mardi 27 novembre 2012

Quale hè chì hà da ritruvà u titulu di issu rumanzu ?

Voici l'extrait :

During all these years he has never really thought about any of that again; the wars he has fought in did not leave him time to do so and the ten months spent in Buchenwald extend behind him like a vast grey steppe that cuts his life in two and separates it for ever from the lost continent of his youth, but he has not forgotten it. June 1944 silently left its mark in his flesh, inscribing there the imprint of an unforgettable lesson, one that has enabled him to explain to his N.CO.s': "Remember this, gentlemen, pain and fear are not the only keys for opening the human soul. They are sometimes ineffective. Don't forget that there are others. Homesickness. Pride. Sadness. Shame. Love. Take note of the person in front of you. Don't be pointlessly stubborn. Find the key. There's always a key -" and he has now arrived at the absurd and intolerable conviction that he was only arrested at the age of nineteen so as to learn how to fulfil a mission that would be intrusted to him in...

Je coupe l'extrait avant la fin de la phrase, ce serait trop facile...

dimanche 18 novembre 2012

Parlons de Jérôme Ferrari et de littérature corse (Aix, 1er décembre 2012, 18 h, Librairie Goulard)

Vous avez quinze jours pour préparer vos questions : le samedi 1er décembre 2012, à 18 h, à la librairie Goulard à Aix-en-Provence (sur le Cours Mirabeau) - que je remercie encore - nous allons discuter, si vous le voulez bien, de plusieurs sujets :

1. Le prix Goncourt remis à Jérôme Ferrari pour son "Sermon sur la chute de Rome" (Actes Sud, 2012)

2. Les conséquences d'un tel prix sur la "littérature corse".

Cela fait des années que nous sommes tout de même assez nombreux à évoquer de tels sujets, c'est une occasion rêvée pour y revenir, avec le sourire, et un sacré enthousiasme dans le coeur !

Le 7 novembre 2012 est une date importante pour la littérature corse, nous allons ensemble essayer - en partant de cet événement-là - d'égrener d'autres dates importantes, d'autres titres d'ouvrages et de textes, d'autres noms d'auteur qui font toute la "riche diversité" de la littérature corse. Je vous attends !

"Riche diversité" est une citation d'une chronique de Marc Biancarelli, autre écrivain majeur de la littérature corse (je le répète pour ceux qui viendraient sur le blog pour la première fois), chronique publiée dans le Libération daté samedi 17 et dimanche 18 novembre 2012. C'est une parfaite introduction à notre prochaine discussion du 1er décembre. Je voudrais en citer plusieurs passages, comme apéritif. (Ah, et si certains d'entre vous ne peuvent pas venir, n'hésitez pas à me faire parvenir vos questions et remarques par Internet : en commentaire de ce billet ou sur mon mail : f.renucci@free.fr)

Avant les citations, une dernière chose, je signale que nous pourrons bientôt voir sur Internet l'émission Via Cultura du vendredi 16 novembre 2012, diffusée sur France 3 Corse Via Stella, avec les animateurs et chroniqueurs Delphine Leoni et Sébastien Bonifay et les invités Marcu Biancarelli et Laure Limongi, écrivaine et éditrice : il y est question du... prix Goncourt remis à Jérôme Ferrari, bien sûr : voir par ici.

Les citations de la chronique de Marc Biancarelli, maintenant, intitulée "Le génie créateur de la Corse" (ça en jette comme titre, non ?) :

"D'évidence quelque chose vient de se jouer là, qui relève d'un besoin légitime d'entendre parler de l'île autrement qu'au travers de la barbarie mafieuse qui l'étrangle au quotidien. Ce prix dit quelque chose qui méritait d'être entendu : il y a en Corse une immense majorité de gens normaux, et aussi des créateurs exceptionnels qui savent porter vers l'universel leur génie spécifique."

"Je finis avec un truc qui me tient à coeur : c'est de littérature corse dont je voulais parler. On parle bien de littérature irlandais, alors je vois pas pourquoi on pourrait pas parler de littérature corse. Pour les ignares, je dirai que c'est une littérature qui s'écrit depuis le Moyen Âge, et qui s'exprime en latin, en italien, en corse, en français, et j'espère un jour en arabe littéraire ou en berbère. Ça donnera sans doute des maux de tête à Chevènement et à divers autres jacobins, mais ça confortera l'idée que la richesse est dans la diversité.
Le cru 2012 a été assez exceptionnel. Je le pense. Les auteurs qui ont publié cette année des textes de grande qualité se nomment entre autres Sylvana Périgot, Laure Limongi, Marie Ferranti, Paul Desanti, Patrizia Gattaceca ou encore Etienne Cesari. Je manque de place pour l'exhaustivité, mais tous, dans des maisons d'édition de différents standings, en Corse, à Paris et même à New-York, témoignent d'une Corse qui s'exprime par les arts et compense parfois une parole politique défaillante. Ça n'est pas une littérature de béni-oui-oui, mais elle raconte des mondes, et un monde en particulier, mieux qu'aucun anthropologue n'en parlera jamais. Un des mérites - et pas le moindre - du prix Goncourt de Jérôme sera aussi de nous permettre de faire entendre, par-delà les tragédies et le sang, les voix qui disent un pays de créativité, d'espoir, et peut-être un jour aussi de paix."

Dite a vostra !

jeudi 15 novembre 2012

Nouveaux échos de lecteur : "Le sermon sur la chute de Rome" et "Murtoriu"

C'est Joseph Pollini qui nous envoie ces propos, qu'il soit chaleureusement remercié ! Multiplier les lectures, les discussions, voir comment les arts et la culture nous permettent de nous mettre à distance de nous-mêmes, de réfléchir sur nous-mêmes, c'est absolument essentiel : que voulons-nous vraiment ?...

Bonne lecture et bonne discussion peut-être.

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Cher ami,       
    - j'ai lu en octobre dernier le "Sermon sur la chute de Rome" de Jérôme Ferrari, dont on a tant parlé sur ce blog, bien avant l’attribution de son prestigieux prix littéraire et bien avant que ce pauvre Christophe Barbier en ait fait mention!
    J'ai beaucoup aimé cette leçon de philosophie donnée sous la forme d'une fable et/ou d’une parabole, qui a pour cadre et pour principaux acteurs la Corse et les Corses et qu'éclaire, de façon éblouissante grâce aux qualités littéraires de l’auteur, la lumière de Saint Augustin, dont le «Sermon » est sans cesse mis en relief par Jérôme Ferrari, dans une langue aussi claire que somptueuse.
    En effet, c’est en racontant l’aventure de deux intellectuels de retour au pays et désireux de faire revivre le bar d’un petit village corse, ce lieu de rencontres et d'échanges également apprécié par d’autres clients que ceux souffrant d’une addiction à l’alcool, que l'auteur conduit le lecteur à réfléchir sur l'impossible pérennité de nos actions humaines et sur la fragilité de tout ce que nous nous efforçons de réaliser, parfois avec la meilleure volonté du monde et ce quelle que soit la force de nos convictions.
    Car si tout semble se détruire sous la pulsion de ce qu'il y a de plus violent et de plus égoïste chez l'homme, surtout lorsque grande est son indigence spirituelle, voire intellectuelle, la réponse de Saint Augustin, et par là même il me semble de l'auteur, laisse persister un espoir et rappelle quels sont les lois qui régissent notre existence sur cette terre, dans ce monde.
    Cet espoir cependant n’apparaît que si l’on est capable d’observer avec lucidité ce qu'est réellement la condition humaine. C'est du moins ainsi que j'ai perçu ce magnifique ouvrage et je suis très heureux de constater qu'il a été écrit par un Corse, c'est à dire par un véritable amoureux de la Corse et un subtil et fin observateur de l'âme corse, cette "âme charnelle" comme disait Charles Péguy, qui est de toute évidence assez peu différente de celle des autres hommes. Belle leçon d’humilité et, à mon avis, appel à se mobiliser pour éviter un trop grand naufrage…
   
    - J'ai lu également le livre de Marcu Biancarelli cette année, avant la Toussaint, dans sa traduction française bien sûr car la lecture du corse (surtout pour un tel texte), que je n'ai jamais étudié (il nous était même interdit de le parler au lycée Marbeuf de Bastia, où s’est déroulée mon enfance), m'aurait demandé de gros efforts et j'avoue que j'ai eu envie, depuis la lecture de sa traduction en français, de me procurer l'original, publié en 2009.
Tu as qualifié de "sublime" le livre de Marcu Biancarelli, dans ton texte nous invitant à lire toute une série de livres publiés en corse et/ou par des Corses.
Je l'ai lu aussi et j'ose, pour l'intérêt et le plaisir que permettent ces échanges, donner un point de vue légèrement différent, celui d'un lecteur "de la commune espèce", le mien.
 - Il est indéniable cependant que j'ai aimé cet ouvrage, comme la plupart des intervenants sur ce Blog (et sur FaceBook où s’est aussi déroulée une longue discussion). Sa traduction en français m’a en effet semblé magnifique.
- J'avoue cependant avoir éprouvé moins de plaisir, mais pas moins d’intérêt, à cette lecture que pour celle du livre de Jérôme Ferrari, même si tous deux ont pour cadre la Corse, pour acteurs des Corses et que chacun rapporte une histoire bien triste...
Je vais essayer de m' en expliquer.
- Je n’ai nullement l’intention de comparer ce qui n’est pas comparable mais je dis simplement que je n'ai pas ressenti, comme vient de l’affirmer, avec son emphase habituelle, Christophe Barbier (dont la suffisance m'est aussi insupportable), qu'il s'agit là d'un texte qui "nous emmène au grand large"; tout simplement sans doute en raison de son côté très noir, de son extrême violence et de certains portraits au vitriol de voyous sanguinaires et crétins, même si ces descriptions qui sont d'un réalisme parfois insoutenable, servent bien la fiction.
- J'ai bien compris, il me semble, la nécessité de ces portraits et de ces situations où s’entremêlent le racisme parfois, la xénophobie souvent (un seul exemple : "o Lucchisò", terme auquel j'ai moi-même été confronté face à des Corses, «pur sang», indigents et immatures) ou encore l’arrogance et la suffisance d’un automobiliste qui est fier de garer son auto dans un lieu réservé et interdit au public et d’en profiter pour ridiculiser et humilier d’insignifiants touristes continentaux. D'ailleurs que de "Pinzuti" repoussants et de "Mange merde" dans cet univers... Des détails me direz vous, nécessaires pour forcer le trait !
- Mais j'ai moins compris les raisons qui poussent le narrateur, qui ne peut être confondu avec l'auteur bien sûr puisqu’il s’agit d’un roman, c'est à dire avant tout d'une fiction, à quitter la Corse et à s'expatrier dans un pays qu’il croit plus calme et où il pourrait mieux s'isoler du monde, l'Espagne ; alors que son pauvre ami, cet autre innocent qui le considère comme son « maître », lui préfère l’Italie!
Comme si les problèmes "identitaires" et ces nombreux signes de décadence, sources principales de divisions, n'existaient pas ailleurs!
- Il s’agit d’une fiction me dit-on avec insistance, ce que je ne peux ignorer mais dans chaque roman il y a aussi me semble-t-il assez souvent une part d’autobiographie.
Et dans le cas présent cette part pourrait être non négligeable. Par ailleurs, même si cela était vrai ce n’est pas bien grave et c'est assez banal, mais ce n’est pas cela qui a créé chez moi un malaise, c’est son excès de réalisme et la crudité des situations décrites, ingrédients qui habituellement ne m’offusquent pas mais qui dans le cas présent m’ont paru non indispensables, et peut-être même contre productifs, pour servir l’analyse qui est faite de cette situation totalement décadente.
Mais sans doute ai-je mal compris et/ou me manque-t-il une case ?
- Il faudra donc que je relise le livre de Marcu Biancarelli, à la recherche de la part d'amour enfoui, de la Corse, des Corses et de l'homme en général. Celle-ci ne m’a pas sauté d’emblée aux yeux et ce  malgré la façon, admirable et émouvante, dont le narrateur rapporte les sentiments qu'il éprouve envers ses deux amis, et de Mansuetu en particulier, l’un des personnages les plus innocents de cette « ballade ».
Il est vrai que les épisodes les plus douloureux, dont celui se rapportant à la vie et la mort de Mansuetu justifient grandement le choix du titre « Murtoriu ».
- Je suis certain cependant que le monde n'est pas aussi noir, même s'il peut parfois l'être, et je ne crois pas que ce soit actuellement le cas, en Corse.
- J’avoue avoir aussi été déçu, dans un texte intitulé « Murtoriu », par l’absence de réflexion ou de références culturelles sur ce qui a imprégné la Corse et les Corses depuis au moins 15OO ans. Je fais là allusion à l’influence de nos traditions, modelées par le religieux, c’est-à-dire par tout ce qui a façonné, et façonne encore me semble-t-il, nos comportements moraux, ou éthiques si ce terme doit être préféré ou, autrement dit, tout ce qui se rapporte aux racines « judéo-chrétiennes » de notre société. Il s’agit là d’un fait incontestable, dont il ne faut avoir aucune honte et dont il ne faut surtout pas tirer des arguments pour justifier le rejet et le mépris d’autrui, ou de celui qui est différent de nous !
En tous cas la solution n'est point, à mon avis, la fuite.
- Mais revenons au récit de Marcu Biancarelli.
Malgré les réserves que je viens d’exprimer, qui en fait sont avant tout des regrets,  je réaffirme qu'il ne m’a pas échappé combien cette description des situations les plus indignes et des événements les plus douloureux vécus par le narrateur, traduisent avant tout l'intensité de sa souffrance et de son désespoir devant ce qui est présenté comme un inexorable déclin. Ils sont en effet la preuve d'une perte du sens et des repères les plus traditionnels, ceux qui constituent les valeurs que nous aimons tous et que tous les Corses, dignes de ce qualificatif, s'efforcent de défendre et de promouvoir.
Mais l'acharnement (mot peut-être excessif) dont l'auteur fait preuve pour décrire des scènes d'horreur, où l'ignoble côtoie parfois la bestialité, qu'il s'agisse de meurtres d'innocents (Mansuetu ) ou de voyous débiles, ou encore de pulsions sexuelles dégradantes qui n'ont rien à voir avec l'amour (avec peut-être une exception, empreinte de culpabilité, les liens établis avec sa délicieuse cousine !), était-il vraiment indispensable?
Certes oui pour exprimer la souffrance et l'horreur, mais sans doute pas pour souligner combien l'âme corse a perdu de sa noblesse, cette âme qui est en principe commune à tous les Corses et à tous les êtres humains, où qu'ils soient et d'où qu'ils viennent.
Mais il se peut que je fasse erreur et que j'aie mal compris.
C'est cela aussi me semble-t-il l'un des plaisirs de la littérature, permettre à chacun d'y voir et de ressentir ce qui lui est propre, de s'autoriser à interpréter ce qu'il lit comme il l'entend et à partager avec d'autres son point de vue, lorsqu'il le juge utile ou s'il en éprouve le besoin et ce malgré ses possibles propres handicaps et insuffisances...
Mais qu’il me soit au moins permis de douter, surtout à propos de la Corse et du "glas" que Marcu Biancarelli fait retentir si violemment, du bien fondé de tels procédés littéraires, malgré leur capacité d'éveil, il est vrai tout à fait incontestable...
Ce n’est là qu’un point de vue, le mien !
Je recommande néanmoins, fortement, la lecture de ce livre.

jeudi 8 novembre 2012

"Le sermon sur la chute de Rome", de Jérôme Ferrari obtient le prix Goncourt 2012 !

Que vient-il de se passer, très concrètement ?

Le mercredi 7 novembre 2012, à 12 h 45, le secrétaire général de l'Académie Goncourt, Didier Decoin, a annoncé publiquement que le prix Goncourt (le prix littéraire français le plus prestigieux, qui récompense depuis 1903 le "meilleur ouvrage d'imagination en prose, paru dans l'année") était attribué au roman de Jérôme Ferrari, "Le sermon sur la montagne de Rome"... Oui "sur la montagne"... Lapsus très amusant qui fait sourdre une critique sur un livre qu'effectivement Didier Decoin n'a pas eu l'air d'aimer. Cette année le jury comptait neuf membres, me semble-t-il, et au deuxième tour, le roman de Ferrari a obtenu 5 voix contre 4 au "Peste et choléra" (Seuil) de Patrick Deville (qui avait obtenu précédemment les prix Roman Fnac et Femina). C'est la deuxième fois que les éditions Actes Sud obtiennent ce prix (après "Le soleil des Scorta", de Laurent Gaudé, en 2004). Dans le journal Le Monde du 6 novembre on lit un article sur le jury Goncourt, justement, qui insiste sur le fait qu'il serait maintenant à l'abri des pressions commerciales, éditoriales, des conflits d'intérêt et que le choix des membres de l'Académie ne porte que sur des textes, et peu importe les éditeurs. Lorsque j'interviewai Pierre Assouline, à Ajaccio en septembre dernier, dans le cadre du festival Racines de ciel, c'est ce qu'il énonça très clairement : le jury Goncourt est indépendant et ne pense qu'à la littérature.

C'est pourquoi, je suis très heureux qu'un tel roman, qu'un tel auteur, qu'un tel éditeur aient obtenu un prix qui assure une reconnaissance, une médiatisation et de très nombreuses lectures !

Ce prix Goncourt au "Sermon sur la chute de Rome" est-il un "acte fondateur pour la Corse" au même titre que l'épopée du Sporting en 1978 ? Cette opinion est celle de Sébastien Bonifay, libraire de la Librairie des Deux Mondes à Bastia, chroniqueur littéraire à l'émission Via Cultura sur France 3 Corse Via Stella.

Ce n'est pas la première fois qu'un auteur corse reçoit un prix prestigieux :
- Angelo Rinaldi, "La Maison des Atlantes" (éditions Denoël), prix Femina en 1971
- Jean-Noël Pancrazi, "Les Quartiers d'hiver" (éditions Gallimard), prix Médicis en 1990
- Marie Ferranti, "La Princesse de Mantoue" (éditions Gallimard), Grand prix du roman de l'Académie française en 2002
- Jean-Noël Pancrazi, "Tout est passé si vite" (éditions Gallimard), Grand prix du roman de l'Académie française en 2003

Il y a d'autres livres et auteurs corses qui ont reçu des prix littéraires, je me contente ici de citer les plus connus parmi ces prix.

Mais il est vrai que c'est la première fois qu'un auteur corse obtient le prix Goncourt. Qui plus est pour un roman dont le sujet est profondément insulaire (vie et mort d'un bar de village en Corse) tout en liant cette matière à celle du monde entier (notamment via Saint-Augustin, la guerre de 14-18, l'histoire coloniale française, la société médiatique d'aujourd'hui, etc.). En ce sens, je suis d'accord pour voir dans cet événement un moment très important de la vie de la littérature corse.

Avec quelles conséquences ?

1. Faire lire et relire ce roman en particulier, "Le sermon sur la chute de Rome" (qui n'est pas mon préféré dans l'oeuvre de Ferrari, nous y reviendrons), en voir les beautés et les caractéristiques.

2. Faire lire et relire l'ensemble des livres de Jérôme Ferrari qui, c'est d'autant plus clair avec ce dernier opus, forme une oeuvre cohérente présentant les différentes facettes d'un monde romanesque magnifique. Donc relire "Variétés de la mort" (Albiana, 2001), "Aleph zéro" (Albiana, 2002), "Dans le secret" (Actes Sud, 2007), "Balco Atlantico" (Actes Sud, 2008), "Un dieu un animal" (Actes Sud, 2009), "Où j'ai laissé mon âme" (Actes Sud, 2010) et maintenant "Le sermon sur la chute de Rome" (Actes Sud, 2012).

3. Lire et discuter les points de vue des différents lecteurs de cette oeuvre : non seulement les critiques journalistiques (et bientôt les critiques de la recherche universitaire, à moins qu'elle n'ait déjà commencé) de la presse littéraire (ou pas), mais aussi les avis des "simples" lecteurs, bénévoles, qui s'expriment sur les réseaux sociaux, dans les cafés littéraires, sur les sites et forums, sur les blogs personnels ou collectifs. J'engage donc les lecteurs à fureter notamment sur les sites "L'or des livres", "Terres de femmes", "Invistita", "Musanostra", "Isularama", "The Old Pievan Chronicle", "Corsicapolar", "Pour une littérature corse", et je vais encore en oublier, vous pouvez compléter la liste en commentaires.

4. Faire connaître la vitalité et la diversité de l'expression littéraire corse, donner envie de découvrir avec bienveillance et regard critique la "littérature corse". Oui, bien sûr le jury Goncourt a primé le meilleur roman francophone de l'année et rien d'autre. Mais ce choix est subjectif, bien sûr, et surtout la force d'une oeuvre se mesure aussi à la variété des lectures qu'elle permet, et clairement (je rappelle que Jérôme Ferrari a répété publiquement qu'il avait notamment pour dessein de faire accéder la Corse à la dignité littéraire), l'oeuvre ainsi primée médiatise indirectement toute la littérature corse. Rappelons enfin que Jérôme Ferrari est aussi partie prenante de la littérature corse de langue corse, puisqu'il a traduit en français nombre des textes de Marcu Biancarelli ("Prighjuneri/Prisonnier", 2000, Albiana ; ou encore le sublime "Murtoriu", traduction française publiée chez Actes Sud en 2012, avec le concours de deux autres traducteurs, Marc-Olivier Ferrari et Jean-François Rosecchi).

Je voulais faire un billet avec une tonalité beaucoup plus détendue et joyeuse, voire délirante et affranchie de toute bienséance, mais l'heure est grave : Jérôme Ferrari vient d'obtenir le prix Goncourt !!!!!!!!!!!! Yiiiiiiiiiipiiiiiiiiii !

lundi 5 novembre 2012

Unu strattu di "Murtoriu", per risponde à Ariane Chemin

 Provu di risponde à Ariane Chemin, giurnalista assai cunnisciuta di u giurnale Le Monde è chì cunnosce bè a Corsica. Dicia (vede quì) a settimana scorsa chì ùn ci hè nisunu testimoniu ind’è a literatura corsa di e morte viulente trà naziunalisti è oghje trà criminali, eppuru avia scrittu un articulu sanu nant’à u rumanzu « Murtoriu », chì ci parla, frà tante altre cose, di issa rialità.

Eccu ciò chè no lighjemu ind’è u capitulu 12, traduzzione di Jérôme Ferrari, Marc-Olivier Ferrari è Jean-François Rosecchi (mi face pinsà à un filmu cortu di Larry Clark, « Elephant », ghjè una sorta di custatazione fredda di u fattu criminale, una discrizzione pricisa è terrìbile) :

Il s’est étendu sur le lit, nu, tenant toujours sa tête entre ses mains. Il a éteint la lumière pour se trouver dans une obscurité complète, pour ne plus être agressé par une lumière artificielle. Peine perdue, c’est du fond de sa tête que vient l’agression. Il a toujours l’impression d’un nœud dans sa poitrine et se sent oppressé par une force maligne mais il s’endort enfin, plus assommé que véritablement libéré de la douleur. Une heure plus tard environ, il a entendu qu’on frappait à la porte. Il s’est levé comme un spectre et est allé ouvrir. Andria est entré. C’est l’heure, a-t-il dit. Don Pierre s’est glissé sous la douche, froide, il a laissé couler l’eau un bon moment puis, quand il s’en est senti capable, en est sorti pour se préparer. Il a ensuite ouvert une armoire et farfouillé quelques instants à l’intérieur. Il a sorti une boîte de cartouches et un fusil de chasse, et aussi un revolver qu’il a donné à Andria. « Comme je t’ai appris, tu es en couverture au cas où les choses se passeraient mal. » Ils ont descendu les quatre étages par la cage d’escalier pour déboucher dans la ruelle. Le fusil était caché dans le sac de sport que portait Don Pierre. Ils ont traversé deux ou trois rues puis ont grimpé dans le 4x4. Ils ont roulé et sont sortis de la ville. Ils ont rejoint en pleine campagne une piste de terre où attendait une autre voiture qu’ils avaient volée deux soirs plus tôt. Cette fois, c’est Andria qui s’est mis au volant puis ils sont retournés vers la ville. Ils ont suivi la route du bord de mer, tous feux éteints, et ont longé le mur d’une résidence. Là, ils se sont garés, dissimulés derrière une haie de lauriers, la voiture positionnée dans le sens du départ. Ils ont tiré deux cagoules du sac pour les enfiler. Ils sont sortis de la voiture et ont longé le mur de la résidence à pied jusqu’à atteindre le portail d’entrée. Il y avait un parking où étaient garées une dizaine de voitures. Ils se sont mis en quête de la plus isolée pour bénéficier d’une plus grande obscurité et se sont postés derrière. De là, ils pouvaient nettement voir en face d’eux la porte d’entrée d’un immeuble récent mais comme ils en étaient trop loin, Don Pierre a dit à Andria de rester où il était, que c’était un bon poste de couverture. Quant à lui, il a trouvé à se cacher derrière une autre voiture plus proche de l’entrée du bâtiment. Il a chargé le fusil avec des chevrotines, cinq cartouches, puis s’est accroupi en position d’attente. Le mal de tête était toujours là mais il s’efforçait comme il pouvait de résister à la douleur. Il se concentrait pour surveiller l’entrée de la résidence, bien caché, même au cas où une voiture surviendrait. Tout était tranquille, on pouvait entendre les vagues qui venaient mourir sur la plage, derrière les bâtiments. Vers les cinq heures, une brise s’est levée et s’est mise à souffler dans les platanes et les lauriers de la résidence. C’était exactement ce qu’il fallait pour couvrir les bruits suspects qu’ils pourraient faire. Vers les cinq heures et demie, le jour s’est montré, timidement, mais le ciel s’éclaircissait. Trop, a pensé Don Pierre. D’instinct il s’est recroquevillé un peu plus derrière la voiture. Ce n’était pas le moment de se faire voir. Enfin à six heures, comme prévu, le hall de l’immeuble s’est éclairé. Ils ont entendu une porte s’ouvrir et un homme est apparu dans la lumière. Marc-Ange a franchi le portail du bâtiment et s’est retrouvé à l’extérieur. Vêtu d’une chemise d’été sans manches, légère et bigarrée, et d’un pantalon-short, il jouait paisiblement avec ses clefs tout en avançant en direction des véhicules. Il a mécaniquement levé la main pour appuyer sur la clef automatique afin de déverrouiller sa voiture à distance, comme il le faisait chaque matin à la même heure avant de partir rejoindre le snack qu’il tenait sur la marine. Don Pierre s’est dégagé de derrière la voiture qui le cachait, s’exposant à son regard tout en épaulant brusquement son fusil. Marc-Ange s’est arrêté net, saisi, comme un animal, et n’a pu qu’écarquiller les yeux d’effroi et pousser un cri strident et pathétique. L’homme cagoulé ne lui a pas laissé le temps de meugler davantage, il a appuyé sur la gâchette et le premier coup est parti. La moitié de la tête de Marc-Ange a éclaté, comme si sa boîte crânienne s’était ouverte d’elle-même afin de révéler les éléments d’une monstrueuse anatomie. Le corps s’est écroulé de tout son poids sur le bitume, dans un mouvement grotesque. Le sang jaillissant de la blessure a commencé à glisser sur le sol comme une rivière. Il était déjà mort, bien entendu, mais les muscles étaient agités d’un tremblement étrange, les mains et les jambes surtout remuaient de manière démente. Don Pierre s’est approché à deux mètres du corps convulsé, il a tiré un second coup dans ce qui restait de la tête et il n’en est resté presque plus rien, une misérable bouillie de viande et d’os hachés. Il a tiré un troisième coup dans la poitrine de Marc-Ange ; le corps ne remuait plus du tout.

Aucune lumière ne s’était allumée dans l’immeuble. Don Pierre, prêt à tirer, vérifia que personne ne s’était mis à la fenêtre. Mais, malgré les volées de plomb, nul ne semblait vouloir montrer sa gueule. Andria s’était rapproché et visait Marc-Ange avec son revolver, sans s’être le moins du monde rendu compte qu’aucun danger ne viendrait plus de cet amas de matière inutile. « On y va, on y va tout de suite », dit Don Pierre, mais, après quelque pas, Andria, soudain, revint près du cadavre pour, sans raison, lui tirer trois coups supplémentaires dans la poitrine avant de se tourner vers Don Pierre comme s’il ne comprenait plus ce qu’il devait faire. « On y va, je t’ai dit, suis-moi. » Ils sortirent de la résidence et se mirent à courir en direction de la voiture. Les clefs étaient sur le contact. Don Pierre n’attendit pas qu’Andria retrouve ses esprits pour se mettre au volant et démarrer. La voiture déboula à toute vitesse sur la route nationale et prit la direction de la campagne. Arrivés à l’endroit où se trouvait le 4x4, ils s’assurèrent que personne ne les guettait. L’isolement était parfait. Ils ôtèrent enfin leurs cagoules et replacèrent les armes dans le sac de sport. Ils éloignèrent le 4x4, déversèrent deux bidons d’essence sur la voiture volée et mirent le feu au véhicule. Tandis qu’ils regagnaient la ville, Don Pierre remarqua que ses maux de tête avaient étrangement cessé.

Quì u testu uriginale, publicatu ind’è Albiana, in 2009 (mi pare più forte, per esempiu mi piace u fattu di mischià a narrazione ed e parolle di i persunaghji, ma ùn l’anu micca ripigliatu issu mischiu i traduttori) :

S’hè stesu annantu à u lettu, nudu ch’iddu era, è sempri si tinia u capu. Avia spintu u lumu, par essa in u bughju cumplettu, par ùn essa micca agrissatu da a luci artificiali, ma era agrissatu listessi in fundu di u so capu. T’avia l’imprissioni chì calcosa u nudaia in pettu, dinò, si sintia upprissatu da una putenza maligna, è po’ infini s’hè addurmintatu, più acciaccatu chè libaratu da veru da u dulori. Mancu un’ora dopu, hà intesu pichjà à a porta. S’hè arrizzatu com’è un fandoniu ed hè andatu à apra. Andria hè intrutu. Hè ora, hà dittu. Don Petru s’hè lampatu suttu à a duscia, frisca, hà lacatu curra l’acqua un beddu momentu, po’ quandu s’hè intesu capaci hè surtitu è s’hè appruntatu. Dopu hà apartu un armadiu è hà bulicatu calcosa dui minuti in fundu di l’armadiu. N’hà sciutu una scàtula di cartucci è un fucil’di caccia, è dinò un rivòlvaru ch’iddu hà datu à Andria. Com’è t’aghju imparatu, se in cupartura in casu chì i cosi andessini di mali. Ani falatu i quattru piana pà u curridori è sò sbuccatu in carrughju. U fucili era piattu in un saccu di sport ch’iddu purtaia Don Petru. Ani varcatu du’ o trè carrughja è sò cuddati in u 4x4. Dopu ani viaghjatu è sò sciuti da a cità. Ani righjuntu una pista in tarra in campagna è quì aspittaia un’ altra vittura, l’aviani arrubbata dui seri nanzi. Sta volta hè Andria chì si hè missu à cunducia, è sò vultati versu a cità. Ani suvitatu a strada di u cantu ‘llu mari è, i fara spinti, sò passati longu à u muru d’una risidenza. Quì si sò ingarati, piatti da una sepi d’addoru, a vittura in u sensu di a partenza. Da u saccu ani cacciatu dui caguli è l’ani missi. Sò surtiti da a vittura è ani ripresu à lungà u muru di a risidenza, à pedi, sinu à ghjunghja à u purtonu d’intrata. C’era un parking cù una dicina di vitturi, ani circu a vittura a più scantata, dund’iddu ci era u più scurità, è si sò impustati quì daretu. Da quì vidiani bè a surtita di un casamentu guasgi novu, faccia ad iddi, ma erani un pocu à longa. Don Petru hà dittu à Andria di firmà quì, era una posta bona per essa in cupartura, è iddu s’hè trovu un piattatoghju daretu à un’ altra vittura, ma più vicinu à l’intrata di u casamentu. Hà carcu u fucili à chevrotines, cinqui cartuccia, è s’hè missu quì à aspittà, inculipìppuli. U dulori in u so capu era sempri prisenti, ma circaia di risista com’iddu pudia, si cuncintraia è survigliaia l’intrata di a risidenza, ma ancu s’idda ghjunghjia una vittura paria abbastanza piattu. Tuttu era tranquillu, ùn si sintiani chè i cavaddati ‘llu mari chì viniani à mora annatu à una spiaghja daretu à a risidenza. Versu cinqu’ori, un vintuleddu s’hè pisatu è hà cumminciatu à suffià in i platani è l’addori di a risidenza. Era ciò chì ci vulia pà attuffà un trostu disgrazièvuli ch’iddi pudariani sempri fà iddu o Andria. Versu cinqui ori è mezu u ghjornu hà cumminciatu à spuntà, dèbbuli, ma u celi si facia chjaru, troppu, pinseti Don Petru. Di stintu sh’è ingrunchjatu di più daretu à a vittura. Ùn era micca u momentu di fassi veda. Infini à sevi ori, com’è privista, u lumu s’hè accesu in u curridori di u casamentu, ani intesu bucà una porta, po’un omu hè cumparsu in u lumu. Marcànghjulu hà bucatu a porta di l’intrata di u bastimentu è s’hè ritrovu fora. Era in tinuta d’istati, cù una camisgia lebbia è frisgiata senza mànichi è un pantalonu curtu, è ghjucaia cù i so chjavi, tranquillu. Avanzaia versu i vitturi è pisò a mani in un riflessu pà appughjà annantu à a chjavi automàtica, pà apra a so vittura da luntanu, com’iddu facia tutti i matini à a stessa ora nanzi d’andà à ritruvà u snack ch’iddu tinia annantu à a marina. Don Petru s’hè arrizzatu da daretu à a vittura chì u piattaia, muscèndusi à a vista di l’altru è fèndusi cuddà sùbitu u fucili, Marcànghjulu hè firmatu in arrestu, assinturitu com’è un signari, ùn hà pussutu chè sgriddà l’ochja di paura è cummincià à lintà unu stridu patèticu. L’omu in cagula ùn l’hà micca lacatu u tempu di mughjà di più, hà appughjatu annantu à u chjodu di u fucili è u primu colpu hè partitu. A mità di u capu di Marcànghjulu hè schiattata in middi pezzi, paria chì a so chjèccula s’era aparta da par idda lachendu veda pà a prima volta u parti d’un’anatumia mustruosa. U corpu hè cascatu di manera zòttica, greva, annantu à u catramu, u sangu s’hè missu à sucliscà in tarra com’è un fiumu da a ferita. Era forsa ghjà mortu, ma i mùsculi erani sutrinnati da un trimuleddu bizarru, i mani è l’anchi, subrattutu, trimulaiani scimiti. Don Petru s’hè avanzatu à dui metra da u corpu spasimatu, hà lintatu un sicondu colpu in ciò chì firmaia di u capu, è da tandu ùn hè guasgi firmatu più nudda, una pappiglia ridìcula di carri è d’ossa minuzzati. Hà tiratu un terzu colpu in u pettu di Marcànghjulu, è infini u corpu ùn bruddicaia più di u tuttu.

In u casamentu ùn s’era accesu nisciun lumu. Don Petru hà fighjulatu par veda sì nimu s’era missu à u blaconu, prontu à lintà una fucilata in casu mai. Ma malgradu i pluttunati nimu paria di vulè muscià u so grugnu. Infini s’hè vultatu versu Andria, chì s’era avvicinatu da iddu è chì visaia Marcànghjulu cù u so rivòlvaru, senza nisciun arrivamentu vistu chì u prìculu ùn vinaria più da ‘ssa mora di materia inùtuli. Partimu, dissi Don Petru, partimu sùbitu. Fecini dui o trè passa, ma d’un colpu Andria vultò versu u catàveru, è senza nisciuna raghjoni li sparò dinò trè colpa in pettu. Po’ si ghjirò versu Don Petru, com’è ch’iddu ùn capissi più ciò ch’iddu duvia fà. Partimu sùbitu t’aghju dittu, suvètami. Surtistini da a risidenza è si missini à curra versu a vittura. I chjavi erani annatu à u cuntattu, è Don Petru ùn aspittò micca chì Andria avissi ritrovu i so spìriti par mèttasi à u chjirchju è dimarrà. A vittura sbuccò in furia annantu à a strada naziunali, è missi versu a campagna. Ghjunti à u 4x4, s’assicuroni chì nimu i vattaia, ma erani bè scantati. Caccetini tandu i so caguli, è rimissini l’armi in u saccu di sport. Alluntanetini u 4x4 è svachetini dui bidoni d’essenza annantu à a vittura arrubbata, po’ li zinghetini u focu. Mentri ch’iddi ripartiani versu a cità, Don Petru rimarcheti chì, stranamenti, ùn ni sintia più in capu.

dimanche 4 novembre 2012

Festival "Confluence des cultures" dans le Béarn (un compte rendu)


Un séjour dans le Béarn, compte rendu 

Je commence ce compte rendu par des remerciements : j'ai passé quatre jours et demi géniaux à Oloron-Sainte-Marie, petite ville du Béarn qui se trouve à la confluence des gaves d'Aspe et d'Ossau, au pied des Pyrénées. Merci à France Jaubert-Bataille, élue chargée de la culture à la Communauté de communes du piémont oloronais (dite CCPO) à l'origine du festival "Confluence des cultures", pour son efficacité, son hospitalité, son enthousiasme ; merci à Bernadette Vanderesse, directrice de la médiathèque de la communauté de communes et à toute son équipe, pour leur accueil, leur intérêt et leur bonne humeur. Merci aussi enfin à Eric Lortie, qui travaille à la médiathèque, pour m'avoir proposé de participer à cette troisième édition du festival et m'avoir permis de découvrir cette région, ses habitants et une partie de sa vie artistique.

Je dois préciser tout de même que le festival « Confluence des cultures », organisé à Oloron-Sainte-Marie mais aussi dans d’autres communes de la CCPO (Gurmençon, cette année) a pour but de donner à voir et entendre les expressions culturelles et artistiques du Béarn et du Pays Basque, en les croisant le plus possible avec d’autres cultures et lieux du monde, liés d’une façon ou d’une autre avec ces deux régions. Ainsi fut invité en 2010, Bernardo Atxaga, grand écrivain basque (espagnol) (que j’avais personnellement découvert en lisant un billet d’Emmanuelle Caminade sur son livre« Obabakoak » ; toujours pas lu, furieuse envie de le faire). Ainsi c’est le Mexique qui fut à l’honneur en 2011, puisque l’émigration béarnaise et basque fut très importante aux Amériques (j’ai photographié avec mon portable la photo de l’Hôtel d’Oloron, à San Francisco !). Et cette année 2012 fut consacrée, sur proposition d’Eric Lortie, à un croisement avec la Corse.

Voici la présentation de la manifestation écrite par France Jaubert-Bataille :

« Les cultures régionales désignent la diversité des cultures à l’intérieur d’un même pays et des points de similitudes peuvent tout à fait exister entre des zones géographiques éloignées appartenant juridiquement à plusieurs pays.
La Corse, autrement dénommée île de beauté, a connu de multiples influences culturelles. Dans le Béarn comme au Pays Basque, les influences culturelles et historiques sont également puissantes. Les liens qui existent entre le Béarn, le Pays Basque et la Corse, reposent essentiellement sur la défense de la langue et une culture identitaire forte. Le chant, polyphonique, sacré, traditionnel et la gastronomie, soupe et fromage entre autres, renforcent la proximité culturelle.
Pour cette 3ème édition de Confluence des cultures, la CCPO est heureuse d’accueillir une proposition de la communauté corse établie dans le Béarn avec un programme centré sur la littérature et l’histoire, le chant et la gastronomie.
Vous remarquerez que, diversité et abondance obligent, nous avons choisi d’étaler toutes les activités sur une semaine, avec des temps forts à ne pas rater : à la Médiathèque intercommunale, au cinéma le Luxor, dans le hall de la salle Jéliote et à l’église de Gurmençon. »

Alors voilà, je me propose ici de raconter ce séjour en suivant la chronologie, en faisant le maximum de liens pour enrichir ce compte rendu... Bonne lecture, bonne discussion peut-être ?

Mardi 23 octobre


On the road

De l'autoroute depuis Aix-en-Provence jusqu'à Pau, puis ces 35 kilomètres vers les montagnes pyrénéennes, les premiers contreforts, des collines, des vallées extrêmement vertes (il pleut souvent et il a plu pendant ces quelques jours). Une ville aux toits gris, je trouve le panneau indiquant la médiathèque, je me gare, il est 16 h 50 (l'inauguration du festival est à 17 h...).

Que vois-je ?

La médiathèque de la CCPO. Un bâtiment magnifique, une grande esplanade libre devant une façade accueillante, des portes vitrées, un bâtiment en bois et en verre (les vitres font tout le tour). Qu'est-ce que j'entends ? Un boucan infernal ! Ce sont les gaves qui sont en crue. Bruit impressionnant et somptueux. Je vais voir les flots furieux, magnifiques (rien à voir avec l'écoulement tranquille dans la vidéo de présentation de la médiathèque, qui vous permettra de mieux vous rendre compte des caractéristiques extraordinaires de ce bâtiment). Poursuivons : j'entre et c'est une impression d'espace et de calme qui me frappe : tout est ouvert, on aperçoit même largement l'étage inférieur (littérature pour les enfants), rien n'est cloisonné et de derrière les baies vitrées omniprésentes, on regarde les gaves se rejoindre à la proue du bâtiment, l'imaginaire commence ses spirales. C'est un endroit génial pour aller lire, rêvasser et travailler (c'est notamment là que j'eus à batailler avec la récente polémique qui a eu lieu sur le blog, cela vous fait plaisir de le savoir, j'en suis sûr).

La photo qui choit

La porte à peine fermée, je me dirige vers la banque d'accueil et là, poum, une photo de mon frère, Pascal, qui tombe presque à mes pieds ! Une photo qui représente une tour génoise presque en ruines. Le patrimoine bâti corse qui finit de sombrer à l'intérieur d'une médiathèque ultramoderne ! Fantastique raccourci ! Je plaisante, l'accueil est chaleureux et commence la mise en place pour l'inauguration.

On mange, on boit, on évoque la Corse, le Béarn et le Pays Basque (+ un coup de fil mystérieux)

C'est une pièce agréable, on peut regarder à loisir les photos de PascalRenucci, (du littoral, de la ville de Bastia), son envie de décaler un peu le regard, non sur l'objet saisi par l'objectif mais sur le moment, impalpable, de ce saisissement, évidemment je ne serai pas objectif sur son travail, que j'aime et voit évoluer sans cesse (j'avais énormément aimé ses montages photos en noir et blanc, où le noir fait comme des trous dans l'image alors qu'il dessine aussi des formes, etc etc).
Je présente les photos, j'explique et puis chacun évoque ses voyages en Corse. Ah, le "voyage en Corse" (voir l'ouvrage de Michel-Vergé Franceschiqui fait le point là-dessus), c'est vraiment la matrice narrative la plus commune pour évoquer la Corse, non ? ll y a aussi le "dossier spécial ceci ou cela" dans la presse généraliste. Mais ce soir-là, ce furent surtout des souvenirs chaleureux, qui ne cherchaient qu'à dire l'affection et surtout pas à dire la vérité ultime sur l'île. Bernard Uthurry, maire d'Oloron-Sainte-Marie et Jean-Etienne Gaillat, président de la CCPO, ont donc évoqué avec plaisir et humour leurs rencontres avec l'île et ses habitants.
Nous nous régalons avec un buffet corse, comme il se devait, offert par une nouvelle boutique, tenue par Caroline, "L'instant corse / Stondacorsa", et très bien achalandée.
Puis les chants béarnais ont retenti et ont fait trembler les murs. Parce qu'en Corse le chant est d'abord et souvent une dramaturgie, certes très émouvante, mais réduite, tandis que dans le Béarn ce sont des orgues de Staline, qui vous soulèvent, et avec le sourire en plus. Les chanteurs d'Eysus (un village près d'Oloron), liés par l'amitié, étaient mêlés aux Pagalhòs (qui s'accompagnent d'accordéon, de violon et de guitare). Le Dio (vi salvi Regina) fut aussi entonné, pour faire honneur, et de belle manière. Soirée très agréable donc, premier contact. (Ah, il y eut aussi un coup de fil moins agréable, mais extrêmement instructif, sur lequel je reviendrai en temps voulu... mystère, suspense.)

Mercredi 24 octobre

Le matin donc, à la médiathèque, entre 10 h et 11 h, j’ai pu m’adresser à une classe de seconde du Lycée Jules Supervielle qui aurait dû avoir lu « La chasse denuit » (Gallimard) de Marie Ferranti mais qui, du fait d’absences de leurs professeurs de français, ont dû reporter cette lecture à la fin de l’année 2012. La discussion s’est donc muée en séance de présentation, histoire de donner quelques pistes pour questionner le roman de cet auteur. J’ai insisté sur le fait qu’il mettait l’accent sur une pratique traditionnelle (la croyance magico-religieuse au « mazzeru ») dans une histoire qui traverse le XXème siècle (guerre de 14, 1938-1940 surtout, puis années 1950 ou 1960), c’est-à-dire au moment même où cette croyance va disparaître avec la société traditionnelle qui lui avait donné naissance. Il me semble que ce livre permet de questionner ce que sont les croyances collectives, leur nature, leur rôle dans une société. La discussion avec les enseignants a permis de mettre en évidence certaines ambiguïtés sur  le pourquoi et le comment de la fabrication de certains clichés identitaires (en évoquant Mérimée et Marcu Biancarelli). Rendez-vous était donc pris pour collecter les réactions des jeunes lecteurs et entamer une discussion. Pour finir cette introduction, je lus les premières pages du roman :

« Le premier soir de pleine lune, au printemps, nous chassons la nuit, en meute.
Une fois l’an, nous nous retrouvons, hommes, femmes et chiens, sous le grand chêne blanc, près de la rivière. L’eau est la demeure des esprits. Celle des morts qui n’ont pas encore expié leurs fautes et se cachent dans les eaux vives. Ce sont les âmes errantes qui nous appellent dans les rêves. Alors ni le taureau furieux ni le sanglier ni la chèvre égarée ne peuvent nous échapper. Cette chasse de nuit désigne ceux qui vont mourir.
Nous nous présentons face au vent. L’homme aux chiens dirige de la voix la meute et les rabatteurs. Ils attendent sur les hauteurs, débusquent l’animal et le poussent vers nous. Armés de pierres, de bâtons, de fusils, de poignards, nous nous mettons en ligne et la battue commence.
Pour que l’animal ne sente pas l’odeur de l’homme, certains se couvrent de peaux de renards tués moins de huit jours plus tôt, d’autres s’enduisent le visage de sang séché mêlé à de l’huile. Moi, non. Quelques heures avant la chasse, je me prépare soigneusement. Je m’enferme avant le coucher du soleil, me lave et me gratte la peau à la pierre ponce, me rase entièrement la tête et mets des vêtements plus noirs que la nuit, lavés et laissés à l’air libre depuis trois jours.
Avant de commencer la battue, je ramasse un peu de terre, m’en frotte les paumes, en respire l’odeur. Je n’ai ni fusil ni poignard. Mes seules armes sont un bâton, la mazza, taillée dans un sarment de vigne, et mes dents. Je deviens l’animal. Je suis le mazzeru, celui qui frappe et annonce la mort.
Dans le cri de l’animal qui meurt, je reconnais la voix de celui qui a été désigné par le sort, parfois je le vois avant même que l’animal ne soit abattu, autrement, le regard de l’animal mort ne trompe pas.
Il en a toujours été ainsi, jusqu’à cette nuit du printemps 1938. »

Entre 11 h et 12 h, ce fut au tour de Pierre Gastereguy, auteur basque, qui vient de publier un joli recueil de nouvelles, « Doux comme un mouton » (éditions Astobellara). 12 nouvelles qui ont été lues en grande partie par uneclasse de seconde du lycée du IV-Septembre-1870. Leur professeur de français et leur professeur documentaliste avaient bien préparé la chose et après beaucoup de timidité de la part des jeunes élèves, la discussion a permis à l’auteur d’insister sur quelques aspects importants de son recueil, notamment la mise en évidence du besoin d’affection que nous cachons ou manifestons parfois maladroitement.

Et l’après-midi, toujours à la médiathèque
J’animai une discussion entre Pierre Gastereguy, le petit public de la médiathèque et moi-même, à propos des ouvrages déjà cités de Pierre Gastereguy, Marie Ferranti et d’Olivier Deck, auteur représentant le Béarn, qui ne put être présent ce jour-là, malheureusement. À côté de nous se trouvait une table présentant les ouvrages d’Olivier Deck et le recueil de Pierre Gastereguy, table disposée par Thierry Fredrickson, libraire d’Oloron (La petite librairie, très belle « petite » librairie généraliste indépendante, où j’eus le temps de passer quelques dizaines de minutes, par trois fois, avec un grand plaisir, j’y reviendrai). J’achetai ce jour-là l’ouvrage de Pierre Gastereguy (que j’avais lu la veille grâce à un exemplaire de la médiathèque), ainsi qu’un autre ouvrage d’Olivier Deck (« L’homme sans rire », éditions Idlivres, 2003, que je n’ai pas encore lu). Je dis « autre » parce que j’avais déjà acheté sur Internet « Le chant des passereaux », dernier volume d’une trilogie de cet auteur, consacrée à un personnage de femme forte qui traverse la 2nde guerre mondiale et que l’on suit jusque dans la guerre d’Algérie. Nous discutons aimablement autour de ces ouvrages, et notamment du thème du « sacrifice » dans le recueil « Doux comme un mouton ». Personnellement, c’est une courte nouvelle qui m’a étonné, « Las estiretos », je l’ai lu comme un symbole de la naissance, toujours douloureuse, de l’écrivain, passer à l’écrit, la violence certaine qu’il représente pour l’enfant (en même temps que l’accès à un monde extraordinaire, au sens plein du terme), il y a une comparaison avec un lapin, etc etc. Je ne développe pas dans ce billet, mais il est possible que j’y revienne dans un autre billet. Avec « Le chant des passereaux », nous nous sommes interrogés sur la prégnance de la période historique de la 2nde Guerre mondiale dans cette région du Béarn, et surtout de la Guerre d’Espagne, des réfugiés, des camps (le camp de Gurs). La résistance, la collaboration, les passeurs, tout est évoqué en faisant place aux comportements parfois ambigus des uns et des autres. Le roman d’Olivier Deck est une série de sept cahiers dans lesquels une mère écrit une sorte de confession destinée à son fils, afin qu’il sache ce qu’elle a fait et vécu et pourquoi elle a décidé de le laisser, temporairement, pour se rendre en Algérie, pendant la guerre du même nom, dans le cadre d’une mission médicale.

Entre midi et deux : le vieux cimetière d’Oloron
C’est tout en haut du quartier de Sainte-Croix, celui qui fut le quartier espagnol autrefois. Je fus gentiment accompagné car j’avais manifesté le désir de voir la tombe de Jules Supervielle, poète que j’aime beaucoup. Le cimetière est divisé en deux grands carrés, c’est dans le second que l’on trouve la tombe de l’écrivain, quelque peu isolée des autres par un ovale d’herbe et de fleurs. Il est enterré là avec sa femme. Mais je voulais surtout voir la tombe de sa mère et c’est dans le premier carré que l’on trouve la plaque familiale signalant que furent enterrés là, en 1884, son père et sa mère. (Ils moururent ensemble accidentellement empoisonnés par une eau de mauvaise qualité, leur enfant venait de naître la même année, à Montevideo, en Uruguay, où les frères Supervielle avaient créé une banque.) Voici le poème (que je lisais, et dont je me souvenais encore aujourd’hui d’expressions qui m’avaient frappé, comme – je ferme les yeux – « cigales de cuivre, serpent de bronze… » je crois, voici le poème) :

Le portrait

Mère, je sais très mal comme l’on cherche les morts,
Je m’égare dans mon âme, ses visages escarpés,
Les ronces et ses regards.
Aide-moi à revenir
De mes horizons qu’aspirent des lèvres vertigineuses,
Aide-moi à être immobile,
Tant de gestes nous séparent, tant de lévriers cruels !
Que je penche sur la source où se forme ton silence
Dans un reflet de feuillage que ton âme fait trembler.
Ah ! sur ta photographie
Je ne puis pas même voir de quel côté souffle ton regard.
Nous nous en allons pourtant, ton portrait avec moi-même,
Si condamnés l’un à l’autre
Que notre pays est semblable
Dans ce pays clandestin
Où nul ne passe que nous.
Nous montons bizarrement les côtes et les montagnes
Et jouons dans les descentes comme des blessés sans mains.
Un cierge coule chaque nuit, gicle à la face de l’aurore,
L’aurore qui tous les jours sort des draps lourds de la mort,
A demi asphyxiée,
Tardant à se reconnaître.

Je te parle durement, ma mère ;
Je parle durement aux morts parce qu’il faut leur parler dur,
Debout sur des toits glissants,
Les deux mains en porte-voix et sur un ton courroucé,
Pour dominer le silence assourdissant
Qui voudrait nous séparer, nous les morts et les vivants.
J’ai de toi quelques bijoux comme des fragments de l’hiver
Qui descendent les rivières,
Ce bracelet fut de toi qui brille en la nuit d’un coffre
En cette nuit écrasée où le croissant de la lune
Tente en vain de se lever
Et recommence toujours, prisonnier de l’impossible.

J’ai été toi si fortement, moi qui le suis si faiblement,
Et si rivés tous les deux que nous eussions dû mourir ensemble,
Comme deux matelots mi-noyés, s’empêchant l’un l’autre de nager,
Se donnant des coups de pied dans les profondeurs de l’Atlantique
Où commencent les poissons aveugles
Et les horizons verticaux.

Parce que tu as été moi
Je puis regarder un jardin sans penser à autre chose,
Choisir parmi mes regards,
M’en aller à ma rencontre.
Peut-être reste-t-il encore
Un ongle de tes mains parmi les ongles de mes mains,
Un de tes cils mêlé aux miens ;
Un de tes battements s’égare-t-il parmi les battements de mon cœur,
Je le reconnais entre tous
Et je sais le retenir.

Mais ton cœur bat-il encore ? Tu n’as plus besoin de cœur,
Tu vis séparée de toi comme si tu étais ta propre sœur,
Ma morte de vingt-huit ans,
Me regardant de trois-quarts,
Avec l’âme en équilibre et pleine de retenue.
Tu porte la même robe que rien n’usera plus,
Elle est entrée dans l’éternité avec beaucoup de douceur
Et change parfois de couleur, mais je suis seul à savoir.

Cigales cuivre, lions de bronze, vipères d’argile,
C’est ici que rien ne respire !
Le souffle de mon mensonge
Est seul à vivre alentour.
Et voici à mon poignet
Le pouls minéral des morts,
Celui-là que l’on entend si l’on approche le corps
Des strates du cimetière.

Jeudi 25 octobre

Médiathèque intercommunale, service patrimoine
On m’autorisa (merci infiniment) à compulser deux classeurs conservant des textes autographes de Jules Supervielle. Jeudi matin, 10 h, je compulsai. Je pris en photo quelques morceaux de ces lettres envoyées par le poète, ou d’un tapuscrit corrigé, « Les mains photographiées » (magnifique poème, là aussi). Ou bien encore une sorte de questionnaire d’éditeur que Supervielle a rempli à la main, en vue de préparer l’édition de « L’enfant de la haute mer », un de ses récits les plus célèbres. Certains mots étaient barrés, il s’y était repris à deux fois pour renseigner la rubrique « Biographie ». Intéressant de voir qu’il signalait alors trois titres d’œuvres poétiques : Débarcadères, Gravitations (où l’on trouve le poème « Le portrait », c’est le premier du recueil), Oloron-Sainte-Marie. Emouvant de voir des photographies de lui, assis dans son bureau.
(Juste avant cette exploration, j’ai pu apercevoir quelques incunables dans le fond ancien, notamment une bible en basque.

De l’art du contraste et de l’étonnement
18 h, hall de la salle Jéliote (salle de spectacle portant le nom d’un chanteur lyrique originaire du Béarn et qui fit carrière sous Louis XV). C’est un Corse d’Oloron, Pierre-Louis Giannerini (un ancien du lycée Fesch, promotion 1962), ancien professeur d’histoire, historien, animateur culturel infatigable qui propose une conférence sur Pascal Paoli, diaporama à l’appui. En une heure et demie, l’essentiel est dit depuis les débuts de la Révolution corse (1730) jusqu’au premier exil anglais de Pascal Paoli (1769), et le conférencier a bien insisté sur le fait que Paoli était une figure des Lumières, qui a placé la Corse sur le devant de la scène européenne et en pointe de l’évolution politique. Voltaire fut mis largement à contribution. Les ouvrages de Michel Vergé-Franceschi (Paoli, un Corse des Lumières) et d’Antoine-Marie Graziani (Pascal Paoli, père de la patrie corse) ont été chaudement recommandés. J’ajoutai deux titres en fin de conférence à l’attention du public : l’épopée inachevée en latin de Giuseppe Ottaviano Nobili-Savelli, Vir Nemoris, écrite en 1770 par un des premiers étudiants de l’université paoline, à la gloire de Circinellu et de la Révolution corse (traduction en français par François-Michel Durazzo, éditions Albiana) ; le roman historique échevelé et extraordinaire de l’italien Francesco Domenico Guerrazzi, publié en 1860, intitulé Pasquale Paoli ou la déroute de Ponte Novu (traduction par Petr’Antò Scolca, éditions Albiana).
Les personnes du public avec lesquelles j’ai pu discuter m’ont dit découvrir absolument tout de cette figure et surtout son importance, son caractère novateur, et ainsi mieux comprendre la Corse actuelle. C’est tant mieux, à l’heure où l’on peine à chercher des modèles nobles et positifs dans l’imaginaire insulaire et où la figure de Paoli n’est pas totalement reconnue dans l’île elle-même (voir les remous que provoque la prochaine mise en place d’une statue de Pascal Paoli devant le Palais de Justice d’Ajaccio, notamment sur un site qui s'inquiète d'une éventuelle prochaine autonomie accrue de la Corse : http://www.france-corse.fr/, site sur lequel on trouve quelques billets évoquant les écrivains corse, j'y reviendrai, en même temps qu'un petit tour vers le site de plus en plus riche d'Interromania).

21 h, une salle du cinéma Le Luxor : Florent Paris, qui dirige le cinéma Le Luxor, a bien voulu diffuser le premier long-métrage de Gérard Guerrieri, X-Making (Injam poroductions, 2003). Mais, mais… (ce fut l’objet du coup de fil mystérieux de mardi soir), il se trouve que la copie du DVD qu’il avait reçue comportait quelques problèmes techniques, d’où – fait extraordinaire qui ne fut pas pour faciliter la réception, mais bon, nous faisons tous avec les aléas de la vie ! – quatre coupures qui nous imposèrent quatre minutes de silence dans la lumière retrouvée de la salle de cinéma… Furent donc évacuées plusieurs scènes : une scène de tentative de tournage d’une scène pornographique dans le cimetière de Bastia, une scène d’explosions sur un terrain vague provoquées par les deux acteurs porno, une scène de tentative de suicide (de l’actrice porno) dans une baignoire. Bon, rien de gravissime finalement, puisque le fil narratif du film était tout de même compréhensible. Je dois avouer que la quinzaine de personnes dans la salle n’a pas beaucoup apprécié ce film, encore moins Florent Paris. Les critiques ? Eh bien, un film sans scénario, à la photographie médiocre, trop de films en un seul film, la présence étrange de la psychologie des acteurs porno dans un film dont ce ne semblait pas être le sujet, un langage vulgaire, inutilement grossier, une vision extrêmement noire de la Corse… Tout cela fit dire au premier participant du dialogue qui a suivi la projection : « Vous êtes sûr que ce sont des Corses qui ont fait ce film ? » ou encore « Mais à quoi ça rime ? Qu’est-ce qu’il veut dire ? »
Rassurons-nous, il y eut des personnes pour apprécier le film, qui l’ont trouvé drôle et décapant (mais ils n’ont pas pris la parole en public ce soir-là !). Rassurons-nous encore, le dialogue a permis de faire comprendre la démarche du cinéaste : il s’agit d’un film qui parle de ce que c’est que faire du cinéma en Corse aujourd’hui. La difficulté, le désir d’audace, la volonté de critiquer, de provoquer, de secouer des carcans (psychologiques, économiques, politiques, identitaires). Alors, bien sûr, on peut gloser sur ses faiblesses, réelles, (oui, il y a des longueurs), mais il importe de voir les deux moments qui, selon moi, regarde ce monde miné par le désir de prédation individuelle avec une certaine affection (une affection qui ne débouche pas sur une vraie relation, certes, mais qui sauve un tant soit peu les personnages) : quelques plans sur une chambre d’un vieil appartement bastiais (avec photos, bibelots, tableaux et vieux meubles), le faux dialogue entre Mister Mojo (l’acteur porno) et un maghrébin, autour d’une cabine téléphonique (« Tu sais que nous sommes des frères éloignés ? » dit le premier au second, qui ne comprend pas où il veut en venir).
Bref, le contraste fut fulgurant entre la conférence et le film, et c’était, je le crois toujours, un bon moyen de montrer que la culture corse repose aujourd’hui sur des artistes audacieux, qui se donnent des libertés, connaissent leur histoire tout en ne s’interdisant pas de la prendre à rebrousse-poil (pour entendre quelques propos du cinéaste, voir ici cette émission de France culture consacrée à l'amour en Corse, merci à Pierre-Louis Giannerini de nous avoir signalé la chose).

Vendredi 26 octobre

La beauté originelle et toujours renouvelée du conte
Au foyer culturel de Gurmençon (petite commune qui jouxte Oloron, juste après Bidos), j’ai pu être émerveillé par la mise en voix, en musique et en scène (en français et en occitan – version landaise, le gascon donc) de deux contes traditionnels landais recueillis à la fin du XIXème et au début du XXème siècles par Félix Arnaudin (1844-1921). Le conte, bien dit, avec cette science des inflexions de voix, des expressions du visage, de la participation du public et des silences entrecoupés de musique ou non, est toujours un moment extraordinaire, la matrice de tous nos arts. Public nombreux (des enfants de maternelle et d’école primaire, dont certains fréquentent une calendreta d’Oloron (école privée où l’on enseigne l’occitan), des vieilles personnes venues d’une maison de retraite (et pour qui le gascon fut une langue de l’enfance)), public conquis : rires, interrogations, surprises, émerveillement poétique.
Je discutai ensuite avec la conteuse Marie-Hélène Cauhapé qui me dit le plaisir intense qu’elle prenait à conter ainsi et découvrir tous les jours les beautés de l’occitan et ses versions gasconne ou béarnaise. Voir ici le site de « Tres e ua », l’association qui propose ces contes. Les deux contes du spectacle furent « La méchante marâtre » (dite « la tante » dans la version occitane) et « Les fées de la dune de Bombet ». (Je les ai racontés à ma fille, et malgré la piètre qualité de mon récit, le conte a fait son office, elle fut surprise, horrifiée, rassurée, amusée…)

Les chants : basques, béarnais, avec des morceaux de chants corses.
Le concert à 21 h dans l’église de Gurmençon avec les « Chanteurs d’Eysus » (ils sont 12 hommes) et le chœur de femmes « Basa Andereak » (elles sont 8) de l’association des Basques de Pau « Lagun Eta Maïta ». Grand moment, très sympathique, chaleureux, convivial qui s’est poursuivi ensuite assez tard dans une des salles de la mairie de Gurmençon, toujours autour du plaisir du chant. Chants béarnais, chants basques, mais aussi chants corses (merci aux chanteurs d’intégrer ainsi des chants dans d’autres langues, comme le font régulièrement nombre de groupes corses, l’album « Cu hè dinù » de Canta est symbolique à cet égard), disais-je, car le chœur féminin reprit « Scorsa la to vita » et « Companero » de Canta u populu corsu et les hommes entonnèrent le « Dio vi salvi Regina ». Puissance des voix (surtout masculines) et plaisir du chant.

Samedi 27 octobre

Le café littéraire pour finir
Préparée le matin avec Pierre-Louis Giannerini, la discussion de l’après-midi (15 h) autour de la littérature corse a passionné la petite dizaine de personnes du public. Mais heureusement, tout a été enregistré et, dès que possible, je placerai le lien vers l’écoute de ce moment.
Monsieur Giannerini est revenu sur certains points importants : la grande productivité des éditeurs corses, leur sérieux, la qualité des livres produits, dans tous les domaines ; l'importance des chanteurs et des musiciens dans le succès et le renouvellement de la poésie en langue corse ; le caractère spécifique des "chjami è rispondi" (même si quelque dans le public a signalé qu'une joute oratoire similaire existe au pays basque).
En résumé, j’ai insisté sur le fait que la littérature corse pouvait être placée sous le signe du multiple : multiplicité des langues (latin, italien, corse, français), multiples et féconds rapports entre l’oral et l’écrit, aujourd’hui encore, intervention de multiples acteurs dans sa fabrication contemporaine (et notamment des lecteurs au moyen des cafés littéraires, forums, réseaux sociaux, sites et blogs sur Internet). Eléments que je répète à l’envi sur ce blog. Je vous passe donc les détails. J’ai insisté sur le fait que la littérature corse actuelle était très active, productive, novatrice, parfois de façon contradictoire. Que la génération du Riacquistu (« réappropriation » culturelle des années 1970 et 80) est maintenant en dialogue et en débat avec les nouvelles générations. J’ai enfin signalé l’importance de quelques ouvrages et auteurs (tous ceux cités sur ce blog à longueur de temps). J’ai renvoyé à la lecture des ouvrages maintenant possédés par la médiathèque. J’avais apporté notamment « Variétés de la mort » (2001, éditions Albiana) de Jérôme Ferrari et une dame me l’ayant emprunté mardi soir me le rendit samedi en faisant savoir qu’elle avait été assez étonnée de n’y trouve « que du sang et du cul » ! J’espère que nous pourrons reprendre ce dialogue par la suite.
Pour illustrer la vitalité de la littérature corse, j’ai fait écouter « Ciucciarella blues » (la version folk dure) par Pierre Gambini (version personnelle, inspirée du blues américain, de cette traditionnelle berceuse, que l’on trouve sur la BO de la saison 4 de la série télé « Mafiosa » ; entre parenthèses, il faudrait regarder dans le détail mais il me semble que Pierre Gambini modifie quelque peu le texte, non ?). Après en avoir fredonné les premiers vers avec Pierre-Louis Giannerini, j’ai lancé la musique et je dois avouer qu’elle a étonné et pas forcément convaincu le public présent ! Pour certains même, il ne fallait pas toucher à une berceuse traditionnelle… Ce qui justifiait pleinement les innovations de Pierre Gambini et de la culture corse en général !

Voilà, je publie ce compte rendu en l’état, au fur et à mesure, je le complèterai. Bonne discussion si vous voulez revenir sur tel ou tel point.

jeudi 1 novembre 2012

La littérature corse est-elle muette face aux meurtres ?

Ce billet ne sera pas très riant mais il est tout de même question de littérature, et de ses enjeux.

LA journaliste du Monde, Ariane Chemin, qui écrit depuis longtemps sur la Corse, publie aujourd'hui un article intitulé "En Corse, on assassine en silence".

Avec un regard faussement distant, qui cherche à exprimer à la fois l'horreur et la résignation, elle insiste sur le fait qu'un lourd silence se doit de recouvrir tous ces meurtres qui eurent lieu et continuent d'avoir lieu entre nationalistes et entre criminels dans l'île. Pas de stèles, pas de discussions publiques, et aussi de pas de romans qui se chargent de cette réalité.

Citation : "Les figures des morts ne doivent jamais rôder aux carrefours. "Ce n'est pas de la lâcheté, c'est une protection, un mode de vie et de survie. Comment faire sinon, lorque vous embrassez dans un bar un mec qui a fait dix-huit ans de prison ?", interroge un journaliste local. La société corse, dit-il, est une société du mensonge sur soi. "L'île n'a fonction que de décor, comme dans la littérature française du XIXème siècle. Nous sommes les derniers à penser que la Corse est un endroit préservé. Nous vivons dans une sorte de Cineccità sans figures humaines." De ce murder tour, aucune trace dans la littérature, même détournée dans les polars locaux. Pas davantage dans les guides."

J'aimerais beaucoup savoir si Ariane Chemin a raison et poser plusieurs questions : n'y a-t-il aucune fiction corse qui évoque de près ou de loin la réalité de ces meurtres et de ce qu'ils disent sur la Corse ?

(Je pense pourtant à "Balco Atlantico" de Jérôme Ferrari ou à "Une affaire insulaire" de Jean-Baptiste Predali, essayons de compléter cette liste.)

Quels livres parmi tous ceux qui évoquent pourtant cette réalité le fait de façon pertinente selon vous ? Je pense aussi aux ouvrages de Jean-Pierre Santini.

Que peut la littérature face à cette réalité ?

Dernière question (pour moi, maintenant), connaissez-vous un ouvrage (de fiction ou pas) qui donne la parole aux meurtriers, je veux dire une parole vraie, sincère (pas une officielle ou idéologique) et qui exprime totalement la vision du monde, de la société, de l'être humain et de la vie qui anime les meurtriers. Considèrent-ils que "les gens sont des rats", comme cela est dit dans "Gomorra" de Robert Saviano ? Ou quoi d'autre ? Les deux truands décrits dans "Murtoriu" de Marcu Biancarelli ressemblent-ils aux meurtriers qui officient en ce moment ? Quelle vision des gens les anime ? Pourrait-on la dire publiquement ?