mardi 29 janvier 2013

Un compte rendu ? Non, un écho...

Donc, Jacques Fusina (on sait l'importance de son travail comme militant culturel, enseignant, poète, chroniqueur) était à Marseille à l'invitation de la Fédération des groupements corses de Marseille et des Bouches-du-Rhône pour prononcer une conférence intitulée "Littérature corse".

N'ayant pas pris de notes, ce billet évoquera ce qui s'est dit ce jour-là, sans chercher l'exhaustivité.

Tout d'abord une impression : une trentaine de personnes pour venir écouter une conférence sur ce sujet, un dimanche en début d'après-midi, je trouve ça honorable, et même très bien. Et le conférencier a eu la gentillesse d'appeler rapidement l'auditoire à poser des questions et faire des remarques, afin que ce moment devienne un moment d'échange. Ce fut le cas, il y eut plusieurs interventions (au moins 9 personnes différentes, selon mon souvenir).

1. De l'impossibilité de parler de littérature corse !
Mais, mais... le problème fut que très vite les questions ont tourné autour d'un autre sujet : la langue corse (avec de vieilles lunes et de vrais soucis qui taraudent encore les esprits : la non-compréhension entre différentes variantes du corse, les causes de son déclin dans l'usage social et familial, les remèdes à employer, l'espoir et le désespoir). Et quand on entre dans cette discussion, il est très très difficile de revenir au premier sujet : les textes, ce qu'ils disent, si nous les lisons, qui a envie de les lire, sont-ils disponibles, comment échanger à leur sujet.

Et cette dérive est intervenue dès la première intervention, celle de Sixte Ugolini me semble-t-il, qui a posé la question qui fâche (et qui me semble inutile, personnellement) : "Que peut-on appeler de la littérature corse ? Uniquement les textes écrits en langue corse  ? (Ce qui est la position de Sixte Ugolini) ou les textes écrits par les Corses, dans quelque langue que ce soit ? Ou bien encore tous les textes traitant de la Corse ?"

A partir de là, Jacques Fusina a bien montré que les deux positions (restrictive et maximaliste) avaient leurs défauts, et que l'on devait considérer chaque texte susceptible d'être inclus dans la littérature corse en tenant compte de bien d'autres paramètres que ceux de la langue ou de l'origine de l'auteur. J'ai proposé que l'on considère ces étiquettes pour ce qu'elles sont : des qualificatifs non exclusifs et non éternels. Ainsi on peut tout à fait considérer que les romans de Jérôme Ferrari écrits en français sont de la littérature française et corse (c'est d'ailleurs la position de l'auteur lui-même, me semble-t-il, la seule condition qu'il énonce étant qu'il ne veut pas considérer la littérature corse comme une littérature régionale ou régionaliste).

En fait, je profite de ce billet pour répéter ici ma position : est littérature corse le texte qui est lu et fait de l'effet sur l'imaginaire corse. Je sais, cela ne règle pas le problème mais cela permet d'inclure la position du lecteur.

Jacques Fusina a alors prononcé une phrase de Fernand Ettori qui, évoquant la possibilité de considérer le corse comme une langue (avec toutes ses variantes), parlait de la "dialectique de l'un et du multiple qui est celle de la vie". Très belle phrase, je trouve, que je proposais de reprendre pour regarder la littérature corse comme un ensemble où cette dialectique vitale comprend la multiplicité des langues et des formes.

2. De l'impossibilité (ou de la grande difficulté) de lire de la littérature corse !
Puis le conférencier a fait la liste des auteurs d'expression corse qui depuis le 17ème siècle ont publié des textes dans cette langue, et il a insisté sur ce qu'il aimait (Gulgielmo Guglielmi, Savatore Viale, Santu Casanova, Antone Leonardu Massiani, Anton Francescu Filippini, Ghjuvan Petru Lucciardi, Sebastianu Dalzeto). Mais régulièrement, je lui ai demandé où l'on pouvait se procurer la plupart de ces ouvrages et souvent la réponse était négative : de nombreux textes ne sont plus disponibles, et certains qui ont été réédités sont difficilement trouvables.

Voilà des questions qui me paraissent d'une importance considérable :
- quand aurons-nous une bibliothèque (papier ou numérique) exhaustive de la littérature corse accessible à tous, tout le temps ?
- qui lit vraiment quels ouvrages de cette bibliothèque, comment ?

Angèle Paoli vient de coordonner (bravo ! et quel immense plaisir de voir ainsi voyager l'expression littéraire corse !) une grande anthologie de poésie corse (en corse et en français) pour une revue québécoise, et elle explique ceci dans l'introduction :  

D’autres, érudits raffinés, pourraient nommer spontanément Salvatore Viale, auteur de la Dionomachia, petit poème héroï-comique et premier texte à avoir été publié en langue corse (1817). Mais qui pourrait aujourd’hui, mis à part les historiens de la littérature insulaire, réciter de mémoire des vers du «plus grand poète corse » ?

Mais justement, il se trouve que ce texte est disponible, lui, et dans les trois langues en plus : en italien (Salvatore Viale écrivait en italien, non en corse, mais quelques vers du poème sont en langue corse), avec des traductions en corse et en français. Le Centre culturel et la Bibliothèque de l'université de Corse l'ont publié sous le titre "E guerre sumerine" et "Une guerre pour rien" ("Une guerre pour rien", en 1998, en Corse, cela a du sens, non ?). Le livre est donc publié mais il est presque impossible de l'obtenir !

La question est donc : qui peut avoir envie de lire ces livres, puisqu'ils ne sont ni sur le marché, ni sur la place publique ni dans les rêves des lecteurs potentiels ?

Or, ce texte est fabuleux, d'une richesse incroyable (je pense au début du chant 8 par exemple, qui n'est pas du tout héroï-comique, mais tragique), je ne crois pas que ce soit seulement un "petit poème héroï-comique" réservé à des êtres raffinés, il faut le promouvoir comme un texte pour tous, qui doit être accessible à tous. Je fais un lien vers un précédent billet concernant cet ouvrage sur ce blog.

Oui, la question est la suivante : la littérature corse passée et présente doit-elle être évoquée d'abord comme un problème linguistique ou bien encore comme un objet dépassé ou bien encore comme une réalité contemporaine ?

Je dirais que la question est la suivante : qui a envie de quelle littérature corse aujourd'hui ? Pour nous aujourd'hui ? Quelle est la valeur actuelle des livres corses passés ?

Je reprends les catégories reprises à d'autres auteurs : il faudrait faire en sorte que les textes soient non des "documents" (historiques), non des "monuments" (glacés) mais des "événements" (qui nous remuent, ici et maintenant, et nous fassent rêver, parler, nous émouvoir, encore).

3. De l'absence de désir de littérature corse !
La conférence de Jacques Fusina fut donc, à mes yeux, d'un très grand intérêt parce que le conférencier connaît extrêmement bien cette littérature, mais l'objet de la conférence n'est pas devenu un objet vivant ce jour-là. La compétence et le désir du conférencier ne sont pas en causes.

Disons-le tout net : je crois qu'il n'y avait pas de désir d'évoquer des textes de littérature ce jour-là dans notre assistance. Nous nous sommes encore laissés engluer dans des questions insolubles et secondaires.

Ce n'est que partie remise !! Le combat continue !

jeudi 24 janvier 2013

Tous à Marseille !

Comme tous les ans, voici le salon du livre corse (et de l'artisanat, pour la première fois cette année) à Marseille, rue Sylvabelle. C'est donc la Fédération des groupements corses de Marseille et des Bouches-du-Rhône qui organise et offre l'occasion à tous les amoureux de la littérature et de la Corse de rencontrer les éditeurs (plus d'une dizaine) et les auteurs (plus d'une quinzaine). Conférences, dialogues, dédicaces, lectures, discussions...

Quand ? Mais ce week-end : samedi 26 et dimanche 27 janvier 2013 de 10 h à 18 h (au numéro 69 de la rue Sylvabelle).

Voici le lien sur le site de la Fédération ;

et un lien vers le site Corsicapolar qui relaie l'info lui aussi.

Je signale dans ce billet l'intitulé des conférences qui seront proposées :

C O N F E R E N C E S

Samedi à 14h : « Les Corses de Marseille du 16e au 19e siècle » par Michel Vergé-Franceschi, Historien auteur de nombreux ouvrages


Samedi à 16h : « Razzia sur la Corse : des plasticages à la folie spéculative » par Héléne Constanty, journaliste indépendante.
Elle a écrit plusieurs livres, dont « Le Lobby de la gâchette » et « Députés sous influences» avec Vincent Nouzille.


Dimanche à 13h30 : « Littérature Corse» par Jaques Fusina, Professeur émérite, Ecrivain polygraphe (poésie, proses, récits et nouvelles, etc...)


Pour les lecteurs de ce blog, amoureux de la littérature (notamment corse), j'ai placé en rouge la conférence qui sera sans doute passionnante de Jacques Fusina.

Préparez vos questions, par exemple :

- Comment se porte la littérature corse ?
- Que nous dit-elle du monde aujourd'hui ?
- Qu'en attendez-vous pour l'avenir ?
- Quels sont les travaux et projets menés par la nouvelle "Accademia corsa di i vagabondi", mise en place par la Collectivité territoriale de Corse ?
- Le projet d'une société bilingue (avec les langues française et corse coofficielles) est-il une bonne chose pour le développement de la littérature ?
- Est-il possible de faire la liste des 10 ou 19 classiques incontournables de la littérature corse passée (entre le XVème siècle jusqu'aux prémices du Riacquistu des années 1970) ?
- La thèse de Jean-Guy Talamoni soutenue en décembre 2012 est-elle importante dans la réflexion menée sur la littérature corse ?
- ....

dimanche 20 janvier 2013

"Mauvaises nouvelles", de Gilles Zerlini

Donc voici un petit billet pour dire combien j'ai apprécié la lecture du recueil de nouvelles intitulé "Mauvaises nouvelles", orné d'une des plus belles et émouvantes couvertures de toute la littérature corse. C'est le premier ouvrage publié de Gilles Zerlini, aux éditions Materia Scritta (il faudrait que le site soit actualisé, pour qu'on puisse commander l'ouvrage via le site de l'éditeur). J'avais évoqué une des nouvelles dans un précédent billet (voir ici).

La photo de couverture, d'abord :

Un jeune enfant nous regarde, costumé en torero, le chapeau, la veste, la cape (enfin, il faudrait utiliser les mots espagnols), en fait non il ne nous regarde pas, il regarde un peu au-delà de notre épaule gauche (vers quelqu'un de sa famille ?), dans tous les cas c'est un regard qui en dit long, silencieusement. Sa bouche est close, le regard est figé, semble-t-il, et ses petites mains qui tiennent la cape manquent de conviction. Il semble interdit.

(J'aime beaucoup ce mot, interdit.)

Evidemment, tout le sel de la photo est dans ce qui se voit derrière l'enfant : la masse floue mais très reconnaissable d'un taureau qui semble, lui, incliner un regard déterminé vers l'enfant qui lui tourne le dos.

Comme au cinéma, nous désirons crier à l'enfant : attention derrière toi ! Mais l'enfant ne bouge pas. Et nous oscillons, nous spectateur-lecteur, entre l'enfant, le taureau et ce que regarde l'enfant, partagé entre de multiples sensations et émotions (le sourire nous vient aux lèvres et de la tendresse aussi, et finalement l'angoisse profonde devant la disparition prochaine de tout et de tous, la mort sourde et indifférente, toujours violente, quoi qu'on en dise). Une photo apocalyptique.

Bref, une magnifique couverture. Je trouve que les nouvelles du recueil relèvent (presque toujours) le défi de proposer quelque chose d'aussi beau que cette photo.

J'aime bien le ton et le rythme proposés par l'écriture de Zerlini. Il y a une certaine urgence qui charrie cependant nombre de détails significatifs, la volonté d'emporter le lecteur, rapidement dans des situations toujours étonnantes, avec la recherche (peut-être trop systématique) d'une chute (parfois trop attendue).

J'aime la diversité des époques et des lieux, le monde entier, finalement, est convoqué, même si souvent la Corse est la scène choisie. Et la diversité d'écriture, textes à la première personne, à la troisième, à la deuxième. Et la diversité des titres aussi, 13 nouvelles souvent très méchantes finalement (si l'on prend l'adjectif  "mauvaises" dans ce sens), rarement bienveillantes, toutes pleines de hargne, pour faire rendre gorge à un monde injuste, et cruel ; voici les titres :

American Park (évoquant la 1ère Guerre mondiale)
Journées (regard ironique sur les Journées nationalistes de Corti)
Star spangled banner (la dérive d'un soldat perdu)
Boniface (la naissance d'un guerrier corso-turc devant Bonifacio)
Just a perfect day (une vie perdue)
Caravanes (de l'art saisonnier du vandalisme, je finirai le billet avec cette nouvelle qui me hante)
Caveau (la plus glaçante...)
Trois soeurs et un frère (de l'union de destins contradictoires)
U sangu ùn hè acqua (une autre vie perdue)
La minerve (un souvenir d'enfance, un traumatisme)
Dégueuler (les trois derniers textes semblent vouloir nous désespérer totalement à propos du futur de la Corse, cependant nous attendrons avec plaisir le prochain roman annoncé de l'auteur)
Vendre
Se taire

Bien souvent les personnages meurent, se suicident, parfois de façon étonnamment belle, ou burlesque. Bien souvent, on sent qu'un propos cherche à s'imposer au coeur des récits (un propos bien sombre, où la société - notamment corse - se révèle hypocrite, négligeant les vraies douleurs qu'elle occasionne, conduisant les êtres encore un peu humains à des comportements mélancoliques, et finalement destructeurs). Mais ce qui me plait, à la relecture, c'est le goût des situations, des détails, qui sonnent souvent vrais, parce que complexes comme la vraie vie. C'est cette tension entre le plaisir de donner à voir le détail de nos existences et la volonté d'en discourir qui me plait.

Je vous laisse découvrir ou redécouvrir l'ensemble.

Je termine en évoquant la nouvelle intitulée "Caravanes". J'ai écrit qu'elle me hante. Il me semble que c'est une de celles qui décrivent le mieux ce que peut être un non lieu, un lieu qu'on n'habite pas ou plus vraiment, dans un temps qui perd lui aussi toute sa charge humaine (un temps sans avenir, sans devenir). Et cette description n'est pas grandiloquente, elle se fait via la très réaliste vie d'un travailleur saisonnier de l'industrie touristique, qui vit à l'année dans une caravane. Il s'appelle Pierre-Laurent et tout le monde l'appelle Cousteau parce qu'il est plongeur. C'est-à-dire qu'il fait la plonge pendant la saison estivale, dans les restaurants de la côte. Mais l'hiver ? Que faire ?... Occuper par exemple les villas qui, comme résidence secondaire, sont normalement vides lorsque la température baisse. Commence alors une lente errance qui voit le personnage entrer par effraction dans une série de maisons vides, utiliser les commodités que lui offrent ces lieux souvent luxueux, mais désespérément vides, et finalement creux. Et je me suis dit alors, pendant ma lecture, mais oui bien sûr, c'est cela qui est décrit ici : comment un lieu s'évide, comment le vide s'étend sans faire de vagues, tout à fait tranquillement, normalement. Et malgré le calme apparent et la drôlerie, c'est une scène d'horreur.

Je cite (dans cette villa, le personnage trouve tous les films de Stanley Kubrick) :

Affalé dans son canapé il regarde la fin de Docteur Folamour sans beaucoup rire, puis 2001, L'Odyssée de l'espace, le tout entrecoupé de siestes et de longs gorgeons de Martini, de Porto puis de Campari, légèrement colmatés par des boîtes de thon à l'huile mélangés à de la semoule de blé grain moyen. A chaque nuit sa chambre, il en changea à chaque fois prenant bien le soin de remettre en place parfaitement la literie quelquefois tachée de vomi. Au bout de trois jours à ce rythme il était arrivé à Eyes Wide Shut, l'ultime film de Kubrick auquel il ne comprit rien, mais il mit cela sur le mélange et l'abus d'alcool. Le bar vide il était temps de quitter sa cachette, il prit un dernier bain, remit toutes les bouteilles vides à leur place dans le bar, rangea parfaitement toutes les boîtes de conserve en repositionnant les couvercles, les paquets et les sachets vides dans les placards de la cuisine. Il vida la totalité de la cave dans une baignoire, le pourpre du vin sur le blanc de l'émail était du plus bel effet. Ensuite il fit le tour de tous les chauffages électriques de chaque pièce, les alluma su position maximale, puis il ouvrit les trois robinets de douche et les six de lavabo des salles de bain "coule petite rivière, coule", il fit de même avec tout ce qui pouvait s'allumer comme ampoule, le compteur électrique qui tournait "à fond comme un 78 tours", et écouta la musique du pépiement précipité du compteur d'eau comme un gosse devant un jouet mécanique. Il referma au mieux les volets en coinçant un tissu entre les lattes et, de nuit, reprit la route. Il passa devant un oratoire, sur la plaque St Martin, la statuette du saint n'y était plus.

En écrivant ce passage, je remarque maintenant la comparaison, "comme un gosse devant un jouet mécanique", et je me dis que sur la photo de couverture l'enfant est peut-être moins interdit que révolté (sourdement mutiné, faisant une volte-face). Je ne sais pas de quoi Saint Martin est le patron, peut-être y a-t-il un sens à le voir arriver ainsi en fin de paragraphe... ou plutôt de ne pas le voir arriver ?).

Peut-être discuterons-nous de tout cela ?

Je signale qu'un des derniers textes du recueil est lisible sur le site de Musanostra.

Je signale aussi qu'on peut lire une nouvelle, écrite en langue corse, de Gilles Zerlini sur le blog "Tarrori è fantasia", intitulée "Animali".

Enfin, si vous vous voulez des précisions sur la réflexion philosophique de Jérôme Ferrari, voyez le magazine Philosophie de ce mois-ci (quatre pages de discussion avec un philosophe, à propos de fin du monde).

Si vous voulez lire de nouveaux textes de littérature corse (en corse ou en français), voyez le nouveau site "Anima cappiata".

Si vous voulez voir comment la Corse brille grâce à ses écrivains, voyez le dernier numéro du magazine Corsica, qui évoque Jérôme Ferrari, Jean-Noël Pancrazi (il faut que je voie l'émission "Sera inseme" où il est interrogé par Philippe Martinetti), Angelo Rinaldi, et, un peu plus loin, Marc Fumaroli. Nous en reparlerons de cette façon typique de présenter les "réussites" insulaires.

vendredi 11 janvier 2013

PRAXIS NEGRA (nouvelle revue littéraire, en Corse)

Ce n'est pas tous les jours que naît une REVUE LITTERAIRE... même si ce n'est pas la première fois que les membres du comité de rédaction de cette nouvelle revue créent ou alimentent des sites, forums et blogs sur Internet.

C'est donc tout de même une très belle nouvelle : il existe désormais un lieu ouvert à tous où 9 personnes attendent des textes, les publieront ou pas, en corse ou en français.

Les 9 sont les suivants :
Jean-François Rosecchi
Bénédicte Giusti-Savelli
Marc-Olivier Ferrari
Cécile Trojani
Marc Biancarelli
Marceddu Jureczek
Jean-Yves Acquaviva
Jérôme Ferrari
Etienne Cesari
 
Ecrivains (en corse et en français), traducteurs (corse, français et autres langues), lecteurs...  Une belle diversité.
 
La revue joue le mystère et la radicalité, la liberté et le plaisir, le collectif et le personnel. Elle vous convie comme elle peut vous envoyer paître. Elle vous parle, notamment pour vous dire qu'elle ne répondra pas.
 
Elle s'appelle PRAXIS NEGRA.

Un nouveau texte chaque mardi. Cela crée une attente. Cela fait du bien.

Deux textes déjà publiés (morceaux d'oeuvres en cours) : "Je m'appelle Ange" de Jean-Yves Acquaviva et "Maria-Magdalena" de Jean-François Rosecchi. Deux textes qui se rapprochent de la nouvelle et qui donnent envie de lire la suite ; où l'on sent que notre monde contemporain est trituré dans de vraies écritures, et pas seulement prétexte à exercice de style.

Alors qu'est-ce qui fait la différence entre Praxis Negra et The Old Pievan Chronicle, ou Isula, ou Tarrori è Fantasia ? Apparemment, une certaine volonté de proposer 
 
- uniquement des textes littéraires (la présentation indique : "vous y trouverez de la critique, de la fiction, des vers, du récit documenté"),  
 
- quelque chose de "beau" (sans être trop léché) et même d'ambitieux, le tout débarrassé des dialogues entre utilisateurs des forums (avec dérives et private jokes), 
 
- quelque chose de totalement libre dans le choix de la forme, de la langue, du sujet (pas obligé de faire du gore, ou du sombre, ou du déjanté ? non, pas obligé), 
 
- quelque chose qui tout en émanant visiblement de Corse ne cherche pas illustrer une littérature "corse" ; bref, une revue littéraire née en Corse, et ouverte à tout et à tous.
 
Gageons que c'est une très bonne manière de susciter de nouvelles écritures, de nouveaux écrivains, de nouvelles oeuvres (et que c'est aussi - excusez l'obsession - une très bonne manière de participer au renouvellement de la littérature corse).

Longue vie ! Et à vos claviers !

Et pour la discussion autour des textes, revenons ici ou bien là ou là...

Absolument d'accord avec les propos de Xavier Casanova sur son Isularama pour la présentation de cette nouvelle revue : voir ici.

Longue vie à PRAXIS NEGRA !

mercredi 2 janvier 2013

"Paoli city", une lecture. E po duie tese nant'à a literatura corsa !

Devant moi : toute la largeur de la 5ème tranquillement étirée jusqu'à l'horizon. Derrière moi : pareil. J'ai l'impression, un instant, que la Grande Pomme s'est ouverte en deux par le milieu rien que pour moi. Il n'y a pas grand monde sur les trottoirs, à part les incontournables uniformes bleus foncés du N.Y.P.D., en nombre, qui installent nonchalamment les barrières de protection. Peu à peu, les trottoirs se garnissent, des familles pour la plupart, des touristes.

Je comprends qu'il me faut rejoindre le trottoir moi aussi, bien que personne ne me l'ait signifié, de quelque façon. Je dois être sensible à cette mise en scène invisible et pourtant bien précise qui règle tout autour depuis le matin. Dommage ! J'étais bien là où j'étais...

Mais il est bien temps. Les regards se tendent vers le bas de la 5ème. La parade a commencé.

Des centaines de Hell's Angels remontent lentement l'avenue sur leurs motos. Cuirs, tatouages, catogans, badges et drapeaux américains déployés à l'arrière de leurs machines. Le bruit est maintenant assourdissant. Des applaudissement éclatent çà et là sur le trottoir, hommage ému à ces combattants du Vietnam. Ils semblent invincibles et fils, malgré leur soixantaine bien déclarée. Pourtant leur histoire reste éternellement celle d'une défaite. Mais ici la fierté se reconstruit toujours, même après l'échec.

Un autre temps suspendu. Une autre attente.

Une respiration. Puis trois ou quatre silhouettes tremblantes, approximatives, hésitantes s'avancent au milieu de l'avenue soudain trop large. Tassés, cassés sur des fauteuils roulants électriques : une poignée de centenaires survivants. La Première Guerre mondiale est, cette fois encore, représentée. La dernière fois, peut-être... Les applaudissements sont maintenant nourris. Une main décharnée se lève un peu, pour saluer.

Encore un temps. Ce sont maintenant les anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale qui défilent. À leur tête, un marine en uniforme, s'aidant d'une canne. Il ressemble étrangement à John Wayne. Les applaudissements lui font tourner la tête de mon côté. Son regard tout à coup heureux, empli de fierté et de reconnaissance, croise le mien. Je n'ai pas applaudi. Je sui bien trop compliquée pour cela. Lui, le croit et il me remercie un peu comme un enfant. Merde, c'est lui qui a fait cette guerre abominable, pas moi. Je ne vais quand même pas me mettre à chialer. Je lui fais un geste timide de la main. Il me sourit et repart. Une femme flic noire, qui a vu la scène, me sourit à son tour. Pour un peu, touce sentimentalisme finirait par me gagner !

À distance, derrière eux, des chars semblables à ceux utilisés dans les carnavals. Sur l'un d'eux un vieux crooner et son orchestre entonnent des standards des années quarante, que les spectateurs d'un certain âge reprennent en choeur. D'autres anciens combattants, d'autres corps d'armée, d'autres uniformes.

Une autre respiration.

Puis de jeunes pom-pom girls offrent leur grâce et leur jeunesse sur des musiques rythmées et festives, dont une version très "swing" de l'hymne national. La parade affirme maintenant sa vitesse de croisière. Page après page, c'est presque toute l'histoire guerrière du XXème siècle et du début du XXIème qui se raconte à haute voix.

C'est le tour maintenant des vétérans de la guerre de Corée puis ceux du Vietnam. Certains quittent les rangs pour venir serrer des mains sur le trottoir, distribuer des stylos, des badges, et des coquelicots en plastique. Sans transition presque cette cette fois, un jeune homme en tutu rose fait des pointes sur un titre de Klaus Nomi, je crois. Derrière lui, des camarades brandissent une banderole en l'honneur des gays dans l'armée américaine. Klaus Nomi fait place au silence. Puis de longs, de très longs applaudissements remontent la 5ème jusqu'à nous. Ils précèdent et accompagnent le passage de toute une armada de fourgons et fourgonnettes vitrés, mis à la disposition des blessés de la première guerre d'Irak. un arrêt, pour permettre sans doute, à ceux qui le souhaitent, de pouvoir prendre des photos. Les passagers de la fourgonnette immobilisée à ma hauteur ont perdu la vue au cours de l'opération "Tempête du désert". À l'arrêt des véhicules, les applaudissements redoublent. Alors les passagers tournent vers le trottoir leurs visages sans regards et lèvent ensemble la main droite pour saluer. Ce sont ensuite d'autres écoles venues des coins les plus reculés du pays, d'autres jeunes danseuses court vêtues, souriantes, des pom-pom girls encore, des majorettes, des airs de comédie musicale, d'autres vétérans, d'autres souffrances anciennes, encore toutes fraîches ou à venir. Après les mutilés de la première guerre en Irak, un petit groupe portant des pancartes contre la guerre en Irak justement, contre toutes les guerres. Applaudi lui aussi.

Suivant de près, des associations venues de Harlem. Tous Africains-Américains, portant l'uniforme des rappeurs et une banderole : "Notre lutte est quotidienne. Nous nous battons pour la justice sociale." D'autres applaudissements. Chacun choisit sa causes, ses héros...

Deux heures plus tard, la parade touche à sa fin. On sent bien que l'on s'avance vers une sorte de bouquet final... Ce sont d'abord les combattants actuels en Irak. Je ne comprends pas bien s'ils sont seulement en permission ou bien s'ils viennent de rentrer, en tout cas quelque chose d'indéfinissable saisit ceux des trottoirs. Il y a de la peur sans doute, de l'admiration c'est sûr, de la pitié, de la solennité, comme une envie de s'excuser aussi... Tout le monde applaudit, cette fois. Ceux qui approuvent cette guerre... ses prolongements plutôt, comme ceux qui la désapprouvent entièrement. On salue ici le courage, le risque. C'est sûrement pour cela que suivent, rapprochés, les pompiers de New York, toutes sirènes dehors. Ce sont les héros du 11 septembre qui sont ovationnés ici. Ils brandissent d'ailleurs bien haut le nom de tous ceux de leurs camarades qui y ont laissé la vie. Les yeux de beaucoup de ceux qui sont autour de moi se remplissent de larmes... Heureusement, toujours ce sens du mouvement, du rythme, de la respiration, du spectacle !

C'est au tour des Miss America, de 1950 à 2007, de remonter la 5ème Avenue, en ordre chronologique, juchées par groupe de trois sur l'arrière de somptueuses américaines : Chrysler, Chevrolet, Pontiac, Buick, et autres Studebaker ou Daimler de la grande époque, aux couleurs acidulées. Le drapeau américain est devenu le maillot de bain. Les Miss arborent fièrement l'année de leur couronnement. Malgré leur sourire généreux, les premières témoignent courageusement de la cruauté des blessures infligées par le temps. Elles sont sans doute là pour nous rappeler que la vie elle-même est un combat, dont l'issue est certaine. À peine quelques Cadillac plus loin et le corps des "Miss" nous raconte toute autre chose...
Que le "show must go on" par exemple ! C'est certainement ce que signifie le final de cette parade. Des milliers de conscrits en tenue camouflée, par groupe de cent, en petite foulée... Ils iront en Irak, c'est sûr, en Afghanistan, qui sait, un jour en Iran peut-être : là où notre folie les conduira. Ils ne connaissant pas encore la souffrance.
Ils n'ont pas dû voir le début de la parade. Si, pourtant... Mais, ils sont jeunes et ils courent. Des Blancs, des Noirs, des Latinos, des Asiatiques, des Indiens. Des hommes et des femmes en nombre égal. Tous dans cette même cours. Dans ces mêmes uniformes. Je n'applaudis pas. Je les regarde... avec honte, je crois. Oui, c'est ça. Pas émue : honteuse, juste à cet instant-là. Et curieuse. Je les trouve petits de taille, tous : pas l'image que nous avions, dans ma jeunesse, des marines et des GI's. Peu de wasps, me semble-t-il. Peu de Blancs. L'Amérique a changé. Le monde a changé. D'autres corps pour d'autres guerres.

C'est fini.

Les derniers coureurs se perdent dans l'Upper Manhattan. Les services de voirie remontent à leur tour l'avenue. Arrosage, balayage, ramassage. Les barrières sont retirées. Je reprends un temps le milieu de la 5ème. Ce n'est pas tous les jours... Je lève les yeux et revois les images de l'Amérique triomphante qui descend la 5ème sous un déluge de confettis et de guirlandes. Je revois les images en boucle de J.F. Kennedy dans sa voiture décapotable. Quelques flics en moto descendent l'avenue doucement. Dernières vérifications avant réouverture à la circulation, sans doute. Je rejoins le trottoir, surprise que personne ne me l'ait demandé... Encore d'autres motards, des voitures de police, quelques premiers taxis jaunes pour bien souligner que nous sommes toujours à New York. Un premier bus. Encore une hésitation... et soudainement, en flot serré, la vie new-yorkaise reprend son cours ordinaire.

Quelques heures plus tard je prenais l'avion pour la France à JFK... avec ces images... prises pour moi, pour vous surtout !

Cela a été érit par Catherine Sorba et Francis Aïqui, publié sous le titre "Paoli city", cinquième volume de la collection "Centu milla" aux éditions Albiana (2011).  A l'origine (3 juin 2008) c'est du théâtre. Et du cinéma. (Voyez sur le site de l'éditeur, les liens.)

C'est l'histoire d'une Américaine (Lisa) qui vient voir deux amis (Antoine et Joseph) de son compagnon défunt (Noël), en Corse. Elle porte avec elle de petits films vidéos et les cendres de son compagnon. Les trois discutent. Evoquent l'amitié des trois hommes fondées dans le mouvement nationaliste des années 70/80, les désillusions, l'amertume Le tout donne la sensation désagréable que "tout est foutu". Mais il y a cette Américaine, qui voudrait comprendre pourquoi Noël parlait si souvent de la Corse, qu'est-ce qui avait bien pu nourrir cet enthousiasme et susciter ce départ. Et il y a donc ces évocations des Etats-Unis, en parole et en image (une soixantaine de photogrammes sont éparpillés sur les 73 pages du livre, mais dans un format noir et blanc si petit qu'ils ne donnent presque rien à voir).

Et parmi ces évocations, il y a cette description de la parade du Veteran's Day, le 11 novembre, sur la 5ème avenue à New-York. Et ce que j'ai aimé à la première lecture en lisant ce passage, c'est exactement le contraire de ce qui m'a déplu dans les paroles des deux autres personnages, les amis de Noël restés dans l'île : un regard qui malgré la mort, la déception, la honte, la confusion, l'incertitude, ose encore mettre en forme ce qu'offre le monde. Voilà ce que j'ai pensée : les personnages corses de "Paoli city" sont "morts" au monde (agriculteur ou professeur), ils n'y croient plus - cela ne les empêche pourtant pas d'agir, d'une certaine façon (ils fabriquent des produits agricoles ou des cours, ils envoient dans la société des idées, à une petit échelle certes). Mais ils sont "morts". Et l'Américaine, qui est veuve, qui a le désir de se défaire de son mari défunt en allant discuter avec ses anciens amis dans l'île, et en répandant ses cendres quelque part où ils penseront que ce sera le mieux, l'Américaine, qui n'arrête pas de dire qu'elle ne sait pas raconter, qu'elle ne sait pas relier entre elles les images qu'elle filme, qu'elle n'a pas fait de film, cette Américaine ouvre des horizons, s'étonne, et finit par juger Joseph et Antoine comme "complaisants".

C'est pourquoi je voulais citer intégralement (ou presque) la description de la parade du Veteran's Day, avec ses éléments si contradictoires. J'y ai ressenti comme une certaine faculté d'accueillir ce qui est, sans jugement préconçu (par exemple sans intention a priori satirique, ou sans humeur forcément hautaine, blasée).

A la fin du livre, les personnages se lèvent pour trouver l'endroit où répandre les cendres de Noël et ce sont les deux amis qui ont les derniers mots (les seuls un peu "positifs", qui ouvrent une perspective) :

Antoine. - C'est vous qui avez inventé ça, non, le road-movie ? On part à la recherche d'on ne sait pas quoi et à la fin on trouve autre chose. Et entre-temps, alors là, on a beaucoup changé.
Joseph. - Il va y avoir du boulot.

Voilà une nouvelle définition programmatique de la "littérature corse" : un road-movie avec beaucoup de boulot ("a hard job" dit la version anglaise de l'ouvrage, qui est donc bilingue)...

Mais vous avez peut-être une autre lecture de cet ouvrage ? Ou vu la pièce en 2008 ? Pourquoi n'en parlerions-nous pas ? Ici ou là ?

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En ce début d'année civile (2013), je signale l'existence de deux thèses de doctorat sur des sujets qui intéressent au plus haut point ce blog et qui ont été soutenues il y a quelques semaines :

* Marie-Jeanne Colombani, angliciste, a soutenu une thèse sous le titre : "James Boswell, historien et publiciste de la Corse. Edition critique de la taduction de "British Essays in Favor of the Brave Corsicans : by Several Hands. Collected and Published by James Boswell, Esq. (1769)".

* Jean-Guy Talamoni, avocat, homme politique, a soutenu une thèse sous le titre : "Littérature et construction politique : l'exemple du Primu Riacquistu corse (1896-1945)".

J'ai la chance de pouvoir lire la deuxième, ce que j'ai fait en grande partie et je pense sincèrement que la publication de la thèse de JG Talamoni va être un des événements littéraires les plus importants et intéressants de cette année ! Il donnera matière à découverte, mais aussi à discussion. Je ferai une petite liste (à compléter bien sûr !!) des ouvrages qui se consacrent à la question littéraire corse, et je suis sûr que le livre de Talamoni va remuer nos conceptions, nos imaginaires et réactiver notre désir de lire et relire les ouvrages de tous les auteurs cités.

Vivement la publication de ces deux thèses (à quand celle si attendue de Paulu Desanti sur trois poètes corses de l'entre-deux guerres ??).

Bon allons-y, bon annu à quellu chì leghje...