N'ayant pas pris de notes, ce billet évoquera ce qui s'est dit ce jour-là, sans chercher l'exhaustivité.
Tout d'abord une impression : une trentaine de personnes pour venir écouter une conférence sur ce sujet, un dimanche en début d'après-midi, je trouve ça honorable, et même très bien. Et le conférencier a eu la gentillesse d'appeler rapidement l'auditoire à poser des questions et faire des remarques, afin que ce moment devienne un moment d'échange. Ce fut le cas, il y eut plusieurs interventions (au moins 9 personnes différentes, selon mon souvenir).
1. De l'impossibilité de parler de littérature corse !
Mais, mais... le problème fut que très vite les questions ont tourné autour d'un autre sujet : la langue corse (avec de vieilles lunes et de vrais soucis qui taraudent encore les esprits : la non-compréhension entre différentes variantes du corse, les causes de son déclin dans l'usage social et familial, les remèdes à employer, l'espoir et le désespoir). Et quand on entre dans cette discussion, il est très très difficile de revenir au premier sujet : les textes, ce qu'ils disent, si nous les lisons, qui a envie de les lire, sont-ils disponibles, comment échanger à leur sujet.
Et cette dérive est intervenue dès la première intervention, celle de Sixte Ugolini me semble-t-il, qui a posé la question qui fâche (et qui me semble inutile, personnellement) : "Que peut-on appeler de la littérature corse ? Uniquement les textes écrits en langue corse ? (Ce qui est la position de Sixte Ugolini) ou les textes écrits par les Corses, dans quelque langue que ce soit ? Ou bien encore tous les textes traitant de la Corse ?"
A partir de là, Jacques Fusina a bien montré que les deux positions (restrictive et maximaliste) avaient leurs défauts, et que l'on devait considérer chaque texte susceptible d'être inclus dans la littérature corse en tenant compte de bien d'autres paramètres que ceux de la langue ou de l'origine de l'auteur. J'ai proposé que l'on considère ces étiquettes pour ce qu'elles sont : des qualificatifs non exclusifs et non éternels. Ainsi on peut tout à fait considérer que les romans de Jérôme Ferrari écrits en français sont de la littérature française et corse (c'est d'ailleurs la position de l'auteur lui-même, me semble-t-il, la seule condition qu'il énonce étant qu'il ne veut pas considérer la littérature corse comme une littérature régionale ou régionaliste).
En fait, je profite de ce billet pour répéter ici ma position : est littérature corse le texte qui est lu et fait de l'effet sur l'imaginaire corse. Je sais, cela ne règle pas le problème mais cela permet d'inclure la position du lecteur.
Jacques Fusina a alors prononcé une phrase de Fernand Ettori qui, évoquant la possibilité de considérer le corse comme une langue (avec toutes ses variantes), parlait de la "dialectique de l'un et du multiple qui est celle de la vie". Très belle phrase, je trouve, que je proposais de reprendre pour regarder la littérature corse comme un ensemble où cette dialectique vitale comprend la multiplicité des langues et des formes.
2. De l'impossibilité (ou de la grande difficulté) de lire de la littérature corse !
Puis le conférencier a fait la liste des auteurs d'expression corse qui depuis le 17ème siècle ont publié des textes dans cette langue, et il a insisté sur ce qu'il aimait (Gulgielmo Guglielmi, Savatore Viale, Santu Casanova, Antone Leonardu Massiani, Anton Francescu Filippini, Ghjuvan Petru Lucciardi, Sebastianu Dalzeto). Mais régulièrement, je lui ai demandé où l'on pouvait se procurer la plupart de ces ouvrages et souvent la réponse était négative : de nombreux textes ne sont plus disponibles, et certains qui ont été réédités sont difficilement trouvables.
Voilà des questions qui me paraissent d'une importance considérable :
- quand aurons-nous une bibliothèque (papier ou numérique) exhaustive de la littérature corse accessible à tous, tout le temps ?
- qui lit vraiment quels ouvrages de cette bibliothèque, comment ?
Angèle Paoli vient de coordonner (bravo ! et quel immense plaisir de voir ainsi voyager l'expression littéraire corse !) une grande anthologie de poésie corse (en corse et en français) pour une revue québécoise, et elle explique ceci dans l'introduction :
D’autres, érudits raffinés,
pourraient nommer spontanément Salvatore Viale, auteur de la
Dionomachia, petit
poème héroï-comique et premier texte à avoir été publié en
langue corse (1817). Mais qui pourrait aujourd’hui, mis à part
les historiens de la littérature insulaire, réciter de mémoire
des vers du «plus grand poète corse » ?
Mais justement, il se trouve que ce texte est disponible, lui, et dans les trois langues en plus : en italien (Salvatore Viale écrivait en italien, non en corse, mais quelques vers du poème sont en langue corse), avec des traductions en corse et en français. Le Centre culturel et la Bibliothèque de l'université de Corse l'ont publié sous le titre "E guerre sumerine" et "Une guerre pour rien" ("Une guerre pour rien", en 1998, en Corse, cela a du sens, non ?). Le livre est donc publié mais il est presque impossible de l'obtenir !
La question est donc : qui peut avoir envie de lire ces livres, puisqu'ils ne sont ni sur le marché, ni sur la place publique ni dans les rêves des lecteurs potentiels ?
Or, ce texte est fabuleux, d'une richesse incroyable (je pense au début du chant 8 par exemple, qui n'est pas du tout héroï-comique, mais tragique), je ne crois pas que ce soit seulement un "petit poème héroï-comique" réservé à des êtres raffinés, il faut le promouvoir comme un texte pour tous, qui doit être accessible à tous. Je fais un lien vers un précédent billet concernant cet ouvrage sur ce blog.
Oui, la question est la suivante : la littérature corse passée et présente doit-elle être évoquée d'abord comme un problème linguistique ou bien encore comme un objet dépassé ou bien encore comme une réalité contemporaine ?
Je dirais que la question est la suivante : qui a envie de quelle littérature corse aujourd'hui ? Pour nous aujourd'hui ? Quelle est la valeur actuelle des livres corses passés ?
Je reprends les catégories reprises à d'autres auteurs : il faudrait faire en sorte que les textes soient non des "documents" (historiques), non des "monuments" (glacés) mais des "événements" (qui nous remuent, ici et maintenant, et nous fassent rêver, parler, nous émouvoir, encore).
3. De l'absence de désir de littérature corse !
La conférence de Jacques Fusina fut donc, à mes yeux, d'un très grand intérêt parce que le conférencier connaît extrêmement bien cette littérature, mais l'objet de la conférence n'est pas devenu un objet vivant ce jour-là. La compétence et le désir du conférencier ne sont pas en causes.
Disons-le tout net : je crois qu'il n'y avait pas de désir d'évoquer des textes de littérature ce jour-là dans notre assistance. Nous nous sommes encore laissés engluer dans des questions insolubles et secondaires.
Ce n'est que partie remise !! Le combat continue !