dimanche 26 juillet 2009

Désaccords et débats

Discutant dernièrement à Ajaccio avec un des auteurs cités sur ce blog, je fis mon miel de l'une de ses remarques : "Pourquoi ne pas placer en tête du blog, un petit édito amusant et hebdomadaire permettant de revenir sur les billets passés ?"...

La question, vous l'avez compris, est celle des limites d'un tel blog :
- sans nouveaux billets, il donne l'impression de végéter, d'agoniser et perd ainsi de son intérêt (alors qu'il est déjà d'une richesse inépuisable, bien sûr)
- avec de nouveaux billets, les anciens se perdent dans les limbes du passé et imposent de nombreux clics avant d'être trouvés (ce qui est bien dommage au regard de la parenthèse au-dessus)

Alors, autant vous dire que je n'ai pas encore trouvé le moyen de produire ce petit édito qui resterait plusieurs jours en page d'accueil, quels que soient le nombre de nouveaux billets édités, j'en suis désolé (cela viendra bien un jour, car je trouve l'idée très utile).

C'est pourquoi, je me contente, très rapidement (car je ne peux faire mentir totalement le billet du 14 juillet dernier), de signaler ici les 19 billets qui ont, à ce jour, donné lieu à un "grand" nombre de commentaires (ce qui ne veut pas dire que les autres billets ne sont pas intéressants !).

Les commentaires sont souvent très intéressants pour plusieurs raisons :

- les avis contraires créent un lieu imprévisible : un espace commun où les critiques positives ou négatives de chacun se heurtent et se nuancent
- les sujets évoqués dans les billets conduisent à d'autres sujets, parfois étonnants
- les commentaires contiennent parfois d'autres "récits de lecture", avec des citations d'autres oeuvres, d'autres auteurs enrichissant ainsi cette sorte d'"anthologie vagabonde" que contient ce blog
- les commentaires s'échelonnent parfois sur plusieurs mois, et les rebonds tardifs sont souvent intéressants pour cela

(J'en profite encore pour remercier tous les participants passés et futurs à ces discussions !)

Je vous laisse donc au plaisir de (re)découvrir les billets et discussions suivantes (sachant qu'il est recommandé d'ajouter son grain de sel) :

Titre : De quoi parle-t-on ici ?
Date : 12 février 2009
Nombre de commentaires : 12

Titre : Comment j'ai (tu as, nous avons) lu (1)...
Date : 15 février 2009
Nombre de commentaires : 12

Titre : Une nouvelle littérature corse ?
Date : 23 février 2009
Nombre de commentaires : 10

Titre : Où parle-t-on de littérature corse ?
Date : 28 mars 2009
Nombre de commentaires : 10

Titre : De la littérature - corse - pour tout le monde
Date : 19 avril 2009
Nombre de commentaires : 19

Titre : Littérature, Films : Imaginaire
Date : 20 avril 2009
Nombre de commentaires : 10

Titre : Et la littérature dans tout ça ?
Date : 21 avril 2009
Nombre de commentaires : 13

Titre : Le texte caché
Date : 25 avril 2009
Nombre de commentaires : 16

Titre : Ghjacumu/Jacques Fusina : RÊVES PROFONDS/SEGNI TREMENDI
Date : 9 mai 2009
Nombre de commentaires : 22

Titre : Du football corse
Date : 16 mai 2009
Nombre de commentaires : 16

Titre : Ce que peut/doit être un blog : discutons-en
Date : 19 mai 2009
Nombre de commentaires : 13

Titre : Intornu à l'essezza
Date : 6 juin 2009
Nombre de commentaires : 22

Titre : Faut-il parler de Mérimée ?
Date : 9 juin 2009
Nombre de commentaires : 18

Titre : Toutes les réponses sont dans ce billet, profitez-en !
Date : 10 juin 2009
Nombre de commentaires : 17

Titre : u ghjacaru neru
Date : 15 juin 2009
Nombre de commentaires : 17

Titre : Qui identifiera les textes ici mêlés, et l'effet de ce traitement ?
Date : 25 juin 2009
Nombre de commentaires : 15

Titre : Retour sur le Festival du livre LIRE AU SOLEIL
Date : 29 juin 2009
Nombre de commentaires : 30

Titre : Un espace d'échanges libres est-il souhaitable ?
Date : 8 juillet 2009
Nombre de commentaires : 23

Titre : Prenons les choses à l'envers : cummenti (3) - Lire à la plage
Date : 11 juillet 2009
Nombre de commentaires : 17

dimanche 19 juillet 2009

Un nouvel outil : la fonction Recherche

Message technique : dans la colonne de gauche, vous voyez une nouvelle "rubrique" intitulée "Rechercher dans ce blog".

Quand je trouverai la fonction "nuage de tags", je l'ajouterai aussi ; il me paraît bon de multiplier les moyens pour parvenir à ce qu'on le cherche (et aussi à ce que l'on ne cherche pas !).

Prenons l'exemple de recherche le plus fréquent : l'auteur favori.

Vous avez peut-être déjà regardé dans la rubrique "Libellés" (vous vous êtes rendu compte que cette liste est alphabétique mais que j'ai placé les prénoms avant les noms, d'où une série impressionnante de "Jean-Pierre XYZ", alors que vous cherchiez d'abord "Santini", "Graziani" ou "Arrio", et vous avez été déçu de ne pas les trouver respectivement aux lettres "s", "g" et "a"). D'où l'idée de l'outil "Rechercher dans ce blog", qui vous permettra de trouver aussi des auteurs évoqués sur ce blog mais absents de la liste des "libellés"...

Tapez le nom de votre auteur adoré et voyez ce que la moulinette vous apporte :
- les pages du blog "Pour une littérature corse" qui contiennent ce nom (toutes les pages, c'est-à-dire à la fois les billets et les commentaires)
- les pages des sites placés en lien sur "Pour une littérature corse"
- les pages des sites placés en lien appartenant à la catégorie "Sites littéraires, artistiques et culturels corses"
- les pages des sites placés en lien appartenant à la catégorie "Littérature, Arts, Culture... sur Internet"

Cela peut être très instructif de voir comment tel patronyme ou tel titre d'oeuvre se baladent de sites en sites, suscitent des points de vue variés ; et les parcours semblent infinis.

Vous pouvez bien évidemment taper le nom de l'auteur que vous n'aimez pas ! Ou bien n'importe quel mot de la langue française, de la langue corse aussi puisqu'elle est assez présente sur ce blog et sur le Web, mais aussi dans les autres langues accueillies ici : l'italien, l'anglais, l'allemand, le latin...

Et surtout n'hésitez pas à :
- laisser des commentaires (même sur des billets anciens, ce blog n'est pas soumis à la tyrannie de l'actualité, mais fonctionne bien plus avec les souvenirs...)
- faire part de vos lecture, en citant les oeuvres si possible (et je transformerai le tout, avec votre approbation, en billet)

A bientôt.

mercredi 15 juillet 2009

Un récit de lecture, suite : JPA sur JNP

Voici transcrit ici avec grand plaisir le message d'un lecteur de Jean-Noël Pancrazi, message reçu aujourd'hui, citant "Corse" (2000). Merci.

Avà ch'eddu hè più calmu u blog, sottumessu ch'edd'hè à a nicessità di una sosta statinali, vi possu prisintà eiu un pizzucciu di litteratura. Un strattu di l'òpara d'un autori chì sà cum'è nimu rendaci l'annoiu serenu di i paesi di soli, a siesta di a vita sott'à la sciappittana d'un eternu aostu.

À didda franca, m'hè difficiuli di leghja d'un trattu un libru sanu di ssu scrivanu. Ma sarà u scoppu di a litterattura di compia, d'andà in furia, di ghjungna à a fini ?

Dunqua, Jean-Noël PANCRAZI, pà a biddezza spùtica di a so scrittura (ci parla di a "vita" à u famosu V240, spidali di i vechji, in Aiacciu, duva mora pianu pianu u so babbu)
:

"Oui, je les aimais tous : Lullu qui, malgré ses coudes et ses chevilles blessées, passait et repassait dans le couloir, comme si, dans sa discrétion bouleversée, avec sa connaissance exacte des lits et des pièces trop calmes, elle devinait de loin, d'après la profondeur du silence et de l'ombre de notre chambre, où on en était. Les deux femmes qui, occupant des chambres qui se faisaient face et venant de la même région du Niolu, tapaient sans fin avec une cuillère, qu'on n'avait jamais réussi à leur retirer, sur le rebord de la tablette ou le bras de nickel de leur lit comme si elles avaient composé, inventé un morse secret, qui se compliquait, s'accélérait de jour en jour, pour se prévenir de l'arrivée d'un ennemi, d'un étranger qui viendrait les enlever."

JPA

mardi 14 juillet 2009

été 2009

Je l'avais déjà annoncé, je ne m'y résignais pas, mais cette fois trop d'engagements se rappellent à mon bon souvenir ; je répète donc aujourd'hui que je ne placerai pas de billet (sauf accident) sur ce blog, avant la rentrée...

Toutefois, je reçois avec grand plaisir vos propositions de "récits de lecture" (et je les transformerai en billet).

Et je répondrai aux commentaires que vous placerez sur chaque billet du blog. Car le débat reste ouvert.

A très bientôt.

samedi 11 juillet 2009

Prenons les choses à l'envers : cummenti (3) - Lire à la plage

Il est de tradition de proposer des cahiers spéciaux consacrés aux livres de l'été, ceux qu'on pourrait notamment lire sur la plage, au cours de ses vacances et pérégrinations touristiques (en Corse par exemple).

Cela concerne donc les amoureux de la littérature corse, puisque "u turismu hè l'affare di tutti", non ?

Donc, j'exhume de sous le sable numérique, un autre "cummentu" que j'avais donné au site Interromania ; il y est question de la plage de Santa Ghjulia, à Portivechju, du bleu de la mer et du ciel (il y est aussi question d'un muet, cette figure doit me hanter ou hanter la littérature corse...), dans un livre qui devrait normalement être absolument introuvable, bien sûr (voir conditions actuelles de l'édition corse) : "L'infanfata ou L'exaltée", récit bilingue de Lisandru Marcellesi, prix du livre corse 2000.

Bonne lecture, avez-vous lu ce livre, voulez-vous en citer un autre passage ? Connaissez-vous un autre passage d'un autre livre corse qui parle ainsi de la plage ?

En 2002, le cummentu disait donc ceci :

D’un passé presque inaudible


Lisandru Marcellesi est amoureux de sa région (la plaine d’Avretu) ainsi que des personnes qui l’ont façonnée par tant de paroles ou d’actes, répétés, approfondis, lourds de sens, courageux voire légendaires. Dans l’ouvrage intitulé L’Infanfata ou L’exaltée (A fola di i Martinelli), aux éditions Mediterranea, il réunit dans la cohorte de quelques courts chapitres les souvenirs d’une vie villageoise partagée entre mer et montagne. L’un d’eux nous transporte, avec l’auteur enfant, sur les rivages méditerranéens de ce petit monde presque oublié... :


U MARI


I punti di u Ciuntronu è di Vulpaghju ci piattaiani u mari. Induvinatu daretu à l’inseddatura, chi l’odori di u salimastru à di facia à varcà a bucca di Santu Petru, à ventu grecu. Stodia matrimuniali d’acqua è di ventu, di sali è di soli.

À a fini di a scola, fattu San Ghjuvanni, Filici a maestra ci purtaia a ghjurnata sana annant’à u rinaghju di Santa Ghjulia. Visioni di iniziu di mondu, soli saddendu à l’orizonti turchinu. Dulci culori di sputicu zaffiru, ghjornu magnificu commè un ghjornu di luna. Vampi cilistini è diafani banganiulati da u scioru marinu. Turchini, vera trinità di celi, mari è riflessi arburei. Ci ciuttaiamu nacentamenti, rena verghjini, acqui tralucenti... Tuttu gioia... Cantaiamu...

U Luni di pasqua dinò falaiamu à pucinà, sempri annant’à a camiunetta di Jeannot. Gavinu armaia u baddu à colpa di buttacciu, è a mirenda sempri di bona robba. Piscaiamu à u circhju in u stagnu. L’acqua limmicosa ci fasciaia i pesci. Saveriu mi purtaia anc’iddu una volta l’annu in i scodda di Segna è di Portunovu... visioni de paradisu... ortu sicretu... Saveriu ! cussì bravu ommu ! Tantu intarissanti è divertenti ! Strada facendu, mi struia di monda affari, ch’era andatu à i scoli. Quantu volti u mi avarà fattu u cuntatu di l’ommu trovu liatu annant’à u rinaghju, lacatu da calchi bateddu sarracinu ! Par tutti era « u mutu », ch’ùn parlaia u virnaculu. Accoltu, steti in paesu deci anni, impareti a lingua, po sparì. À capu è à tempu, unu di i nosci loca, rapitu vardendu pecuri, s’intesi chjammà in u filarozzu di i schiavi da un’ommu incapuccinatu à djellabà, ùn si sà più induva... Tunisi, Algeri o Stambulla ? A boci dissi in corsu : « tu, spiccati è và à manca ! ». U « mutu » fù ricuniscenti !


Cummentu :


On ne peut que goûter la densité de l’écriture de Lisandru Marcellesi : elle semble vouloir nous faire voir, très précisément, à la fois l’apparence extérieure, colorée, fascinante des choses et des êtres et l’intime, le caché, ce qui fait la chair ou le coeur des moments évoqués, leur sens et leur beauté.

Ainsi l’évocation des bains de mer - et cette expression très prosaïque est justement choisie pour entrer en contraste avec le texte de notre auteur - dans le second paragraphe est superbe : la communion avec les éléments (celi, mari, rena) emporte les enfants dans une extase de tous les sens, sensuelle et cosmique, se concrétisant par le chant joyeux qui conclut ce passage. Le plaisir de reprendre en bouche les mots choisis par l’auteur - « dulci culori di sputicu zaffiru, ghjornu magnificu commè un ghjornu di luna » -, de les faire sonner dans le rythme très marqué de cette prose poétique nous conduit aussi à entendre d’autres voix poétiques comme celle de Dante évoquant au début du Purgatoire cette « dolce color d’oriental zaffiro » se détachant de « l’atmosphère morte » de l’Enfer ou bien celle de Baudelaire qui dans « La vie antérieure » déploie lui aussi « una vera trinità di mari, celi è riflessi ».

Mais ce paradis est enfui, ou plutôt est prêt de s’enfuir, comme en sursis. Les points de suspension (« Tuttu gioia... Cantaiamu... ») signifient tout autant, ici, l’éternité d’un bonheur et son prochain évanouissement, le chant aux échos sans fin et le silence qui va le suivre.

Il n’est peut être donc pas innocent de voir se développer dans le paragraphe suivant l’histoire d’un muet.

Saveriu, après Filici, la maîtresse d’école et Gavinu, fait partie des quelques personnes qui conduisent l’enfant Lisandru à la mer. Mais sa particularité est de raconter des histoires, de les répéter, et notamment celle de « l’ommu trovu liatu annant’à u rinaghju », appelé « le muet ». Le récit des joies de l’enfance bascule ici dans le monde presque merveilleux et souvent terrible des « sarrasins » ou « mores » venus piller les côtes, enlever hommes et femmes, instillant la peur. Mais l’anecdote du « muet » ne met pas enscène de sarrasin cruel, tout au contraire ce sont les actes et les sentiments généreux qui s’y font jour. Voici donc un « muet », c’est-à-dire un étranger ne connaissant pas la langue du lieu dans lequel le hasard et la cruauté d’un équipage l’ont fait parvenir, accueilli pendant dix ans par les habitants du village. Puis cet étrange personnage, qui restera indéfini, disparaîtra au bout de ces dix années non sans avoir appris « u virnaculu ». Ce muet est donc bilingue... connaissant les langues d’ici et d’ailleurs, faisant passage entre les grands ports méditerranéens (Tunis, Alger ou Istanbul) et la plage de Santa Ghjulia. Et c’est loin de la Corse, qu’un des villageois (« unu di i nosci loca », l’indétermination rend le propos exemplaire) enlevé par la suite bénéficie de la générosité dont avait profité le muet : c’est en corse que l’homme en djellaba le libère de l’esclavage, « tu, spiccati è và à manca ! ».

Histoires de langues apprises, de paroles échangées, de sauvetages miraculeux... C’est bien le projet même de Lisandru Marcellesi qui semble être ici allégorisé. Un monde est perdu qu’il faut retrouver, une langue enfouie (pour reprendre une expression de Rinatu Coti) est de nouveau offerte. Les histoires de pirates ou de voyageurs méditerranéens, anonymes, correspondent ici à l’enteprise littéraire de notre auteur : d’un monde à l’autre, d’une époque à l’autre, l’écrivain, par son humilité même, parvient à réanimer, à faire écho, à prêter sa voix et son écriture, à rendre la parole. La reconnaissance qui l’anime, tout comme celle du « muet », envahit son lecteur.

mercredi 8 juillet 2009

Un espace d'échanges libres est-il souhaitable ?

Il s'agit bien ici de littérature, et de littérature corse...

Quelques mots en passant pour vous signaler quelques lieux numériques plus ou moins secrets où la littérature corse est en train (ce soir encore) de se fabriquer au moyen du débat !
Vous pouvez y assister et même y participer (fourbissez vos commentaires !).

Le forum de Marcu Biancarelli :
deux discussions en cours fort intéressantes à partir de deux de ses chroniques parues dans "La Corse votre hebdo" :
- Milena Agus, una maga (où il est question des écrivains de la côte et de ceux de l'intérieur, de catégories encore plus fines, de l'importance de la langue mais aussi du sujet, etc.)
- Genesi d'un lingua scritta (I) (où l'on apprend que l'on peut repérer des traces du corse écrit jusque chez Giovanni della Grossa au XVème siècle, à moins que...)

(Même si tout est écrit en corse, n'hésitez pas à écrire dans une autre langue de votre choix, le français par exemple, le site de Biancarelli est accueillant ; j'ai moi-même écrit dans les deux langues, même si je me sens plus à l'aise en français.)

Le site de l'association Musa Nostra :
en cours d'élaboration, un compte rendu du café littéraire du 5 juillet dernier avec Jérôme Ferrari (présentant "Murtoriu" de Marcu Biancarelli) et des lecteurs présentant leur lecture, notamment de "Balco Atlantico" de Jérôme Ferrari par Ivana (belle "lecture subjective" qui contient un reproche "fugace mais tenace" fait à l'auteur, découvrez lequel ; dommage nous n'avons pas encore la réponse de l'auteur) :
- Café littéraire Musa Nostra du 5 juillet 2009
(A signaler aussi une discussion sincère et un peu vive entre Penserosu et moi-même sur le forum de Musa Nostra (le samedi 4 juillet), à propos du recours aux articles critiques quand on veut parler d'un livre).

Le blog de l'association organisatrice du Festival du Livre de Portivechju (voir les billets ici consacrés à ce festival : ici et ici) :
- c'est le billet "Vivement le prochain !" (un 3ème commentaire, de moi, est en attente au moment où j'écris ; le désaccord se manifeste très courtoisement quant à la question de l'intervention du public au cours d'une table ronde.)

Et enfin, the last but not the least, dans un message paru aujourd'hui via la liste de diffusion "Cuurdinazione corsa" (déjà plus de 1600 abonnés à cette liste), une évocation du billet consacré à "Mal'Concilio" sur ce blog, par l'auteur de "Mal'Concilio" lui-même, Jean-Claude Rogliano ; évocation très critique (ce n'est pas moi qui vais m'en plaindre) qui ouvrira peut-être un débat sur ce sujet dont j'entends tout le monde dire qu'il est essentiel : on ne peut dire "du mal" d'un livre en Corse parce que tout le monde se connaît... Plus globalement, avons-nous besoin et envie de la possibilité d'échanger des avis divergents ? Ou bien est-ce inutile, dangereux, contre-productif, idiot, maladroit, etc. ? L'auteur a visiblement mal pris ma "critique" qui aurait "assassiné" son livre ; je comprends qu'on puisse se sentir blessé (j'ai vécu moi aussi - sans faire de psychodrame - ce moment où à côté de certaines critiques positives, des critiques négatives "frappent" votre livre - et votre ego - surtout quand elles émanent de personnes que vous estimez et admirez par ailleurs ; mais qu'est-ce que je pouvais dire sinon écouter et répondre le plus rationnellement possible ? Ces personnes n'avaient-elles pas le droit d'exprimer un avis négatif sur mon livre, au prétexte que nos relations sont amicales ? Doit-on s'autocensurer en permanence ? N'y a-t-il pas une façon de permettre aux lecteurs d'exprimer librement leurs goûts - ou dégoûts - et points de vue sans que cela apparaisse comme une attaque personnelle ? Au fond de moi, je penserais presque cela : les auteurs n'ont aucun intérêt, seules les oeuvres lues fabriquent quelque chose... je ne le pense pas totalement, car je sais combien les encouragements et les soutiens sont chose nécessaire pour les auteurs, mais, encore une fois, peut-être ont-ils plus besoin d'encouragements réels, et non feints, et de critiques négatives sincères et courtoises, argumentées et précises - ce que je pense avoir écrit à propos de "Mal'Concilio", et non "assassines".)

Voici donc le message de Jean-Claude Rogliano (j'ai envoyé une réponse sur "Cuurdinazione" qui apparaîtra bientôt) :

Cari amichi e cumpatrioti,
>
> Précédant l'opéra de mon
> ami Jean-Paul Poletti, Roi de Corse et le film de Robert Martin Carol,
> King
> of Corsica en cours de tournage à Hollywood et dont Jean-Paul (torna ellu)
> compose la musique, vient de paraître chez J.C. Lattès, mon dernier roman,
> Les mille et une vies de Théodore Roi de Corse.
>
> N'étant jamais très sûr de moi quand j'écris mes ouvrages (surtout depuis
> qu'un
> certain Renucci, dans le blog « Pour une littérature corse » émet une
> critique sereinement assassine de Mal'Concilio) et si je suis un peu
> rassuré
> par les critiques et les reportages que vous trouverez dans ces liens,
> j'espère
> que vous manifesterez plus d'indulgence si vous lisez les mille et une
> vies
> de cet aventurier dont on commence à découvrir quel personnage il était
> vraiment.
>
> Sentimenti fraterni.
>
> Jean-Claude Rogliano
>

mardi 7 juillet 2009

Rouvrant le livre, je tombe là-dessus

Rouvrant le livre, je tombe là-dessus, le début du chapitre V, avec cette litanie (j'avais refeuilleté le livre déjà, plusieurs fois, sans arriver à me remémorer l'histoire, avec le vague souvenir entêtant d'une virée à Marseille du journaliste qui est le personnage principal, je l'avais refeuilleté sans avoir été "arrêté" par un passage en particulier ; façon de faire, je le concède, qui n'est guère charitable pour un livre, et cette fois-ci - ce soir du mardi 7 juillet 2009 - je tombe là-dessus, sur cette litanie, cette longue phrase avec un vrai sentiment qui m'envahit, un sentiment qui me fait dire "où nous conduit donc cette phrase ?" et aussi "pourvu qu'elle ne se termine pas", la voici) :


Pas Le Christ mort de Mantegna sur sa pierre aux veinures d'éternité, pas les crânes des vanités peintes, leurs yeux absents, pas l'un des danseurs des cauchemars émaciés de Holbein, pas le Che Guevara, sa peau bouffie et piquée de balles, pas la gloire horizontale des gisants et leur sévérité inaltérable, pas les corps en momies des catacombes de Palerme, leurs paroles douces aux survivants, pas Jim Morrison à la fin, noyé dans sa déraison d'avoir voulu le monde tout de suite, pas les miliciens de Pascal Paoli, leurs cris de défaite et leurs blessures en ricochets sur le fleuve des patries perdues, pas les suppliciés dans leur chemise de douleurs, entourés des chants nasillards de leur espérance, pas les sacrifices de Carthage, la complaisance punique pour l'atrocité, pas les défunts bien connus de Borgu-Serenu, ployant sous les couronnes et les gerbes, lorsque, tirés par le cheval des deuils ils pouvaient encore remonter le Cours central, pas les bergers de nos villages, errants résignés à rejoindre la crypte commune des églises, pas le condamné à mort dans l'épouvante de son corps dissocié, pas les éternels assis des cimetières syriens, pas l'un de nos patriciens, dans l'attente que soit achevée la gloire présomptueuse d'une salute ou d'un mausolée, mais lui.


Voilà la phrase. Je ne cite pas maintenant la suite du paragraphe, car c'est bien cette phrase qui accroche notre regard, sous le chiffre romain du chapitre (V), lui-même suspendu dans le vide du premier tiers de la page 89. Je ne me rappelle pas du reste du livre (que j'avais aimé, beaucoup et que j'ai maintenant grandement envie de relire - et qu'est-ce que sont 124 pauvres pages sinon l'assurance d'une lecture rapide ? Mais je me doute maintenant que de nombreuses phrases vont arrêter ma lecture parce que finalement ce livre conte une histoire toute tracée - tragique à souhait - qui devrait nous conduire aussi facilement qu'un rapide ruisseau jusqu'à la catastrophe mais avec des phrases qui entremêlent ainsi les figures, les temps, les sentiments, on se rend bien compte qu'elles deviennent de petits tourbillons dont il est très difficile d'avoir envie de sortir), je ne me rappelle pas du reste du livre, donc, et j'ai pourtant la sensation d'être tombé au centre de son système nerveux.

Voici la suite :

Lui sans comprendre quand il se retourne et aperçoit une voiture, lui dans l'automne d'un rendez-vous anodin, presque une promenade, lui qui doit nous rejoindre et qui a préféré partir seul. Lui, Jean Masseria, préservé de l'inquiétude, si peu attentif aux signes et au ciel lourd de ce jour-là. Lui, Masseria, à qui Pierrot Finesse, le parrain et quelques faux amateurs d'opéra ont refusé le droit de mettre ses affaires en ordre avant de partir, et qui avance, sur la route, insensible aux gestes et aux regards machinaux de deux vieillards sur un banc, à l'entrée du hameau avant le col qu'il n'atteindra pas, derniers regards humains posés sur lui, fatigués d'années, d'ennui, rendus inquiets par la pluie qui menace. Il connaît la route, la plaine qui s'efface, remarque pour la première fois les restes de volets vert amande au milieu des ruines d'une maison, bientôt il apercevra la mer. Les lacets arrivent, au bout de la ligne droite qu'enserrent des oliviers, la voiture qui le suit, cette voiture rouge le double et le force à piler. Deux hommes s'approchent, et dans l'air tiède, devant les oliviers qui secouent leur indifférence et protestent au milieu des nuages, il s'apprête à leur demander ce qu'ils veulent. Avant qu'il puisse parler, l'air flambe et il entre dans la mort.

Et bien sûr, pour moi (et pour vous ?), le réflexe et le plaisir de revenir à la première phrase :

Pas Le Christ mort de Mantegna...

Le livre est de Jean-Baptiste Predali, journaliste bien connu, mais surtout, pour nous, écrivain, auteur de deux romans dont je n'ai lu que le premier, cité ici, et qui s'intitule "Une affaire insulaire", et qui fut publié aux éditions Actes Sud, en 2003. Peut-être y a-t-il d'autres pages de ce livre que vous aimeriez citer, et présenter ?

lundi 6 juillet 2009

Michel Chaillou : de la lecture

Il faut conserver des traces (papier, écrits numériques, rêves racontés plus tard, propos au café, vidéos sur internet ou fichiers audios, etc) ; et si possible des traces denses et elliptiques à la fois, qui donnent le temps de réfléchir, d'y revenir et d'y répondre.

J'espère que de tous les festivals littéraires, rencontres et débats dont nous avons été et serons comblés (voir ici et ici), nous aurons des traces, quelles qu'elles soient. Vous pouvez en faire ici, sur ce blog, notamment.

Un exemple de trace qui me ravit : des propos de Michel Chaillou, prononcés en décembre 1998 et transcrits (?) sur le site de Remue.net le 3 mai 2004. Il évoque ses lectures, la lecture, certains mots lus et élus comme "prophéties" ; je trouve ces propos d'une grande densité, car j'y sens (mais peut-être pas vous ?) le grain de sa voix, le déplacement de ses yeux sur les pages (Barbey d'Aurevilly, Balzac), la forme de son esprit face aux intrigues et aux vocabulaires, face aux rythmes des phrases et aux situations morales des personnages.

Je vous engage à lire ce beau texte sur ce que peut être la lecture.

En voici un extrait :

Une autre chose que je voulais vous dire et que j’ai noté, c’est que dans des livres, aussi, et ça c’est très bon pour la technique, c’est qu’il y a des mots qui sont des prophéties du livre. Je veux dire par là qu’il y a des mots qui contiennent tout le livre, et cela, bien souvent, à l’insu du narrateur, de l’écrivain. C’est-à-dire des mots qui préfigurent en eux-mêmes l’histoire et qu’il n’y aurait plus qu’à déblayer. Des mots qui sont en avance sur le récit. Et ce qui est très intéressant - quand j’enseignais c’est ce que je faisais - c’est d’essayer de montrer dans les textes ces mots qui sont en avance sur l’histoire. Ces mots que l’écrivain, poussé par une espèce de force subtile et obscure, avait notés pour le rythme. Le rythme, c’est la façon dont les mots ont cette manière subtile de s’accrocher les uns aux autres. Mais justement, les mots sont en avance et donc ils contiennent déjà en germe toute l’histoire. Et c’est cette espèce de succession germinative de l’histoire qu’il est intéressant de remarquer au fur et à mesure qu’on lit. Vous me direz que dans beaucoup de livres qui paraissent, il n’y a rien de tout cela. C’est-à-dire qu’il n’y a que le lieu commun de l’époque qui s’est déversé, et en général ce sont les livres qui ont du succès. Je ne dis pas que tous les livres qui ont du succès sont ainsi, mais les livres qui ont du succès ce sont les livres, les best-sellers comme on peut dire, remplis de lieux communs. Le lieu commun c’est un lieu où déjà tout le monde est, et donc c’est à l’insu des lecteurs qui apportent ce qui manque au livre. D’ailleurs ces livres, quand l’époque a disparu, le manque subsiste et le livre disparaît aussi. Et il y a plein d’exemples : qui se rappelle de Paul de Saint-Victor, par exemple, qui occupait une plus grande place que Baudelaire dans la revue L’Artiste. Il avait deux pages, Baudelaire avait un mince filet... Il y a plein d’exemples de cet ordre.

Et nous pourrions ensuite nous interroger : quels sont les "mots-prophéties" du dernier livre corse que nous avons aimé ?

(Je découvre aussi avec beaucoup d'intérêt le blog-notes de ce beau lecteur qu'est Michel Chaillou).

Animations collectives pour lectures solitaires

Encore une fois, l'occasion nous est donnée de combiner deux grands plaisirs : l'animation collective avant la lecture solitaire...

Je ne pourrai personnellement y être, et je le regrette bien (mais qui a dit qu'une bonne manifestation devait aussi créer de la frustration ?).

Donc, rendez-vous au 3ème festival du polar corse et méditerranéen, à Aiacciu, les 10, 11 et 12 juillet prochains, sur la place des palmiers (celle que je n'arrive pas à appeler la place Foch).

Vous aurez la chance de rencontrer des auteurs (une quarantaine, tiens, comme à Portivechju, à croire que ce chiffre biblique doit servir de code secret), de voir une pièce de théâtre, d'entendre des débats aux sujets a priori très intéressants :
- les différents genres dans le polar
- le polar et les îles méditerranéennes
- chaque auteur est une île
- l'identité culturelle dans le polar

Y aura-t-il la possibilité pour le public de poser des questions ? Vous me direz. Ce serait une bonne chose.

Vous entendrez aussi des lectures.

Et tout cela afin que chacun s'en aille avec de nombreux livres dédicacés et puisse, après la fureur d'un festival, se caler au fond d'un lit, toute une matinée, la fenêtre grande ouverte sur un ciel de la couleur que vous voudrez, et lire, en silence, tout son soûl.

Peut-être alors voudrez-vous faire part, ici (sur ce blog) ou là (ailleurs), de vos lectures, de vos souvenirs de lecture, et citer les pages qui auront accroché votre esprit ?

A bientôt.

vendredi 3 juillet 2009

3 extraits d'extraits de "Balco Atlantico"

Les femmes et les enfants d'abord... et les extraits des oeuvres aimées (avant nos commentaires, analyses, études et discours en tous genres, pourtant si importants).

Parce que le texte résiste. Le texte attire notre regard, suscite notre parole, hante notre esprit, crée en nous des images et des sentiments, des idées, des désirs. Mais le texte - ainsi soumis à nos lectures - résiste : nous ne l'épuiserons jamais. Voilà pourquoi il me semble hautement nécessaire de lui donner de la place à l'intérieur même de nos discours.

Enième définition : Un "récit de lecture" est finalement ceci, selon nous : un noyau de texte qui fait nos délices, entouré - si possible - de la chair de nos paroles.

Je suis heureux de signaler ici qu'Emmanuelle Caminade, blogueuse littéraire émérite (déjà citée plusieurs fois sur ce blog, voir à son nom), a mis en ligne un billet consacré à sa lecture (analyse claire et fouillée, à discuter bien sûr) de "Balco Atlantico" de Jérôme Ferrari (son quatrième livre).

Et elle cite trois extraits du livre, voir à la fin de son billet. Auriez-vous cité les mêmes passages ? Pourquoi ?

Parlons-en...

(Finalement, l'idéal serait de recomposer le livre entier avec tous les morceaux vraiment lus et cités... Et nous verrions quels passages disparaîtraient définitivement parce que non retenus par notre mémoire ou notre volonté ? et s'il n'y avait qu'un passage non retenu, non cité ? et si finalement ce passage "oublié" devenait la clé de tout le livre ? il y a une idée à la Borges ici, non ?)

Voici ma sélection d'aujourd'hui dans les trois extraits cités :

Oh, maman, maman
des stylets minuscules
son étreinte
tachée de boue
et de sang
oui, tu l'aimais
tu n'oublieras jamais.

simplement si stupides et autodestructeurs
adolescents attardés et arrogants,
si peu doués
pour la vie
les gesticulations hystériques
les pulsations d'un coeur sombre
et profond
des flots de tristesse et d'ennui
à aboyer contre les gendarmes de la brigade
d'Olmiccia
comparution immédiate
faire la caisse d'une station-service en mobylette
perdre son porte-feuille, avec tous ses papiers en règle, en sortant du bar-tabac qu'il venait de braquer à Ajaccio.
une sorte de génie de la catastrophe.

Et c'était une telle merveille que tu cessais de voir des murs partout.
Pour la première fois, tu voyais les chalutiers silencieux,
tout en bas,
qui rentraient au port,
l'horizon flamboyant, la douce lumière du phare qui s'allumait. Tu rêvais.
Je crois que c'est toi Khaled, qui, envoûté par la douceur infinie de ces coups
frappés à votre porte,
t'es levé pour ouvrir à la mort.
dans un grand vent.

Prenons les choses à l'envers : cummenti (2) - Leonu Alessandri

Suite de cette série de "reprises" (voir le numéro 1, pour mieux comprendre).

En complément au billet qui évoquait Leonu Alessandri, voici un des cummenti de 2002, pour prolonger le plaisir de lire entre les lignes... Peut-être, me dis-je, relisant ce "récit de lecture", ai-je coupé les cheveux en quatre... Mais c'est plus fort que moi : il me semble que la littérature est faite pour cela : m'emmener ailleurs pour me faire parler (variation du somptueux "va voir ailleurs si j'y suis") !


En 2002, le cummentu disait donc ceci :


Scole di scrittura


Leonu Alessandri a publié en langue corse un recueil de nouvelles, "Filette orezzinche", où se manifeste un profond attachement à une Corse traditionnelle. Une veine nostalgique s’exprime donc, encore gonflée de vie, cherchant à résister, par le rire ou par l’exhortation, par l’allégorie, l’apologue ou la chronique, à ce qui défigure, contraint et dévoie la nature et les coutumes de l’île.

Le passage suivant est extrait de la nouvelle « A lenza di u maestru » :


U maestru, subitu, corre ind’è u merre, è parlendu di « ma responsabilité », a so « mission d’instruire », quella situazione « non prévue par le règlement... » si mette in capu di fà turnà l’allevi in scola. Malgradu a spiegazione di u paisanu, è u cunsigliu di lascià corre datu da u merre. Ùn volse stà à sente nimu è ùn capì nulla.

Parte addaretu à i zitelli, chjamenduli. A so patella di plasticu l’impedia di corre, ma marchjava in furia è atteppava per u paese supranu. Elli avianu fighjulatu i so passa è veni, vistu a cunversazione, è capitu chì, sì ellu i chjappava, ci vulia à turnà in scola. Malgradu e chjame è e minacce, nascì u fughji fughji. Cunniscianu à ochji chjusi i cuntorni, è sgualtri cum’è capretti, spiccavanu salti. I mughji avianu messu in sussurru u paese. I paisani, accolti in piazza di a chjesa, seguitavanu u corri corri trà maestru è zitelli sottu à i castagni chì ùn eranu ancu veramente frunduti. Trinnicavanu a testa, cum’è per dì : « Chì scimità », è si campavanu di rise. C’era u rispettu par u maestru, o piuttostu par a so funzione, rappresentava a struzzione, ancu u merre andava à fassi fà e lettere ch’ellu mandava à u prifettu. Ma era u furesteru chì ùn vulia rispettà l’usi è facia tamanta cumedia per una meza ghjurnata. Di core, eranu per i zitelli, tutti i parsoni, parenti è figlioli. Si sà chì, in i paesi di l’altri, e vacche vincenu i boii !

A corsa durava. I più chjuchi si stancavanu. Certi, di fatica è di paura, si mettianu à pienghje, e zitelle sfilavanu e so calze in e scope è i tanchi. E pruvende da a merendella andavanu perse. Ma a paura di u maestru era tamanta. I più grandi avianu riflessu è dettu chì, dopu cinque ore, u maestru ùn pudia falli turnà in scola. Dunque, tuccava à corre sinu à quella ora. Ora di liberazione. Ora di salvezza. Dopu à ste riflessione, u corri corri avia ripigliatu di più bella. S’avianu pigliatu i più chjuchi à cavalcioni è tiravanu per a manu e zitelle più stanche. Era a sterpa Ebrea spaventata, chì fughjia davanti à a collera di u faraone d’Egittu.


Cummentu :


Pourquoi le maître d’école se met-il à courir ? Parce que son autorité a été prise en défaut : prétextant un cadeau offert à celui-ci (un gros réveil), les enfants se sont libérés de l’école... Pourquoi les élèves de ce maître se sont-ils « enfuis » ? Parce que la coutume leur permet de prendre cette « meza ghjurnata » de liberté, en plein temps scolaire. La contradiction n’aboutira cependant pas à une confrontation, ni même à une rencontre ! Comme si les courses du maître et des élèves, n’appartenant pas à la même temporalité, ne se déroulaient pas dans le même espace...

Et cette étrangeté est renforcée par l’allusion au récit biblique de la fuite des Hébreux hors d’Égypte.

« Lorsqu’on annonca au roi d’Égypte que le peuple avait fui, le coeur de Pharaon et de ses serviteurs changea à l’égard du peuple. Ils dirent : « Qu’avons-nous fait là, de laisser Israël quitter notre service ! » » Et face aux craintes des fuyards, leur chef Moïse dit : « Ne craignez pas ! Tenez ferme et vous verrez ce que Yahvé va faire pour vous sauver aujourd’hui, car les Égyptiens que vous voyez aujourd’hui, vous ne les reverrez plus jamais. » De fait, les enfants du récit d’Alessandri semblent pouvoir échapper pour toujours à leur maître, par la simple grâce de leur croyance en eux-mêmes : o chì piacè !

La nostalgie de l’enfance semble autoriser les rêves les plus fous. Cependant Alessandri sait qu’il ressuscite un temps enfui, que c’est le maître qui a gagné et que les élèves ont grandi, savent lire l’heure, l’heure de l’école, l’heure du savoir, l’heure du pouvoir aussi. Mais c’est le privilège de l’écrivain de travailler l’outil du pouvoir, le langage écrit, afin de le creuser de rêve, de faille, de fragilité. Il semble que ce travail essentiel soit plus intense encore lorsque ce langage doit se constituer dans une langue minorée, difficilement scriptible, difficilement lisible...

Mine de rien - n’avions-nous pas affaire à une simple chronique nostalgique villageoise ? - le texte de Leonu Alessandri se révèle être une succession de paradoxes. Le « rilogione », ce gros réveil, est le temps retourné à son envoyeur : le maître se trouve gratifié de ce qu’il était censé imposer ! Et la course échevelée des enfants, ce qui devrait être leur plaisir, se révèle être un piège infernal : l’arrêt, la cache leur sont refusés et une fois encore les voilà prisonniers de ce temps scolaire (la course pourra s’interrompre après les cinq heures fatidiques) ! C’est donc avec un grand humour et une grande finesse que le récit nous décrit une course folle contre le temps, une course burlesque (souvenons-nous que le maître est un Pharaon avec un genou en plastique). Le rire apparaît ainsi comme le meilleur outil pour révéler les complexités d’une situation : pensons aux nouvelles de Ghjuvan-Maria Comiti. Craintes du maître, peur des enfants, de tels sentiments pourraient nous promettre un monde de pure angoisse. Mais la sympathique compréhension des villageois ainsi que l’indice burlesque du parallèle biblique nous conduisent à apprécier le comique ainsi que la subtilité de la situation.

Car au fond, les élèves et le maître ne sont pas si éloignés que cela les uns des autres... En fuyant vers la terre promise, les hébreux n’entraînaient-ils pas aussi Pharaon et son armée, certes vers leur perte, mais surtout dans une évolution, une orientation nouvelle, la possiblité de faire un morceau de chemin avec... Dans le temps de l’écriture, l’auteur renverserait ainsi la relation poursuivant-poursuivis : son écriture, en faisant retour vers les enfants, sauve un maître à l’histoire et à la personnalité complexes. L’écrivain lui aussi, porteur de son horloge intérieure, court après sa « responsabilité » : que faire du pouvoir de l’écriture...

mercredi 1 juillet 2009

Littérature corse sur Internet (4)

Où trouve-t-on des auteurs corses sur Internet-le Web-la Toile-a Tilaghjica-ecc. ?

Sur le Blog de France 3 Corse, Detti Oghje : des heures et des heures d'émission télé visionnables en ligne gratuitement...

A vous de fureter pour "rencontrer" entre autres (via des entretiens, des documentaires complets, des émissions brèves ou longues, utilisant exclusivement la langue corse, ou le corse et le français, ludiques ou plus sérieuses) : Rinatu Coti, Ghjacumu Thiers, Anton Francescu Filippini, U teatru corsu, Dumenicantone Geronimi, Jérôme Ferrari, etc.

Le site est simple d'utilisation et permet de prendre connaissance rapidement du sujet abordé dans les différents numéros des émissions suivantes :

- MCSP (Ma Corse me Suit Partout)
- Par un dettu
- Ghjenti

Quandu n'averete una techja di leghje libri corsi, puderete ascultà l'autori !

Estate 2009 : du pipole, du pipole, du pipole

Sous la pression amicale d'un internaute commentateur (voir billet précédent), je cède à la nécessité de faire de la littérature corse avec les Grands de ce monde.

Les mois de juillet et d'août ne me permettront pas d'alimenter ce blog au même rythme que depuis cinq mois, j'en suis bien désolé. Je serai toutefois très attentif à dialoguer avec tous ceux qui laisseront un commentaire ou qui m'enverront leur "récit de lecture" (en corse ou en français) via mon mail personnel (f.renucci@free.fr). Quant aux billets que je placerai cet été, ils auront essentiellement cette forme : un extrait de texte, quelques mots avant et/ou après afin d'évoquer ce texte, très rapidement. Il s'agit pour moi de la quintessence de ce blog : la mise en commun des passages des oeuvres corses qui hantent nos esprits (j'y reviens, ces "fantômes imprécis" dont parle Pierre Bayard).

Je commence ici avec un texte dont je me souviens depuis longtemps, une intervention écrite, une lettre. Celle que Jean-Charles Thomas, (Monseigneur), a envoyée en août 1975, lors des événements d'Aleria, à Valéry Giscard d'Estaing (alors Président de la République française), quand il était lui-même Evêque de l'Eglise de Corse entre 1974 et 1986. On trouve cette lettre intégralement citée dans le livre de Jacques Roi, "Violence ou dissuasion. L'exemple de la Corse", édition Beauchesne, 1986.


Monsieur le Président,

C'est parce que la situation est et apparaît maintenant extrêmement grave que je me permets de vous adresser ces lignes en mon nom personnel et sans titre que celui d'un homme de bonne volonté qui s'efforce de comprendre, aimer et servir la Corse en la parcourant chaque semaine pour qu'elle vive selon l'Evangile de Jésus.

Hier fut tragique ; demain peut l'être encore plus.

Hier, tout est allé très vite ; demain probablement aussi. Chacun s'efforce de mettre en relief les racines profondes du présent. Et elles existent, certes, matérielles, économiques, juridiques, politiques, sociales, et cela depuis des années. Des remèdes sont périodiquement décidés, partiellement appliqués : beaucoup ont trouvé leur place dans la récente charte économique dont la majeure partie de la Corse souhaite la mise en oeuvre complète et sans retard.

Mais, non moins évident, non moins profond et non moins unanime, il existe un problème de psychologie qui touche à l'âme du peuple corse. De ce problème, il faut tenir compte en toute décision. De ce problème, il faut trouver une juste solution.

Pour peu qu'on vive en Corse et avec des Corses, on saisit et comprend que la Corse n'est pas seulement un département français parmi d'autres. Elle l'est. Mais en même temps, et je crois, prioritairement, elle est aussi une autre réalité : une histoire corse, une communauté populaire corse, un style, un ensemble d'aspirations humaines et d'habitudes. Avant d'être département français, la Corse est psychologiquement la CORSE. Il en fut ainsi historiquement : il en est ainsi aujourd'hui : il ne peut en être autrement demain : pas un Corse ne l'accepterait !

Or, de cela qui sous-tend les réactions de chaque habitant de la Corse, il est urgent aussi de tenir compte. Comment ?

Sans doute en innovant dans le style des rapports entre le Gouvernement français et la Corse. Si les décisions importantes doivent être prises d'abord à Paris (et je ne suis pas certain que ce soit toujours la meilleure solution, surtout dans les heures difficiles), elles ne peuvent l'être sans que les Corses ne soient présents et associés largement par les élus locaux, les responsables d'organisation sociaux, professionnels, économiques, etc., de type régional ou départemental et même certains de ceux qui ont pris récemment et à visage découvert, le parti du désespoir dont les conséquences furent dramatiques. A situation exceptionnelle, pourquoi ne pas chercher un remède exceptionnel, imprévu par les textes et inhabituel ? Sans entraver les actions nécessaires et plus lentes de la justice, c'est la dialogue direct, l'appel à ceux qui ont vécu le drame, à ceux qui peuvent aussi parler au nom de leur peuple qui doit être lancé afin qu'ils s'expriment librement, soient entendus et respectés, en toute décision, dans leur identité et leurs aspirations qui ne se réduisent jamais aux domaines matériels et économiques, mais conformément à leur génie et à leur histoire, donneront grande place au psychologique, à l'humain et au communautaire.

Comme tous, je peux me tromper. Avec la plupart, je suis dans la situation de l'homme démuni de moyens pour agir et profondément solidaire de ce que nous vivons actuellement en Corse. Veuillez accueillir ces lignes comme un appel réfléchi, médité, et j'ajoute longuement prié devant Dieu à qui je demande d'aider la Corse, et tous ceux qui veulent la comprendre, l'aimer, la servir, pour qu'elle maîtrise ses tendances trop passionnées et fasse dominer ses aspirations et ses qualités les meilleures.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma très déférente considération et l'assurance de ma prière pour que Dieu vous soit en aide.

Jean-Charles Thomas
Evêque de l'Eglise de Corse