lundi 22 août 2011

Et de trois : "Racines de ciel", Ajaccio, 3 et 4 septembre 2011

Il s'agit des "rencontres littéraires" qui ont donc déjà eu lieu deux fois (en 2009 et 2010), organisées par l'association Via Grenelle (Mychèle Leca et Ysabelle Lacamp) avec le concours d'une équipe (Ursula Renard, Dominique Memmi, Jean Rouaud, Philippe Perrier, Willy Persello jusqu'à l'année dernière et moi-même).

Faisant partie de l'équipe, je devrais me contenter d'un billet promotionnel, du genre :

"Venez nombreux, c'est passionnant pour d'innombrables raisons :

- occasion d'interroger la création littéraire (d'abord romanesque), en utilisant notamment un regard nourri de psychanalyse

- occasion de rencontrer de façon simple et directe des auteurs confirmés (via les débats collectifs, mais aussi via le "rendez-vous", café littéraire centré sur un auteur)

- occasion de découvrir dans chacun des lieux singuliers de ce lieu magnifique qu'est le Lazaret Ollandini diverses expressions artistiques (librairie, danse, chant, lecture, artisanat, etc.)

- occasion de rencontrer facilement tous les participants (auteurs, organisateurs, animateurs, artistes, artisans...) et de leur communiquer remarques, critiques et suggestions

- occasion de... (que ceux qui connaissent déjà ces rencontres lèvent le doigt et prennent ici la parole)

Mais non, je ne vais pas me contenter de ce billet promotionnel (en espérant tout de même qu'il vous engagera à venir nombreux prendre du plaisir, sous toutes ses formes), je vais dire la vérité :

La première fois que j'ai vu apparaître ces rencontres littéraires, je me suis dit : voilà un événement qui ne me semble ni original ni bienvenu (aïe aïe, je ne devrais pas dire ça...). J'ai même pensé : encore une occasion pour des auteurs "parisiens" de venir rencontrer le soleil ajaccien. Et aussi : un événement élitiste et ennuyeux. C'est la stricte vérité, c'est ce que je pensais. En me fondant uniquement sur la lecture du programme (car je n'ai pas assisté à ces premières rencontres). (Rétrospectivement, je me dis, mais comment ai-je pu être aussi malveillant - en pensée muette - face à l'émergence d'une manifestation littéraire un peu ambitieuse ? Alors que je fais profession ici d'être ouvert à tout et enthousiasmé par la moindre initiative ? Vaste mystère de l'âme humaine...)

Evidemment, je suis revenu de ces premières pensées. (Vous direz : c'est normal, il est dans l'équipe depuis l'année dernière ! Et vous aurez raison : c'est en goûtant à la chose concrètement que je me suis rendu compte que la confiture était délicieuse...). Pour connaître un peu mieux les organisateurs et les qualités requises pour mener à bien un tel projet, je suis même ébahi et ravi. Aujourd'hui, je pense ceci : "Racines de ciel" est une des manifestations littéraires les plus géniales de l'île, sinon la plus géniale.

Pouvoir écouter discuter Alain Mabanckou et Marcu Biancarelli, Jean-Louis Ezine et Philippe Franchini, Carole Zalberg et Philippe Forest. Pouvoir écouter Azouz Begag et Jean Rouaud, Ghjacumu Thiers et Ysabelle Lacamp ! Pouvoir aussi (je pense ici au public et pas à moi-même) rencontrer concrètement tous ces auteurs, leur dire ce que l'on pense de leurs livres, ce qu'on attend d'eux aussi ! Pouvoir mettre au coeur d'un week-end la "littérature" à l'honneur (sans que celle-ci soit forcément inféodée à des identités, des revendications, des catégories idéologiques, mais sans qu'elle soit aussi forcément détachée de toute interrogation sur les identités, les revendications, les catégories idéologiques) !

Voilà, je retombe dans le message promotionnel, vous me direz. Pourquoi pas. Tout est relatif.

L'idéal ?

Eh bien, c'est non seulement que vous veniez nombreux les 3 et 4 septembre au Lazaret Ollandini, à Ajaccio, que vous preniez la parole à la fin des débats ou pendant les cafés littéraires ou entre chacun de ces moments, mais aussi que vous veniez - sur ce blog ou sur d'autres sites internets où se discute la littérature dans l'île - pour faire part de vos remarques, positives et négatives, de vos suggestions, etc...

Bon, j'ai peut-être outrepassé mes prérogatives en évoquant l'évolution de ma pensée concernant ces "rencontres littéraires", tant pis, mais je m'exprime ici en tant que blogueur (et je sais que certaines des pensées négatives qui m'occupaient étaient partagées par d'autres ou le sont encore aujourd'hui), et je trouve toujours qu'il est bon de commencer une discussion en exprimant courtoisement ce que l'on pense vraiment ; un dialogue franc permet alors de lever les malentendus et d'accroître le désir.

Et notre désir de littérature est immense, en Corse comme ailleurs. Non ?

Par ici le programme détaillé (il s'agit de la page "Programme" du Lazaret Ollandini, mais le dépliant - qu'à ma grande honte je ne sais placer en pièce jointe sur ce billet - corrige une information me concernant : je ne suis pas journaliste...)

samedi 20 août 2011

Tous les chemins...

... mènent à Rome.

Et avec Rome, nous ne sommes pas très loin de la littérature corse ! (D'ailleurs nous n'en sommes jamais très loin, comme vous pouvez le vérifier régulièrement sur ce blog.)

Ainsi, vous connaissez le jeu du pendu qui amène à deviner un mot dont on a donné normalement que la première et la dernière lettre. Eh bien, c'est un moyen amusant pour commencer une discussion à propos d'un livre corse.

Et cette fois, cela se passe sur Musanostra (le forum). Grâces soient rendues à Penserosu de lancer ainsi le jeu. Il n'est pas impossible que très prochainement j'utilise moi aussi ce moyen ludique pour libérer la parole. Ou plutôt pour amener les paroles libres à s'exprimer publiquement. Car là est l'enjeu, non ?

Comment transformer les discussions privées (importantes, essentielles mais ne laissant pas de traces) en discussions publiques (assurant une trace au moins un peu plus durable) ?

Dans tous les cas, je trouve absolument passionnant d'apprendre à cette occasion que le roman épistolaire de Paul Milleliri, "Les Oubliées de l'Empire" (éditions Albiana, 2004) revient souvent dans les conversations, qu'il est apprécié, partagé.

Si vous voulez vous mêler à la conversation (même de façon anonyme), ce serait une occasion en or de voir comment un livre "vit" réellement dans nos esprits, ce qu'il y fait, ce qu'il suscite en nous d'idées, d'émotions, d'envies.

(Il faut que je pense à demander aux éditions Albiana quel est le chiffre de vente officiel de ce roman ; ce qui, bien sûr, n'indique pas très précisément combien de personnes l'ont lu, et encore moins ce qu'elles en ont pensé.)

Par ici la discussion !

mercredi 17 août 2011

Nous signalons : la fin des chroniques de Marcu Biancarelli dans "La Corse Votre Hebdo"

Avec regret, bien sûr !

Comme dit l'auteur de ces chroniques hebdomadaires :

"Eccu, era l'ultima cronica. Un bellu viaghju literariu di dui anni è mezu ghjunghji à u so termini. È ci piacia, à l'ultimu arrestu di 'ssi pirigrinazioni, cussì imprubabili chè piacienti, di lacavvi cù Adrian C. Louis, un frateddu di sangu."

Qui est Adrian C. Louis ? Cliquez ici pour lire toute la chronique qui lui consacre Marcu Biancarelli.
Ou ici pour sa page wikipédia (in english, la page en françai n'existe pas, visiblement).

Notons simplement que nombre des chroniques de MB furent consacrées à des auteurs américains, anglais, ou d'autres pays, parfois très peu connus, parfois corses aussi. Et qu'à chaque fois, en peu de mots, il a dessiné l'intérêt que tel ou tel avait pour lui, très précisément.

D'où un double intérêt à lire ces chroniques (soit sur son site "No country", soit, espérons-le, dans une prochaine publication papier - nous verrons bien quel choix sera fait parmi l'ensemble des textes proposés à l'hebdomadaire, car le site ne comporte que 41 chroniques). Double intérêt disais-je :
1. Le plaisir de la découverte d'un auteur et d'un regard particulier sur celui-ci.
2. Le plaisir de découvrir peu à peu un autoportrait de l'écrivain Marcu Biancarelli, à travers l'assemblage à la fois erratique et logique de ses lectures.

Ajoutons un troisième intérêt :
3. Le plaisir de voir ouvertes, à chaque fois, plusieurs voies, discutables, à l'expression littéraire corse (dans quelque langue que ce soit).

Ce que j'en retiens, ce soir ? Le désir d'une littérature corse vivante, ouverte à toutes les influences, profondément humaine, complexe, contradictoire, prenant en charge, en même temps, la réalité dans toutes ses dimensions (individuelle, collective, passée, présente, future, insupportable et enthousiasmante) ainsi que l'ambition littéraire la plus vaste.

Bon, à vos plumes, écrivains et lecteurs !

jeudi 11 août 2011

Passionnante et absolument discutable : serà pussibule !!

Oui, l'interview de Stefanu Pergola, jeune auteur de langue corse, par Norbert Paganelli, sur son site Invistita est à la fois (selon moi) passionnante et discutable.

Norbert Paganelli pose 6 questions à Stefanu Pergola. Je reporte ici les 3 questions/réponse qui suscitent en moi des réactions, et je vous laisse découvrir les 3 autres (qui pourraient susciter vos réactions... ainsi d'une définition de la poésie qui peut paraître très restrictive, mais pourquoi pas, si la créativité est à ce prix ? Parfois les contraintes (thématiques ou formelles) sont extrêmement productives.

Je précise aussi que je n'ai pas encore lu les livres de Stefanu Pergola, publié aux éditions Cismonte è Pumonti, un recueil de poèmes puis un recueil de nouvelles qui doit être publié en novembre prochain :
- Or Provu (2006)
- Strani amori (2011)

Donc voici d'abord les 3 questions/réponses (reprises ici avec l'accord de Norbert Paganelli) :

Lighjènduti, mi socu dumandu parchì quasgi tutti i to puisii èrani scritti in versi quand’è, à tempu d’oghji, mondi pueta prifiriscini u versu libaru… Sarà una vulintà di a to parti di « fà classicu » o sarà chè par tè a rima hè nicissaria à a puisia ?

Per mè, in corsu ùn si pò parlà di puesia senza parlà d’oralità. I vechji pueta cumpunianu senza scrive le puesie è puesie. Ciò chì aiutava à ritene a puesie era a rima di sicuru. Eo oramai provu à fà cusì. Oghje a moda seria u versu scioltu, si vedenu libri stampati à colpi d’haikù : u puema cortu cortu giappunese. Per mè, a puesia corsa ùn hè cusì. L’haikù hè un scrittu astrattu duve ellu ci vole à riflette, invece mi piace di più à cuntà qualcosa in versu, qualcosa chì possi tuccà à ognunu. Mi si pare chì per chì a lingua corsa sia ricunnisciuta ci vole à avvià si ver di altre forme : certe cunvenenu ma altre innò.


Mi faria piacè di sapè quali sὸ i pueta chi ti piàcini, quiddi chè tu leghji è rileghji cù passioni.

I mo pueta prefiriti per quelli andati sò Paoli di Tagliu è Marcu Casanova, per quelli d’oghje leghju Ghjuvan Petru Ristori è Ghjuvan Teramu Rocchi. Leghju dinù in prosa Ignaziu Colombani, Ghjaseppu Maria Bonavita (u mo preferitu in prosa), Natale Rochiccioli è Matteu Ceccaldi.


Parchì ùn avè micca missu dopu ogni puisia una traduzzioni in lingua francesa ? Mi pari peccatu chè ci hè tanti ghjenti chi pùgnani d’amparà u corsu è sὸ scuraghjati quand’ùn ci hè micca una traduzzioni par aiuttalli…

Per mè, mette u francese in traduzzione o adattazione d’un puema corsu hè facilità d’amparera o bisogni cummerciali d’una casa d’edizione chì cunsidereghja un libru cum’è un pruduttu da vende à u massimu. Quandu si pensa à certe suvvenzione date à certi libri duve nant’à ogni pagina sò scritti trè versi è micca di più… Ci hè da ch’è ride… Per capisce u corsu ci vole à leghje è circà à capisce aprendu un dizziunariu o fendu si spiegà a puesia da qualchissia ch’ammaestreghja u corsu puntu è basta. L’amparera vene cù a mutivazione è micca cù a facilità. Perchè allora ùn mette dinù l’inglese, u spagnolu o u chinese chì sò e trè lingue più aduprate nant’à a sta pianetta, u francese hè pocu à cant’à queste custì ! Certe opere sò publicate è editate s’è no parlemu di libri o ancu puru di dischetti ma di u corsu ùn ne anu chè u nome certe volte : u cuntenutu hè in lingua francese… Eppuru sò aiutati da soldi publichi chì favurizeghjanu a lingua corsa ! Certi sò Corsi quand’ella li cunvenenu… Per mè un libru di puesie corse hè un testimoniu d’un’ epica, d’una manera di vede e cose di quellu chì cumpone. Hè una lascita per a nostra terra vechja insucicata da u soldu è u putere di u fora.

Quelques réactions donc (avant les vôtres ?) :

1 - J'aimerais énormément savoir quels textes précis Stefanu Pergola aime dans les oeuvres de Paoli di Tagliu, Marcu Casanova, Ghjuvan Petru Ristori, Ghjuvan Teramu Rocchi, Ignaziu Colombani, Ghjaseppu Maria Bonavita, Natale Rochiccioli et Matteu Ceccaldi. Et aussi comment il les lit. Et pourquoi il les aime. (Puisqu'une littérature est la somme de ses lectures réelles...)

2 - D'accord avec l'idée que les littératures inventent et investissent des formes particulières qui correspondent à des "nécessités" liées à bien des facteurs (histoire et caractéristiques de la langue travaillée, réalités sociologiques et historiques ou politiques, inscription des auteurs dans dans des traditions littéraires des plus locales aux plus internationales). Mais lier de façon définitive et exclusive la poésie corse à l'oralité (qui imposerait vers réguliers et rimes) paraît très dur, et peut-être contreproductif, si l'on vise un développement et une évolution de la littérature corse (de langue corse en l'occurrence). Comment ne pas intégrer comme pleinement corse le travail poétique de Patrizia Gattaceca lorsqu'elle écrit des "haïkus" ? Si ces "haïkus" produisent une poésie pleine et entière, capable de traiter d'une façon singulière la matière personnelle de l'auteur, pourquoi les mettre de côté au prétexte qu'ils ne suivraient pas les formes dites "canoniques" ?

3 - Poésie de langue corse et traduction. Personnellement j'avoue que toutes les formules me paraissent se justifier : le texte seul sans traduction (mais sans interdiction formelle de pouvoir en proposer une traduction dans une autre langue si c'est possible) ; le texte publié d'abord en langue corse puis, quelques mois plus tard, en langue française ; le texte corse publié en même temps que le texte française dans deux ouvrages différents (cf "Tempi di rena" de la même Patrizia Gattaceca, adapté en français par Dominique Verdoni), voire même dans le même ouvrage (ainsi des premiers recueils de nouvelles de Marcu Biancarelli, par exemple, mais il y en a bien d'autres). Mais pourquoi faire comme si la langue française n'était pas celle des Corses ? Pourquoi opposer encore les deux langues ? Comment imaginer une société bilingue si la littérature ne peut pas être pensée ainsi ?

Ed avà tocc'à voi... s'ellu vi garba (vous pouvez discuter ici dans la langue de votre choix...).

mercredi 10 août 2011

Vinciguerra / Ferrari : Prix du Livre Corse 2011

Soyons concis :

- le prix du Livre Corse 2011 (catégorie Fiction, langue française) a été décerné à "Où j'ai laissé mon âme" (Actes Sud, 2010) de Jérôme Ferrari. La remise du prix s'est faite le 31 juillet 2011, à Ghisoni. C'est Marie-Jean Vinciguerra, lui-même écrivain (entre autres), qui a prononcé l'éloge du livre. Une petite brochure éditée pour l'occasion inclut ce discours. Avec l'autorisation de l'auteur (merci à lui), je le transcris dans ce billet.

- pourquoi ?

- Pour plusieurs raisons :
1- il est le témoignage d'une lecture singulière, toujours précieuse.
2- il comporte une critique négative concernant la parole des personnages de ce roman (se fait ainsi jour la possibilité d'une discussion ; signalons aussi la présence d'une possible erreur factuelle, j'y reviendrai dans les commentaires si vous ne trouvez pas : j'aime bien imaginer ces jeux de cours de récré !...).
3- il est le signe que ce "jeune" auteur est (enfin ?) totalement reconnu dans son île (après une mention spéciale lors du prix du Livre Corse 2007 pour "Dans le secret" (Actes Sud), mais surtout après 4 prix nationaux : Prix Landerneau pour "Un dieu un animal" (Actes Sud) et pour "Où j'ai laissé mon âme", les prix Roman France Télévisions, le Grand Prix Poncetton de la SGDL, le Prix Initiales".
4- il est peut-être le signe que l'autre puissant romancier corse de notre époque, Marcu Biancarelli, sera peut-être honoré par un prochain Prix du Livre Corse (dans la catégorie "langue corse", "Murtoriu" ne méritait-il pas plus le prix que "L'Ultima Pagina" en 2010 ?).
5- il est l'occasion pour nous de réclamer, avec un cri d'amour, la création d'un site internet qui permette à tout un chacun de consulter la liste de tous les ouvrages primés depuis 1984 ainsi que les propos tenus lors des remises de prix. (A quand un travail de recherche sur le rôle des prix - il y aussi celui de la Collectivité Territoriale de Corse, celui des Lecteurs de Corse - dans l'évolution de la littérature corse ?)
6- ? (placez ici votre question, votre remarque, etc.)

Voici le discours de Marie-Jean Vinciguerra à propos de "Où j'ai laissé mon âme" :

Cri d'amour sous un ciel de malheur

Jérôme Ferrari avec son sixième ouvrage atteint une parfaite maîtrise dans l'art du récit. L'épigraphe - une citation tirée de l'oeuvre majeure de Mikhaïl Boulgakov (Le Maître et Marguerite) - nous donne une clef pour la compréhension d'un roman qui pourrait s'inscrire, miracle, dans la tradition des grands Russes (Tolstoï-Dostoïevski). Elle nous ouvre "ce chemin de lune" qui, après la traversée du désert, nous conduit au dieu caché et donne sens à la responsabilité de l'homme et de Ponce Pilate : y a-t-il péché quand Dieu s'absente ?

Au premier plan, trois personnages : le capitaine André Degorce, le lieutenant corse, Horace Andreani - son frère d'armes de Dien Bien Phu -, qui de victimes deviendront bourreaux et, enfin, ce Tahar, commandant de l'ALN au sourire énigmatique. Trois portraits physiques et moraux inoubliables. Cinquante ans après les terribles événements d'Algérie où les deux officiers se sont rendus coupables d'actes de torture, le lieutenant Andreani dans un monologue intérieur scandé d'un poignant "mon capitaine" dit son amour-haine pour ce "frère" qui l'a humilié et dont il condamne les "états d'âme" (scrupules, remords), "les élégances dérisoires" (ne fait-il pas rendre les honneurs au chef terroriste ?), l'orgueilleuse "pose". Il dénonce son idéologie faite d'abstractions hypocrites qui, au nom de "l'efficacité" servent à justifier une "mission" de tortionnaire. Comportements paradoxaux que ceux de ces deux bourreaux. Le lieutenant corse rejoint par esprit de "loyauté" l'OAS ! Et la justification d'efficacité ne cache-t-elle pas chez le capitaine une fascination perverse pour la torture ? Lequel de ces deux officiers mérite le plus le qualificatif de traître ?

Le capitaine a perdu la foi, mais il reste taraudé par le sentiment de la faute et l'angoissante certitude qu'il n'y a plus de rédemption par le châtiment dans un univers d'où Dieu s'est retiré.

Le mal est à l'oeuvre dans l'homme, surtout lorsqu'il est pris dans l'engrenage de la guerre qui peut transformer le guerrier en bourreau. Travail d'introspection sans fards, cruelle mise à nu de deux "âmes" qui se débattent dans un labyrinthe ! En ce désert, il n'y a plus place pour les larmes, "la pureté du chagrin". Le capitaine se considère comme un réprouvé. Il ne trouve pas de réconfort dans les versets de la Bible.

Le récit s'ordonne sur trois jours d'agonie(s), de chemin de croix et de mise en croix sous un ciel mauvais dont le bleu délavé contraste avec la beauté du ciel corse d'un bleu profond. La Corse pour les deux officiers est évoquée avec nostalgie comme un paradis perdu ("A Piana, son coeur n'était pas vide. Il n'avait pas honte de lui-même.") L'âme du capitaine s'est desséchée. Il ne trouve plus les mots de tendresse. Le destin l'a emporté si loin qu'il ne reviendra jamais.

Reste le mystérieux sourire de Tahar, noble signe de mélancolie et de lucidité. Belle leçon de tendresse et d'héroïsme serein ! Le sourire de ce rebelle ouvre un chemin : il nous assure de la dignité de l'homme.

Il faut découvrir au-delà du dit le non-dit et en filigrane les Images cachées : la femme corse du capitaine n'est-elle pas plutôt qu'épouse "Mater dolorosa" ? Et la question : "Mon dieu qu'avez-vous fait de moi ?" ne fait-elle pas écho au "Mon dieu pourquoi m'avez-vous abandonné ?"

Le narrateur nous emporte dans la houle glacée et fiévreuse des monologues du lieutenant. Il nous fait participer à la douloureuse prise de conscience du capitaine Degorce. Mais, s'est-il investi en eux par excès en leur prêtant sa voix, l'éclat de son style, sa vision pessimiste du monde ?

Serait-ce provocation de notre part que de lire ce récit comme une réponse à l'imploration du Kyrie Eleison et du Christe Eleison (Seigneur, ayez pitié de nous, Christ, ayez pitié de nous !).

L'imprécation devient prière. Le miserere sera entendu. Il y aura un châtiment pour les deux bourreaux. Damnés, ils nous sauvent. Sens est donné à l'aventure humaine et tout son poids à la responsabilité de nos actes.

L'amour du lieutenant corse aura été le plus fort.

"Nous ne nous quitterons pas. Et c'est l'heure où je me penche doucement vers vous pour murmurer à votre oreille que nous sommes arrivés en enfer, mon capitaine - et que vous êtes exaucé."

mardi 9 août 2011

Marie-Hélène Ferrari évoque les livres d'Archange Morelli

Je publie donc ici ces quelques propos de Marie-Hélène Ferrari, lectrice des livres d'Archange Morelli. Merci à elle pour l'envoi. Peut-être d'autres lecteurs de ces ouvrages (romans historiques, versions épique ou policière) voudront réagir, répondre, discuter ? :

Au hasard des rencontres littéraires, on retrouve de vieux compagnons.

Je voulais parler ici de quelqu'un qui loin des arènes médiatiques et du vent fait son chemin d'auteur avec efficacité. Un livre, c'est aussi ce voyage immobile qui nous porte vers des temps et des horizons qu'on ne connaîtrait pas sans eux.

Devenez l'ombre de l'arbalétrier dans les "Idoles barbares" d'Archange Morelli, ou suivez le tragulinu des "Rochers rouges" du même auteur. Un vrai moment de bonheur. La langue est fluide, bien qu'elle use de nombre de références au latin, et au corse, voire à des mots disparus. Les univers s'enchaînent avec précision et couleurs, et on plonge dans un passé prenant et savoureux. J'avais commencé une thèse en littérature comparée où cet auteur était à l'honneur, le temps m'a manqué, mais en attendant je veux lui rendre hommage par ces quelques lignes.

"Sic transit gloria mundi" dit Santu u Grisgiu, mais son empreinte tranquille et érudite, elle, ne passe pas. Et c'est très bien.




lundi 8 août 2011

Littérature corse à Ouessant : malgré tout, elle est présente !

"Malgré tout", oui, car, il faut le noter, cette année, aucun livre d'un éditeur corse n'apparaît dans la liste des ouvrages en compétition pour le Prix du Livre Insulaire au Festival international d'Ouessant (le salon aura lieu du 20 au 24 août 2011)... Pour quelles raisons ? Oubli pour certains, et pour d'autres ? Un choix ? De l'indifférence ?

Il s'agit pourtant d'un magnifique festival littéraire qui concerne au premier chef la production littéraire corse. C'est donc une occasion presque unique (vous en voyez d'autres ?) de donner à voir la "littérature corse" comme un ensemble, avec des livres de qualité, et d'être sûr de trouver des lecteurs attentifs dans la personne des membres du jury. Non ? D'autant plus que cette littérature y a été largement honorée par le passé, avec de nombreux prix (10 prix depuis que le Salon a ouvert ses portes en 1999 ; souvenons des deux Prix en catégorie Fiction remportés par Marcu Biancarelli, par exemple...)

Alors ? Espérons que l'année prochaine verra le retour des éditeurs corses, leurs livres pour les prix mais aussi peut-être sur les stands du salon, et peut-être encore dans des conférences ou des ateliers ?

Ah, attention, s'il n'y a pas de livres d'éditeurs corses cette année, cela ne veut pas dire que les livres corses sont totalement absents...

Citons donc les ouvrages corses en compétition et souhaitons-leur bonne chance (mais on sait bien que l'important est de participer et de rencontrer des lecteurs) :

Catégorie Fiction :
- Journal d'outre-mort, Jeanne Bresciani, éd. Petra
- Pépé l'anguille, Sebastianu Dalzeto (trad. François-Michel Durazzo), éd. Federop

Catégorie Poésie :
- Genitori, Stefanu Cesari, éd. Les Presses Littéraires

Catégorie Beaux-Livres :
- Corse, éloge de la ruralité, Maddalena Rodriguez-Antoniotti, éd. Images en manoeuvres

Catégorie Sciences : rien
Catégorie Essai : rien
Catégorie Jeunesse : rien
Catégorie Roman policier : rien


samedi 6 août 2011

Donc plus rien... ou presque

Enfin, ici tout au moins.

Où discute-t-on de littérature et de culture (corses) ?

Je vois un article de Ghjacumu Fusina (dans La Corse Votre Hebdo de samedi dernier, si je ne m'abuse / AJOUT DE 23:35 : erreur de ma part, on trouve cet article dans le numéro d'août du magazine Corsica, désolé !!) défendant le bilan positif (presque incontestable) du "Riacquistu" (dont il fut l'un des piliers) face à ses détracteurs actuels. Certes, il ne les nomme pas, et ne précise pas beaucoup plus la nature des critiques, ce qui réduit la possibilité de la discussion, c'est dommage, non ? Mais je trouve déjà très plaisant de voir une possibilité de dialogue s'engager sur ce sujet passionnant (tiens, c'est mon adjectif du moment, je sens que je vais le réutiliser incessamment sous peu).

Quoi d'autre ?

Sur le forum de Musanostra, un nouveau fil (ou sujet) lancé par Penserosu, auquel je participe avec quelques autres, parce qu'il me semble solliciter des éléments concrets de nos lectures : les premières phrases ou pages qui accrochent notre curiosité et hantent nos mémoires... Côté littérature corse, ont été cités :
- "Nimu" de Jean-Pierre Santini
- "Isula Blues" de Jean-Pierre Santini
- "Mal'Concilio" de Jean-Claude Rogliano
Côté "autres littératures", je vous laisse découvrir (et participer).

Sur le forum de la Gazetta di Mirvella, ci hè u pidda para (est-ce comme cela qu'on dit ?) entre un certain FX Ranucci et un certain Equarri'Morse : attention âmes sensibles s'abstenir, une dose minimale d'humour est obligatoire, au sinon, passez votre chemin ! A vos risques et périls : c'est par ici puis par là (tout ça à cause d'une évocation du documentaire fabuleux de Jacques Tati, "Forza Bastia" !!)
(Entre nous, la qualité des dialogues que l'ont trouve dans cette mystérieuse pieve de Mirvella est à la fois réjouissante et inquiétante : car par ailleurs, sur le Net, rien, rien, et trois fois rien ; c'est les vacances, plus personne ne discute sur le Net littéraire corse !!)

Un dernier point (j'y reviendrai), j'ai lu la présentation de "Où j'ai laissé mon âme" prononcée par Marie-Jean Vinciguerra, membre du jury, lors de la remise du Prix du Livre Corse à l'auteur (c'était à Ghisoni dimanche dernier), et il faut revenir sur certains points discutables, notamment une critique négative (si si) qui me paraît à la fois judicieuse et critiquable. Eh bien nous y reviendrons.

Un ultime point : le festival "Allegria" organisé par Michèle Leca pour le Conseil Général de Corse-du-Sud, pendant tout le mois d'août dans le villages de ce beau département, des lectures croisées de textes évoquant l'Asie (titre de cette saison : "Odyssée Orient Extrême") et des textes d'auteurs corses, plus de la musique. Et le 8 août notamment il y aura une "flopée" (tiens ce mot me rappelle quelque chose) de poètes insulaires, à Sartène (ah, horreur, l'agenda présent sur le site du CG est très partiel ! il n'y a que les dates et les lieux !!).

Quoi d'autre encore ? Vous voulez des promesses de nouveaux billets sur ce blog ? Il faut bien puisque je suis le seul à travailler pendant le mois d'août !

Alors :

- quelque chose autour de l'existence (oubliée, paraît-il ; d'ailleurs sont-ils compétents, et bien formés, que fait l'Université de Corse dans ce domaine ?) des traducteurs dans la littérature corse + une évocation de l'adaptation du dernier recueil de Patrizia Gattaceca par Dominique Verdoni + l'indication de la très récente publication de la traduction française du dernier recueil de poèmes d'Alanu di Meglio, aux éditions Al Manar ("Automnes en miettes", trad. de F.-M. Durazzo).

- quelque chose à propos du somnambulisme et du film "Sleepwalkers" (cela veut dire "somnambules") de Thierry de Peretti (présenté dernièrement au Festival de Lama). La première partie autour et dans l'hôpital (à Ajaccio, mais on ne voit jamais la mer, c'est fort ! ça c'est du cinéma, du vrai !) est bouleversante (pour moi, et vous ?).

- quelque chose à propos de ma relecture (eh oui, une littérature - vous le savez maintenant ? - c'est la somme de nos relectures... enfin "mes" relectures, puisque vous, vous dormez...), ma relecture donc de la nouvelle "Le secteur de Marie" de Jérôme Ferrari (in "Variétés de la mort", le recueil de nouvelles du "meilleur romancier corse", selon 24 ore, est de nouveau disponible sur le site des éditions Albiana). Oui, ce sera quelque chose à propos de "l'énonciation" (qui parle à qui ? dans quelles conditions ? avec quelles intentions ?) qui rend passionnante une intrigue absolument navrante.

- quelque chose... mais quoi ? ah bien oui : ce que vous voulez ! Dite a vostra : vous êtes moins timides sur les ondes de Radio Corsica Frequenza Mora !

Bisous !

(P.S. : Venez nombreux au Festival littéraire "Racines de ciel" à Ajaccio (Lazaret Ollandini), les 3 et 4 septembre prochains. Quels auteurs auront la parole ? Azouz Begag, Marcu Biancarelli, Jean-Louis Ezine, Philippe Forest, Philippe Franchini, Alain Mabanckou, Ghjacumu Thiers, Carole Zalberg. Qui pour les interroger ? Ysabelle Lacamp, Dominique Memmi, Ursula Renard, Philippe Perrier, Jean Rouaud, et moi-même. C'est-y pas magnifique ?)

(Et bientôt des choses extraordinaires sur le Continent, avec Corsica Calling, patience...)

mardi 2 août 2011

De retour d'Erbalunga : passionnant.

J'assistai donc à la deuxième soirée de la manifestation littéraire organisée par l'association Cap Lecture à Erbalunga, hier soir, sur la place Bach. Dans le cadre des festivités de l'été 2011 de la commune de Brando. (La veille de ce jour, c'était l'écrivain et académicien Jean-Marie Rouart qui était convié à répondre aux questions des animateurs et du public.)

Le lundi soir, entre 18 h et 20 h, furent invités Etienne Meloni, homme de tous les défis (sportifs mais surtout psychologiques et existentiels et qui publiera un livre retraçant son parcours extraordinaire aux éditions Gallimard en décembre 2011), puis, ensemble, Jérôme Ferrari et Georges de Zerbi.

Riche idée, je trouve que cette association occasionelle de deux écrivains ; elle permet de mieux comprendre, par contraste, les façons et enjeux respectifs des deux oeuvres.

Sébastien Bonifay et Pierre Négrel, journalistes et libraires (Librairie des Deux Mondes, à Bastia ; "deux mondes", car l'un s'est passionné pour les Sciences humaines quand l'autre a une prédilection pour le polar), ont mené avec énergie et pertinence les entretiens croisés avec les deux écrivains.

J'ai mieux compris à cette occasion l'aspect "bienveillant" et l'objectif "réconciliateur" de l'oeuvre de Georges de Zerbi (je n'ai lu que son premier roman, "L'Ultima Pagina", éditions Albiana/CCU), cherchant à réconcilier les Corses du Continent avec les jeunes insulaires dans ce premier roman, la langue corse avec l'Italien. Et puis bientôt dans un prochain livre, les Corses avec le pouvoir gênois (au XVème siècle). Le deuxième roman (que je n'ai pas encore lu, "U rimitu di Collu à Boziu", éditions Albiana/CCU) évoque la révolution corse au XVIIIème siècle et met en scène le "fantôme" d'un "ermite" ("u rimitu") directement issu de cette période et qui vient en plein XXème siècle raconter ce que fut la réalité de son époque à un jeune étudiant en histoire de l'université de Corse. Aux dires mêmes de l'auteur, l'introduction fantastique d'un tel "revenant" a pour objectif premier de produire un effet de réel et de permettre au lecteur de "sentir" l'époque et non plus seulement de la comprendre de façon abstraite. Il insista aussi sur le fait que ce personnage était "sérieux" et qu'il ne s'agissait donc pas de troubler le lecteur ou d'introduire un doute sur la valeur de son témoignage.

Au contraire, le travail de Jérôme Ferrari a été présenté comme une plongée dans le Mal, avec des intrigues qui interroge des problèmes moraux (sans donner de leçons de morale), cherchant volontairement à présenter la complexité de situations humaines où se mêlent, apparemment contradictoirement, la cruauté et l'amour, atitudes suicidaires et élans vitaux. Et justement, il y a un personnage "historique" issu du XVIIIème siècle corse qui vient hanter un personnage du XXème siècle dans les textes de Jérôme Ferrari ! Belle occasion de rapprocher ces deux figures pour mieux comprendre, par contraste et par opposition aussi peut-être, les oeuvres respectives de Ferrari et de Zerbi...

Le "fantôme" de Ferrari s'appelle Gianfranco de Lanfranchi (si ma mémoire est bonne) et se trouve dans une des nouvelles de "Variétés de la mort" (Albiana) et dans le roman "Balco Atlantico" (Actes Sud). L'auteur a souligné que son projet était à la fois burlesque et (aïe l'adjectif précis m'échappe, si vous étiez là vous aussi n'hésitez pas à compléter ce billet !), nous dirons donc "satirique". Car ce Gianfranco, au contraire du Rimitu, est un personnage infréquentable, menteur, sadique, violeur, tueur, se retournant contre ses compatriotes insulaires, faisant régner la terreur. La question pour l'auteur était de se demander comment la mémoire collective se débrouille avec des réalités impensables, inexcusables, horribles. Et il ajouta que c'était une façon pour lui d'engager les lecteurs, par l'intermédiaire d'un personnage "historique", à regarder les horreurs insulaires contemporaines.

Ainsi, associer ce soir ces deux oeuvres, c'était peut-être une façon intéressante de montrer deux voies possibles de la littérature corse contemporaine : une bienveillante qui retravaille une certaine mythologie historique (comme chez de Zerbi), et une cruelle qui ouvre des failles dans la mémoire collective et y déniche des éléments occultés qui finissent par se transformer en maladies mortelles.

Mais vous avez peut-être un point de vue différent ? Ou alors vous trouvez, certainement avec raison, que je coupe les cheveux en quatre ?...

Cette soirée à Erbalunga fut très agréable. Une centaine de personnes au moins dans le public, c'est génial. Mais la parole collective ne fut pas au rendez-vous, dommage. Je posai la première question (à propos des deux personnages de "fantômes"), Anne Meistersheim (me semble-t-il) posa la seconde (sur le statut particulier du roman "Balco Atlantico" qu'elle dit apprécier particulièrement et qui selon l'auteur ne connut pas le succès notamment du fait qu'évoquer de cette façon particulière - c'est-à-dire sans donner d'explication définitive aux affrontements entre nationalistes dans les années 1990 - ne pouvait intéresser le public sur le Continent).

Bref, j'attends avec impatience la deuxième édition de ces deux journées littéraires organisées par Cap Lecture (l'été prochain ?). Et vous ?