dimanche 7 août 2016

2ème roman de Marceddu Jureczek, "Chì ùn sia fattu di guai" (1)

Pas un billet pour commenter aujourd'hui, mais, pour commencer, un billet pour citer.

La citation est littérature (choix d'un lecteur, qui découpe subjectivement dans le texte, et montre le résultat, comme un des éléments qui ont arrêté, ou ralenti, ou donné de l'épaisseur à sa lecture, créer un noeud d'imaginaire ; les yeux, l'esprit, le texte - entremêlement ; où ai-je lu qu'il faut trois mains pour tresser ?...).

Le chapitre 6 de ce roman - Chì ùn sia fattu di guai - m'est apparu comme un grand moment de lecture, une force d'imaginaire puissante, efficace, pour longtemps... Voici 4 paragraphes de ce chapitre (pages 60 et 61). Une traduction en français (une tentative) viendra plus tard. Le personnage principal (39 ans) est de retour dans son immeuble délabré du quartier populaire du Borgu à Ajaccio, au 46 rue Fesch, après dix ans d'absence totale de Corse (il vit et travaille à Paris). Il monte les escaliers de son immeuble où se trouve le corps de son père décédé (73 ans) et où va le retrouver toute sa famille. Nous sommes dans les années 2010, vraisemblablement. Ce passage évoque ce qu'étaient les cabinets pour lui, ce qu'il représentaient d'effroi et de gêne, le contraignant à y aller le moins souvent possible, à être sans cesse constipé, hanté par la croyance que les morts vivaient dans les conduits et pourraient venir lui griffer les fesses au moment même où il se mettrait à "chier"...


Quiddi cabinetti appesi aviani finitu pà ammalallu, u corpu gonfiu è dulurosu, pruibenduli di cacà in paci, cù a rigularità nicissaria à a tranquillità di i stintini. È comu è à quali l'avaria pussuta cunfissà, quandu chì tutti u cridiani custipatu parvia di a cicculata è di i carameli ch'eddu si furava in i vasetti di a butaga.
À quali po l'avaria pussuta palisà ch'eddu si straziava i minucci, nighendu di spulsà da eddu ciò chì luttava par escini, parchì u cabinettu in tarrazza di casa, a soia parò, 'ssendu diffarenti assai assai à quiddu di i tarrazzoli, di smaltu immaculatu cù l'abbatanti biancu, a carta da asciuvassi è a piccula scopa pà a pulizzia, tistimunianza di u passaghju à un'antra epica mena sfacciata è più igienica, era puri, quiddu cabinettu, divintatu u locu dundi tutti vinariami à finì, in a bocca spalancata, morti è muribondi ad una para, cuzzati cù forza in u cunduttu strettu appostu da crescia circhenni è suffrimenti.
U cabinettu, l'intrata vera di l'Inferni com'eddu i si rapisintava eddu ziteddu, mischienduci raconti di casa è maghjini di i litturi soi dundi Enea è a Sibilla u si purtavani à presu in una sapara tamanta è u rughjonu tenebrosu pupulata à finzioni ed incubi smurfiati appesi à i rami di certi arburi immensi è senza ità micca, pà ghjugna infini à rembu di l'acqui fangosi chì bagnani i terri di l'imperu da in ghjò, fiumi di lacrimi è d'afflizzioni, l'ondi di Cocitu ed Archeronti, ch'eddu li paria di scatinà in un sboddaru torbidu ogni volta ch'eddu facia corra l'acqua di u cabinettu.
È casu mai ch'eddi vultessini à pichjà à l'usciu di i vivi i morti, turcendusi è firscendu, tal'è quali in quiddi foli di minnanna è di a zia, fà chì spuntariani, mentri ch'eddu saria pusendu è cachendu, da quidda bocca infirnali, aguatendulu pà i cosci, straccenduli i culi, infilznedulu cù quiddi diti ranfiuti.


Eccu, m'hè piaciutu monda issu passaghju. Issu mischiu di mitulugia, di cridenze pupulare, di letture è di spirienze zitelline, mezu comicu, mezu spaventosu, mischiu di rialità è d'imaginazione.

C'est ce que je cherche dans la littérature (corse), quand le texte me permet de décoller d'un coup, et de surplomber le monde, ou de me donner cette impression, d'y être sans y être totalement, plongé dans le conduit des toilettes et regardant de haut l'ampleur de cet empire infernal.

Cette expérience fondamentale d'aller aux toilettes, de pouvoir y faire ses besoins en toute tranquillité... Voilà un des critères fondamentaux d'une civilisation humaine ! (Je reviens de visiter le Camp des Milles, près d'Aix, camp d'internement durant la Seconde Guerre mondiale, et, bien sûr, comparaison n'est pas raison, on voit là aussi ce que peut être une vie inhumaine sur ce simple critère.)

Ce passage du livre me semble très fort, très beau, nous amenant à comprendre plus clairement les raisons d'une haine, comment le personnage va être plongé dans une féroce haine de soi.

Je reprends un message posté sur Facebook, à propos de ce roman :

Fini de lire le roman de Jureczek : je n'en suis pas encore sorti, la composition, les différents styles utilisés, l'intrigue, les scènes, tout est fort, l'affaire Bastelica-Fesch via les yeux d'un fils qui a fini par prendre en haine son père qui participa à l'événement, jusqu'à quitter définitivement la Corse et vivre librement sa vie à Paris, notamment son homosexualité (quand le livre commence, André est en couple avec Yassine). La littérature Corse, et notamment de langue corse, s'enrichit d'une œuvre extraordinaire. Je ferai un billet sur mon blog. J'espère que ce livre sera lu par tous les gens qui lisent le corse et qu'il sera rapidement traduit en français ! Et qu'on en discutera partout.

Bonne lecture !

vendredi 5 août 2016

Divin juillet (suite)

Suite du billet "Divin juillet".

Donc, le roman de Gilles Zerlini m'a emballé.

Rappel de la couverture : CHUTES ou Les mésaventures de Monsieur Durand. Un titre en lettres majuscules, un sous-titre en lettres minuscules, le tout plaqué sur une énorme grenade dite MK2.

Chutes : en effet, Monsieur Durand semble ne jamais cesser de tomber, encore et encore, dans les cercles de son enfer (en fait, le nôtre, nous dit la voix du narrateur...) : le monde contemporain de l'entreprise, ici une agence de communication (c'est-à-dire une agence de destruction du langage et de l'humanité). (Je me souviens : Jérôme Ferrari en donnait sa version dans Un dieu un animal, et là aussi la guerre n'était pas loin).

Mésaventures : car le roman oscille entre, ou entremêle, voire unit deux tonalités, le récit didactique naturaliste de cette solitude dans un monde qui se dissout et le commentaire faussement distant, mais vraiment ému, du narrateur (celui qui nous interpelle régulièrement : par exemple, page 33, au début du chapitre IV, justement intitulé "Chutes" : "Y a des choses comme ça mon frère qu'on fait seulement pour plaire, pour tenter de combler le vide, pour essayer de redistribuer la chance qu'on a eu à naître pas débile ou bancal, de régurgiter tout cet amour reçu, pour les autres, par compassion.").

Gravité, distance : deux façons de regarder les tourments du personnage avec humanité. De Dante Alighieri jusqu'à "Durante Alighieri".

Beauté poétique des expressions revenant en force à la fin de l'ouvrage, lorsque le personnage arrive finalement à s'extraire de son enfer (le nôtre) : "Comme un sommeil profond une douce noyade, comme le mica au centre d'une boule de granit, seul cette fois-ci pour de bon..." (page 107) ; "Et puis plus loin, des bêtes ; brebis groupées en un seul corps lové en spirale et le doux bruit de leurs mâchoires, un seul grand animal magique, un accord musical pour qui l'a déjà entendu. Quelques vaches éparses au pelage fauve et bringé, aux yeux immenses et charmeurs cerclés de noir, au mufle sombre de coton, suivaient son passage du regard." (page 113).

Passage du naturel au surnaturel. Il faut lire le roman, je ne peux en dire plus, au risque de déflorer le jardin final. Présence normale de ce surnaturel, présence nécessaire, refuge ultime de ce que peut être une vraie relation d'humanité.

Le dernière phrase est une question : très belle. Qui nous engage à répondre, ou à relire le roman, trop court, mais dense, car, nous l'avons lu trop vite, on s'en rend compte à la fin, il faut y revenir, goûter la conduite de chaque chapitre, de l'attaque à la clôture, sans oublier les titres, et les ellipses entre eux.

Littérature corse vivante.

Et puis j'ai lu Tito Franceschini Pietri, Les dernières braises de l'Empire, d'Elisabeth et Sampiero Sanguinetti. J'ai beaucoup aimé ce personnage réel, secrétaire particulier de Napoélon III, du Prince impérial puis de l'impératrice Eugénie. Un homme tout entier voué à cette famille impériale, un intime, connaissant toutes les affaires politiques et personnelles, oeuvrant pour le retour de l'Empire, mais voyant tout cela s'effondrer, et cette famille, et le bonapartisme, et le rêve d'Empire. La fin.

Quel travail fabuleux de déchiffrer ainsi 45 années de correspondance entre ce Tito (Jean-Baptiste) et sa demi-soeur Catherine !... qui au début du moins sembla nourrir une admiration et une affection quasi-incestueuse pour son demi-frère. Tito, nous font comprendre les auteurs, était voué aux femmes impossible, aux femmes idéalisées et intouchables (mère morte en couches, demi-soeur, impératrice)... Génial personnage figurant la puissance, la maîtrise (de l'eau sur ses terres de Balagne, de ses affaires de familles, des intrigues politiques corses et parisiennes, des contacts avec les sommités mondiales) et tournant cependant à vide, n'embrayant plus sur le monde réel, simple figurant, figuration... Un peu comme ce Prince impérial mourant glorieusement en Afrique du Sud, percé par les flèches et les lances des Zoulous... Fin.

D'ailleurs, la photo qui orne la couverture est étrange : Tito est debout, en chapeau haut de forme, une canne à la main gauche, le coude du bras droit sur une rambarde à colonnade qui semble factice, comme d'un décor pour studio de photographe... (une photo prise entre 1858 et 1870, donc pendant la période où l'Empire existe encore... mais vit ses dernières années en France).

Livre crépusculaire, donc. La forme choisie par les auteurs, mêlant récit et analyse, a rendu ma lecture très agréable, mais le personnage m'a paru éloigné. J'aurais aimé en savoir plus sur sa vie sentimentale, notamment (pas marié, pas d'enfants). Seule allusion, à la page 176, lorsque les auteurs reviennent sur les enfants morts en bas âge de sa demi-soeur Catherine :

"L'important pour lui est que Catherine soit en vie. Lui dont la mère n'a pas eu cette chance. Les enfants meurent souvent à la naissance ou peu de temps après. C'est dans l'ordre des choses, c'est douloureux, mais on veut se persuader que le petit être n'est pas encore totalement une personne. Il faut bien trouver le moyen d'atténuer le malheur. Ce qui est plus révoltant, c'est que la mère s'en aille car, de toute façon, sans sa mère, le petit être ne sera jamais totalement heureux. L'injustice dès lors est double : l'injustice d'une jeune femme qui meurt et l'injustice d'un enfant privé de sa mère. Un enfant qui ne pourra peut-être jamais plus dépasser le manque de ce vide insupportable. Tito avait tenté de le surmonter en idéalisant la femme absente et inaccessible et en évitant de lier sa vie à celle des femmes accessibles. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir des aventures et des maîtresses si l'on en croit ses amis Mérimée et Stoffel qui se plaisent à glisser des allusions grivoises dans les courriers qu'ils échangent avec lui."

Oh, j'aurais aimé en savoir plus : "des aventures et des maîtresses", "ses amis Mérimée et Stoffel"... Les auteurs auront voulu rester pudiques sur ce sujet, pourtant considérable. Maîtrise du coeur et de la sexualité... pour aller où ? Finir par être enterré à côté de son Empereur...

Puis j'ai lu Les mauvais sujets, écrit là aussi par un couple d'auteurs, Michèle Corrotti et Philippe Peretti. Lecture très agréable pour moi : plaisir du pastiche du roman libertin du XVIIIème siècle, plaisir de l'entremêlement des intrigues et des trajectoires de divers personnages, tous liés par la vie bastiaise des années 1768 à 1770 si j'ai bien compris. Mais ces plaisirs ne me portèrent pas forcément à relire l'ouvrage. Comme si les scènes et actions avaient trop peu de consistance pour mon regard... je les voyais défiler sans heurts pour, me semble-t-il, servir surtout d'illustration aux différents aspects de la vie bastiaise de l'époque (politique, religion, amour). C'est évidemment une sensation bien singulière, et une opinion subjective, je les énonce ici pour rendre justice à la vérité de ma lecture, non pour blesser quiconque. Donc, l'intérêt pour moi fut surtout historique (plutôt que romanesque) : dans la mise en avant de personnages non paolistes, comme Orlando Questa, le Bastiais, qui espionne pour le compte de Gênes ; les commerçants et notables bastiais regardent surtout leurs intérêts économiques en travaillant avec les nouveaux maîtres français ; Mirabeau joue en Corse une partition personnelle d'émancipation de la tyrannie et de la haine de son père ; les amoureux jouissent de leurs corps tant que cela est possible, les soldats cherchent à tuer le temps ou gagner une gloire sur le champ de bataille qu'ils pourront monnayer plus tard dans leur carrière. Cela pour moi est très important pour la littérature corse : mettre en scène toute cette complexité des sentiments ambivalents, changeants, où les soucis personnels et les attentes collectives passent sans cesse les uns devant les autres. Mais encore une fois, j'aurais aimé plus de chair, c'est paradoxal. Chaque chapitre commence par une voix qu'on prêtera à un narrateur d'aujourd'hui et brise ainsi trop souvent les deux piliers de la magie du romanesque (le suspense et l'identification), pour mon goût. Mais peut-être ne suis-je pas fait pour ce type de roman ?

Au final, trois lectures consécutives de trois ouvrages de littérature corse. Cela faisait longtemps que je n'avais pas vécu cela. Et ce fut si fort que cela me détermina enfin à rouvrir ce blog !

La discussion est ouverte bien sûr !

Un extrait du "Mémorial de Sainte-Hélène" : Santini face à son Empereur



(Comment cette petite île de Sainte-Hélène pouvait-elle imaginer qu'un jour son nom serait aussi célèbre ?)

Je reviendrai bientôt sur mes lectures des livres de Zerlini, des Sanguinetti et des Corrotti/Peretti, évoqués dans le billet "Divin juillet".

Car pour l'heure, je tombe à nouveau sur cet extrait du "Mémorial de Saint-Hélène" de Las Cases, que j'ouvrais au hasard, dans le petit salon à Campile, comme je le fais régulièrement quand je suis au village, ouvrir l'un des deux volumes, au hasard, et lire. Puis y penser. Rêvasser. M'endormir parfois - à l'endroit même où mon père est mort, il y a maintenant onze ans.

Napoléon Bonaparte, lui, est mort le 5 mai 1821, je parie que vous aviez oublié au moins le chiffre de l'année. Nous n'irons pas jusqu'à questionner la numérologie pour creuser les raisons de cet oubli...

Las Cases raconte des choses du temps où cet homme était vivant (homme extraordinaire, au même titre que n'importe quel homme d'ailleurs, il suffit de bien regarder...).

Napoléon était vivant, nous sommes le 29 juillet 1816, il ne pouvait savoir qu'il ne lui restait pas cinq ans à vivre.

Je m'endors. Je rêve. Je le vois. Fulminer.

Je vous livre le récit de Las Cases, le confit en dévotion. Il adore son Grand Homme. En écrivant ce Mémorial, il veut concourir à fabriquer Son Image immortelle. Il fait oeuvre d'imaginaire. A ce titre, je le bénis. Je le lis. Comme on dirait, je le vote.

Voici ce qu'il écrit :

LUNDI 29 juillet 1816

"(...)

Pendant le dîner, l'Empereur, fixant un oeil sévère sur l'un de ses gens, a dit, au grand étonnement de nous tous : "Comment, brigand, tu voulais tuer le gouverneur !... Misérable !... Qu'il te revienne de pareilles idées, et tu auras affaire à moi ; tu verras comme je te traiterai." Et, s'adressant à nous, il a dit : "Messieurs, voilà Santini qui voulait tuer le gouverneur. Ce drôle allait nous faire là une belle affaire ! Il m'a fallu toute mon autorité, toute ma colère pour le retenir."

Pour l'intelligence de ceci, je dois dire que Santini, jadis huissier du cabinet de l'Empereur, et que son extrême dévouement avait porté à suivre son maître pour le servir, disait-il, sous quelque titre que l'on voulût, était un Corse qui sentait profondément et s'exaltait avec facilité. Exaspéré au dernier point par tous les mauvais traitements du gouverneur, ne pouvant tenir aux outrages qu'il prodiguer à l'Empereur, aigri de voir sa santé en dépérir, gagné lui-même par une mélancolie noire, il avait cessé, depuis quelque temps, tout service de l'intérieur ; et, sous prétexte de procurer de quelques oiseaux pour le déjeuner de l'Empereur, il semblait ne plus s'occuper que de chasser dans le voisinage. Dans un moment d'abandon, il confia à Cipriani, son compatriote, qu'il avait le projet, à l'aide de son fusil à deux coups, de tuer le gouverneur et de s'expédier ensuite lui-même. Le tout, disait-il, pour délivrer la terre d'un monstre.

Cipriani, qui connaissait le caractère de son compatriote, effrayé de sa résolution, en fit part à plusieurs autres du service, et tous se réunirent pour prêcher Santini ; mais leur éloquence, loin de l'adoucir, ne semblait que l'irriter. Ils prirent alors le parti de tout découvrir à l'Empereur, qui le manda sur-le-champ en sa présence : "Et ce n'est, me disait-il plus tard, que par autorité impériale, pontificale, que j'ai pu venir à bout de terrasser la résolution de ce gaillard-là. Voyez un peu l'esclandre qu'il allait causer ! J'aurais donc encore passé pour le meurtrier, l'assassin du gouverneur. Et, au fait, il eût été bien difficile d'ôter une telle pensée de la tête de bien des gens ! etc."

(...)"

J'imagine bien la scène ! typique ! drôlatique !
Qu'est ce que je ris, lorsque je lis, et même à la énième relecture, la phrase de Napoléon : autorité impériale, pontificale... Les italiques de Las Cases rendent bien le ton, la force, l'énormité de la parole de cet homme face au chasseur fou qu'est devenu Santini ! Dans un jargon laid et utile comme n'importe quel jargon, on parlerait de discours narrativisé, un mot remplace tout un discours : "Santini, c'est l'Empereur qui vous parle, celui qui a mangé les Etats pontificaux !"

Pontifex : qui fait un pont. Un chemin. Un lien. Celui qui fait cela ne peut cautionner ce meurtre sauvage.

Santini, mélancolique chasseur, meurtrier et suicidaire. Aïe, aïe... vieille histoire, éternelle histoire. Se rêvant tueur de monstre, et mourant au moment même de son exploit, un peu comme Hippolyte à la fin de Phèdre de Racine, héros sublime et parfait, aux dernières paroles si douces... Mais non, Santini, n'aura droit à rien, qu'à subir la parole d'ouragan de l'empereur pontifex et continuer à vivre, à supporter les outrages administrés par le gouverneur de l'île de Sainte-Hélène...

Nous le lisons, ce pauvre Santini. Figure sublime de la littérature corse. On pourrait imaginer les mots de cet homme, là-bas, ourdissant son projet dans son âme, se parlant à lui-même, grommelant des imprécations au passage du gouverneur, discutant le bout de gras avec Cipriani et les "autres du service", tentant de répondre à son maître l'Empereur, l'impérial, le pontifical ! La force de cet homme, Santini, incroyable, qui va jusqu'à obliger le Maître de l'Univers, Napoléon Ier lui-même, à en appeler à son autorité personnelle...

Las Cases ne rapporte pas les mots de Santini (utilisait-il le corse, le français, les deux, mélangés ?).

Littérature corse : les mots inaudibles du chasseur Santini en juillet 1816 à Sainte-Hélène. Divin juillet.