lundi 8 avril 2013

Arrêt (définitif) de ce blog

D'autres projets vont me demander temps et énergie, j'arrête donc définitivement l'activité de ce blog, qui reste ouvert à la lecture (550 billets et presque 4000 commentaires, il y a de quoi lire et relire). Merci encore à tous les participants et aux futurs lecteurs.

mardi 2 avril 2013

"Le moindre geste / U mìnimu gestu", de Stefanu Cesari

Je l'ai enfin lu, d'une traite cette fois, d'abord la page en français puis celle en corse, et parfois inversement, avec, régulièrement, le plaisir d'oraliser le texte, le murmurer, le faire entendre, se l'entendre dire. (De quoi parlé-je ? Du quatrième recueil de poèmes de Stefanu Cesari, "Le moindre geste / U mìnimu gestu", publié celui-ci aux éditions Colonna, après trois autres publiés chez Albiana, A Fior di Carta, Les Presses Littéraires.)

Ed avà vi dicu subitu ciò ch'aghju in mente : sempre sempre Cesari ci parla di issi gesti è cose simplice di u cuttidianu, hè vera, ma fate attinzione chì u linguaghju t'hà ancu a so impurtanza. Mi pare chì u libru ci dice : eu cercu u mo linguaghju.

Ed e lingue sò duie ! L'hà dettu ind'è Martinetti (emissione televisiva "Sera Inseme" nant'à Via Stella), Cesari ùn po dì ci in chì lingua scrive ! Magnificu ! Quessa a risposta mi piace.

Son langage a deux langues, et réfléchit sans cesse aux conditions de sa naissance face aux choses, aux sensations, très souvent au petit matin.

Comme d'autres poètes (mettez les noms que vous voulez ici) il a le chic pour trouver le rythme, le ton, la scène (simple et mystérieuse) qui fait que l'on garde le poème à l'esprit, on le retient. Voilà : il cherche le langage de la mémoire, ce n'est pas le langage de la mémoire, non, mais il le cherche.

- Il faudrait parler des peintures de Badia : je trouve le contraste saisissant entre l'écrit et l'image. De prime abord, je ne vois pas le rapport, il y a une violence dans ces peintures, une douleur, un mutisme (ou un cri muet), très expressifs, enfantins et angoissants (cela me fait penser à l'art brut), alors que le texte ne crie jamais. L'autore ci hà dettu ind'è Martinetti : "vinti cinque faccie chì dicenu qualcosa" (mi pare). Mais ce sont les différences de registres qui me frappent plutôt, je n'arrive pas à prêter ces mots-là à ces visages-là. Et pourtant je trouve quelque chose de fort et de pertinent dans la présence de ces images. -

Et puis en fait les scènes évoquées par le texte sont très variées : ce n'est pas toujours le petit matin et la cafetière, et dit comme ça cela fait un peu puéril, je caricature bien sûr, car en fait chaque "page-poème" contient une expression mystérieuse, qui ouvre un espace, où tous les éléments du texte peuvent se réagencer, exemple :

Le feu de la gazinière est allumé, vous n'avez pratiquement pas dormi
le peu rassemblé là recouvre tout, comme une peau.
les gestes simples se rebellent
de bon matin, quand les poumons peinent
à déployer le jour, à ôter la poussière.
l'odeur du café.
on reste encore

Ici donc, l'expression : "comme une peau", et si je l'enlève, il me semble que le poème perd beaucoup.

Et la présence permanente de deux versions (corse / français) laisse aussi cet espace dont je parlais (car souvent l'autre langue propose un autre découpage, un autre rythme, voire d'autres images, avec du texte en plus ou en moins) :

U focu di a cucinara hè 'ncesu. ùn eti guasgi micca durmitu
u pocu accoltu quì, v'impannumighja.
i gesti sìmplici scumbàttini di matinata,
quandì i pulmona stràziani
à tirà u ghjornu, à fà a pulvariccia.
una 'nghjìcula di caffè.
stemu cù voscu

"Impannumà" ! Quessa a parolla ! ùn la trovu micca nant'à u situ di l'Adecec (infcor), serà un neulugismu creatu à partesi di u "pannu" (linge, toile, drap, habit, vêtement ; drap mortuaire) ? Dois-je comprendre ce recouvrement comme celui d'un linceul ? Mais le texte en français disait : "comme une peau", j'y vois de la vie plutôt.

Voilà c'est ce que j'adore dans le travail de Cesari : il écrit dans les deux langues, il ne traduit pas au sens strict du terme.

Peut-être avez-vous d'autres manières de lire cette poésie, et ce livre en particulier ? Parlons-en.

Pour finir, deux autres extraits : les deux premières pages, et les deux dernières (ne vous inquiétez pas je ne révèle rien qui vous empêchera de lire l'ouvrage en entier, et de le relire !) :

Ci hè statu 'ssu visu chè n'emu induvinatu, un raghju di soli
prasisti sempri in l'ochja chì sònani i morti ghjustu accantu
ci accuddimu
pocu sicuri inghjir'à a tola senza ch'idda sichi missa, una mani boca
i carabùduli in quidd'altra, netta più o menu,
ci hè pocu à dì.

una barbabàtula. u sonu di i pàgini prestu passati cussì, cù u ditu,
vàrcani
'ssa schilfatura 'n u linguaghju

Il y a eu ce visage entrevu, un rai de lumière
persiste encore dans l'oeil alors que sonnent les morts pas loin
on se recueille
plutôt vagues autour d'une table sans qu'elle soit mise, une main rassemble
les miettes dans l'autre
fait propre, à peu près. pas grand-chose à dire.

un phalène. un léger bruit de pages tournées très vite.
la ligne de partage semble franchie

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Auguri

chì calchì ranzata longa vi dessi
paci. chjamessi

una manata di ghjorna, cussì pricisi 'n u bordu
u grisgiu di a dintella pulvaricciosa.

ci sarà bè un mumentu, 'ssa sinsazioni di friscu in faccia, è po u tèpidu, è u calori.
ci sarà un mumentu pà ricunnoscia. spartareti. l'aspittera d'altri corpa cullati à u 
tissutu neru. biancu. certi volti l'azardu d'un culori vivu. mai u grisgiu di a dintella
pulvaricciosa. tuttu hà da essa richjaratu. ùn avareti micca bisognu di veda. ciò ch'iddu
'nsegna u disiriu cù tutti i so dita impuntati. in calchilocu trà u ventri è a spadda una
'mpricisioni. un vacari à l'ànima.
è po' ci sarà una statina, i so ciduti viulenti, chì sò rari.

diciareti hè a fini d'un mondu à quidda parola cridaremu

Pour augure

qu'une longue pluie vous apaise. rappelle

cet éventail de jours au bords précis,
le gris de la dentelle sale, la poussière.

il y aura un moment, cette presque fraîcheur au visage, et la tiédeur, et la chaleur.
il y aura un moment pour la reconnaissance. vous partagerez l'attente d'autres corps
collés au tissu noir. blanc. quelques fois le hasard d'une couleur vive. jamais le gris de
la dentelle sale, jamais la poussière. tout sera rincé. vous n'aurez pas à voir ce que
montre l'envie avec d'innombrables doigts tendus. quelque part entre le ventre et
l'épaule, une imprécision. comme un flottement de l'esprit.
et il y aura des étés, des orages vivants, si rares.

vous direz c'est une fin en soi.
on vous croira sur parole.