jeudi 1 août 2013

Complément d'information

J'engage tous les curieux de littérature (notamment corse) à visiter tous les sites qui sont référencés dans les rubriques de ce blog, à participer à toutes les manifestations littéraires (en librairie, sur les places des villes et villages, avec les auteurs, les éditeurs, rencontres, signatures, débats, ateliers) qui font vivre la littérature en Corse et la littérature corse.

Ce blog (Pour une littérature corse) est bien fermé, car il me prenait trop de temps et ne m'en laissait plus pour d'autres activités, et ce petit billet n'est pas le signe de sa réouverture.

Je veux simplement signaler que je poursuis donc d'autres activités (qui ont cependant la même perspective que ce blog) :

- sur Facebook (relais d'informations et éventuellement discussion à propos de la vie littéraire et artistique corse)
- au festival Racines de ciel (festival littéraire d'Ajaccio)
- au festival Histoire(s) en mai d'Arte Mare à Bastia
- diverses interventions ici ou là (à suivre sur Facebook)

Bonnes lectures, bonnes discussions. Au plaisir de se retrouver sur le Net ou quelque part sur la planète.

lundi 8 avril 2013

Arrêt (définitif) de ce blog

D'autres projets vont me demander temps et énergie, j'arrête donc définitivement l'activité de ce blog, qui reste ouvert à la lecture (550 billets et presque 4000 commentaires, il y a de quoi lire et relire). Merci encore à tous les participants et aux futurs lecteurs.

mardi 2 avril 2013

"Le moindre geste / U mìnimu gestu", de Stefanu Cesari

Je l'ai enfin lu, d'une traite cette fois, d'abord la page en français puis celle en corse, et parfois inversement, avec, régulièrement, le plaisir d'oraliser le texte, le murmurer, le faire entendre, se l'entendre dire. (De quoi parlé-je ? Du quatrième recueil de poèmes de Stefanu Cesari, "Le moindre geste / U mìnimu gestu", publié celui-ci aux éditions Colonna, après trois autres publiés chez Albiana, A Fior di Carta, Les Presses Littéraires.)

Ed avà vi dicu subitu ciò ch'aghju in mente : sempre sempre Cesari ci parla di issi gesti è cose simplice di u cuttidianu, hè vera, ma fate attinzione chì u linguaghju t'hà ancu a so impurtanza. Mi pare chì u libru ci dice : eu cercu u mo linguaghju.

Ed e lingue sò duie ! L'hà dettu ind'è Martinetti (emissione televisiva "Sera Inseme" nant'à Via Stella), Cesari ùn po dì ci in chì lingua scrive ! Magnificu ! Quessa a risposta mi piace.

Son langage a deux langues, et réfléchit sans cesse aux conditions de sa naissance face aux choses, aux sensations, très souvent au petit matin.

Comme d'autres poètes (mettez les noms que vous voulez ici) il a le chic pour trouver le rythme, le ton, la scène (simple et mystérieuse) qui fait que l'on garde le poème à l'esprit, on le retient. Voilà : il cherche le langage de la mémoire, ce n'est pas le langage de la mémoire, non, mais il le cherche.

- Il faudrait parler des peintures de Badia : je trouve le contraste saisissant entre l'écrit et l'image. De prime abord, je ne vois pas le rapport, il y a une violence dans ces peintures, une douleur, un mutisme (ou un cri muet), très expressifs, enfantins et angoissants (cela me fait penser à l'art brut), alors que le texte ne crie jamais. L'autore ci hà dettu ind'è Martinetti : "vinti cinque faccie chì dicenu qualcosa" (mi pare). Mais ce sont les différences de registres qui me frappent plutôt, je n'arrive pas à prêter ces mots-là à ces visages-là. Et pourtant je trouve quelque chose de fort et de pertinent dans la présence de ces images. -

Et puis en fait les scènes évoquées par le texte sont très variées : ce n'est pas toujours le petit matin et la cafetière, et dit comme ça cela fait un peu puéril, je caricature bien sûr, car en fait chaque "page-poème" contient une expression mystérieuse, qui ouvre un espace, où tous les éléments du texte peuvent se réagencer, exemple :

Le feu de la gazinière est allumé, vous n'avez pratiquement pas dormi
le peu rassemblé là recouvre tout, comme une peau.
les gestes simples se rebellent
de bon matin, quand les poumons peinent
à déployer le jour, à ôter la poussière.
l'odeur du café.
on reste encore

Ici donc, l'expression : "comme une peau", et si je l'enlève, il me semble que le poème perd beaucoup.

Et la présence permanente de deux versions (corse / français) laisse aussi cet espace dont je parlais (car souvent l'autre langue propose un autre découpage, un autre rythme, voire d'autres images, avec du texte en plus ou en moins) :

U focu di a cucinara hè 'ncesu. ùn eti guasgi micca durmitu
u pocu accoltu quì, v'impannumighja.
i gesti sìmplici scumbàttini di matinata,
quandì i pulmona stràziani
à tirà u ghjornu, à fà a pulvariccia.
una 'nghjìcula di caffè.
stemu cù voscu

"Impannumà" ! Quessa a parolla ! ùn la trovu micca nant'à u situ di l'Adecec (infcor), serà un neulugismu creatu à partesi di u "pannu" (linge, toile, drap, habit, vêtement ; drap mortuaire) ? Dois-je comprendre ce recouvrement comme celui d'un linceul ? Mais le texte en français disait : "comme une peau", j'y vois de la vie plutôt.

Voilà c'est ce que j'adore dans le travail de Cesari : il écrit dans les deux langues, il ne traduit pas au sens strict du terme.

Peut-être avez-vous d'autres manières de lire cette poésie, et ce livre en particulier ? Parlons-en.

Pour finir, deux autres extraits : les deux premières pages, et les deux dernières (ne vous inquiétez pas je ne révèle rien qui vous empêchera de lire l'ouvrage en entier, et de le relire !) :

Ci hè statu 'ssu visu chè n'emu induvinatu, un raghju di soli
prasisti sempri in l'ochja chì sònani i morti ghjustu accantu
ci accuddimu
pocu sicuri inghjir'à a tola senza ch'idda sichi missa, una mani boca
i carabùduli in quidd'altra, netta più o menu,
ci hè pocu à dì.

una barbabàtula. u sonu di i pàgini prestu passati cussì, cù u ditu,
vàrcani
'ssa schilfatura 'n u linguaghju

Il y a eu ce visage entrevu, un rai de lumière
persiste encore dans l'oeil alors que sonnent les morts pas loin
on se recueille
plutôt vagues autour d'une table sans qu'elle soit mise, une main rassemble
les miettes dans l'autre
fait propre, à peu près. pas grand-chose à dire.

un phalène. un léger bruit de pages tournées très vite.
la ligne de partage semble franchie

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Auguri

chì calchì ranzata longa vi dessi
paci. chjamessi

una manata di ghjorna, cussì pricisi 'n u bordu
u grisgiu di a dintella pulvaricciosa.

ci sarà bè un mumentu, 'ssa sinsazioni di friscu in faccia, è po u tèpidu, è u calori.
ci sarà un mumentu pà ricunnoscia. spartareti. l'aspittera d'altri corpa cullati à u 
tissutu neru. biancu. certi volti l'azardu d'un culori vivu. mai u grisgiu di a dintella
pulvaricciosa. tuttu hà da essa richjaratu. ùn avareti micca bisognu di veda. ciò ch'iddu
'nsegna u disiriu cù tutti i so dita impuntati. in calchilocu trà u ventri è a spadda una
'mpricisioni. un vacari à l'ànima.
è po' ci sarà una statina, i so ciduti viulenti, chì sò rari.

diciareti hè a fini d'un mondu à quidda parola cridaremu

Pour augure

qu'une longue pluie vous apaise. rappelle

cet éventail de jours au bords précis,
le gris de la dentelle sale, la poussière.

il y aura un moment, cette presque fraîcheur au visage, et la tiédeur, et la chaleur.
il y aura un moment pour la reconnaissance. vous partagerez l'attente d'autres corps
collés au tissu noir. blanc. quelques fois le hasard d'une couleur vive. jamais le gris de
la dentelle sale, jamais la poussière. tout sera rincé. vous n'aurez pas à voir ce que
montre l'envie avec d'innombrables doigts tendus. quelque part entre le ventre et
l'épaule, une imprécision. comme un flottement de l'esprit.
et il y aura des étés, des orages vivants, si rares.

vous direz c'est une fin en soi.
on vous croira sur parole.

jeudi 28 mars 2013

Le retour de Saint-Exupéry

Je tombe hier par hasard - je cherchais à la FNAC le livre de Michel-Vergé Franceschi sur "Marseille", collection Bouquins - sur un nouvel ouvrage de Thierry Ottaviani, "La Corse des écrivains" (éditions Alexandrines, visiblement spécialisées dans dans les biographies et guides littéraires). Certes ce n'est pas le premier livre qui promène son lecteur dans les différentes régions de l'île en évoquant le regard que des écrivains (depuis l'Antiquité jusqu'à aujourd'hui) ont porté sur ces coins ou sur la société corse dans son ensemble. Je reviendrai dans un autre billet sur ce qui me rend cet ouvrage agréable et ce qui au contraire me déçoit beaucoup (toujours courtoisement).

Pour l'instant, je veux citer ce passage :

"En partant de Bastia, la route mène à l'AEROPORT DE PORETTA, près de l'étang de Biguglia. Il accueille plus d'un million de passagers par an. Combien savent que c'est de ce lieu qu'Antoine de Saint-Exupéry prit son dernier vol pour le ciel ? Il était parti faire des repérages photographiques pour préparer le débarquement sur les côtes de Provence. Une stèle est visible à l'aéroport de Poretta. Elle rappelle que l'aviateur s'est envolé pour la dernière fois le 31 juillet 1944.
Certains livres du XXème siècle attribuent à Saint-Exupéry une Ode à la Corse qui compare l'île à un "galet posé sur la Méditerranée" ; mais cette paternité n'est pas prouvée."

Quelques remarques :

1. J'aimerais savoir (je vais questionner l'auteur à ce sujet) quels sont ces "livres du XXème siècle" qui attribuent ce poème à Saint-Exupéry ? (Je rappelle que l'enquête menée sur ce blog ne nous a permis que d'identifier précisément, pour l'instant, un ouvrage d'histoire, "La grande aventure des Corses" de René Sédillot, publié en 1969 : voir ici le billet qui en parle.)

2. Si "cette paternité n'est pas prouvée", est-il bien utile de citer ce texte ? Visiblement, Saint-Exupéry n'a jamais été un écrivain "de la Corse" ; un écrivain passé par la Corse (ses dernières semaines avant de mourir), oui, qui y a peut-être écrit des pages de "Citadelle" et plus certainement deux lettres retrouvées dans sa chambre après son départ définitif, mais rien sur la Corse.

Voilà l'aventure continue, je vous tiens au courant des éventuelles avancées de l'enquête, n'hésitez pas à faire part ici d'informations utiles (ou inutiles mais drôles).

Pour les fous et les vicieux, voici le lien vers tous les billets concernant Saint-Exupéry sur ce blog.


mercredi 27 mars 2013

Explications...

Comme il apparaît que le précédent billet intitulé "Un premier écho des conférences et débats du Salon du livre de Paris 2013" proposait un compte rendu comportant bien trop d'erreurs de transcription des paroles prononcées samedi dernier, je l'ai supprimé.

Je suis bien désolé de cet incident.

Je me suis rendu coupable de bien des maladresses similaires par le passé, et on a même pu m'en faire grief, supposant chez moi des volontés occultes et malveillantes... alors pourquoi continuer ? A vrai dire, je ne sais pas, je sais seulement que je n'arrive pas à arrêter d'essayer de faire de ce blog un espace d'échanges. Mais ou bien cet objectif est ridicule (mais pourquoi ?), ou bien je suis la mauvaise personne pour tenter ce genre de chose (dès lors, dites-moi où l'on peut trouver un espace ayant le même objectif... afin que j'évite de le souiller...).

Bon je dois être définitivement perdu pour la patrie, je vais continuer à essayer de ne pas trop me tromper, mais je jure que si quelqu'un prend la relève, je ferme ce blog définitivement et j'enlève tous les billets encore disponibles sur le net, cela évitera de froisser qui que ce soit.

AJOUT DU 28 MARS 2013 : Veuillez m'excuser mais je ne publierai pas de commentaires revenant sur cette affaire, même si je les lis, et certains avec beaucoup de plaisir. Par contre, je publierai tout récit de lecture et tout commentaire sur ces nouveaux billets, dans la mesure où les propos ne sortent pas des limites de la courtoisie (certains s'étonnent que je ne publie pas leurs avis alors qu'ils contiennent des attaques personnelles). Je demanderai aussi à toutes les personnes concernées d'essayer de ne pas considérer les avis et critiques comme des actes malveillants. Je répète donc ici que je ne fermerai pas ce blog tant qu'il n'y aura pas d'autre lieu dévolu aux discussions autour de la littérature corse (il y a nombre de blogs, sites et même forums passionnants qui proposent des avis sur des livres et des spectacles mais ne sollicitent pas des discussions). Le jour où ce lieu existera, j'applaudirai et je souhaiterai bonne chance à leurs animateurs ; car je crois toujours à la nécessité impérative d'un espace public d'échanges de points de vue et d'expériences de lectures.

lundi 25 mars 2013

"La femme sans tête", d'Antoine Albertini

J'étais au courant de la sortie de ce "roman" par la presse, les blogs et Facebook sur Internet. J'avais lu l'interview très intéressante de l'auteur sur Corsicapolar, car elle montre bien ce que l'auteur a voulu faire (et éviter).

Puis j'ai acheté l'ouvrage (librairie Goulard, Aix), et je l'ai ouvert : la lecture du premier chapitre, je dois le dire, ne m'a pas engagé à poursuivre, cette histoire de vieux patriarche au bord de la mort, entouré de ses trois enfants, réclamant contre toute attente d'être enterré dans telle tombe du caveau, normalement prévue pour une autre personne m'a donné une impression de déjà lu, comme une séquence de début de feuilleton télévisé. J'ai lu deux ou trois fois cette entrée en matière et puis j'ai reposé le livre.

Hier, je l'ai repris, et ouvert au hasard. J'ai lu les premières pages de la deuxième partie (il y en a sept, plus un épilogue) qui concernent un pêcheur du sud de la Corse, nommé Rocchi, un tueur de jeunes gens. Afin de caractériser sa famille, ses névroses et les morts violentes qui la frappent, l'auteur mentionne le fait qu'une malédiction frapperait les Rocchi depuis qu'un ancêtre, pêcheur lui aussi, aurait attrappé et décapité une tortue dont il se serait servi comme berceau pour ses douze enfants...

Je résume le coeur de l'histoire, afin de ne pas trop se perdre. En 1979, en Corse, une jeune femme et son jeune fils disparaissent sans laisser aucune trace, puis en 1988 on retrouve le corps de la femme, terriblement battu et décapité, dans un caveau d'un petit village du Cap corse. Un gendarme hors-pair enquête alors durant de longues années pour retrouver le ou les assassins. Un journaliste (nommé Sébastien, me semble-t-il) reprend l'enquête à partir de 2006.

Cela m'a frappé, cette anecdote de la tortue. Une image puissante, comme dans un conte horrifique ; une légende propice à toutes les métamorphoses. J'eus alors une très forte envie de reprendre le livre au début, ce que j'ai fait hier soir. J'ai fini ma lecture à 2 h 30 cette nuit. J'étais captivé, j'ai souligné des passages, j'ai écrit des notes dans la marge. Et je me suis dit : voilà un ouvrage puissant. Certes je trouve que l'auteur retient un peu son écriture, comme s'il ne voulait pas se perdre en voulant trop en faire, ce qui aurait été un risque avec une histoire aussi riche et horrible. Certes parfois je trouve qu'il y a trop de savoir-faire journalistique dans les portraits rapides de certains personnages ou dans le choix de quelques détails significatifs pour fixer certaines scènes dans l'esprit du lecteur. Mais cela ne m'a pas empêché d'être d"abord embarqué dans le livre, puis littéralement passionné, même lorsque les événements de l'enquête deviennent presque incroyables. Au cours du livre, le lecteur que je fus s'est identifié avec ce gendarme et ce journaliste : je voulais savoir, savoir qui avait tué ces deux innocents.

Je ne dévoile rien du livre (impossible si l'on veut en profiter pleinement ; cependant, je le ferai plus tard, dans un autre billet, car ce livre peut se relire, ce qui est une bonne chose, non ?).

Je veux simplement insister sur deux sentiments qui me rendent cet ouvrage précieux :

- ce que j'appelle "littérature corse" s'enrichit pour moi d'un maître livre dans un nouveau genre, celui de l'enquête fictionnelle. Je ressens très fortement le besoin depuis longtemps d'ouvrages aussi culottés,  courageux, offrant un regard personnel, critique sur la réalité insulaire. Ce qui est très beau (et pas du tout annoncé en quatrième de couverture), c'est que le livre est en fait l'entremêlement de deux histoires, deux paroles : le récit de l'enquête du gendarme (à travers son regard, à la troisième personne), entre 1979 et 1994 (je crois) et le récit de l'enquête du journaliste, qui évoque son enfance à la première personne (il avait 11 ans lors de la découverte du cadavre décapité et martyrisé), son père, son obsession, sa carrière professionnelle. (Tiens, un nouvel exemple de personnage journaliste dans cette littérature : je me souviens de Leo dans "Ecce Leo" de Flavia Accorsi et du journaliste dans "Une affaire insulaire" de Jean-Baptiste Predali ; vous en voyez d'autres ? à comparer, peut-être...) Ce double regard, permanent, permet de multiplier les facettes du mystère, et un peu comme dans "Trois balles perdues" de Sylvana Périgot, nous assistons petit à petit à un transfert d'obsession et de malheur : une succession d'abandons, sauf que dans le cas du journaliste, l'écriture mène jusqu'à un livre publié... En ce qui concerne le gendarme, lui aussi écrit en fait, mais ses fiches cartonnées ou ses carnets sont couverts de listes et de codes, c'est une écriture privée, et qui doit conduire au mutisme. Pour sortir du silence et de l'oubli, il faut prendre la parole publiquement et proposer une oeuvre. C'est ce que fait Antoine Albertini.

- en fait, le livre est une double enquête qui puise son énergie dans une matière fascinante et écoeurante : la mort. La Corse est de nouveau ici, "l'île des morts", l'île des tombeaux et des caveaux, l'île des morts violentes. Certes. Mais cette fois-ci le crime passe l'imagination et heurte les mentalités : un enfant a disparu (certainement assassiné), sa mère a été battue d'une façon innommable avant d'être décapitée (le chapitre avec le médecin légiste est insoutenable). L'enfer a été vécu par des innocents. C'est impensable, et pourtant cela fut. Et tout le monde a cherché à masquer la vérité, puis à oublier même les mensonges. C'est ce gouffre de l'oubli que le journaliste ne peut accepter, en l'occurrence ce sera dans le domaine des crimes que son travail de résurrection se fera, mais nous pourrions imaginer bien d'autres applications d'une telle attitude. D'où l'attention aux détails. L'auteur écrit, page 105 : "le crime et son essence profonde, perceptible dans les parfums, les odeurs, les regards et les silences de ceux qu'il unit dans la nuit froide..." Il donne à voir cette union improbable (unis dans le crime et la mort, bourreaux et victimes, témoins et enquêteurs, obsédés et indifférents). Page 96 : "Le corps du gosse est là, tout près, qui attend qu'on le tire du purgatoire de l'oubli." L'absence de cet enfant viendra hanter l'esprit du journaliste dès sa propre enfance : écrire revient à donner un corps à cet enfant martyr disparu et oublié. Le livre est un tombeau, l'idée n'est pas nouvelle, mais en l'occurrence cela fonctionne comme un révélateur d'une société insulaire décidément bien trop accueillante aux forces de la mort (comme le cancer charognard qui mange tranquillement le patriarche du début du livre, qui ne se plaindra jamais). Le livre tire aussi sa force, je trouve, d'un travail poétique remarquable : l'idée de la disparition, de l'évanouissement, de l'effondrement se concrétise en une série d'images et de scènes, très variées, tout au long du livre. Et notamment (je finirai ce premier billet avec cela), à la page 28, lorsque le gendarme parvient dans le cimetière juste après la découverte du cadavre :

"Le soleil s'obscurcit. Serrier s'arrête un instant de faire les cent pas et la scène du cimetière, la foule massée derrière le mur d'enceinte, les silhouettes spectrales des experts de la gendarmerie, la cacophonie lumineuse scintillant sur les plaques de marbre noir, tout cela se confond dans une image réduite à deux dimensions, une anfractuosité dans l'espace et dans le temps au creux de laquelle il se tient immobile, les yeux fermés, surpris de vaciller et de sentir ses jambes fléchir imperceptiblement sous son poids."

L'auteur (comme le croque-mort dans "Ghjuventù, ghjuventù" de Marceddu Jureczek ?) va redonner toutes ses dimensions, et sa vie - une vie factice -, à ce que la mort, et les meurtriers, auraient voulu réduire à une "anfractuosité" (autre façon de nommer l'Enfer, où les corps et les esprits sont martyrisés, moqués, puis oubliés).

P.S. : Il faut que je remette la main sur "Caveau de famille" d'Elisabeth Milleliri, une autre journaliste qui avait elle aussi écrit un roman à partir des événements qui mirent fin à la vie de Marcelle et Yann Nicolas (Gabrielle et Yann Nicollet, dans le roman d'Albertini). Il faudrait comparer les deux ouvrages.

mardi 19 mars 2013

Salon du livre de Paris 2013 : On parle de littérature corse !

C'est donc une nouvelle extraordinaire : pour la première fois (me semble-t-il, mais corrigez-moi si je me trompe), le stand de la Corse au Salon du Livre de Paris ne va pas qu'accueillir des livres et des auteurs pour des signatures (ce qui est déjà bien, évidemment), mais des débats.

J'espère que cela se renouvellera les années suivantes et que d'autres salons du livre que celui de Paris donneront lieu à ce genre de prise de parole.

Une supplique : il faudrait que ces prises de parole laissent des traces (pour qu'elles donnent lieu ensuite à des échos, reprises, discussions, etc.), par des captations vidéos, des comptes rendus écrits, disponibles sur Internet.

L'information est disponible sur le site de la Collectivité territoriale de Corse en quatre parties :

La Corse vous invite à découvrir ses livres

36 auteurs dédicacent leurs livres sur le stand de la Corse

14 maisons d'édition insulaires sur le stand de la Corse

3 conférences organisées sur les livres corses

Mais si l'on a bien sur ce site les précisions concernant le planning des signatures (noms des auteurs, horaires), il n'y en a pas concernant les conférences !!

On peut les trouver notamment sur le site Ile Noire, mais les précisions les plus complètes je viens de les recevoir dans la newsletter des éditions Albiana (merci à elles). Je me permets donc de les copier ici, afin d'y revenir lorsque les traces de ces prises de parole seront disponibles - je l'espère ! - sur la Toile :

Samedi 23 à 16 h 30, salle Nota Bene, conférences successives de A.-M. Graziani (« L’Histoire ces vingt dernières années ») et de Petr’Antò Scolca (« La littérature corse, ce continent oublié »).

À partir de 18 heures, même salle, une conférence organisée par le Cunsigliu scientificu di a lingua, « La Corse en toutes lettres », en présence de J.-G.Talamoni, Ghj. Thiers, Ghj. Fusina, E. Gherardi et J. Ferrari.

Lundi 25 à 16 h 15, sur le thème de L’édition des régions, une rencontre animée par Pierre-Yves Grenu (Culturebox FTV) avec Bernard Biancarelli (Albiana), Jutta Hepke (Vent d’ailleurs) Frédéric Felder (Les requins marteaux) Florent Charbonnier (Caraibéditions). Scène des auteurs, stand Z82.

J'attends avec beaucoup d'impatience et de plaisir les conférences de AM Graziani sur l'écriture de l'Histoire ces vingt dernières années (de l'Histoire de la Corse) : y aura-t-il débat autour des points de vue des historiens ?, et de Petr'Antò Scolca, écrivain, traducteur du fantastique "Pasquale Paoli, la déroute de Ponte Novu" de Guerrazzi, sur "La littérature corse, ce continent oublié" : qu'entend-il par là ? comment va-t-il la définir ? qu'entend-il par "continent" oublié ? et par continent "oublié" ? quelles raisons donnera-t-il pour expliquer cet oubli ? quels livres va-t-il mettre en évidence ? quelles perspectives va-t-il dégager du foisonnement contemporain ?

J'attends aussi beaucoup du débat "La Corse en toutes lettres".

Le public sera-t-il au rendez-vous ? Pourra-t-il poser des questions ? Le fera-t-il ?

Dans tous les cas, bravo pour ces initiatives, et longue vie à ces conférences et débats impliquant auteurs et éditeurs corses.

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AJOUT DU 21 MARS : 

Toujours par un mail des éditions Albiana, voici des précisions sur les trois conférences du samedi 23 mars prochain !! :


La Collectivité territoriale de Corse, l'association des éditeurs de Corse et les éditions Albiana vous invitent à assister aux trois conférences qui se tiendront successivement le samedi 23 mars de 16 h 30 à 19 h 30, salle Nota Bene, lors du Salon du livre de Paris (Porte de Versailles).

Conférences

Première conférence à 16 h 30Petr'Antò SCOLCA - « La littérature corse : ce continent ignoré ».
Deuxième conférence à 17 h 15
Antoine-Marie GRAZIANI - « Faire de l’histoire aujourd’hui en Corse : nouveaux problèmes, nouvelles approches, nouveaux objets ».

Troisème conférence à 18 heures
Jean-Guy Talamoni, Ghjacumu Thiers, Ghjacumu Fusina, Eugène Gherardi, Jérôme Ferrari - « La Corse en toutes lettres ».



vendredi 15 mars 2013

De la lecture (dans "Dora Bruder")

Puisque ce blog est aussi un lieu où l'on évoque ce que c'est que lire, en général, il y a longtemps que je voulais citer ces pages - extraites de "Dora Bruder", de Patrick Modiano (où l'auteur raconte son enquête sur une jeune fille juive disparue à Paris en 1941). Où l'on voit comment les "histoires" (où des "situations", ou des choses encore plus ténues) nous hantent, peu importent qu'elles soient réelles ou fictives, et forment en nous des ensembles complexes, des énigmes que l'on chérit.

"J'ai écrit ces pages en novembre 1996. Les journées sont souvent pluvieuses. Demain nous entrerons dans le mois de décembre et cinquante-cinq ans auront passé depuis la fugue de Dora. La nuit tombe tôt et cela vaut mieux : elle efface la grisaille et la monotonie de ces jours de pluie où l'on se demande s'il fait vraiment jour et si l'on ne traverse pas un état intermédiaire, une sorte d'éclipse morne, qui se prolonge jusqu'à la fin de l'après-midi. Alors, les lampadaires, les vitrines, les cafés s'allument, l'air du soir est plus vif, le contour des choses plus net, il y a des embouteillages aux carrefours, les gens se pressent dans les rues. Et au milieu de toutes ces lumières et de cette agitation, j'ai peine à croire que je suis dans la même ville que celle où se trouvaient Dora Bruder et ses parents, et aussi mon père quand il avait vingt ans de moins que moi. J'ai l'impression d'être tout seul à faire le lien entre le Paris de ce temps-là et celui d'aujourd'hui, le seul à me souvenir de tous ces détails. Par moments, le lien s'amenuise et risque de se rompre, d'autres soirs la ville d'hier m'apparaît en reflets furtifs derrière celle d'aujourd'hui.
J'ai relu les livres cinquième et sixième des Misérables. Victor Hugo y décrit la traversée nocturne de Paris que font Cosette et Jean Valjean, traqués par Javert, depuis le quartier de la barrière Saint-Jacques jusqu'au Petit Picpus. On peut suivre sur un plan une partie de leur itinéraire. Ils approchent de la Seine. Cosette commence à se fatiguer. Jean Valjean la porte dans ses bras. Ils longent le Jardin des Plantes par les rues basses, ils arrivent sur le quai. Ils traversent le pont d'Austerlitz. À peine Jean Valjean a-t-il mis le pied sur la rive droite qu'il croit que des ombres s'engagent sur le pont. La seule manière de leur échapper - pense-t-il - c'est de suivre la petite rue du Chemin-Vert-Saint-Antoine.
Et soudain, on éprouve une sensation de vertige, comme si Cosette et Jean Valjean, pour échapper à Javert et à ses policiers, basculaient dans le vide : jusque-là, ils traversaient les vraies rues du Paris réel, et brusquement ils sont projetés dans le quartier d'un Paris imaginaire que Victor Hugo nomme le Petit Picpus. Cette sensation d'étrangeté est la même que celle qui vous prend lorsque vous marchez en rêve dans un quartier inconnu. Au réveil, vous réalisez peu à peu que les rues de ce quartier étaient décalquées sur celles qui vous sont familières le jour.
Et voici ce qui me trouble : au terme de leur fuite, à travers ce quartier dont Hugo a inventé la topographie et les noms de rues, Cosette et Jean Valjean échappent de justesse à une patrouille de police en se laissant glisser derrière un mur. Ils se retrouvent dans un "jardin fort vaste et d'un aspect singulier : un de ces jardins tristes qui semblent faits pour être regardés l'hiver et la nuit". C'est le jardin d'un couvent où ils se cacheront tous les deux et que Victor Hugo situe exactement au 62 de la rue du Petit-Picpus, la même adresse que le pensionnat du Saint-Coeur-de-Marie où était Dora Bruder.
"À l'époque où se passe cette histoire - écrit Hugo - un pensionnat était joint au couvent (...). Ces jeunes filles (...) étaient vêtues de bleu avec un bonnet blanc (...). Il y avait dans cette enceinte du Petit Picpus trois bâtiments parfaitement distincts, le grand couvent qui abritait les religieuses, le pensionnat où logeaient les élèves, et enfin ce qu'on appelait "le petit couvent"."
Et, après avoir fait une description minutieuse des lieux, il écrit encore : "Nous n'avons pu passer devant cette maison extraordinaire, inconnue, obscure, sans y entrer et sans y faire entrer les esprits qui nous accompagnent et qui nous écoutent raconter, pour l'utilité de quelques-uns peut-être, l'histoire mélancolique de Jean Valjean."

samedi 9 mars 2013

"Plaisirs de la parole"... : un tour sur l'internet culturel et littéraire corse

Bien, bien, bien...

Les choses ne sont pas faciles, nous le savons, mais ça n'empêche pas de gambader.

Quoi dire ? Ceci, par exemple :

1. Quand est-ce que je vais enfin lire "L'ultimu" de Jean-Pierre Santini ? Depuis le temps qu'il est chez moi, gros ouvrage, il faut avoir un peu de temps pour se lancer dedans. J'en ai bien envie, et cela viendra. Il faut dire que je suis arrêté par la lecture des premières pages, je trouve que ça manque d'allant (les premières pages), et je crains que le tout ne soit indigeste. Pourtant l'oeuvre se présente avec une ambition extraordinaire, c'est une somme, et cette ambition-là me plaît beaucoup. Allez, je me le promets, j'aurai lu "L'ultimu" avant cet automne. Je dis cela parce que j'admire la constance avec laquelle Xavier Casanova évoque cet ouvrage (et le suivant, "Commando FLNC") sur son blog "Isularama". Sa façon de faire me passionne, et l'envie qu'il manifeste de regarder l'oeuvre entière de Santini comme une des plus importantes produites dans l'île. Voir son dernier billet, qui fait un rapprochement entre JPSantini et Romain Gary (rapprochement trop allusif, j'aimerai qu'il développe).

2. Quand est-ce que je vais faire ce billet sur un petit ouvrage peut-être totalement inconnu de Jérôme Ferrari ? Le titre de l'ouvrage est : "L'art dans Le monde comme volonté et comme représentation d'Arthur Schopenhauer", édité en juillet 2011 (bientôt 2 ans !) au CNDP-CRDP. Pourquoi un billet sur ce livre ? Mais parce qu'en fait nous pourrions le lire comme un "art poétique" de Jérôme Ferrari : "Que l'art opère le dévoilement du vrai et en reçoive en retour sa puissance nous semble précisément constituer une de ces possibilités fondamentales ou suffisamment importantes, en tout cas, pour justifier que Schopenhauer soit lu avec attention", écrit-il page 12. L'essai pédagogique sur un philosophe et l'écriture romanesque seraient donc liés. D'autant que l'auteur ne se contente pas d'analyser une oeuvre de Schopenhauer, il fait aussi de nombreuses références à d'autres auteurs et artistes, postérieurs, comme Thomas Bernhard, Vassili Grossman ou Cormac McCarthy.

3. Quand est-ce que je prendrai le temps de relire "Murtoriu" (voir ici et ) ? Plus je pense à ce livre, plus je me dit que sa force souveraine vient du montage des différentes scènes, de leur agencement dans les chapitres ou d'un chapitre à l'autre. Voyons... hier je me suis souvenu que le personnage du libraire, à un moment donné, va chez le médecin... car il a une mauvaise odeur dans la bouche, on pourrait même dire que sa bouche est pourrie. Cette pourriture dans la bouche, voilà ce dont je me suis souvenu. Hier. Je trouvais cela très beau. Evidemment, on peut y voir un élément symbolique, et c'est possible, voire nécessaire. Mais c'est d'abord un élément parmi d'autres. Sa bouche est pourrie, il en souffre. Qu'est-ce qui peut sortir d'une bouche pourrie ? De la littérature.

4. Y a-t-il un étudiant qui travaille sur l'internet littéraire et culturel corse ? Oh comme j'aimerais... Quel monde passionnant à regarder vivre ! A compléter bien sûr avec une analyse du monde littéraire et culturel en général (éditeurs, librairies, manifestations, prix, signatures, académie littéraire, associations, cafés littéraires, etc.). Via Facebook (qui malgré le nombre important d'infos inutiles reste un bon moyen de recevoir celles que l'on attend), je suis au courant des nouveaux textes publiés sur "Praxis Negra" et ses livraisons du mardi et du jeudi, "Anima cappiata" (je lis toujours les textes de Sylvestre Rossi, j'aime ce ton de confidence, d'un esprit qui semble revenu de tout, et pourtant vit - et écrit - avec une certaine intensité), "Invistita", "Isularama". Pour ce qui est des textes sur "Interromania", il faut penser à aller sur le site (où l'on trouve textes, et vidéos : exemple, trois vidéos de Jean-Guy Talamoni sur la "littérature corse"). Ayant appris récemment, grâce à Xavier Casanova, l'existence du site "Blog'in giru", j'y vais maintenant régulièrement : le premier blog consacré à la recension et au commentaire des concerts, pièces de théâtre, expositions, rencontres qui ont lieu en Corse ! Billets précis et développés, personnels et souvent enthousiastes, la lecture est très agréable.

5. Bientôt, des occasions d'évoquer la littérature corse :

- le 15 mars, à la télé, sur Via Stella, une émission spéciale de "Par un dettu" de Petru Leca pour évoquer la poésie corse : avec Marcu Biancarelli, Stefanu Cesari, Petur Gambini, le saxophoniste Paul Mancini, le peintre Bernard Filippi, avec notamment présentation d'un nouveau projet alliant la poésie de M. Biancarelli et les peintures de Jérôme Luciani.

- le 19 mars, à Bastia, l'association Musanostra organise un café littéraire en corse ("literatura in caffè", induve si parla in corsu di libri scritti in corsu o micca), voir les précisions à venir sur leur forum.

- du 22 au 25 mars, c'est le Salon du livre de Paris, la Corse est présente grâce au stand financé par la CTC. Pour la première fois cette année, à ma connaissance, il y aura des débats ! Excellent ! Je n'ai pas trouvé l'info sur le site du Salon (quelqu'un a-t-il réussi ?), mais via Facebook, le site de la CTC et le site Ile Noire, voici quelques informations : samedi 24 mars, "La Corse en toutes lettres" avec Jérôme Ferrari, Jacques Fusina, Jacques Thiers, Jean-Guy Talamoni et Eugène Gherardi ; il y aura deux autres rencontres mais je ne sais pas quel jour, voir ici le lien sur le blog "Ile Noire".

- les 26, 27 et 28 avril, à Santu Petru di Tenda, l'associu Scrive in Corsu organise les Secondes journées de Littérature corse. Le thème sera Bastia dans la vie littéraire et la littérature corse.

- le 18 mai, à la bibliothèque de Bastia, Arte Mare organise la manifestation "Histoire(s) en mai", et ce sera le retour de la table ronde des blogs corses (que j'ai animée en 2010 et 2011 et que j'animerai encore cette année ; précisions sur le thème et les invités très bientôt).

- début septembre, la 5ème édition du festival littéraire "Racines de ciel" ; j'animerai pour la deuxième fois la table ronde sur "Comment fabrique-t-on une littérature (notamment corse) ?" avec quatre invités : Eugène Gherardi, Jean-Marie Klinkenberg, Constant Sbraggia et Marie-Jean Vinciguerra. La question sera : Avons-nous besoin d'"institutions littéraires" (académies, prix, etc.) pour construire une littérature ?

dimanche 24 février 2013

rdv "amour" ("La Montagne" de Jean-Noël Pancrazi, deuxième billet)

Titre de billet mystérieux pour une proposition de lecture qui demande tact et modestie.

En avril 2012 (mon dieu, bientôt un an !! comment est-ce possible ?), j'ai publié ici un premier écho de ma lecture d'un ouvrage que je trouve toujours magnifique, "La Montagne" de Jean-Noël Pancrazi. Voir ici le billet en question.

En septembre 2012, à Ajaccio, j'ai eu le plaisir de rencontrer l'auteur (invité du festival Racines de ciel) et de lui soumettre ma compréhension d'une des phrases de son récit autobiographique, hypothèse dont je n'avais pas parlé dans le billet d'avril, notamment parce qu'elle peut être regardée comme troublante, voire scandaleuse. Or l'auteur a confirmé que j'avais bien compris son texte. Notre discussion fut des plus agréables, j'en garde un souvenir précis et fécond. Je veux donc d'abord remercier Jean-Noël Pancrazi, qui me permet d'évoquer ici ce passage troublant, mais visiblement important, de son récit.

Je rappelle d'abord que "La montagne" est un récit autobiographique court : moins de 90 pages dans la collection blanche de Gallimard (dans un petit format). Il est divisé en deux parties sensiblement équivalentes, première partie des pages 9 à 51 (43 pages), deuxième partie des pages 53 à 91 (39 pages). Le découpage ne s'effectue que par un blanc important (une page entière). Chacune des parties est elle-même divisée en paragraphes souvent assez longs, séparés les uns des autres par trois ou quatre lignes blanches. Cette division est donc aussi discrète qu'évidente (pas de numéros, pas de titres, etc.). Et je remarque aujourd'hui que chaque partie est constituée de 12 paragraphes. 12 + 12 = 24. Comme les 24 chants de l'Odyssée - que je suis en train de relire, ce qui explique que je fasse tout de suite le rapprochement. Rapprochement certainement incongru mais que je maintiens, à la relecture de l'ouvrage.

L'Odyssée raconte le retour d'un roi dans son royaume, un homme chéri des Dieux (d'Athéna surtout), un homme que tout le monde (ou presque) attend avec ferveur, un homme qui - malgré ses souffrances, et parmi celles-ci, notamment, il y aura le fait de perdre tous ses compagnons (marins et guerriers comme lui) - reviendra enfin chez lui, récupérera sa place, abandonnée vingt ans plus tôt... Les 12 premiers chants racontent comment Ulysse et Télémaque effectuent des voyages parallèles hors d'Ithaque et finissent par se retrouver. Les 12 suivants se déroulent à Ithaque et racontent par quelles ruses Ulysse redevient le roi, le mari, le père et le fils que chacun attendait.

La Montagne raconte les retrouvailles impossibles, sinon littérairement (grâce au texte), entre un très jeune garçon de huit ou neuf ans et ses "camarades" de classe, égorgés pendant la guerre d'Algérie, après leur départ un après-midi de juin, dans une camionnette, vers une montagne normalement interdite, où, dit-on, se trouvait de merveilleux scarabées. Les 12 premiers "chants" se déroulent en Algérie depuis cet après-midi d'horreur jusqu'à la fuite hors du pays en guerre. Les 12 suivants évoquent d'autres voyages, d'autres régions où vécut le narrateur, plus vieux, et offrent des variations autour du souvenir impossible puis de la réconciliation fantasmée avec les "camarades" perdus.

C'est donc une Odyssée à l'envers : le lieu natal dans la première partie (avec un événement horrible au centre), les voyages dans la seconde partie. Je trouve intéressant de lire ce texte comme une épopée, un voyage incroyable, parsemé de beautés merveilleuses et d'horreurs, où "Ithaque", le but du voyage, est partout et nulle part, irrémédiablement perdue et perpétuellement retrouvée. Ulysse, je le rappelle, va notamment subir, chez lui, dans sa propre maison des humiliations insupportables (sans pouvoir y répondre, puisqu'il doit les endurer en vue de préparer sa vengeance, qui sera elle-même implacable et horrible). Dans La Montagne, pas de vengeance, pas d'esprit de vengeance, mais un certain sentiment de responsabilité et de culpabilité. Et là je ne suis pas d'accord avec Philippe Martinetti lorsqu'il interroge Jean-Noël Pancrazi dans un des numéros de Sera Inseme et qu'il indique n'avoir pas trouvé de sentiment de culpabilité dans cet ouvrage. Il me semble au contraire que les premières pages (le premier paragraphe, le premier "chant") sont une mise en scène de l'origine de la culpabilité, qui s'associe à une prise de conscience de ce qu'est le monde et l'humanité, dans leur vérité.

Je transcris ici un extrait du dialogue très intéressant entre Philippe Martinetti et Jean-Noël Pancrazi :

-->
PM : Votre écriture n'est pas portée par ce sentiment de culpabilité...



JNP : Le temps adoucit les choses, emmène les sentiments ; amène une sorte de justesse ou de justice. La culpabilité elle est là, même si elle est inconsciente. Ce n’est pas de ma faute si je ne suis pas monté dans cette camionnette. Il m’a fallu du temps pour le comprendre. Comme si je vivais dans cette faute malgré moi.

(...)



PM : Pourquoi j’évoque le point-virgule, car il sépare ce qui oppresse et opprime et instaure une distance avec cela.



JNP : Au fond à la fois  moi je suis resté enfant et je n’ai jamais été enfant. Au fond je n’ai pas changé depuis l’âge de sept ans. Au fond quand j’avais sept ans, j’étais presque plus adulte qu’aujourd’hui. Il me semblait voir tout et comprendre tout.

C’est le caractère même de l’écrivain, un être poreux, perméable. En même temps, il faut une certaine distance pour ne pas se laisser submerger. L’écriture, c'est cet équilibre entre les deux.

La transcription des propos n'est pas un verbatim, mais presque. L'auteur indique donc lui-même qu'une "culpabilité inconsciente" a bien occupé sa vie, il parle d'une "faute". Il propose aussi une magnifique contradiction pour définir son être au monde : "je suis resté enfant et je n'ai jamais été enfant". Depuis l'âge de sept ans, il est cet être qui sait. La question est donc : quel est l'objet de ce savoir ?

C'est le moment de lire le premier "chant" de ce récit, que je transcris ici dans son intégralité (98 lignes, comme 98 vers, je respecte ici le nombre de mots par ligne/vers) :

C'était une après-midi calme de juin - on
se serait cru en temps de paix, les attentats
avaient cessé depuis quelque temps, on ne
parlait plus que d'"incidents" ici ou là, on
se méfiait moins, on repartait se promener
hors de la ville ; mes camarades étaient
montés devant moi dans la camionnette de
la minoterie ; le frère du chauffeur habituel,
profitant du désert de la cour de l'usine à
deux heures, du repos des ouvriers, de l'ab-
sence des contremaîtres, leur proposait de
faire un tour, là-bas, dans la montagne qui
nous était pourtant interdite, là où il y avait,
croyaient-ils, des ravins pleins de scarabées
et de trésors enfouis de guerriers ; ils étaient
si heureux en s'asseyant ensemble sur la 
plate-forme, n'osaient pas trop rire de peur
qu'on ne s'aperçoive de leur départ secret,
se moquaient presque de moi, qui avais 
préféré rester - ils se disaient que j'étais
un rêveur plutôt qu'un casse-cou - pour
attendre l'employé de la minoterie qui
viendrait peut-être me rejoindre, comme
d'autres après-midi, au fond de l'entrepôt
des grains. Il n'était pas venu ; je n'avais pas
bougé dans la seule rumeur des courroies
des salles de machines. C'était le soir ; dehors
il y avait un calme curieux, un mouvement
étrange au bord de la route, des hommes,
des femmes se rejoignaient, se touchaient,
croisaient les bras ; les enfants n'étaient pas
revenus de leur excursion ; une jeep, puis
toute une patrouille militaire étaient parties
les rechercher ; il y avait parfois des excla-
mations de peur, puis tout retombait - tout
était si tranquille depuis des semaines ; des
lumières naissaient un peu partout dans la 
montagne, c'était presque comme un soir de
fête ; on aurait dit, alors qu'ils se mettaient
à marcher à leur rencontre, un peu en 
désordre, comme rendus ivres par l'anxiété,
le vertige d'espérance, la raison régulière
qu'ils se donnaient les uns aux autres de ne
pas s'affoler et qu'ils reprenaient comme le
couplet d'une chanson qui variait un peu
à chaque nouveau sentier, à chaque croi-
sement, un cortège égaré de fin de mariage
qui essayait de retrouver son chemin en 
pleine campagne ; plus rien ne passait sur la
route, on approchait de l'heure du couvre-
feu ; des balles auraient éclaté un peu partout
dans les blés, ils n'auraient pas cherché à s'en
écarter ; ils ne ralentissaient vraiment qu'au
grand virage de la route de Constantine ;
des phares venaient de très loin - c'était
peut-être la camionnette ; mais ils étaient
trop forts, trop blancs : c'était ceux de la
patrouille militaire ; un soldat en descendait,
blême, n'arrivait pas vraiment à marcher ; il
annonçait quelque chose que je ne voulais
pas entendre - avec ce mot d'"égorgés" à
demi réel, qui ne pouvait pas être pour eux ;
quelqu'un me recouvrait les yeux quand 
passait le Dodge avec ses bâches nouées
pour qu'on ne puisse rien distinguer ; ils se 
serraient les uns contre les autres, non pas
de peine encore, mais d'effroi, se mettaient
à osciller comme des blés abîmés ; puis on 
les portait presque comme des lots neutres,
des paquets de chagrin, jusqu'aux voitures
qui les ramenaient au village. Il y avait, plus
tard, des petits groupes rassemblés près des
maisons, où il y avait un peu de lumière
- muets, soudés par les frissons, comme s'ils
attendaient la réplique d'un tremblement de
terre ; et puis, peu à peu, s'élevait d'un balcon
le cri d'un homme, d'un père, ce "mon
Dieu", d'abord presque doux, emporté par
les larmes, puis de plus en plus concentré,
dur, précis, acéré, métallique, comme s'il
voulait atteindre, poignarder à son tour ce
Dieu en question qui, sans rien dire, avait 
regardé, en plein jour, des hommes tuer
des enfants dans la montagne ; personne ne
me voyait dans l'ombre, ne venait me ques-
tionner pour savoir ce qui s'était réellement
passé, puisque j'étais le dernier témoin
- tous trop désemparés, assommés pour
commencer même à enquêter ; et pourtant
ils continuaient à me regarder de loin, du
haut de la montagne vide et sombre avec les
petits scarabées bruns et dorés qui brillaient
dans leurs mains, mes petits camarades, en
me demandant pourquoi je n'étais pas parti
avec eux, pourquoi on les conduisait si haut
dans la montagne, pourquoi je restais en bas
sans donner l'alerte.

À réécrire ce "chant" ici, je ressens encore mieux la beauté, la poésie forte et dramatique de cette histoire, de ces scènes. Donc : "savoir ce qui s'était réellement passé"... La vérité serait la suivante : l'enfant "rêveur" n'a pas donné l'alerte, durant toute une après-midi calme de juin, car il était au fond de l'entrepôt aux grains, où il attendait l'employé de la minoterie. "rdv "amour", ai-je alors écrit dans la marge de mon exemplaire (et repris dans le titre de ce billet), et l'auteur me confirma bien que l'enfant attendait un jeune homme et que c'était bien un rendez-vous d'amour. Voilà où pourrait intervenir le trouble : d'innocentes après-midis d'amour (homosexuel, impliquant un enfant). J'ajoute que plus jamais dans le livre il ne sera question de ce sujet. Il est placé ici, bien en évidence, comme la lettre volée, afin que chacun puisse le voir, sans le voir.

Voilà comment je comprends cette étrange mise en scène, discrètement évidente : cet "amour", ou cette expérience amoureuse, est vécue absolument normalement ; mais c'est le temps du désir - qui est aussi l'expérience d'une conscience de soi, de l'autre, et du monde - qui se voit ici frappé de culpabilité. Ce temps caché et silencieux du désir et de la conscience a peut-être joué un rôle dans la disparition des "camarades", les casses-cous inconscients, qui depuis la "montagne" (depuis le lieu et le moment de leur mort atroce) regardent le "rêveur", occupé de son désir donc, et lui demandent "pourquoi"... Et dans plusieurs livres de Jean-Noël Pancrazi nous retrouvons cette mise en scène d'un être à la conscience douloureuse, offrant son amour, craignant l'irréparable de l'abandon, cherchant puis fuyant une solitude tour à tour atroce et nécessaire, puis recommençant encore (voir Montecristi). J'insiste : l'écriture du texte ne disparaît pas derrière les réalités ainsi évoquées, elle seule permet ainsi, dans cette forme (ce "chant" premier de 98 lignes/vers) de mettre en scène un complexe inextricable (que l'oral déformerait à coup sûr) de culpabilité et de compassion, de mort et de naissance, de mutisme et d'expression, de remords et de pardon.

Ainsi, le dernier "chant", le 24ème est une variation (un voyage au Maroc, et je vous laisse trouver toutes les reprises de mots, tous les échos - un peu comme entre les deux récits entrecroisés de W, ou le souvenir d'enfance de Georges Perec) du premier chant, la spirale de l'écriture est ascendante, partie de l'enfer pour se diriger vers un possible "paradis", que seul le texte abrite comme un secret. Je cite ici la fin du livre (les 80 lignes/vers du dernier "chant"), pour ceux qui veulent lire l'ouvrage de Jean-Noël Pancrazi, il est temps de quitter ce blog pour aller vers l'oeuvre (et vers votre propre lecture) :

J'avais moins de forces maintenant ; je ne
pouvais pas aller, voyager aussi loin dans le
monde, juste traverser de temps en temps, en
sens inverse, la Méditerranée pour retrouver
le grand soleil. J'aimais rester - épuisé, sans
vrai désir de rencontre - sous le kiosque de
la gare routière de M., au toit de fer comme
tordu, cassé, ployé par les récentes tempêtes
de sable, dans l'odeur de poussière, de roses,
de valises et de corps endormis, de petit
fennec qui passait, couleur de route et de
dunes, avant qu'il ne disparaisse dans la nuit
de l'immense mûrier, à écouter les appels
des rabatteurs des compagnies du Maroc ; je
laissais passer les villes, les heures, les desti-
nations. Et puis, un jour - il y avait une telle 
chaleur, un tel silence dans toute la ville,
comme une après-midi de ramadan -, je me
levais sans raison, traversais le hall, montais
dans le premier autobus qui partait vers le
sud ; on roulait longtemps dans la plaine
brune et verte ; puis c'était la montagne,
de plus en plus dure, sèche, nue, presque
dangereuse, avec ses pentes de cailloux
noirs, ses virages et ses abîmes ; le coeur me
faisait mal, j'étais asphyxié, comme s'il y
avait du monde autour, beaucoup de colis
et de valises, aucune place pour respirer,
alors que l'autocar était presque vide, que
personne n'était monté depuis le départ ;
il allait si lentement, mais c'était à cause
de la camionnette qui roulait devant, avec
six enfants assis sur la plate-forme, qui me 
regardaient en faisant maintenant des signes
en riant ; il y avait quelque chose qui brillait
dans leurs mains ; c'était de petits scarabées
qu'ils avaient ramassés dans les chemins
de l'Atlas ; est-ce que j'en voulais un ? Il me
porterait chance jusqu'au bout du voyage ;
le plus grand, le plus malicieux m'invitait
de loin à monter avec eux, ça irait plus vite
que ce vieil autobus dont ils se moquaient ; je
ne pouvais, bien sûr, pas les rejoindre, mais
ce n'était pas grave, une autre après-midi
peut-être ; ils se regroupaient davantage,
mettaient des visages les uns contre les autres,
comme pour une photo que je pourrais
prendre juste avant d'atteindre le col ;
alors seulement, après tant d'années, je me
souvenais de leurs noms, de leur place sur la 
photo de l'école, de la manière de chacun
de prendre les osselets, et que c'était eux
qui m'avaient dit, avant de partir - oui, ils
comptaient sur moi -, de rester en bas pour
les protéger, raconter, inventer, si on me le
demandait, qu'ils n'étaient pas loin, derrière
la gare ou au milieu des blés ; il n'y avait pas
de raison que je pleure, ils m'avaient, bien
sûr, tout pardonné depuis longtemps ; un
grand calme arrivait, je ne les voyais plus,
la camionnette tournait sur le côté comme
s'ils étaient sauvés ; j'étais plus haut qu'eux,
maintenant, dans la montagne ; on allait vers
le désert ; il y avait, là où les dunes commen-
çaient, quelques tentes où semblaient
dormir ceux que j'avais aimés et qui avaient
disparu ces dernières années ; on n'était pas
loin de l'Algérie à partir d'ici ; il n'y avait
pas de limites, sauf dans les cadastres qui
servaient à se battre les uns contre les autres,
à recommencer les guerres ; le soleil était
trop fort pour que je reste dehors au milieu
des dunes et des pierres qui brillaient ; il était
temps que je m'étende à leurs côtés, que je
ferme les yeux, avec juste la sensation d'un 
tout petit scarabée que quelqu'un dépo-
serait, sans rien dire, entre mes doigts, ou
qui viendrait, tout seul, se blottir, se cacher
dans ma main ; il y en avait tellement dans la
montagne en été.


jeudi 7 février 2013

Littérature "indocile", par Laure Limongi

Avant de commencer, ceci :

Le gris des pierres du parapet. 
Celui, plus foncé, du bitume. 
Le temps encore couvert, mais tout de même lumineux. 
Le tissu du pantalon du voisin, gris aussi. 
L'odeur un peu âcre du genêt en fleurs. 
Le poids du cartable.

Je suis en train de lire "Indociles" de Laure Limongi (éditions Léo Scheer, octobre 2012). J'en avais entendu parler ici ou là, sur le net (Facebook, le site de Laure Limongi, le site de Musanostra), et j'étais très intéressé, et puis,

je suis tombé dessus par hasard dans la librairie Vents du Sud, à Aix-en-Provence, la seule à mettre un peu en évidence des textes de poésie et de critique qu'on ne voit pas trop ailleurs. Ce fut donc une belle surprise, j'achetai immédiatement (en même temps qu'un ouvrage de Serge Pey, qui vient de sortir chez Flammarion ; je dis cela parce que, justement, les écrits et performances poétiques de Serge Pey correspondent bien, me semble-t-il, au type de littérature que décrit Laure Limongi dans "Indociles").

Il s'agit d'un "essai littéraire sur Denis Roche, Hélène Bessette, Kathy Acker et B.S. Johnson". Je n'ai lu pour l'instant que les 60 premières pages, c'est-à-dire, l'avant-propos et la partie consacrée à Denis Roche.

Voici ce que j'aime dans ce type d'ouvrage : il poursuite plusieurs objectifs, intimement liés. En fait il s'agit de raconter comment une vie singulière en vient à se consacrer à la littérature "indocile" par le moyen d'un "journal de lecteur" constitué en l'occurrence de quatre exercices d'admiration.

Littérature "indocile"
L'adjectif choisi par Laure Limongi se veut plus attrayant que les termes "expérimentale" ou "exigeante". A la page 27, elle explique fort bien - et cela sonne comme un manifeste - ce qui l'intéresse vraiment dans l'opération littéraire :

"C'est là qu'il convient d'expliquer les termes de littérature "expérimentale" ou "exigeante" - en ce qu'ils semblent constituer un pré carré difficile à atteindre -, chers à certains critiques, à certains vendeurs, sont d'une totale absence d'efficience. Lire les Dépôts de savoir & de technique n'est pas compliqué, ne requiert pas de compétence particulière. Peut-être faut-il simplement accepter de se laisser surprendre, ne pas céder à ses réflexes de lecture mais, au contraire, ouvrir la page l'oeil neuf, l'esprit disponible. Dans Tout le monde se ressemble, Emmanuel Hocquard explique très bien ce léger déport de la pensée à accomplir, rappelant qu'accéder à l'intention du créateur n'a pas grande importance - et c'est une démarche impossible à accomplir, souvent opaque pour l'auteur lui-même ; c'est l'expérience du lecteur qui compte. La mienne, la vôtre. On peut rester indifférent à un best-seller qui déplace les foules et terriblement bouleversé par "a rose is a rose is a rose" de Gertrude Stein. Trouver une direction de vie dans la phrase de Jack Spicer : "Nothing can kill anybody. Not a poem or a fat penis." Discerner des formes au-dessus de sa tête après avoir lu "Le ciel est remonté chez lui, il gardait ses nuages, comme tout le monde" de Louis-Ferdinand Céline. Avoir un penchant pour ce qui décale les attentes, exacerbe les émotions par l'inattendu, frotte l'habitude pour lui faire rendre son suc. Ou pas. On en revient à cette histoire de goûts et de couleurs, à la nature, à la sincérité de chacun. Encore faudrait-il se laisser la possibilité de diversifier ses goûts, de découvrir des territoires esthétiques inconnus. Cela passe par le coeur, par l'émotion. C'est donc à la portée de chacun."

Je ne vais pas dire ici le contraire : "se laisser la possibilité de diversifier ses goûts". J'approuve. De fait, comme je n'ai lu aucun livre de Hélène Bessette, Kathy Acker et B.S. Johnson, il faut que j'aille emprunter ces choses-là à la bibliothèque ou que je furète dans les librairies, histoire de feuilleter, déjà, pour commencer.

Denis Roche, j'ai chez moi les Dépôts de savoir & de technique, et Louve basse. Il y a longtemps maintenant, je me suis souvent promené dans le premier, fasciné. Je n'ai guère lu le second. À reprendre ! À reprendre !

J'aime qu'une auteure corse fasse ainsi l'éloge public de la plus grande diversité possible des expériences esthétiques en littérature. Est-ce que la littérature corse répond à une telle attente ? Si non, bientôt ?

Littérature "indocile" et non "difficile". Mais tout de même, qui ne se laisse pas faire, qui réclame un certain effort, qui nous "cherche", nous "tente", nous "échappe", qui réclame du temps, une accoutumance aussi, et qui modifie donc forcément notre monde (normalement si reconnaissable, havre d'habitudes et de confirmations).

Journal de lecteur
Ce livre se présente comme un "journal de lecteur". Agréable surprise : entre le propos de la professionnelle du livre et la vulgarisation mensongère, l'auteur a choisi d'être une lectrice parlant aux lecteurs. Elle propose de "partager ses enthousiasmes" pour nous permettre "d'entrer dans les oeuvres d'auteurs qu'on ne connaîtrait pas, ou de les appréhender sous un autre angle, et non une analyse érudite, même si on ne s'interdit pas d'emprunter quelques outils interprétatifs."

L'essai littéraire est ainsi un territoire intermédiaire où chacun d'entre nous peut se croiser, se rencontrer vraiment peut-être. L'auteur revient de ses lectures et, en se tournant vers nous, nous en parle. D'où une lecture des plus fluides et des plus agréables, parce qu'elle mêle un souci constant de clarté et de légèreté avec la volonté de proposer une écriture singulière, propre à dire l'aspect très personnel de lectures toujours situées dans le temps.

Je crois aussi que la littérature est là : entre ce qui se passe quand nous lisons réellement et ce qui se passe quand un autre que nous prend connaissance de notre lecture. Le mouvement, bien sûr, est incessant.

Donc, après avoir découvert comment l'oeuvre et la personne de Denis Roche ont fait irruption dans la vie de Laure Limongi, je vais poursuivre ma lecture, parce que je me demande comment les trois auteurs - que je ne connaissais absolument pas - ont pu avoir une extrême importance pour elle. (C'est vrai ça ! Comment est-ce que les gens osent encore ne pas avoir exactement la même vie et les mêmes pensées que moi ! Ici on place un smiley, normalement, aujourd'hui, mais vous êtes libre, sans cet outil, d'imaginer l'ironie de la phrase précédente.)

Raconter une vie
Cerise sur le gâteau qu'est ce petit livre charmant : une vie réelle s'y raconte, oh je vous rassure sans aucune impudeur et sans digression inutile, il s'agit surtout pour l'auteur de situer biographiquement les moments qui l'ont conduit sur les voies esthétiques évoquées ci-dessus. (Il faut signaler ici que Laure Limongi est écrivain et éditrice ; non, je n'ai rien lu d'elle ni des auteurs qu'elle a publié ! Il faudra que je commande sur Internet ou en librairie, je ne suis pas encore tombé sur ses ouvrages, sauf "Indociles", donc).

1976, date de naissance (à Bastia).
1996, date de départ sur le continent (Aix, Paris).
1996 (?), découverte-choc du livre Notre antéfixe de Denis Roche.

Mais il y a aussi 1986 ("quelques jours après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl", écrit-elle, qui a eu lieu le "26 avril 1986, à 1 h 23" lit-on sur Wikipédia, donc la scène racontée en ouverture du livre a dû se dérouler fin avril, début mai 1986, enfin au printemps 1986). Cette scène du printemps 1986 à Bastia est une petite scène de rue à la Prévert, je trouve :

" (...) je vis une mésange qui sautillait sur le sol en piaillant devant un gros berger allemand stupéfait par la situation. Le molosse de 45 kilos suivait tranquillement des yeux la danse du pioupiou de 15 grammes, assis, attendant que son maître ait fini sa conversation de voisinage, tire sur sa laisse et continue la promenade. La mésange, apparemment inconsciente de la disproportion des forces en présence, avait décidé de manifester bruyamment sa présence. Le chien aurait pu arrêter le cirque d'un coup de patte. Mais sans doute la scène devait-elle le distraire, il n'en fit rien. Et je trouvais l'oiseau vraiment spectaculaire. Et son geste vraiment beau. Je suis restée un long moment à les regarder et je conserve un souvenir très précis de ce moment. Le gris des pierres du parapet. celui, plus foncé, du bitume. Le temps encore couvert, mais tout de même lumineux. Le tissu du pantalon du voisin, gris aussi. L'odeur un peu âcre du genêt en fleurs. Le poids du cartable.

C'est peut-être ce qui m'a poussée à m'intéresser aux choses qui font battre le coeur, sans tenir compte des contextes ni des orages."

La littérature est incarnée, vivante. Il est donc bien question de nos relations avec le monde, et des formes que nous imaginons pour en rendre compte.

Une question, pour finir : 1996, départ sur le continent. Le texte dit ceci :

"Un jour, vous avez vingt ans. Ça arrive à tout le monde, ou presque. Vous avez toujours vécu dans les livres et les partitions. Sous un soleil de plomb. Vous accordez votre confiance aveugle à l'imprimé. (...) Alors, forcément, tout ça était très intense, et un jour, vous avez eu soif d'autre chose, cela n'a plus suffi. Mais vous ne saviez pas ce qui manquait. Un jour les rivières étaient trop paisibles, les ciels trop bleus, les regards trop échangés, les poitrines trop d'albâtre, les gentils trop victimes. Vous vouliez plus. Vous décidez de faire des livres votre vie."

Est-ce que ces "gentils trop victimes" désignent les premiers morts de la guerre entre nationalistes ? Pourquoi je pense automatiquement à cela ?

Allez, je retourne à ma lecture. Et vous avez-vous lu "Indociles" (comme M.F. B.C. sur le site de Musanostra ; d'ailleurs, je ne suis pas sûr que les "rivières, ciels, regards , poitrines, gentils" évoqués renvoient à des scènes de romans lus, qu'en pensez-vous ?) ? Ou les livres de Laure Limongi (voir ici son site) ? Ou les livres qu'elle a édités ? Parlons-en.

samedi 2 février 2013

Archiver les discussions (on ne sait jamais)

Avec l'accord, au moins tacite, des participants (Ghjuvan Micheli Weber, Norbert Paganelli, Joseph Pollini, Marco Biancarelli, François-Michel Durazzo, Francesca Graziani et moi-même), 

je place sur ce blog une discussion qui a eu lieu sur Facebook, suite au billet précédent, à propos de l'éternelle question de la définition du périmètre linguistique de la littérature corse

Mais où l'on voit que la question excède l'aspect linguistique et que les avis sont divergents.

Puisque Facebook ne permet pas de retrouver les discussions avec une fonction recherche (à moins que vous m'appreniez comment faire), je place, dès que possible, les discussions qui ont paru assez intéressantes pour survivre un peu plus longtemps sur ce blog.

Bonne lecture, bonne réflexion.

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  • Ghjuvan Micheli Weber À ciò ch'e pensu eu.... castremi i griddi. Aiò, scrivimi chì a vita hè scrittura ! U restu hè ... littaratura.
  • François-Xavier Renucci D'accordu, scrivemu, ma simu tutti lettori ancu... è a quistione hè : quale sò i testi chè no lighjemu, è cume, è perchè, ecc ecc.
  • Ghjuvan Micheli Weber Ugnunu fala i scali à a so manera... Pensu chì più si rifleti, menu si scrivi o si leghji. Ci sarà una littaratura corsa ? In chì lingua ? Facciu una dumanda tandu : Asisti una cultura francesa scritta (micca traduta, scritta !) in inglesi ? Si farani a dumanda i francesi è l'inglesi ? Chì sarà so risposta tandu ?
  • François-Xavier Renucci Ghjustu à puntu, ùn mi pare un mudellu unicu quellu di a literatura francese (o inglese, ecc) : hè un mudellu incù una sola lingua). Ma i scrittori corsi sò plurilinguii, mi pare : certi scriviani in latinu, in talianu, ed oghje scrivenu in corsu è/o in francese. Hè una richezza. Si pò piglià u mudellu di a lingua polinomica (a diversità face/i richezza) è a literatura, no ? A pezza di teatru di Rinatu Coti scritta in francese ("Le chancelier nu") ùn po esse "literatura corsa" ? Hà ancu scrittu pezze incù e duie lingue "A mazzera di a luna", per esempiu). Allora ?
  • Ghjuvan Micheli Weber À chì ghjuvarà a risposta ?
  • François-Xavier Renucci À fà attinzione à i legami o i scontri trà certe opere (quelle di Thiers è di Rinaldi, quelle di Jérôme Ferrari è di Marcu Biancarelli, quelle di Gilles Zerlini è di Marcellu Jureczek, quelle di Paulu Desanti è di Anne Meistersheim, quelle di Stefanu Cesari è di Angèle Paoli, ecc ecc). Hè ghjuvevule issa idea di literatura multilingua, mi pare.
  • Ghjuvan Micheli Weber Mi pari bedda corsa a scrittura di Victor Hugo... è puri...
  • François-Xavier Renucci In chì sensu ? Eiu parlu di scrittori corsi, o di testi chì parlanu di a Corsica.
  • Ghjuvan Micheli Weber Ind'i temi, u ritimu, a virsificazioni...Hugo hà passatu i so primi anni in Bastia cù una balia corsa... Mérimée scrivia nant'à a Corsica... À ciò chi mi pari, Ferrari hà campatu di più in altrò cà quì. Allora, o circhermi una littaratura corsa ind'u stilu o ùn ci ni surtimi più.
  • Joseph Pollini Ce qui suit est e que j'ai essayé de communiquer sur le Blog relatant la conféence de Jacques Fusina, hier à Marseille.Merci pour cette analyse de cet après-midi avec Jacques Fusina. Je partage entièrement le point de vue exprimé par François et je tiens à souligner "l'art et la manière" dont a fait preuve le conférencier pour répondre, sans heurter quiconque, aux sempiternelles questions qui n'ont, pour moi, qu'un intérêt secondaire. Je fais allusion à ces questions récurrentes, et de ce fait parfois lancinantes, pour lesquelles certains aiment s'affronter et où il est demandé de préciser ce qui est vraiment corse ou pas, de s'interroger sur la valeur littéraire "corse" d' écrits rédigés dans une autre langue que le corse, etc...
    Mais ne faut-il pas faire preuve de moins de rigidité et s'interroger surtout sur la valeur littéraire d'un texte, quel qu'il soit et quelle que soit la langue d'expression retenue, et voir dans quelle mesure il peut être rattaché à la Corse, ne serait ce que pour mieux la mettre en valeur et permettre à chacun d'être fier de son auteur ? Le point le plus important, au delà de ces querelles de "puristes" ( je me suis toujours méfié des puristes et des purs esprits!) , me semble être en effet de voir dans quelle mesure cette littérature est vraiment l'un des témoin des richesses que la Corse, et les corses, peuvent apporter à autrui c'est à dire à l'imaginaire comme à la connaissance de chacun, qu'il soit corse ou non, et tout autant, et en quoi elle est capable d'interpeller l'esprit qui habite et anime tous ceux et celles qui sont attachés d'une façon quasi charnelle à la Corse, soit par des liens établis dans le passé, soit par le biais de liens tissés plus récemment ou encore du fait simplement de leur volonté sincère et profonde d'y vivre et de de partager le même avenir. Ce sont ces liens qu'il est impératif, me semble-t-il, de renforcer dans le présent comme demain, car il convient de veiller à ce qu'ils puissent 'être encore opérants au fil des années...
    C'est dire l'importance de soutenir toutes les initiatives qui vont dans ce sens, et sur ce point François-Xavier Renucci et Jacques Fusina, comme tous les animateurs d'autres groupes littéraires et d'autres tribunes "corses" partagent sans doute les mêmes ambitions: militer pour mieux faire connaître cette "littérature", qu'elle soit ou non d'expression strictement corse, afin de partager son contenu avec le plus grand nombre et ce quel que soient le degré de maîtrise de la langue corse et le degré d'attachement à la Corse de chacun.
    Quant aux problèmes que pose la persistante médiocrité de la diffusion de la langue corse, en terme de nombre de véritables locuteurs, malgré certains progrès observés ces dernières années, langue dont nous apprécions tous la richesse et l'importance ne serait ce que pour la transmission du patrimoine culturel de la Corse, il s'agit là d'un autre sujet bien plus complexe, que Jacques Fusina connaît bien, mais qui est différent de celui qui a fait l'objet de sa conférence sur la "littérature corse" , dont il a bien dit que, selon lui, il était difficile, voire impossible, d'exclure tous les écrits rédigés en italien, en latin, en français, voire en anglais et peut-être même en japonais! Qui sait?
    C'est ce que j'en ai retenu...
  • François-Xavier Renucci @GMW : Ma sò numerosi i stili di scrittura ind'una literatura. Ùn ci hè micca un solu ed unicu "stilu corsu". È mi pare chì à scrittura è u stilu di Victor Hugo ùn hà nunda à fà incù a puesia corsa, o allora ci vole à fà analise precise. È u fattu di vive ind'è l'isula o no, ùn cambia nunda. Joseph Conrad hà scrittu belle pagine di literatura inglese, ma ùn hè micca natu in Inghilterra.
  • François-Michel Durazzo Crergu chì stilu corsu vali à dì "lingua corsa". Eiu, pensu chì ci hè a litaratura corsa chì si scrivi in corsu è a literatura di i Corsi chì s'hè scritta in talianu, latinu, francesu ed ancu in spagnolu, pensu à autori corsi di 150 anni fà chì ghjunti in Venezuela o Portorico ani messu à scriva in spagnolu. U fattu si sta chì i più numarosi ùn scrivini in lingua corsa, è unipochi ani fattu ssa scelta mentri chì pudiani scriva in corsu. Ci voli à rispettà a so scelta, ma ci voli ancu à ricunnoscia chì a lingua ùn hè micca solu un arnesi, hè ancu una manera di senta, di campà, di pinsà. Allora metta tutti i scritturi à u stessu liveddu mi pari un arrori maiò. Ciò ch'e pensu in corsu, ùn riescu à pinsà lu in francesu di a stessa marera.Voir la traduction
  • François-Xavier Renucci Ma ci hè una cumunità di pinsà o di imaginariu trà l'opere scritte in corsu o in francese, sò issi ligami chì mi parenu interessanti pè arrichisce e notre letture. È cumu fà pè leghje l'opere di i scrittori bislingui ?
  • Ghjuvan Micheli Weber Feti paragonu cù a musica... Chì hè a musica corsa ?
  • Ghjuvan Micheli Weber Ciò chì faci a musica corsa, hè a manera di sunà o di cantà, u versu ! Ciò chì faci a littaratura corsa, sarà a manera di scriva, u versu ? Ci sarà un versu corsu... in francesi ? Eu ùn la socu... l'aghju dettu, castremi i griddi... ma sempri cun piacè è senza gattivezza alcuna.
  • François-Xavier Renucci Sicuru chì ci hè un versu corsu in francese ! Sò numerosi è diversi i versi.
  • François-Michel Durazzo Hè vera ch'iddu affacca in a lingua, stu versu chì dici Ghjuvanmicheli, masimu in puisia ; in francesu, pensu à calchì puisii di Marcel Migozzi o di Jean-Jacques Lovichi. Ma solu pudemu visticà lu com'è traccii di calcosa nascotu chì si piatta sottu à a lingua francesa, forsa di a stessa manera chì in a lingua francesa aduprata da l'africani. A puisia di senghor, pat un indittu, benchì scritta in francesa veni travaddata da un imaginariu sinigalesu. Allora ci vurria à dumandassi s'idda hè cusì ancu in u francesu di i scrittiri corsi. Quessa ùn ni socu sicuru, salvu casi particulari è limitati. Ùn basta à parlà di a Corsica in u libru è chjamà i parsunaggi Santa è Dumenicu parch'iddu si tratta di litaratura corsa. Par tutti ssi raghjoni prifiriscu chjamà litaratura corsa, quidda chì si scrivi in a noscia lingua.Voir la traduction
  • François-Xavier Renucci Ma per mè, i scrittori corsi chì scrivenu, scrivenu literatura corsa, qualsiasi a lingua. Sè tù voli chjamà la "literatura scritta da i Corsi", mi cunvene. A Vera quistione hè : chì lighjemu ?
  • Ghjuvan Micheli Weber Forsi chì a scrittura in francesi cù l'estru corsu hè vistichi d'una sucità chì sparisci...
  • François-Michel Durazzo Scusareti i sbagli di stampetta, quandu scrivu à a lestra. Ma, o Francè, mi scumoda assa' ssu riflessu indintitariu di certi corsi (più chè corsi, masimu di reffica corsa) chì ùn ani più nudda à veda cun a Corsica. Par mè ùn basta à appiccicassi una testa di moru in a vittura, par asempiu, avè una casata corsa, straccià dui parolli di corsu cun l'amichi, metta in fronti di a facciata di u so ristoranti U spuntinu è risponda à i clienti in francesu, fà tamanti raghjunati nantu à a lingua sempri in francesu, ùn vali nemmenu à scriva è parlà corsu cun l'incalcu di l'infrasata francesa (chì di sta manera si parlemu di litaratura corsa quandu si scrivi in francesu, parchì ùn si parla di litaratura francesa quandu si scrivi in stu corsu quì?). Via, ciò ch'e voddu accinnà, hè chì a lingua hè una peddi, una carri, un modu fundiu di pinsà è di senta chì a parti maiò si smarisci quand'idda si cambia a lingua, solu vistichemu l'ombra di calcosa chì si mori. Dunca metta à pari tutti i modi di sprissioni pari simpaticu, ma intruduci una cunfusioni priculosa in a menti di i to littori, masimu in i littori chì ùn ani mai lettu una parolla di corsu. T'arricordi una pusia di Enric Sòria, annantu à i grechi di Posidonia (Paestum in latinu) ch'e aghju traduttu da u catalanu pà Bonanova?"Ateneu raconta a storia di i Posidonii,
    Grechi chì nant’à u mari Tirreniu busconu una patria.
    Circundati da stranieri, Tuscani è Latini,
    si sminticonu di a so lingua, u grecu,
    è l’usi passatoni, i tintaccii.
    Solu mantensini una festa greca.
    Una festa di chjari cirimonii,
    di musica, foca è palmi.
    Tandu ripitiani parolli grechi
    ch’iddi ùn capisciani più, è piinghjiani.
    Issu lamentu cumunu era a so festa.
    A so festa greca.

    Ateneu lu raconta incù piità.
    chì piità miritani quiddi chì perdini
    u frammentu di biddeza chì à quissu si devini"
    Voir la traduction
  • François-Michel Durazzo Eccu ciò chì scrivi Atenenu : Cilebrani dinò una festa greca induva, s’adunini è ramentani parolli antichi ed usi vechji. Tandu, l’unu è l’altru si lamentani è pienghjini.Voir la traduction
  • Norbert Paganelli Mi mettu à a piazza di M. Pollini....u tintu hè cascatu qui in piena ghjacariccia mi pari...A dilla franca socu piuttostu d'accordu cù F.M. Durazzo è G.M. Weber, ùn hè micca tantu a vulintà di metta da cantu cio chi hè scrittu in un'antra lingua ma a sentu mali sta vulintà di parlà di literatura corsa scritta in inglesu, in francesu o in latinu...Mi pari chi a litaratura corsa pidda u so fiatu in a lingua è sta lingua ùn facci micca chè cantà l'universu ma hè dino un universu ch'ùn si po micca tutt'a fattu traduccia in una antru universu.Un voddu micca di ch'ùn si po micca fà ma...ci hè sempri calcosa chi si perdi è ch'ùn pudemu agguantà.
  • Marco Biancarelli Ùn vi suvetu mancu appena : literatura corsa saria da lià à ciò chì si perdi, chì si ni mori, o ch'hè tracciatu in un certu sulcinu... d'identità è di lingua. Ma qual'hè ch'hà dittu chì parlendu a stessa lingua ci capiamu è diciamu i stessi cosi ? A stessa cultura ? Aghju l'imprissioni chì più s'avanza, più si riesci à apra i porti d'una sprissioni literaria, è più si ni richjudini d'altri, com'è ch'iddu ci fussi un bisognu di riazzioni par raportu à ciò chì viaghja più o menu bè. Pensu à Ferrari : una volta ricunnisciutu, avaria vindutu a so anima è finalmenti avaria campatu pocu in Corsica ! Al dilà di a bucia trasmissa quì - o di a falsa idea - è al dilà di a nigazioni d'identità (qual'hè chì pò parlà à a so piazza ?) mi pari simpliciamenti chì a so opara ùn hè micca letta o micca capita. Scrivi in francesu ? Iè, ma cù un' identità corsa chì mi vinaria mali di cuntistà. Ancu puri sì st'identità ùn currispondi micca à i criterii sunniati da certi. È quissa mi pari ch'idda si pudaria dì ancu da scrivani di lingua corsa chì facini evuluà a lingua, u materiali suciulogicu, a cultura, à so modu. In un mecanismu di vita, è LITERARIU. Tuttu ciò ch'hè sminticatu in generali in 'ssu stilu di cuntrasti.
  • Marco Biancarelli Listessi pà a musica : comu una musica pà essa qualificata di corsa, francesa, ecc. unicamenti par raportu à u so "versu" ? È a musica anglosassona, u rock ? Ùn sò più inglesi o americani parchì ani lacatu da cantu u folk è i biulinati di u XIXu ? Hè n'importa chì. A criazioni ùn esisti micca senza libartà, è a musica, com'è a literatura, sarani prima di tuttu ciò ch'iddi ni facini l'artisti. Micca biffendu à l'eternu u tracciatu academicu, o identitariu, o culturali, ma cù a so libartà.
  • Marco Biancarelli A sola difinizioni pirtinenti ch'e' vicu sviluppata quì hè quissa d'un FULCLORU, scusetimi di dilla.
  • Ghjuvan Micheli Weber Fulcloru... a musica pupulari tandu ?
  • Ghjuvan Micheli Weber Quandu dicu chì no castremi i griddi... Avà po, par ciò chì tocca à a libartà, difindaraghju ancu a libartà di pinsà d'un'antra manera cà Marco Biancarelli o altri chì pensani ancu eddi... tuttu rispittendu u so puntu di vista. Par mè, u "rock" ùn sarà mai di versu "corsu" ancu s'eddu mi piaci à sunà lu. Quand'e parlu di musica, ùn hè par nudda...Ùn si pò qualificà una mudsica di "corsa" ? Vera è più cà vera. Parti è più di i pezzi di viulinu sò d'urighjini taliana o stragnera... ma a manera di sunà la da i nostri hè corsa. Hè ciò ch'e chjamaraghju u versu.
  • Marco Biancarelli Hè fulcoru à parta da u mumentu ch'ùn hè più in muvimentu, o ch'hè bonu pà u museu.
  • Marco Biancarelli È quantu volti ancu l'OVNI ch'ùn sò micca tracciati in un sulcinu "schiettu" sò corsi listessi, o francesi listessi, ecc.
  • Ghjuvan Micheli Weber D'accunsentu à centu par centu. Avà po u muvimentu si pò fà in ghjiru, versu l'indrentu, versu l'infora... si pò ripiglià i ghjesti di l'anziani, invintà ni o piglià quiddi di l'altri... Sarani sempri i listessi cù a listessa difinizioni ?
  • Norbert Paganelli O Marcu : i difinizzioni so sempri una speccia di trappula. L'omu hà sempri bisognu di difinizzioni pà metta un pocu d'ordini in u bulliacciumu di a vita ma a vita c'impara chi a rialità hè vulpina è ch'ùn si laca micca incabbià cussi lestru. A mè mi pari ch'idda hè più simplici par tutt'ugnunu di parlà di litaratura corsa pinsendu à quidda scritta in corsu, omancu cussi tuttu u mondu capisci. Aghju sottu à mani un libruchju di puisii alsassiani, so tutti scritti in alsassianu, ùn ci n'hè manc'unu scrittu in francesu, t'aghju dino un'antulugia di a puisia scandinava, qui dino so tutti scritti in i lingui di a Scandinavia....Par mè, mi pari ch'ùn libru scrittu, in francesu, par un Corsu à prupositu di a Corsica hè un'opara francesa o allora ci vularia ad admetta chè l'urigina di l'autori o u sughjettu d'un libru bastani à pudellu qualificà. Ma attinzioni à u folcloru di l'urigina o di a razza, ùn sapemu micca induva l'affari ci hà da cunduccia s'è tu mi suiti bè !
  • Ghjuvan Micheli Weber In quant'à mè, piantu quì a discursata chì mi pari d'ùn essa capitu. Forsi ùn socu chjaru chjaru. Ripigliu a penna è a ghjenti ghjudicarà, s'edda li piaci di sapè s'edda hè corsa a scrittura o micca. À dì la vera, pocu impremi.Ùn mi possu spiccà da ciò ch'e socu, ancu da piacia à a ghjenti. Com'à a diciu nanzu, ugnunu fala i scali à a so manera. È tutti i parè devini essa rispittati.
  • François-Xavier Renucci Bon, ok, laissons tomber les définitions : nous appellerons la littérature écrite en langue corse "littérature écrite en langue corse". Car "littérature corse" ça me paraît finalement encore trop dogmatique. C'est bien comme ça ? Alors, moi ce qui m'intéresse ce sont les littératures écrites en langue corse, française, italienne, latine, etc (ou certaines qui mélangent plusieurs langues) qui font quelque chose avec la réalité insulaire corse, ou qui sont utilisées par des habitants de l'île pour parler de tout et de rien, du monde et de l'amour, des définitions impossibles et des textes inouïs. Plus que ce qu'est (ou devrait être) une littérature corse, je voudrais savoir ce que font ces livres en nous, comment nous les lisons, comment ils remuent nos imaginaires insulaires. Et vogue la galère. Et je ne m'interdirai pas (rien que pour voir ce que ça fait) de considérer le texte en latin de Nobili-Savelli (qui est aussi de la littérature néo-latine tardive, si on veut en rester à une catégorisation linguistique), le texte en italien de Viale ou de Pasquale Paoli, le texte en corse de Santu Casanova ou de FM Durazzo, ou de GM Weber, les textes en français de Rinaldi, Pancrazi, Ferranti, Ferrari... comme de la littérature corse. C'est-à-dire comme un ensemble qui peut être considéré comme un tout mouvant et évolutif, dont les parties jouent entre elles, font quelque chose en nous. Et je continuerai à considérer que bien des textes écrits en français ou en italien disent quelque chose de profondément corse ou vrai sur la Corse. Que cela ressemble à un versu particulier et ancien ou non. La poésie de Jean-François Agostini en langue française c'est de la poésie corse (et française aussi, et méditerranéenne, européenne, mondiale, universelle). Je trouve qu'en utilisant ces qualificatifs, ils ne sont pertinents que s'ils permettent de faire vivre les significations potentielles du livre (et pas pour le ranger dans une case hermétiquement séparée d'une autre case).
  • François-Xavier Renucci Et cette fois je l'ai dit en français, qui est une des langues du peuple corse. Ah que c'est beau une langue polynomique, une littérature multilingue, un peuple pluriel et en métamorphose.
  • François-Xavier Renucci Vi ringraziu pè issa discussione, possu publicà la nant'à u blog "Pour une littérature corse" ?
  • Norbert Paganelli Natürlich mein freünd publicheghja publicheghja...
  • Francesca Graziani Eiu pensu ch un ci he fruntiere tra e categurie culturale: di un fulcloru ne po fa un opera universale un gran scrivanu o un gran musicante e s'he sempre fatta. . A Cultura si nutrisce di tuttu, a una cundizione : move e crea'. O ricrea'.