Elle appelle au secours. Il te faudrait des jumelles ! Une tache noire mouvante sur un rebord de rocher. Elle est là, tu l'as vue. Tu distingues sa longue houppelande mobile. Que fait-elle seule, isolée du troupeau ? Tu penses à ce papier de Sylvie Germain sur la chèvre de monsieur Seguin. Que disait-il au juste ? Tu n'en as plus aucune idée. Il faudra que tu recherches ce billet du Monde et que tu le relises. Une autre forme bouge aux côtés de la Noire. Elle n'est donc pas seule. Elles sont deux vagabondes à s'être expatriées du troupeau. Calée dans ton fauteuil de pierre, tu reprends ta lecture. Mais la mandorle de pierre est là, qui te tire vers d'autres rêveries, déforme ton regard. Le sexe de la montagne t'attire vers elle. De sourds mugissements montent lentement des entrailles de la terre. Une houle te prend, par vagues successives. La chèvre, en équilibre au-dessus du ravin, scrute l'horizon de maquis et de pierre qui se déploie sous elle. Insensible à ta présence. Le désir de retour au ventre des origines, cet appel insensé, c'est par le sexe qu'il t'est donné de le vivre à nouveau. Tu caresses les forages de la roche fissurée, lèvres et ourlets de chair minérale. Palpitations des tendres excavations rythmées par les palpitations de tes paupières. La chair se fend sous l'insistance douce de tes doigts. Elle t'accueille en son centre, ouverte et chaude, haletante et chantante. Elle se gonfle et palpite, fleur avide, éprise de langueurs. Elle libère son suc, t'inonde de ses sources secrètes. Ensemble vous voguez l'âme comble et sans tâche, l'une à l'autre rivées loin des lourdes amarres. Un appel déchirant te lacère. Que font-elles, là-bas, bientôt abandonnées à la fraîcheur qui tombe ? Qui ira les délivrer de leur solitude apeurée ? Pourquoi ne retrouvent-elles pas leur chemin ? Ont-elles besoin du troupeau pour rentrer au bercail ? La mandorle blonde de ta belle s'offre pour se livrer à ton désir. Se pourrait-il qu'une jour elle puisse s'épanouir sous d'autres caresses que les tiennes ? Les cris du berger soudain déchirent l'air. "Yo, yo, yop-yop, waouu". Les chèvres dispersées dans le vallon qui descend droit vers la mer, commencent leur remontée. Le maquis s'anime de part en part. Cris et sonnailles se rapprochent de toi. Tu es encerclée par leur écho. Il est là, au-dessus de toi, sur la route. Il tente de rassembler ses bêtes par les ululements qu'il jette à travers la montagne. Les deux chèvres isolées se morfondent, perchées sur leur promontoire désespéré. Le voilà qui déboule non loin de toi. Tu te tapis dans le creux du rocher. Tu te roules en boule pour éviter qu'il ne te surprenne dans ton repaire. Il ne faut pas qu'il te voie. Le chien de chasse surgit. Il va te trahir. Tu te replies encore un peu davantage. Tu essaies de ne pas faire de bruit. Les pages de ton cahier crissent, celles de ton livre aussi. Ton sac à dos glisse en éraflant la terre. Tu vas être débusquée. Non. Il te contourne et te tourne le dos. Il est impossible qu'il n'ai pas pressenti ta présence. "You, you, youp-youp, yahé, youp". Il se retourne, cherche des yeux ses chèvres disparues. Et c'est toi qu'il découvre, rencognée dans ta cachette. "Oh ! On est bien au soleil". La magie est rompue mais tu lui réponds que oui, que le point de vue, ici, est idéal. Il cherche ses bêtes égarées. Elles sont là, un petit et la Brune boite. Il descend à leur rencontre. Il marche à grandes enjambées, le pull jeté sur son épaule. Tu sens les muscles durs sous le tricot de coton. Il est grand et bien bâti. Costaud, mais sans graisse inutile. Elle le perd de vue. Il reparaît un peu plus bas sur l'esplanade. Elle roule dans la paume de sa main une bille d'agate bleue. Le chien de chasse noir bondit à ses côtés, tourne en toupie autour des chèvres. Elle le voit qui leur parle, planté droit au-dessus du ravin, les cheveux au vent. Il rebrousse chemin, sans s'occuper davantage des fugueuses. Elle ne comprend pas pourquoi. Pendant ce temps, le troupeau remonte au creux du vallon. Le maquis sonnaille. Les frondaisons serrées s'agitent. Elle le cherche des yeux mais il a disparu. Il a dû changer son itinéraire, il a coupé à la diagonale en travers du ravin. Des trouées de lumière agitent les frondaisons. Un coup de feu déchire le silence habité du mugissement des flots. "Yop, yop, you-you waouh !" Il égrène ses syllabes au-dessus de la mer. Il module son cri chantant. Elles surgissent devant toi l'une après l'autre puis ensemble, groupées en un seul corps mouvant de laine chaude. Elles s'arrêtent médusées de découvrir ta présence incongrue. Puis reprennent, arrimées l'une à l'autre, leur remontée vers le bercail. "You you, yo, yo yopyop, waouh".

(Concernant la photo :
Mammoth and Giant Octopus)

samedi 18 septembre 2010

Zéro commentaire ! Pas de réponse ! Ah !


Oui, un bref cri du coeur, avant l'attaque d'apoplexie (ancien nom de l'avc) !

Quoi ? Comment ? Pas de réponse à la question posée ? C'est donc la fin, tout cela n'était qu'un feu de paille, vains efforts, masques et grimaces, champ de ruines, tout oublié, haines et passions, couic et coups de balai, déluge universel, universel déluge...

Alors voici la réponse :

l'auteur des lignes citées dans le billet "Un lecteur (Cirneo, Costa, Tommaseo...)" (daté du mecredi 4 août 2010) est...

Eugène Gherardi !

Qui l'avait reconnu ? Qui s'était précipité sur son exemplaire du septième numéro de la revue "Fora !" (qui n'est pas morte, non, non, et qui prépare une métamorphose) ? Et qui n'a pas osé répondre ici ?

Criminelle et soudaine timidité ! Car c'est pousser la littérature corse dans la tombe quand on se refuse ainsi à répondre à mes appels ! Et que celui qui trouve une once de prétention ridicule dans la phrase précédente soit à tout jamais maudit ! (Mon dieu, je n'ai vraiment pas le talent des "ghjasteme" et des injures, voir par exemple dans l'ouvrage de Paul Milleliri, auteur décidément heureusement prolifique et aux talents multiples, ou bien les échanges qui ont pu surgir sur la Gazetta di Mirvella...).

Et puis, afin de ne pas mourir trop vite, ainsi que la chanteuse d'opéra bissant son plus bel air avant de pousser son dernier souffle, je pose cette question :

Ne serait-il pas passionnant qu'Eugène Gherardi nous offre une traduction française renouvelée des oeuvres qu'il lit si passionnément ? A savoir :
- Canti popolari toscani, corsi, illirici, greci de Niccolò Tommaseo
- De rebus corsicis de Pietro Cirneo

(A propos de la photo :

Straat vegen tijdens noodweer / Sweeping the street in heavy weather)

Lu ce matin : "L'omu chì marchja", de Pierre-Joseph Ferrali


Soyons très clairs, un blog est un lieu de liberté, personne n'est tenu de se conformer à une façon "normale" de présenter ses lectures (du genre : phrase d'accroche, présentation du sujet du livre, résumé de l'intrigue, intérêt des personnages, enjeux littéraires, moraux ou philosophiques de l'ouvrage, phrase de conclusion élogieuse). Et je trouve très appréciable de pouvoir goûter à une extrême diversité des façons de lire grâce à Internet (dernier exemple en date, voyez ici comment un lecteur se prépare à une prochaine lecture !).

A contrario, je trouve les médias classiques parfois assez pauvres dans leur façon de présenter les livres : ils ont très peu de temps pour lire beaucoup de livres, ont très peu d'espace à leur consacrer, sont partagés entre leur mission d'information (impersonnelle) et leur désir de parler d'une oeuvre lue de façon singulière, et généralement ils sont obligés de sacrifier la seconde à la première. Ce qui fait que l'on retrouve souvent les mêmes idées générales sur l'ouvrage, parfois énoncées d'une façon similaire, donnant l'impression d'une universelle répétition. Evidemment, cette légère critique de ma part n'est pas un signe de mépris, mais un signe de désir.

Deux exemples à propos de "Où j'ai laissé mon âme" de Jérôme Ferrari :

- un article, très bref, dans Politis fait une réserve critique quant au style : "Seul regret : une tendance à l'emphase"... ah ! comme il serait passionnant de lire les passages tendant à "l'emphase", et de pouvoir discuter avec le lecteur critique, croisant nos définitions du mot "emphase", cherchant à comprendre ensemble pourquoi cette emphase est peut-être une nécessité (du fait du souci de porter une vérité impossible à accepter ? ou bien de par la volonté de proposer une "musique" - voir le point de vue d'Emmanuelle Caminade - qui laisse une place à la rédemption ?), et comment cette emphase est peut-être un aspect structurant du style de l'auteur, depuis Aleph zéro au moins...

- un article dans Le Monde expose classiquement les éléments importants du livre, conclut sur "un des romans les plus saisissants de la rentrée." Il est aussi question d'une écriture "ardente, épurée, lyrique." Ce qui me semble juste. L'article évoque Andreani dont la voix est "chargée de rage, de rancoeur et de dépit contre celui qui l'a trahi" (c'est-à-dire le capitaine Degorce). Mais c'est laisser de côté tout l'amour, toute l'admiration, toute la fidélité indéfectible d'Andreani pour son capitaine. Et donc une certaine complexité du personnage qui paraît de prime abord le plus horrible. Enfin, pour en discuter avec l'auteur de l'article, il faut s'abonnner au Monde.fr (6 euros par mois) !

Mais venons-en à ce qui m'amène précisément à hanter de nouveau ce blog, après une semaine sans nouveau billet (mais pas sans nouveaux commentaires : au passage, je signale que je trouve absolument passionnante la discussion qui s'est poursuivie toute cette semaine à propos de l'expression "Île de Beauté", une petite dizaine de participants, 19 commentaires, de l'humour, des informations, des échanges de points de vue, merci à tous, je me suis personnellement régalé et j'attends avec intérêt la fin de la thèse de Mademoiselle Micheletti sur le sujet !).

Ce matin, donc, j'ai lu la première nouvelle d'un recueil publié chez Colonna éditions, en juillet 2010. 5 nouvelles (entre 15 et 60 pages). Les titres ? :
- L'omu chì marchja - Misericordia - L'annunziu - A porta in canteghja - U prim'omu
Le titre du recueil ? "Davanti à u focu chì more" (le livre n'est pas encore disponible sur le site Internet, cela va venir !)...
L'auteur ? Pierre-Joseph Ferrali. Je ne connaissais que très peu cet auteur, et uniquement pour avoir publié une traduction en corse des poèmes et chansons de Georges Brassens (toujours chez le même éditeur). Ouvrage que je n'ai pas lu et peut-être même pas feuilleté en librairie (cela viendra un de ces jours !).

Je dois d'abord dire ma déception à la lecture du dernier paragrapahe de cette nouvelle, "L'omu chì marchja". Pourquoi cette déception ? A cause du côté "explicatif" de cette chute, alors que toute la nouvelle propose une lente descente dans l'irrationnel, le mystère, l'humiliation. Mais passons outre la fin, ce qui me frappe c'est un entremêlement réussi, je trouve, entre une écriture et une histoire modernes (un couple - le narrateur et Maria Stella -, un emploi à la bibliothèque municipale, des lectures de Borges, Homère et Whitman, un film de David Lynch, le restaurant, la voiture, les embouteillages) et des échappées vers les abîmes (via les pratiques religieuses d'une confrérie et surtout via l'interrogation du personnage principal, narrateur de son histoire, à propos de la présence mystérieuse d'un "homme qui marche" sur les routes de Corse, homme qui sera désigné sous le prénom énigmatique de "Ray"). Ce mélange est aussi celui du vocabulaire, cru et direct pour les choses du corps (sexe et nourriture) mais aussi précis et sensible pour les descriptions de la nature ou les réflexions morales.

Car l'histoire est simple et terrible : un homme "ordinaire" se prend de passion pour un homme "extraordinaire", un homme qui marche, une sorte de vagabond se déplaçant sans cesse, portant deux gros sacs dont on se demande ce qu'ils contiennent. Depuis qu'il l'a vu sur le bord d'une des routes principales de l'île, l'employé de bibliothèque ne cesse de penser à lui, au point de vouloir le retrouver, après s'être longuement interrogé sur la signification possible de ces déplacements.
L'usage d'une langue corse actuelle pour raconter une histoire aussi réaliste et symbolique fait penser aux écrits de Paulu Desanti, de Ghjuvan Luigi Moracchini, de Ghjuvan Maria Comiti. Ainsi, je ressens dans cette nouvelle la volonté de présenter quelque chose comme une allégorie, mais je trouve justement que l'histoire ainsi racontée évite de plaquer un sens trop simple. Plusieurs fois, le personnage narrateur va se métamorphoser, se retrouver dans des lieux, des postures et des apparences qu'il n'avait jamais expérimentés auparavant. Ce sont ces métamorphoses qui me restent en mémoire, je leur trouve une très grande force visuelle et symbolique. Je ne veux pas dévoiler ici toutes ces métamorphoses puisque la nouvelle fonctionne aussi sur l'effet de surprise, mais il y en a tout de même une que je voudrais évoquer : au retour d'une nuit éprouvante physiquement, le héros (ou anti-héros plutôt) se retrouve chez lui, accueilli et soigné par sa compagne, la lune est dans le ciel, il dort seul sur le canapé lorsque (signalons simplement que "rumenzula" signifie "poubelle")... :

Passò a notte nantu à u canapè di su salone. Un grande chjarore ingutuppava a regione è a pezza era bagnata di stu biancore luccichiu chì s'impatrunia d'ogni scornu. Cambiò di piazza ma fubbi sempre scumudatu da e spere di luna. Ci vulia ch'o dormi, avia bisognu d'appena di riposu ma ùn ci era nunda à fà. Eranu spalancati i mo ochji è ùn ghjunghjia micca à tirà u minimu prufittu di sta sveghjula. Avia apertu un libru di puesia di Walt Whitman chì si truvava nantu à u tavulinu bassi di vetru, senza pudè ne leghje un solu versu. Accendì a televisiò è passò durante dece minuti da un canale à l'altru cù a telecumanda, visitendu tutti i prugrammi, prima di spinghje la. Mi sò arrittu è aghju marchjatu d'una finestra à l'altra, fighjendu fora in direzzione d'ogni puntu cardinale. Aspettava forse ch'ellu si passi qualcosa. Torna, mi sò stracquatu. Mi sò masturbatu senza cunvinzione. Allora, aghju pensatu à Rita è à Betty, i persunaghji di Naomi Watts è Laura Harring. Mi battia a sega mentre ch'elle si leccavanu è ch'o m'ingullia in bocca, e so muzze carnose di villutu. Ma ùn pobbi zirlà. Eranu duie ore è vinti. Devia luttà contru à una vuluntà viulente di sorte è di parte in vittura à circà à Ray. Realizò tandu ch'o avaia u stomacu viotu è ch'ella m'impedia a fame di pudè dorme, ancu s'o era sensibule hè vera à e notte di luna piena. Ùn ebbi bisognu d'azziunà l'interruttore di i spot. Feci per apre u cuperchjulu di a rumenzula appughjendu nantu à a pedala quandu ch'o m'arricurdò ch'o avia oghje ghjittatu eiu u saccu. Maria Stella ùn avia manghjatu nunda è nunda ùn firmava indocu. Aprì u refrigeratore in a sperenza di truvà prudutti chì avianu passatu a data di perenzione. Ci eranu à spessu alimenti chì s'infracicavanu in fondu, piattati da quelli ch'è no veniamu di cumprà à u sopramercatu. Pudianu stà cusì durante un bellu tempu nanzu di raghjunghje direttamente u saccu di rumenzula. Aghju avutu a paura d'entre in camera è di discità à Maria Stella. Pigliò nantu à u tenditoghju di a dispensa un jean è un tee-shirt chì asciuvavanu. I passò sempre umidi. Pigliò u mo mantellu è aprì senza fà rimore u finestrone di a terrazza, a pisiva porta d'entrata duvendu esse sbattulata per chjode si. Falò a ripa sottu à a pruprietà è passò davanti à qualchì casa, prudente per ùn attirà l'attenzione di u sguardu indiscretu d'un nottambulu. Tuttu era cupertu di guazza. Ghjuntu davanti à u lucale, pisò u capu per assicurà mi chì nimu ùn mi vedia. Accendì a mo lampera fruntale è penetrò à l'interiore. Devu dì ch'ellu si ne hè mancatu pocu per ch'ella giressi à a cumedia a mo girandulata notturna. Biglie incandescente si ficconu nantu à mè. Decine di misgi è di cani si spartianu i resti di i sacchi stracciati cum'è lighe di mercenari à scumparte si u fruttu di u saccheghju d'una cità assaltata. A mo prisenza ùn i disturbò micca è malgradu i mo sforzi per fà li scappà, ùn chitonu micca i container à i cuperchjuli firmati aperti. Avvicinendu mi d'un saccu digià tazzighjatu, una spezia di certosu grisgiu mi dete una zampata brusca è mi sgranfiò a faccia. Truvò di chè manghjà. Frutta, un pezzu di pane, una carcassa di pullastru - torna pullastru ! - un pezzu di biscottu cù a so marca di i denti. U mo ripastu era servutu. U cane duminante, una femina labrador, mi cuntestò l'ossacce è per ùn avè à cede li a mo parte, li sciaccò un cazzottu viulente in a massella chì li fece abbandunà e so pretensione. Era diventatu oramai u capimachja di sta sterpa ghjacarina singulare.

Voilà, ce brave compagnon insomniaque devient rapidement le chef d'une meute de chiens, mangeant dans les ordures, à moitié habillé de vêtements humides, baignant dans la blancheur de la lune, environné d'yeux luisants et de pelages gris, plongé dans les restes d'un monde mis en pièces. Je pense à tous ces personnages errants, dans la littérature corse (notamment à ce si puissant "Vir Nemoris" - où la lune a son importance, là aussi -, à Maria Laura...)

Qui a lu cette nouvelle ? Voulez-vous en parler ? Vous avez certainement une autre lecture que la mienne.

(A propos de la photo :

Bare foot boy wearing a hat, seated on a log)


Allez, en prime, quelques lignes d'un roman rapidement admiré, que vous reconnaîtrez vitre, je pense :

J'en avais trop vu moi des choses pas claires pour être content. J'en savais de trop et j'en savais pas assez. Faut sortir, que je me dis, sortir encore. Peut-être que tu le rencontreras Robinson. C'était une idée idiote évidemment mais que je me donnais pour avoir un prétexte à sortir à nouveau, d'autant plus que j'avais beau me retourner et me retourner encore sur le petit plumard je ne pouvais accrocher le plus petit bout de sommeil. Même à se masturber dans ces cas-là on éprouve ni réconfort, ni distraction. Alors c'est le vrai désespoir.

samedi 11 septembre 2010

"La Bandite" : un des passages dont je me souviens


Le voici, ce passage :

Dans notre camp, on avait eu des doutes jusqu'à ce jour, sur les allées et venues du petit homme. Cette fois, il s'agissait de preuves certaines, rapportées par un ancien secrétaire de Narbonne qui au péril de sa vie avait rallié la cause. L'ordre fut donné de nous enfuir dans les montagnes, mais une tâche effrayante restait à accomplir : avertir Barbe de la trahison de son mari. Quand la nouvelle lui parvint, l'épouse empaquetait amoureusement quelques effets et un peu de nourriture pour son époux bien-aimé. Je me trouvais auprès d'elle avec mes compagnes, nous apprêtant également à la retraite. J'assistai alors à une des choses les plus horribles qu'il me fut donné de contempler. Barbe se fit répéter la dénonciation et les preuves plusieurs fois à l'oreille. Pareille horreur étant inqualifiable, elle ne parvint pas à la formuler. Elle se tourna vers son minuscule conjoint, et lui demanda simplement, sans lui dire de quoi il s'agissait : - Tu sais ce que l'on vient de me dire ; l'as-tu fait ? Ce fut, peut-être, la seule fois de sa vie où Anone fit preuve d'un courage extraordinaire : "Oui, je sais ce que l'on t'a dit et je l'ai fait !" répondit-il, tout aussi simplement. Démasqué, il connaissait d'avance le sort qui lui était réservé, et sous l'oeil terrible de Barbe, ne se sentait plus la force de lutter à l'aide des mensonges habituels. Résigné, il avança vers sa femme, les bras en croix, s'offrant à un juste châtiment. En cet instant capital, je remarquai l'humanité de son regard, son sens de la tragédie et la dérision de son demi-sourire qui tranchaient avec son physique ingrat et son attitude humble et soumise de naguère. Déjà, il était "d'ailleurs", libéré ! D'un coup, le masque tomba en poussière, et on pouvait déchiffrer sur sa face beaucoup de choses terribles et émouvantes à la fois : il montrait de son âme ce que l'on n'avait pas voulu voir. Il disait ce que l'on avait voulu taire. Il révélait tout ce qui était enfoui en lui, ce dont tout le monde s'accommodait sans chercher à le comprendre : les humiliations, la soumission, la révolte, la trahison, mais aussi le souvenir de la vie commune et de l'amour conjugal. Des choses pénibles et belles, toutes mélangées. Le reste se passa tellement vite que nous ne pûmes rien tenter pour l'empêcher. Barbe tendit ses deux énormes mains et s'empara du cou fluet. Elle le serra en une étreinte rapide jusqu'à ce que les yeux narquois du mourant sortent de leur orbite. Le faciès du petit homme s'enfla et s'élargit sous l'enlacement mortel, de sorte que les traits les plus expressifs s'effacèrent un à un de la surface de son visage gonflé, à l'exception de la bouche qui conserva jusqu'à la dernière minute son énigmatique sourire. Je n'avais jamais vu de menton et de bouche qui puissent dégager un mépris aussi pacifique, une assurance aussi tranquille, une autorité naturelle aussi absolue. Je mis un temps à comprendre qu'il s'immolait pour l'honneur de son épouse en un ultime geste d'amour et de revanche virile. Sur le visage du bourreau que taraudaient les notions gigantesques et antagonistes de culpabilité et d'innocence, d'énormes larmes jaillissaient, creusant des ravines dans le visage crasseux. Et, dans le même instant où Barbe accomplissait l'oeuvre de mort, de ses lèvres s'écoulaient des paroles confuses d'amour et de pardon.

Alors, j'exprime ici synthétiquement ce que j'ai ressenti à la lecture de ce roman, "La Bandite", (puisque ce blog est fait pour que nous parlions de nos lectures réelles) et de ce passage en particulier :

- j'allais à reculons vers ce "genre" de livres, avec un a priori contre le roman romanesque, au lyrisme facile, peu regardant sur sa forme, ne cherchant pas à inventer sa forme, idéalisant les bons sentiments, cherchant la victoire du bien contre le mal.

- j'ai lu "La Bandite" avec ces préventions et ce qui m'a frappé c'est que, tout en respectant et assumant le programme de tels romans, le roman de Marie-Josée Cesarini-Dasso contenait - pour moi (cela est discutable) - des passages qui pouvaient frapper à la fois par leur caractère invraisemblablement délirant et leur force poétique et psychologique extrême.

- ayant eu la chance, lors de la manifestation "Racines de ciel", de pouvoir questionner l'auteur en public sur ce "romanesque échevelé" et la volonté de toujours voir le triompher le bien sur le mal, sa réponse fut instructive : il s'agissait très volontairement de faire du roman un acte thérapeutique. Et non de faire croire que la réalité ressemblait au roman ou pourrait finir par lui ressembler.

- ainsi, de ce passage du meurtre du mari par son épouse (inversion "féministe" du drame d'Otello et de Vanina) : j'ai souri comme devant un dessin de Debout (petit mari, grosse épouse) et en même temps il s'agissait de trouver dans le personnage masculin la source d'une souffrance. Tout le roman d'ailleurs est bâti sur le volonté de comprendre les autres. Agnesa, la "bandite" du titre, cherche à comprendre le drame qui s'abat sur elle (une histoire de secret de famille) mais surtout, à chacune de ses rencontres, à comprendre quelle souffrance enfouie meut tel et tel personnage ; et une fois démasquée cette souffrance, l'auteur fait agir Agnesa avec une audace et une détermination extraordinaires dans le but de guérir celui ou celle qui deviendra ainsi son patient, son frère humain.

- le plaisir du feuilleton romanesque, dans lequel l'imagination et le désir de faire du bien ne se fixent pas de limites (meurtres mystérieux, vengeances, fuites, duels, séductions, complots, secrets, retrouvailles et coïncidences) ; à ce titre, la derniere scène de retrouvailles est à la fois attendue et extravagante, et en même temps très belle (Agnesa perchée dans l'arbre). Quelque chose de très visuel, de très cinématographique, un peu comme "Angélique, marquise des anges" (ceci dit sans ironie, j'ai encore en mémoire quelques plans de ce film ou de ses suites ; le fouet, la nudité, les esclaves, le bateau sous le ciel bleu, la cicatrice gigantesque, je crois).

- bref, un roman qui finalement a imprimé en moi un plaisir troublé, jamais sans mélange, mais réel, plaisir de voir les analyses psychologiques toucher des vérités humaines complexes, mélangées à des scènes et des gestes romanesques fous, quelque chose d'incroyable et de vrai en même temps, comme ces "énormes" larmes.

- et puis le plaisir de voir le XVIIIème siècle corse (entre la chute de Paoli et la Révolution française, comme dans "Hyacinthe di Brano" du même auteur) mis en scène sans complexe, pétri d'une façon singulière comme une matière littéraire de premier choix.

- voilà, j'espère que personne, et surtout pas l'auteur, ne prendra en mauvaise part ces quelques propos d'un lecteur particulier - et dont l'opinion est éminemment discutable !

(Pour la photo trouvée sur Flickr :

Rosh Hashanah / New Year greeting card)

vendredi 10 septembre 2010

Serà pussibule !

Cumu si dice in corsu, "Île de Beauté" ?
O in talianu, in inglese ?
Serà solamentu francese issa spressione ?
O quanti libri chì ci parlanu di "Île de Beauté" !
Ma perchè isse quistione nant'à issu bloggu literariu ?
Chì ne pinsate ?

La raison de toutes ces questions, c'est l'envoi d'un commentaire par Monsieur Micheletti (merci à lui !), voyons si une telle demande peut être l'occasion de voir ce que la littérature (touristique, historique, romanesque, poétique) fait de notre imaginaire. Corse : "île de beauté", "terre ingrate de mon enfance", etc...

Ùn esitate micca, dite a vostra :

Bonjour,
chers tous, peut-être pourriez vous m'aider pour éclaircir ma thèse sur la Corse; sauriez-vous de quand date l'expression "île de beauté". Bien évidemment elle prend racine dans l'expression grecque "kalliste" mais comme jusqu'à Rousseau (à peu près) une montagne était non pas "belle" mais "affreuse" car inquiétante et dangereuse, négation de la fragile "civilisation", je pense que l'expression "île de beauté" est plutôt récente (même époque que la "côte d'Emeraude" ou côte d'Opale) (début XXème siècle?) Il s'agit alors peut-être d'une création?
Cordialement,
Micheletti

mardi 7 septembre 2010

A LIRE ABSOLUMENT ! (Je ne l'ai pas encore fait...)


Et pour cause : on ne pourra commander le livre que dans quelques jours !

Mais rien que le nom de l'auteur (Jacques Fusina), le titre du livre ("Ecrire en corse" ; entendez "écrire en langue corse") et le sommaire (consultable sur le site internet des éditions Klincksieck) sont en mesure de nous précipiter sur l'ouvrage, comme l'aigle sur le pauvre lapin. Cette image est tout à fait incongrue, vous en conviendrez. Mais peut-être jouera-t-elle son rôle dans votre décision d'achat du livre !

C'est un des livres que l'on attendait depuis des années !! Une synthèse historique et analytique de la littérature d'expression corse, depuis les origines jusqu'à aujourd'hui, par un spécialiste incontesté !!

Courez dans votre librairie ! Commandez le livre sur le site des éditions Klincksieck ! Lisons le livre ! Exprimons notre gratitude ! (Et peut-être nos critiques, remarques, commentaires, non ?) Enfin bref, que ce livre joue à plein son rôle de dynamisation de la littérature corse !

Aiò tutti fratelli ch'hè ora !

(Si dicia cusì, ind'è i tempi, no ?)

Eccu u summariu :

1. Pourquoi ce livre ?
2. Quand cette littérature apparaît-elle ?
3. Un curieux document historique ?
4. Quelles frontières existe-t-il entre oral et écrit ?
5. Quelles initiatives pionnières peut-on identifier ?
6. Et quels furent les premiers auteurs à émerger ?
7. Peut-on parler d'un cas particulier pour Salvator Viale ?
8. Qui sont les écrivains qui gravitent autour du cercle de Viale et de quelques autres auteurs de l'époque ?
9. À partir des cas, fort différents, de quelques auteurs du début du XIXe siècle, soit de Prete Carlu à Preti Santu, que comprend-on du statut social des écrivains ?
10. Un premier grand animateur culturel, le professeur et écrivain Petru Lucciana Vattelapesca ?
11. Comment et quand apparaît donc le concept de littérature corse ?
12. Une véritable critique littéraire va-t-elle alors progressivement se constituer ?
13. Quel rôle joua au juste A Tramuntana, la fameuse revue de Santu Casanova ?
14. Quelle influence réelle eurent les almanachs populaires sur la littérature de leur temps ?
15. Quelle place particulière était alors reconnue aux écrivains traditionnels ?
16. Comment l'instituteur Ghjuvan Petru Lucciardi, écrivain reconnu, se montre-t-il aussi un pédagogue militant de sa langue ?
17. Quelle place revêtit sur le moment, et même bien après sa parution, l'unique numéro de la revue A Cispra ?
18. L’écrivain animateur Maistrale : comment faire preuve de savoir-faire et de talent dans une période difficile ?
19. Quelle fut à son époque l’influence de Petru Rocca et da sa revue autonomiste A Muvra ?
20. Et quels furent les nombreux auteurs de sa mouvance ?
21. Et comparativement quelle fut l’influence propre de la revue « cyrnéiste » rivale L’Annu Corsu ?
22. Quels furent les auteurs proches de la revue « cyrnéiste » ?
23. Régionalisme, autonomisme, irrédentisme… et littérature corse ?
24. Qui sont les trois poètes corses et irrédentistes d’Italie ?
25. Quelle place reste-t-il après la guerre pour des écrivains mainteneurs traditionnels ?
26. Et qu’advient-il des pratiques traditionnelles de l’improvisation orale et du « chjama è rispondi » ?
27. Concilier littérature corse et politique à la Libération ? Le cas de Simon-Jean Vinciguerra responsable communiste et homme de lettres d’expression corse
28. Le roman semble longtemps absent de cette littérature : quand et comment naît donc le roman d’expression corse ?
29. Y a-t-il eu d’auteurs prosateurs pionniers au XXe siècle ?
30. Quels furent le pari et le difficile combat de la revue U Muntese, de l’après-guerre aux années 1970 ?
31. Des « résistances » littéraires se poursuivirentelles, même tardivement ?
32. Quels travaux d’érudition accompagnèrent l’activité culturelle renaissante ?
33. Quelle volonté militante de renouveau culturel et littéraire se manifeste-t-elle à partir des années 1970 ?
34. Quels en furent las acteurs principaux et leurs œuvres ?
35. Quelles évolutions peut-on observer dans la littérature contemporaine ?
36. Ces évolutions se manifestent-elles de préférence en prose ?
37. Ou en poésie comme toujours ?
38. Un éclairage critique intelligent au carrefour des langues ?
39. Quel rôle jouent aujourd’hui dans la création en corse la revue universitaire Bonanova et ses principaux animateurs ?
40. Quels problèmes généraux se posent pourtant à l’écriture d’expression corse d’aujourd’hui ?
41. Quels noms prometteurs émergent parmi les jeunes auteurs ?
42. Quelle place tient encore aujourd’hui un théâtre d’expression corse ?
43. Aurait-on par ailleurs retrouvé le goût de la traduction ?
44. Existe-t-il des ouvrages d’histoire locale, des manuels scolaires en langue corse, et la pédagogie du corse y trouve-t-elle son compte ?
45. La littérature pour la jeunesse s’intéresse-t-elle au corse ? Et la BD ?
46. Et quel rôle joue aujourd’hui dans l’expression littéraire la chanson corse, largement reconnue hors de l’île ?
47. Peut-on remettre au goût du jour la pratique traditionnelle du chjama è rispondi ?
48. Et quelle partition joue l’édition d’aujourd’hui dans ces multiples activités littéraires ?
49. Quelle place tiennent les médias en général dans la créativité en langue corse ?
50. Pourquoi écrire en corse aujourd’hui ?

Bibliographie des oeuvres citées
Bibliographie critique générale
Index

(Pour la photo, trouvée sur Flickr:The commons :

Wood chopping competition at New Zealand Base Depot Sports, Etaples, 3 August 1918)

lundi 6 septembre 2010

Emmanuelle Caminade lit encore Joël Bastard


C'est un grand plaisir que d'accueillir ici un nouveau billet d'Emmanuelle Caminade : l'actualité corse de cette blogueuse émérite, bien connue ici et de nombreux auteurs corses, est importante.

Signalons :

- un nouveau billet sur son blog "L'or des livres" à propos d'un livre de Jean-Pierre Santini, "L'exil en soi" (éditions Clémentine) ; livre qu'Emmanuelle estime être le plus beau de cet auteur : à lire, donc, et à discuter, peut-être ! (Personnellement, je n'ai pas encore lu ce livre.)


- un billet concernant "Le sentiment du lièvre", de Joël Bastard (oui, l'auteur de "Casaluna") et je présente donc à la suite de ce billet.

- et puis aussi, lors de la manifestation "Racines de ciel" à Ajaccio, une discussion (privée) eut lieu entre Jérôme Ferrari et moi-même à propos des billets d'Emmanuelle Caminade ; J. Ferrari me fit part (voyez que je ne vous cache rien !) de son admiration pour les intuitions d'E. Caminade quant à ses romans (et notamment concernant "Où j'ai laissé mon âme", voir ici). Evidemment, vous avez compris qu'il ne s'agit pas pour moi de révéler des propos qui auraient été destinés à rester secrets... mais bien de signaler des éléments importants (non ?) de la vie littéraire corse comme elle va ! (Ah, combien de discussions privées qu'il serait si utile de rendre ainsi publiques !) Bref, assez causé, voici les propos d'Emmanuelle (merci à elle, encore) concernant "Le sentiment du lièvre" de Joël Bastard (n'hésitez pas à réagir) :

Joël Bastard : encore !

Après avoir vanté les mérites de Casaluna ( Gallimard 2007), je reviens vous parler de Joël Bastard car la lecture du "Sentiment du lièvre" n'a fait que renforcer mon enthousiasme à son propos.
 Le sentiment du lièvre est une sorte de carnet de promenade en forêt jurassienne, une succession de poèmes en prose regroupés sous dix titres magnifiques et nourris du regard d'un poète «à l'affût» qui «a marché et écrit», éclairant les passages entre le «dedenz» et le «dehors» et «retournant les mots au-delà du visible».
L'écriture de Joël Bastard me séduit par son acuité et son humilité et par sa grande puissance évocatrice. Le poète sait traduire l'harmonie cachée du monde en le regardant sous toutes ses faces et se fondre dans le spectacle de la nature en nous tendant le miroir. Sa langue précise, imagée, concise et dense, atteint souvent la clarté expressive de l'épure et a le don de me transporter en un instant.
J'aimerais citer presque tous les poèmes de ce recueil – dont plusieurs évoquent l'enfance de l'auteur en Corse – mais me limiterai à trois et ne peux que vous conseiller d'acheter le livre !

Le sentiment du lièvre, Joël Bastard, Gallimard 2005, 132 pages de bonheur...

Sans forcer la barrière

p.16

Comme un menuisier chasse le bois avec sa gouge,
Le chevreuil, la neige en plantant son sabot!
Ecrire pour avancer pays.

Au fond des empreintes la neige est bleue, qui
nous redit en marchant l'immobile, le ciel.
Retour au pré, cette aile forestière

p.41

Certains prés, vus d'ici, sont comme verticaux.
Pendus à la corde à linge. Je vois le tablier de la
fermière, plus grand que les draps verts!


Les hellébores commencent à taper du pied

p.128

Les sujets d'écriture ne manquent pas. Dans l'errance. Le froid. Et pourtant je ne vois que le bord de la route fouillée de groins et de foulées. De voies et de connaissances. Avec sur cette page terreuse une sauterelle engourdie, posée sur son flanc. Une coquille d'escargot près d'une faine de l'an passé. Rendre ce que j'écris à ce que je vois. Pour installer la sauterelle dans sa disparition sous la saignée à blanc d'un avion qui traverse la voûte avec moi. C'est vous qui lisez et c'est moi qui passe au-dessus de la sauterelle couchée dans le froid.

(A propos de la photo, trouvée sur Flickr :

Peggy Bacon in mid-air backflip, Bondi Beach, Sydney, 6/2/1937 / by Ted Hood)