dimanche 31 juillet 2016

Divin juillet

(Le titre est une citation, mais ce sera difficile de l'identifier...)

Cher journal "extime" (selon l'expression de Tournier), lieu appelant à la discussion collective courtoise même entre anonymes, sorte d'agencements d'anthologies ultra-subjectives, paradis ou enfer de la critique de livres corses, agent - avec bien d'autres - de la vie de l'imaginaire corse contemporain (d'une complexité encore bien méconnue), appel à regarder avec enthousiasme la production littéraire (et artistique au sens large) insulaire, etc. etc., je te retrouve.

Trois ans, jour pour jour, après avoir mis en sommeil ce blog, je le rouvre. Je n'y reviendrai qu'à mes heures perdues, qui sont devenues rares. Je me suis longuement demandé si je laissais la possibilité d'envoyer des commentaires ou si, suite aux expériences riches mais parfois malheureuses du blog première époque (2009-2013), je ne ferais pas mieux de laisser d'éventuels commentaires fleurir ailleurs, surtout sur Facebook. Mais finalement, je trouve que le blog est un lieu qui rend plus accessible les propos et les discussions, qui pourront ainsi être lus bien plus tard, différemment.

Mes principes sont les mêmes : définition maximaliste de la littérature corse (écrite en toutes langues, brassant l'imaginaire insulaire), appel à la discussion sur les lectures réelles des ouvrages littéraires corses, liberté absolue dans la façon d'évoquer nos lectures (quelques mots, dix pages, en prose ou en vers, etc.), possibilité d'évoquer des films, des travaux d'arts plastiques, des chansons, etc..., appel à la courtoisie dans les échanges et à la sincérité la plus grande possible (je considère les critiques négatives comme normales et bienvenues, je ne considère pas que pointer ce qui nous a déplu ou paru mauvais dans un livre serait inutile ou équivaudrait à agresser son auteur).

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Un auteur écrit (en réponse à deux journalistes) :

"La littérature n'a aucun devoir. Elle n'est là que pour le plaisir intense que nous prenons à la faire, et pour la sorte bien différente de plaisir que l'on prend à lire quelque chose qui a du corps, quelque qui a été conçu pour résister au temps, en plus de la beauté qui en est l'essence même. Quelque chose qui jette encore des étincelles - une braise dont la lueur, pour sourde qu'elle soit, n'en est pas moins opiniâtre."

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J'ai été frappé par une chose : les trois livres que je venais de lire à la suite (lors de cette dernière semaine de juillet, divin juillet, entre la rue Maglioli à Ajaccio et le quartier Scubettu à Campile) avaient un point commun, un climat commun : un climat crépusculaire.

Je corrige tout de suite mon impression, parce que je n'aime pas quand ça se finit, je n'aime pas les fins tragiques... je veux me souvenir qu'après le sang, il y a une famille... qu'une fois Hippolyte et Phèdre déchirés, Thésée adopte Aricie. Et la lumière se fait dans la salle.

Disons donc plutôt, un moment crépusculaire traversé d'aube.

Les trois livres sont :

- Chutes ou Les mésaventures de Monsieur Durand, Gilles Zerlini, 2016, éditions Materia Scritta
- Tito Franceschini Pietri. Les dernières braises de l'Empire, Elisabeth et Sampiero Sanguinetti, 2015, édition Albiana
- Les mauvais sujets, Michèle Corrotti et Philippe Peretti, 2016, éditions Alain Piazzola

J'ai aimé lire les trois.
J'ai préféré de loin le premier, le premier roman de Zerlini, dont j'avais adoré les Mauvaises nouvelles. Pourquoi ? Parce que j'ai eu la sensation de vivre avec l'histoire. Des scènes, des expressions me restent dans la tête et le coeur. Tout ne me plaît pas dans le roman de Zerlini, je trouve que la première moitié du livre (récit de la crise vécue par un homme qui n'en peut plus du monde qui l'entoure, monde aseptisé et hypocrite de l'entreprise libérale, monde disparu de son Toulon natal, monde familial et personnel en déshérence) est un peu attendue. Le déclin, le déclin... même si je trouve l'entremêlement des étapes de ce déclin avec les remémorations du personnage assez réussi, renouvelant régulièrement mon attention. Remémorations dont j'ai senti la force de chose vue (vécue). J'ai aimé sentir la vie de Zerlini dans ces remémorations.
Et puis est venu pour moi le chapitre du "Dernier conseil d'administration" que la grenade en couverture du livre préfigure (grenade qui remplace le taureau en couverture des Mauvaises nouvelles...). A partir de ce moment, mais je ne révèle rien de l'histoire, l'histoire pour moi devient primordiale, je suis en attente, je veux savoir. J'ausculte chaque détail. Monsieur Durand a pris un autre chemin, c'est le deuxième moment du livre, jusqu'au tout dernier chapitre qui nous réserve une troisième surprise, géniale, très belle (aussi forte, pour moi, que la séquence finale de Tree of life de Terence Malick).
Y repensant, plusieurs jours après, me vient l'idée que je n'avais pas compris l'évidence ! Le court roman de Zerlini, mine de rien (d'ailleurs le roman commence ainsi : "Un drôle de type comme on dit, un type simple, une face ordinaire, sans beaucoup de charisme."), mime les trois moments de la Divine comédie. Bien joué ! Le livre refermé, je suis emballé. J'ai envie de le relire. Je le relirai.

(Il faudra aussi que nous parlions de la préface de François de Negroni, un des rares textes d'aujourd'hui à regarder la littérature corse contemporaine avec point de vue ample et critique, propre à susciter la discussion, comme les analyses de Kevin Petroni, nous y reviendrons).

Bien voilà. Il est 19:16. On me somme de lâcher l'ordinateur. J'obtempère. Je reviendrai mardi ou plus tard sur mes lectures des Sanguinetti et des Corrotti/Peretti !