lundi 31 janvier 2011

Grève générale et illimitée (avec légèreté et humour)

Prenant acte, avec le sourire et au bout de deux ans d'efforts, de l'échec de la transition démocratique dans le champ littéraire corse, nous, gouvernement de ce blog, déclarons officiellement une grève générale et illimitée sur le territoire virtuel "Pour une littérature corse". Ciao !

(Ce billet annule et remplace le précédent billet posté hier ; la référence cinématographique était trop difficile à trouver et pouvait être mal interprétée si l'on manque un peu d'humour.)

samedi 29 janvier 2011

Compte rendu bref, punchy et bienveillant


J'ai donc assisté à la table ronde d'auteurs qui a été proposée par la Fédération des groupements corses de Marseille et des Bouches-du-Rhone cet après-midi, dans le cadre de son traditionnel Salon du Livre corse. (Le salon dure encore toute la journée de demain dimanche, 34 auteurs vous y attendent, tous les livres corses récemment sortis, voir le nouveau site de la Fédération pour plus d'infos).

La table ronde a été animée par Serge Tomasini, président de la Fédération et Xavier Giacometti, trésorier, mais aussi cinéaste et dramaturge.

Les quatre auteurs invités à répondre aux questions furent : Céline Tafanelli (auteur de livres sur la cuisine corse aux éditions DCL), Jean-Claude Rogliano (romancier et cinéaste), André Giovanni (créateur de magazines, journaliste, romancier et poète), ainsi que Michel Vergé-Franceschi (professeur d'université et historien).

Les questions posées furent :
- Pourquoi écrivez-vous ?
- Qu'est-ce que l'écriture corse ?
- Quelles furent les langues utilisées par les Corses ?
- Est-il facile aujourd'hui de défendre l'identité corse de l'écrivain ?
- La femme héroïque n'est-elle pas un personnage éminent dans la littérature corse ?

Désolé, je ne vais pas retranscrire ici la totalité des notes que j'ai prises au cours de cette heure et quart de table ronde. Il a été souvent question de l'âme corse ou de l'esprit corse, donc des caractéristiques qui définiraient l'identité insulaire. Il fut souvent question d'émotion, de nostalgie, de valeurs. Dans une certaine euphorie, parfois. Je respecte ces sentiments et thématiques, même s'il me semble que la littérature corse contemporaine a, depuis un certain temps maintenant, proposé des regards et des sujets bien différents, parfois plus cruels ou lucides, remettant en cause une image trop "rose" de l'identité corse, ou plutôt de la réalité insulaire. C'est vraiment le sentiment qui a prédominé chez moi à la sortie de cette table ronde : que la littérature corse la plus en pointe n'avait pas été évoquée. Evidemment, ce jugement est discutable.

Je voulais dans ce billet simplement signifier mon plaisir et mon attente.

Plaisir, d'abord : de voir qu'un Salon du livre ne se contente pas de laisser les auteurs derrière des tables en attendant de signer leurs livres. Plaisir de voir que les auteurs se plient volontiers au jeu des questions-réponses.

Attente, ensuite : j'aimerais beaucoup que le prochain Salon du livre corse de Marseille multiplie ce genre de tables rondes, afin de pouvoir entendre un panel encore plus varié d'auteurs, il y avait l'embarras du choix parmi les auteurs présents. Peut-être autour de thématiques plus précises et restreintes, afin de voir les auteurs discuter leurs points de vue et pas seulement les juxtaposer. J'aimerais beaucoup aussi que le public soit systématiquement engagé à prendre la parole, afin que la discussion s'enrichisse à partir des attentes et lectures réelles de ceux qui finalement "font" la littérature, je veux dire "les lecteurs".

Ainsi, à la fin de la table ronde, j'ai demandé la possibilité de poser une question, accordée bien volontiers par monsieur Tomasini, et j'ai posé la question suivante : "Puisque monsieur Giovanni a évoqué son admiration devant la richesse de la production littéraire corse durant ces dernières décennies et puisque monsieur Rogliano a indiqué qu'aujourd'hui en Corse on trouvait à la fois des bons et des mauvais livres, je voudrais savoir quel ouvrage corse chaque auteur voudrait recommander au public."

Les réponses furent les suivantes :
- Serge Tomasini : ""I Raguagli di Corsica", un travail exceptionnel d'édition de la gazette du gouvernement de Pascal Paoli ; et aussi les romans policiers de Marie-Hélène Ferrari."
- Michel Vergé-Franceschi : "Je ne propose rien en particulier, je ne veux pas privilégier l'un par rapport à l'autre, l'éventail des publications est formidable et cela dépend de ce que chaque lecteur cherche."
- André Giovanni : "Je pense à tous les auteurs, je reste prudent. Lorsque je vois cet étalage de livres, j'ai envie de les prendre tous, particulièrement ceux consacrés à l'Histoire."
- Jean-Claude Rogliano : "Je pense à un livre : "L'homme de coeur" de Nicole Massé-Muzi (aux éditions Séguier, paru en janvier 2010), un livre remarquable, très très bon alors que souvent les livres qui évoquent notamment le thème de la vendetta ne sont pas extraordinaires. Et je pense aussi à un livre d'Elsa Chabrol, je ne me souviens plus du titre, je suis désolé." (Peut-être est-ce "L'Heure de Juliette" (aux éditions Jean-Claude Lattès.)

Deux remarques donc :
- il est parfois aussi difficile d'évoquer les livres qui plaisent que les livres qui déplaisent, par crainte de froisser quelqu'un, c'est bien dommage.
- on peut penser comme Jean-Claude Rogliano que "le tri n'est pas fait entre le bon grain et l'ivraie dans l'édition corse" mais il est peut-être encore plus important de pouvoir dire explicitement et publiquement les titres des livres qu'on n'aime ainsi que ceux que l'on désigne comme mauvais (sans que cela fasse un drame).
Comment fabriquer un espace public où discuter, si chacun s'interdit de dire ses préférences ou de faire des critiques ?

Pour finir, je prie chacun de bien croire que ce billet n'est pas une condamnation de qui que ce soit, ni une insulte, ni une marque de mépris. Je voulais simplement faire état d'un désir, d'une déception, d'une attente.

(la photo)

jeudi 27 janvier 2011

Livre de chevet (2) : "Extrême méridien", de Marcu Biancarelli


Reçu ce matin (oui, c'était dans le message contenant les propos sur "La terre des Seigneurs" ; donc, encore, merci infiniment à l'anonyme envoyeuse), cette évocation du recueil de nouvelles "Extrême méridien", de Marcu Biancarelli (éditions Albiana) ; bonne lecture, bons échos :

Avant ce livre corse de chevet, vers l'automne, un livre Corse m'a empêchée de dormir, "Extrême Méridien" de Marcu Biancarelli. Là, sidération, sub excitation, je découvre la certitude qu'il me faut arrêter de ne lire que des auteurs morts, j'avais trop lu de vivants mauvais et fades, depuis 20 ans j'avais renoncé et la contemporanéité d'un auteur me faisait le fuir, à l'exception d'une femme Russe. Sidération, je découvre cette écriture, c'est réellement un choc, la première nuit je ne dors pas pour lire, la seconde nuit je ne dors pas pour réfléchir, celles qui suivent je ne dors pas en imaginant le temps perdu et comment tenter d'arrêter les dégâts et de laisser passer de tels textes sans les avoir lus.

(la photo)

Livre de chevet (1) : "La terre des Seigneurs", de Gabriel-Xavier Culioli


Reçu ce matin, merci infiniment à l'anonyme envoyeuse, ces quelques propos concernant les "livres de chevet" dont il fut question dans un précédent billet (voir ici) :

Bonjour,
pendant un mois mon livre de chevet corse a été "La terre des Seigneurs" de Xavier Culioli (DCL éditions), un mois car je le lisais à petites gorgées. Au début, la sensation d'un écrit "régionaliste" et familial m'a tenue un peu à distance de mon grand plaisir de lire. J'avançais réservée, j'aime les écrits de très grandes régions, la littérature Russe ou Américaine par exemple, là... Et puis je me suis laissée glisser, comme un enfant qui reviendrait dans le ventre de sa mère, dans le ventre de la terre de l'histoire familiale. Ce livre a fait des liens, a fonctionné sur ma propre histoire un peu comme une greffe de peau, ce récit familial a été comme un petit greffon qui en place pendant un mois a produit des liens dans mon intime histoire.


Peut-être voudrez-vous réagir, rebondir, dériver ?

(la photo)

Littérature corse à Marseille (Le salon du livre corse de la Fédération)


Très bref billet pour signaler que ce week-end du 29 et 30 janvier 2011,

nous (tous les curieux et les amoureux de la littérature corse écrite en corse ou en français, s'exprimant via romans, poèmes, beaux-livres, livres scientifiques, livres d'histoire, bande dessinée, livre de cuisine, etc.)

aurons la possibilité de (soyons nombreux !) :

- rencontrer plus de 30 auteurs corses répartis sur les trois étages de la Maison de la Corse de Marseille, (rue Sylvabelle), des éditeurs
- acheter leurs ouvrages, les faire dédicacer
- discuter avec eux en privé
- mais aussi discuter avec eux en public lors d'une table ronde d'auteurs qui aura lieu le samedi 29 janvier à 14 h 30 (je tenterai un petit compte rendu sur ce blog de ma visite lors de ce salon ; pour l'instant je ne sais pas quels sont les auteurs qui seront réunis autour de la table, ni si un thème particulier sera abordé)

tout cela grâce au travail de la Maison de la Corse :
- ici la page Facebook de la Maison de la Corse de Marseille
- ici le nouveau blog de la Maison de la Corse de Marseille (fonctionnel et agréable où vous trouverez tous les détails des manifestations et des horaires)

Peut-être aurez-vous envie de faire part de vos impressions, remarques diverses et variées ?

(la photo)

dimanche 23 janvier 2011

Livre de chevet : présentation de la série


Je propose ici à tous ceux qui le voudront bien, de désigner leur livre (corse) de chevet...

Qu'est-ce qu'un "livre de chevet" ?

Je propose ces trois définitions :
- (type 1) c'est peut-être le livre qui, sous l'impulsion du moment, se trouve être régulièrement sous notre main, au haut de la pile, à la tête de notre lit, qu'on lit aujourd'hui, capté, captivé ou qu'on se réserve le soir, histoire de voir, de quoi il retourne...
- (type 2) c'est peut-être le livre qu'on chérit par-dessus tout, celui dont on parle à tous, qu'on offre même, qu'on révère, qu'on relit, et qu'on manipule, sans cesse...
- (type 3) c'est peut-être ce livre souvenir, si bien oublié ou si bien assimilé, peut-être matériellement disparu, introuvable, sinon en nous, celui peut-être auquel on voudra très fortement penser lors des derniers instants de conscience, et emporter, dans la mort...

Je recevrai avec un immense plaisir vos messages, que je publierai ici, sous votre nom, votre pseudonyme ou bien sans nom aucun : l'important, c'est le livre ainsi mis en valeur, et proposé aux yeux de tous. Je rappelle : il s'agit de donner ainsi à voir la littérature corse telle qu'elle est réellement lue et aimée, afin de partager nos visions, parfois contradictoires ; toutes les langues sont les bienvenues, tous les types de livres, de toutes les époques.

Bientôt, un nouveau billet pour évoquer un de mes livres de chevet, du type 1 ("Derrière le fleuve", de Joël Bastard, éditions Al Manar, 2010 ; ah oui, vous avez vu, ses textes seront lus, ainsi que ceux de Stefanu Cesari, par Alain di Meglio et Norbert Paganelli, à l'invitation de Jean-François Agostini et de la bibliothèque de Levie : encore une merveilleuse opération coup de poing de l'extrême sud ! J'espère seulement que vous y serez nombreux à vous régaler et que les pauvres gens comme moi qui ne pourront y être auront droit à un compte rendu détaillé : textes lus, par qui, comment, réactions du public, ambiance, sourires, soupirs, hurlements, fauteuils cassés ou ronflements ? Je veux tout savoir !)

A vos claviers, amis lecteurs, buveurs illustres et bienveillants !

(la photo)

samedi 22 janvier 2011

Serait-il pertinent de jouer à nouveau "U Fiatu", "A Rimigna", "A Cabia", "Innò", "Prima tù", "Sogni di Soli" et "Missa pà i Ghjuvannali" ?


Bon, celui-là de titre c'est un vrai ! Non ?

...voyons, voyons, qu'ai-je lu dernièrement qui m'ait vraiment emballé ? Quelque chose qui m'ait ouvert de nouveaux horizons, qui m'ait étonné au sens fort, qui m'ait conduit à réfléchir et à imaginer ?

Réponse : "Par-delà le théâtre. Culture et politique en Corse (1972-1991)" de Dumenicu Tognotti, préfacé par Dominique Salini qui publie ce petit ouvrage dense (128 pages dans un format proche d'un "Que sais-je ?") dans la collection qu'elle dirige, "Hommes et territoires", aux éditions Dumane (quatrième trimestre 2010).

J'ai trouvé cet ouvrage absolument passionnant. Pour bien des raisons.

1. Dumenicu Tognotti raconte et décrit en détail une expérience théâtrale quasiment unique en son genre en Corse, et qu'il a mené durant une dizaine d'années (1972-1983) avant de se murer dans un silence total depuis l'ultime création produite en 1991 : un théâtre déroutant plongeant ses racines dans des mythes populaires que des mises en scènes radicales réactivent, pour entraîner le public dans une véritable expérience vitale. Le théâtre de D. Tognotti est décrit comme un théâtre du corps, qui n'est pas au service de la littérature mais qui se rapproche du cérémonial collectif. (Mais peut-être est-ce que je me trompe quant au caractère unique de ce théâtre ? j'ai tellement peu vu de pièces de théâtre corse ; voyons, dans mes souvenirs : "Paoli Boswell Bonaparte" - à Ajaccio, au cinéma Empire - et "Les frères corses" - à Marseille, au Toursky - de Francis Aïqui ; "Troïlu è Cressida" - à l'auditorium de Pigna puis au Toursky à Marseille - de Ghjacumu Thiers ; "51 Pegasi" de M. Biancarelli à Aubagne et à Ventabren ; les quatre pièces corses de Noël Casale à Marseille, voir tel billet à ce sujet ; c'est effectivement peu...).

2. Le projet de Dumenicu Tognotti fut de produire un théâtre "national", totalement inclus dans la lutte de libération du peuple corse, en vue de l'indépendance, donc sensible à tous les combats politiques y conduisant (Aleria, la création du FLNC et du mythe du "cagoulé", la répression politique et judiciaire). Un tel théâtre est-il encore possible et/ou souhaitable ? D. Tognotti répond par la négative. Personnellement, je trouve que nous avons besoin de la plus extrême diversité dans l'expression artistique et la lecture de cet ouvrage me fait regretter de n'avoir jamais assisté à aucune des pièces du Teatru Paisanu de D. Tognotti. (Je me souviens d'un article de Thiers dans un Kyrn des années 80 revenant sur le "scandale" qu'avait produit telle pièce - je ne me souviens plus laquelle - et tentant de défendre une expression théâtrale aussi radicale et politique ; il faut que je le retrouve ; mais peut-être que la recherche effectuée par Stefanu Cesari dans le cadre de ses études à l'université de Corti inclut l'ensemble des articles parus dans la presse à propos des représentations de Teatru Paisanu : Teatru Paisanu. Un teatru corsu di ricerca, DEA d'Etudes corses, Università di Corsica, 2002 ; espérons que cette recherche sera publiée un jour !)

3. Et d'ailleurs, chose à la fois merveilleuse et très dommageable, il nous est aujourd'hui impossible de voir les pièces de D. Tognotti : elles ne sont pas jouées, elles n'ont pas été filmées (à moins qu'on puisse en voir des extraits dans les deux films indiqués en fin d'ouvrage : Teatru corsu, u primu fiatu. FR3 Corse, 2007 par Jackie Poggioli et U spechju di un populu. La Troisième rive, 2008 par Denis Robert). Peut-être savez-vous par quel moyen on peut "voir" ces pièces ? Ne serait-il pas passionnant de "rejouer" ces pièces ? Par exemple, lors d'une rétrospective intégrale des créations de D. Tognotti ?

4. Ce qui m'a passionné par ailleurs dans cet ouvrage, c'est la façon d'entremêler réflexions sur le théâtre (depuis la tragédie grecque jusqu'à Grotowski) et micro-récits d'expériences vécues par l'auteur (notamment ses rencontres avec Grotowski, les discussions avec les habitants de Corscia avant une représentation de "A Rimigna", le travail avec Archie Shepp, Saveriu Valentini, Rinatu Coti ou Patrizia Poli). Réflexions et récits s'entre-nourrissent et font du livre à la fois un document particulièrement vivant et un art poétique clair qui ouvre à bien des discussions pour le théâtre corse d'aujourd'hui.

5. Un dernier point qui m'a beaucoup plu : l'auteur revient régulièrement sur les critiques qui ont été faites à ses pièces, explique ses intentions, réaffirme ses convictions, dans une radicalité qui peut paraître parfois intransigeante mais qui a le grand mérite d'éclaircir les débats. Par exemple, il réfute les critiques d'hermétisme et de volonté de créer un malaise chez le spectateur, en signalant que c'est l'attente d'un théâtre de la parole (ou du bavardage) ou d'un théâtre "militant" (qui se substituerait au vrai militantisme) qui crée le malaise chez un spectateur dominé par des formes culturelles qui empêchent de comprendre d'autres démarches.

6. Pour finir (et je voudrais citer bien des pages, mais le mieux est que vous vous précipitiez sur cet ouvrage que je trouve essentiel pour connaître et comprendre le passé de la Corse mais aussi pour réfléchir aux expressions artistiques contemporaines), je cite un passage (pages 40-41) que je trouve important, parce qu'il me semble contenir une force positive, alors que l'auteur émaille tout son livre de jugements très pessimistes sur la situation actuelle de la Corse. Ce passage évoque la question de la mise en scène de "A Rimigna", pièce consacrée au procès inique et à la mise à mort de plusieurs Niolins en 1774 par l'armée française :

"Si le thème central de la pièce est sans équivoque, si le conflit mis en scène et rapporté fidèlement nous assurait d'une adhésion partisane des spectateurs, il n'empêche nous nous sommes alors trouvés face à la difficile question d'une écriture dramatique spécifique. À une époque où l'affirmation de la corsitude suscite dans tous les actes de la vie quotidienne une véritable frénésie, le théâtre se doit d'être au diapason. Il doit lui aussi jalousement s'affirmer comme étant exclusivement corse, débarrassé de toutes les influences connues. Il doit être reconnaissable par des signes qui lui appartiennent en propre. Il doit donc inventer un langage qui lui soit singulier, immédiatement identifiable comme étant corse. Cela ne veut pas dire qu'il doive reproduire des traits culturels connus. L'identité n'est vivante et palpable que dans le mouvement, que si elle exerce sa faculté de se remettre perpétuellement en question. L'identité n'est jamais acquise. Et si notre théâtre ambitionne une reconnaissance de corse, il doit alors posséder la capacité de faire reconnaître l'inconnu. A Rimigna, nous l'avons dit, n'est la récit d'un épisode tragique de notre histoire, c'est un spectacle de notre temps qui entend considérer notre aujourd'hui dans la perspective d'hier, et notre hier dans la perspective d'aujourd'hui. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre une démarche qui milite en faveur d'un théâtre contemporain et national. Dans A Rimigna, ce qui appartient exclusivement à l'histoire, au passé, aux ténèbres, est symboliquement représenté par des mannequins géants vêtus de bure, aux têtes difformes et effrayantes. L'interprète qui lit la sentence porte un masque pour bien signifier que son monde et son temps ne sont pas les nôtres. Par contre, les acteurs qui revivent l'annu di a disgrazia sont vêtus comme tous les jeunes Corses de leur temps pour bien indiquer que leur histoire continue. Les manifestations de l'inconscient collectif qui peuvent découler de la confrontation au passé ne doivent pas les conduire sur les voies de la recherche d'un improbable âge d'or. L'enracinement est ici souhaité pour sa fonction cathartique, en ce qu'il permet de faire tomber les masques imposés par une société d'autant plus répressive qu'elle est régentée par un pouvoir politique illégitime.

On voit bien que si le théâtre s'empare de l'histoire comme prétexte, il est lui-même prétexte à l'histoire. Il est déjà, dans notre esprit, le véhicule qui doit nous révéler une vie dont l'évidence est incertaine. Enfouie sous cette mauvaise herbe qu'est
a rimigna, cette vie est pourtant là, loin d'un ailleurs invraisemblable. Elle ne demande qu'à ressurgir en abondance comme un cours d'eau dont on aurait trop longtemps obstrué la source."

(la carte postale)

mardi 18 janvier 2011

EC sur OJALMA via DLS de JF


Donc, de nouveau, un grand merci à E(mmanuelle) C(aminade) proposant ici un point de vue sur "Où J'Ai Laissé Mon Âme" via "Dans Le Secret" de J(érôme) F(errari) !

Bonne lecture, bonne discussion, en quelque langue que ce soit !


Dans le secret / Où j'ai laissé mon âme

S'il est un roman duquel se rapproche Où j'ai laissé mon âme, c'est bien Dans le secret , ne serait-ce que parce qu'il était jusqu'ici, à mon sens, le livre le plus noir de Jérôme Ferrari. Très sombre mais pas totalement sans espoir, comme son dernier roman...


Les frères Nicolaï ont bien des caractères communs avec André Degorce.

Lâches, ils se sont chacun réfugiés dans la fuite et le mensonge et ils sont brutalement contraints à regarder la vérité dans un face à face angoissant avec eux-mêmes, et à endosser leur responsabilité. Antoine Nicolaï, tout comme André Degorce, ne parvient pas à surmonter ses contradictions et sa honte, et à parler avec sa femme, préférant se perdre et s'enfoncer dans la solitude.

Curieusement, Jérôme Ferrari illustre cette impossible communication de la même manière dans les deux romans. Le passage au "je" souligné par un texte en italique entre parenthèses qui exprime le discours avorté de Degorce à son épouse reprend le procédé stylistique qu'il avait utilisé dans Dans le secret pour traduire le discours supposé de Lucille à son mari – dans ses rêveries - :


(...) Il ferma les yeux. Quand il les rouvrit, Lucille était devant lui, dans un fauteuil, la robe remontée sur son ventre nu, et elle mettait sur les accoudoirs d'abord une jambe, puis l'autre, et elle le fixait dans cette posture ignoble qui lui allait si mal, et un homme encore indiscernable s'approchait d'elle, et Antoine tourna la tête et elle était maintenant allongée sur le dos, en train de pousser des gémissements qu'il n'avait jamais entendus, et il regretta que l'âme n'ait ni yeux ni oreilles qu'on pût boucher, il regretta que la conscience ne fût actionnée par aucun interrupteur palpable (ou encore ceci – « Je t'ai trompé avec un homme que j'aime et je me rends compte, après toutes ces années au cours desquelles tu t'es évertué à me le cacher, juste après que tu viens de me baiser dédaigneusement , que c'est mieux, beaucoup mieux avec quelqu'un qu'on aime, et que je ne t'ai jamais aimé et c'est incroyable combien C' EST QUAND MÊME MIEUX QUAND ON EST AMOUREUSE ») et il se sentit étouffer sans mourir, submergé par le ressac, incapable de dire un seul mot à qui que ce soit de cette torture, et surtout pas à Lucille, incapable de rentrer chez lui, de regarder ses enfants, incapable de rester ici, à bondir d'une explication à l'autre, à souffrir de l'une puis de l'autre, sans répit, sans comprendre encore qu'il ne s'agissait plus d'infidélité conjugale mais, déjà, d'une lutte contre le chaos et d'un sursis qui s'achevait.(...)

(Dans le secret, p.26 )


Quant au thème de la rédemption, il éclaire la noirceur de ces deux romans. Et Où j'ai laissé mon âme me semble répondre à ce magnifique passage sur l'évocation de la procession du Vendredi Saint par Guido que je vous avais proposé cet été et dont je reprends un court extrait :


(...)C'était pour le Vendredi saint, quand nous pleurons la mort de Notre-Seigneur Jésus avant de fêter sa résurrection. Les confrères chantent, ce jour-là, qui est pour eux un jour sacré entre tous, peut-être plus que Noël que nous célébrerons bientôt. Ils chantent le psaume cinquante Miserere mei Deus, en polyphonie, à quatre – ces quatre-là sont choisis par le prieur et c'est l'honneur de leur vie. Et sais-tu ce que j'ai entendu ?
- Non, dit l'enfant plein de curiosité, dites-le moi. - Eh bien, ils étaient quatre à chanter mais j'ai entendu, et tous les chrétiens réunis ce jour-là l'ont entendu comme moi, une cinquième voix ... - Est-ce possible ? - Je l'ai entendue. Tu as confiance en ma parole ? - Oui, oui, bien sûr. C'était une cinquième voix qui planait bien haut au-dessus des autres. Les confrères la nomment sa quintina. C'est une voix d'une pureté bien au-delà des capacité de l'homme, déchu et cependant pas tout à fait abandonné. (...)
(Dans le secret, p.48/49)


Sans doute Jérôme Ferrari a-t-il, comme Guido et l'enfant, «bien travaillé» si des lecteurs sont parvenus à l'entendre ...

Le psaume 50 Miserere mei Deus :
http://gloria.tv/?media=60073

Emmanuelle Caminade.

(la photo)

dimanche 16 janvier 2011

Discussion en cours sur le blog "L'or des livres" !


J'y fais un tour régulièrement, bien sûr : le seul blog tenu par quelqu'un qui n'est pas corse et qui lit et chronique régulièrement la littérature corse contemporaine (écrite en français ou en corse) !! Comment se priver du plaisir d'y retourner aussi souvent que possible ?

Sur Facebook, j'ai déjà relayé le dernier article en date qu'Emmanuelle Caminade a placé sur son blog, "L'or des livres". Je le fais ici parce que je viens de découvrir, ce matin, que des échanges ont eu lieu à la suite de son billet (pour l'instant via Francesca et Norbert Paganelli). Puissent-ils se poursuivre encore !

Il y est question de "Murtoriu" de Marcu Biancarelli (Albiana, 2009) et du personnage de Lucifer... (je laisse un commentaire à ce sujet sur le blog d'Emmanuelle : il faut multiplier les fronts et foyers !)

Cliquez donc ici pour découvrir le point de vue d'Emmanuelle Caminade et les discussions en cours !

Tenez, à propos de "Murtoriu" : n'est-ce pas un des plus importants livres corses jamais écrits ?! A quand un film qui s'en inspire ? (Oh, la dernière scène ! Et la scène de pêche ! Quel cinéaste génial en fera un chef-d'oeuvre cinématographique ?!) Vous n'êtes peut-être pas du même avis ?

(la photo)

mercredi 12 janvier 2011

JYA relance une discussion à propos des langues et de la traduction


Cette discussion est née à la suite d'un précédent billet.
J'en fais un billet spécifique afin de lui donner plus de visibilité et de permettre peut-être une poursuite des débats et des essais de traduction (du corse vers d'autres langues, ou d'autres langues vers le corse).

Je me pose une question : qui est "Batti" et quel est son discours auquel fait allusion JYA ?

Bonne lecture, bonne discussion (j'en profite pour signaler que chacun peut ici utiliser la langue de son choix, corse, français, italien, en faisant confiance à l'intercompréhension qui existe entre les locuteurs de langues romanes).

Merci à JYA et à MB, bien sûr.

Anonyme a dit…

È perchè micca traduce à Ferrari in corsu ?

Oh, i socu i vostri sogni piatti, o capità, i socu cusì bè chì qualchì volta à e mio notte, ci site à sunnià in mè, o sò eiu chì m’inframettu in u sognu chì ci fù viaghju di landi è più à a tarra ingrata di a mio zitellina, ‘ssa tarra c’ùn hè più meia, è chì mai ùn hè stata vostra, è i nostri passi vanu longu ‘ssa strada diserta, trà Taghit è Bechar, sottu à a luce d’un spechju di luna giallu, giallu tale un lampione appesu n’un celu senza stelle, vanu mezu à ‘ss’ogetti allacciati da a rena, chì ghjacenu in pianu tucchendu ogni cunfina ingiru à noi, scarpini tacchirotti, robbe stracciate, sculurite è spugliate di i so fili d’oru da u ventu di u disertu, una darbuccà svintrata, un oud senza corde, caspe di ghjuvelli affuscati, scatulelle di ennè è di khôl, biancaria di rasu è piatti andati in pezzi, sfranguglii portadiccia, un pannamentu sanu pianamente impetritu in u silenziu di a mio mente dapoi chì quella chì l’hà assistatu hè turnata fulena, una eternità fà, o capità, è mancu u ventu, puru à suffià suffioni ùn ne face più trizinà e vistiche dissanguinate.

JYA

Anonyme a dit…

Bella prova o JY !

Ghje' sunniighju di fallu scriva in corsu, una nuvella pà Tarrori è Fantasia.

Un ghjornu l'aghju da liallu (pà i peda) à Ferrari, è l'aghju da tena in carciara senza manghjà, fintantu ch'ùn hà resu u so duveru !

Ma a so ch'e ci aghju da sbuccà.

MB

Anonyme a dit…

Iè perchè micca ? Perchè ùn offre à a lingua corsa u tamantu piacè d’intriccià si à e fiure d’un Ferrari, à e storie d’un Hemingway o à e rime d’un Brassens cum’ellu hà fattu Ferrali qualchì tempu fà ? Perchè avè ‘ssu bisognu, leghjittimu s’ellu n’hè hè, di dà à capisce à d’astri ciò chì i nostri ingegni parturiscenu in lingua corsa è quasi mai u cuntrariu ? Ogni volta c’o sentu un discorsu cum’è quellu di Tatti (a socu a riferenza literaria hè più c'à dupitosa), ogni volta ch’elle mi stuzzicanu l’arechje ‘sse parolle chì amentanu « u dirittu à capisce », « u duvere d’esse capitu da tutti », aghju una pinsata per Zia Lolla. Era a surella di babbone, hè morta à novant’anni passati in u 1993 senza avè avvicinatu, in qualchì manera, l’amparera di u francese. In u 1993 ! Quale chì s’hè imprimuratu di u soiu « u dirittu à capisce » ? È po quale hè chì s’hè impisiritu d’un « duvere d’esse capitu da tutti » per dì à ‘ss’omi, cascati in u 1916 per e piaghje di a Somme, ch’elli s’avianu da fà stinzà cum’è cignali per cuntintà à Nivelle è i so pari ? ‘Ss’omi chì ammaestravanu u francese quant’è u porcu ci capisce indu a musica. Ma chì pò fà, u piombu caldu ellu, si face capisce da tutte e razze.
Ùn vogliu mancu à pena dì c’o sò contru à e traduzzione di l’opare corse in d’altre lingue, à cumincià per quella di Moliére. Sicura c’o capiscu a brama di Marcu Biancarelli d’allargà u chjerchju è d’offre i so filari à quelli, sdicciati, c’ùn lu ponu leghje in corsu. Avaraghju, senza nisunu dupitu, a listessa voglia s’è un ghjornu sò publicatu. È soprattuttu vogliu ludà u fattu di pussede ancu eiu a lingua francese, ùn sia c’à per ringrazià à Bernard Lortholary chì un ghjornu hà dicisu di traduce à Suskind. Dicu soladimente c’ùn capiscu micca ‘ssi ragiunamenti chì accettanu senza lotta u fiascu di a nostra lingua (parlu di Tatti). Jérome Ferrari ùn vinciaria tanti lettori lascendu u corsu impatrunisce si di e so magnifiche impennate, ma saria un bellissimu attu di risistenza è si sà chì senza risistenza, ogni cumbattu hè digià persu.
Eiu vogliu firmà un cumbattante di ciò chì pare inutile à tanti spiriti imbugnati da i nuli di l’unifurmisazione, chì per mè a lingua corsa vale tutte l’altre. Iè, vogliu tene a mio spiranza chì ciò chì pare vanu oghje sarà impurtante dumane.

JYA

PS : eiu sò prontu à pruvà à traduce in corsu tuttu ciò ch’ellu vularà scrive Jérome per Tarrori è Fantasia.

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lundi 10 janvier 2011

En 2011, que faire ?...


... eh bien, par exemple, lire Corse-Matin et apprendre, dans l'édition du 9 janvier 2011, ce que nous préparent quatre éditeurs insulaires (Albiana, Piazzola, Colonna, Acquansù) pour l'année à venir, notamment :

- un ouvrage sur l'avocat Vincent de Moro-Giafferi (chez Albiana) : ah, l'importance de l'éloquence dans la culture corse, et de leurs plus éminents représentants, les avocats ! Ce plaisir si intense de la pensée qui fait mouche, de la période émouvante, de la répartie définitive ! J'espère que de larges extraits des plaidoiries de Moro-Giafferi seront disponibles dans cet ouvrage.

- les Fables inachevées de Pierre-Joseph Ferrali, qui a fait une entrée remarquée sur la scène littéraire avec son précédent recueil de nouvelles, Davanti à u focu chì more (les deux ouvrages chez Colonna éditions ; voir des évocations ici sur ce blog, et là sur le blog de Marcu Biancarelli)

- Bastion sous le vent, le nouveau roman de Marie-Jean Vinciguerra, qui promet d'être absolument passionnant (chez Colonna éditions).

- une nouvelle Histoire de la Corse, ouvrage collectif sous la direction d'Antoine-Marie Graziani (chez Alain Piazzola) ; il faudra bien un jour un livre d'histoire des Histoires de la Corse ! On attend celle-ci avec autant d'intérêt que celle d'Arrighi et Jehasse. Peut-être d'ailleurs, les deux ouvrages se complèteront-ils ou entreront-ils en dialogue ?

Dans son édition du 8 janvier 2011, Corse-Matin nous informe aussi de la publication de Prose minute de Ghjacumu Fusina (aux éditions Teramo), recueil bilingue d'une centaine de chroniques publiées entre 2004 et 2007 dans Corse-Matin justement.

C'est dire si nous aurons l'occasion de lire et de parler de nos lectures !

Alors, justement, de la lecture et de la possibilité de parler des livres (ou des oeuvres artistiques en général) corses, il en sera question dans des bien des lieux de l'île, mais aussi sur le Continent, notamment à Marseille, rue Sylvabelle, lors du Salon du Livre corse du samedi 29 et dimanche 30 janvier, entre 10 et 17 h (avec une trentaine d'auteurs et bien d'autres choses) : voir ici sur la page Facebook du Salon du livre corse.

Un autre de ces lieux est, notamment, Aix-en-Provence. L'amicale corse, seule, ou en partenariat (avec la librairie All Books and Co, le Lycée Vauvenargues, l'association Corsica Calling, et peut-être l'Institut de l'image) vous proposera (venez nombreux, profitons-en !) :

- le vendredi 11 février (au local de l'amicale) : visionnage du documentaire de Fernando Ferreira, trekkeur et photographe, intitulé L'Odyssée corse et retraçant son parcours de traversée intégrale de l'île en randonnée (depuis le haut du Cap jusqu'à Bonifaziu); l'auteur sera présent et, après discussion autour de son film, dédicacera aussi l'ouvrage éponyme publié chez Privat, sur le même sujet, co-écrit avec Jean Mattei.

- le samedi 19 mars (à la librairie All Books and Co) : rencontre-lectures-débat avec Angèle Paoli, Yves Thomas et Guidu Antonietti ainsi que Raphaël Zorzi (responsable des éditions du Petit Pois) pour évoquer l'ouvrage d'Angèle Paoli, Carnets de marche (éditions du Petit Pois) ainsi que la revue électronique bien connue Terres de femmes.

- le vendredi 25 mars (au local de l'amicale) : visionnage du documentaire d'André Mariaggi, Poussière d'août, consacré à la tournée estivale d'un couple de chanteurs corses dans l'île, Pierre-Paul Muzy et Dominique. Un road-movie intimiste qu'on a hâte de découvrir. (Rappelons qu'André Mariaggi avait réalisé un documentaire passionnant - il repasse parfois sur Via Stella - sur Henry Padovani, guitariste et chanteur punk, co-fondateur du groupe Police : Flying Padovani)

- une journée cinématographique corse avec l'Institut de l'Image (l'organisation est en cours).

- au cours de la première quinzaine de mai (au Lycée Vauvenargues) : une rencontre-conférence avec Jérôme Ferrari pour évoquer son travail romanesque, ses rapports avec l'Histoire et la philosophie, notamment.

D'autres manifestations artistiques ou littéraires sont en train de se mettre en place.

Toutes les infos, toutes les précisions et tous les rappels seront faits en temps voulu. Votre présence est évidemment bienvenue et même ardemment espérée !

La littérature corse vit aussi de cela, nous le savons bien : de comment nous parlons sincèrement de nos lectures réelles.

Cette dernière remarque est l'occasion de pointer du doigt une évocation par Ivana Polisini-Mattei de l'oeuvre de Jérôme Ferrari (tout du moins de ses quatre romans parus chez Actes Sud, il est dommage que les deux précédents livres parus chez Albiana, Variétés de la mort et Aleph zéro, n'aient pas été pris en compte, peut-être que la force comique, même sombre, de certains passages de l'oeuvre de cet auteur auraient pu être mis en évidence). Cette évocation, prononcée le 6 janvier dernier lors d'un café littéraire de Musa Nostra à Siscu, m'a beaucoup intéressé, notamment parce qu'elle insiste sur l'importance de la subjectivité du lecteur, donnant ainsi beaucoup d'épaisseur humaine à son point de vue. Il y a un point sur lequel je suis en désaccord, c'est la question de l'aspect "régionaliste" qui serait forcément présent lorsqu'on parle "d'écrivain corse" (en évoquant Jérôme Ferrari). Personnellement, j'utilise cet adjectif dans une optique non régionaliste et, tout en considérant que les livres de Jérôme Ferrari nourrissent la littérature corse, je ne veux pas les enfermer dans un ensemble passéiste, folklorisant ou revendiquant une identité monolithique. Ce débat a déjà eu lieu ici, je sais, et il n'est peut-être plus très intéressant de le rouvrir, mais je voulais simplement insister sur la possibilité de concevoir une "littérature corse" qui ne soit pas exclusive, archaïque, régionaliste.

Allez, bonne lecture et bonnes discussions à tous !

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vendredi 7 janvier 2011

Des nouvelles de "Murtoriu" (la traduction en français)


Deux nouvelles :
- la traduction est bien en cours (elle sera due à plusieurs plumes, dont celles de Jérôme Ferrari et de Jean-François Rosecchi)
- un nombre important de billets de ce blog évoque ce roman (et notamment la question de sa traduction, ici avec le travail de Jérôme Ferrari), en voici un autre qui accueille avec un très grand plaisir un nouvel extrait de la traduction en français, ici par Jean-François Rosecchi. (Voir ici, à propos de "Murtoriu", une interview très intéressante de l'auteur par Brandon Andreani.)
Merci, évidemment, à l'auteur qui nous offre ce plaisir. Bonne lecture ! :

Je me trouvais cette fois-ci plus seul que jamais, et puis je me rendais bien compte que tous ces numéros enregistrés sur mon portable ne me serviraient plus à rien. Quelques-uns avaient déjà été virés après une première sélection, durant une soirée du même tonneau que celle-ci, surtout les numéros de ces filles qui ne m’appelaient jamais mais que je faisais néanmoins chier avec mes textos stupides. A présent je me demandais qui j’aurais pu encore appeler pour communier dans le désespoir. « Les filles te lâchent d’abord, les amis ensuite, c’est de la logique » me trouvais-je en train de baragouiner m’adressant à un bouddha de bronze posé sur le comptoir me faisant face. Et là, tout en descendant une autre bière – accompagné d’un Whiskey pour jouer à l’Irlandais – j’ai commencé à bavarder avec le bouddha. Je lui disais : mais comment se fait-il que les abrutis de ce bar, rustres et incultes au-delà du concevable, t’aient choisi toi pour décorer leur comptoir, toi, symbole suprême d’une civilisation des plus raffinées et sophistiquées ? Sans doute t’ont-ils pris au piège pour ne plus jamais te lâcher, tout comme moi. Te voilà forcé de jouer au larbin ici, de rincer les verres et de servir tous les dégénérés de ce pays, toi qui fut ce prince devenu ermite des forêts, toi qui répandis ta sagesse vers tous les horizons, des rives du Gange jusqu’aux plateaux élevés du Tibet, toi qui domptas le tigre et le serpent naja. L’espace d’une seconde, il m’a semblé que le bouddha me répondait, me disant : « Mon chaton, le Nirvana est un état d’éveil absolu, une liberté intérieure faite d’une sagesse infinie et d’une compassion sans limite. Mais pour en jouir il te faudra procéder tout d’abord au plus grand des sacrifices : fais taire en toi tout désir. » Faire taire tout désir ? Mais espèce d’abruti, explique-moi d’abord, puisque tu es tellement malin : comment pourrais-je faire taire tout désir quand je repense à la langue que Lena m’a fourrée dans l’oreille ? Ou lorsque je repense à la douceur de ses cuisses et à ses bottes de cuir qui te mettent en nage rien qu’à les regarder. Lorsque je revois sa chevelure à l’espagnol, sa lèvre inférieure très légèrement rebondie, comme un appel provocant, un appel à la morsure violente lorsque sa bouche s’approche pour un simple baiser d’affection. Lorsque je m’imagine ses seins bien fermes qu’elle frottait contre moi cet après-midi même, alors qu’elle était assise sur mes genoux et que les souvenirs de notre enfance venaient envahir mon esprit et que je me remémorais nos amusements coupables, à jouer au docteur dans les replis rocheux des Sarcona. Explique-moi donc comment tu ferais, toi, saloperie de demi-portion indienne sadique ! Tu veux que je cogne, hein, tu veux te battre avec moi ? « Reste zen mon petit Marc-Antoine » me répond le bouddha de bronze, « c’est vrai que cette Lena est une foutue bombasse, mais ce que je te raconte moi, c’est juste pour bavarder. Joue-la toi peinard mon petit…Nam myho renge kyo ». Ah… mais quelles saletés ces chinois ! Faire taire le désir. Même ça. Je ne connais qu’un seul moyen d’éteindre le désir : une autre bière, et une lampée de Whiskey derrière. Fort, hein ? Zen ? Atteindre la maîtrise de soi ? N’y pensez même pas mes agneaux ! Une phrase de Greg Corso me revient à l’esprit, phrase qu’un chanteur français avait immortalisée jadis : « La puissance ? Se tenir droit au coin d’une rue et n’attendre personne… ». Me voilà assis dans ce bar, et j’attends le tumulte, je suis dans l’attente la plus illusoire, je rêve d’une félicité des plus improbables, faite de désir, de reconnaissance, de décharges de foutre ininterrompues sur ces filles blacks que je vois danser dans un clip sur MCM, maintenant, sur l’écran de télé du bar. Ces blacks aux fesses extraordinaires, la cordelette de leurs strings allant s’engouffrer à l’intérieur de leurs culs solides. Et celui-là, c’est même pas un bouddha, c’est Schopenhauer, mais voilà ! Il veut m’émasculer, il veut me transformer en eunuque, il bande pas et il veut nous pondre des théories sur un univers privé de désir, d’envie, de bonheur. Un monde où, lorsque tu commences à être heureux, lorsque tu commences à entrevoir pourquoi Lena a rapproché son souffle du tien, tout doit retomber d’un bloc. Débander avant même d’avoir joui. Comme dans les mauvais rêves, et comme dans la vie réelle aussi parfois, et tout ça parce que cet enculé de Schopenhauer était impuissant, tout le monde est au courant, même un gosse de sept ans le sait ! A présent, tout s’embrouille dans mon esprit : les bières que bientôt je ne parviendrai plus à engloutir ; Angkor, les temples indiens et leurs fresques érotiques, les orgies des Maharadjas et toutes ces servantes couvertes de dentelles ; le Whiskey et le souvenir du cul d’une irlandaise dans un pub de Dublin, le bouddha de bronze avec la tête hallucinée de Schopenhauer ; la chaleur des baisers de Lena, le triste regard de Diana avant notre séparation ; les conneries de Jean-Baptiste et les folles prédications de Maroselli « cher maître, je ne peux vous laisser en liberté… » ; les vaticinations de Gregory Corso et le son des guitares manouches qui joue avec mon âme ; les deux serveurs faisant mine de comprendre quelque chose à la politique, et ce film dingue de Jodorowski où ces deux ploucs auraient été suppliciés sur le champ par un prêtre haineux ; nam myoho renge kyo ; un maharadja de la fresque qui maintenant sodomise un âne ; Bastien qui veut trucider sa femme tandis que ma mère explique en détail la recette des Petti Morti ; mes textos stupides et la route vers la montagne qui m’attend maintenant, longue, tellement longue. Allez ! Prenons-là cette foutue route, peut-être aurons-nous la chance de nous échouer dans un ravin et de disparaitre dévoré par les renards. Voilà qui ne sera pas une grande perte. En avant vers cette montagne, et demain il fera jour ! Ça y est, il est 5 heures et je suis à moitié cuit. Je repars vers la montagne, seul, et là-haut il y a une maison qui m’appartient, il y a un toit au-dessus de ma tête. Mais je ne vais pas attendre qu’il fasse jour, le jeu de l’infamie doit se jouer jusqu’à son terme. Et je pense à cette fille qui m’a laissé son numéro, c’était quand ? Il y a un mois peut-être ? Elle me plaît bien celle-là quand même, un peu spéciale certes mais bon…Elle doit aimer la poésie, si je m’en souviens bien, ou sans doute l’ai-je fantasmée ainsi. Je lui envoie donc un poème. Quelque chose de bien lâche de la part d’un mec très ivre, à cette pauvre fille endormie. Et puis qu’est-ce que j’en ai à branler, j’ai bien le droit d’être poète, lâche et ivre à la fois non ?! De toute façon, on verra bien ce qu’elle en pense, et puis ça ne me coûtera pas de grands efforts intellectuels, c’est toujours le même poème que j’envoie. Sì tù se u diàvuli voddu sapè sì tù mi scanti in un chjirchju infirnali. Sì tù se a saietta spieca sì u colpu in cori mi sarà colpu murtali. Sì tù se un ànghjulu dì sì tù mi voddi in tondu cù l’abbracciu di i to ali. [Serais-tu le diable ? Je veux savoir si tu m’envoies dans un des cercles de l’Enfer. Serais-tu l’éclair ? Parle et dis-moi si ce qui a heurté mon coeur sera pour moi un coup funeste. Serais-tu un ange ? Parle et dis-moi si tu m’emporteras en m’enlaçant de tes grandes ailes.] Voilà, je peux aller me coucher avec le sentiment d’avoir fait quelque chose de ma nuit. Le résultat de l’envoi du texto ? Que dire ? Je m’en fiche tout autant, ne vous ai-je pas déjà dit que je baignais dans la désillusion? La troisième phase ? C’est un examen auquel on a tous droit, l’examen du texto poétique de cinq heures du matin. Je l’ai passé je ne sais combien de fois dans ma vie, presque toujours avec succès. C’est l’examen de mon existence, la tête dans le mur, chaque jour que Dieu – ou son cher ami Satan – accorde. “Peut mieux faire” me disent-ils ensemble, “avec un peu de volonté”. Appréciation ambigüe, en toute franchise, qui me tire autant vers le haut que vers le bas. Fort heureusement, il y a bien longtemps que j’ai envoyé ces deux profaillons se faire foutre.

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Un nouveau blog littéraire corse : "Una sì tù"


Wonderful. Tout simplement. Découvert ce matin en ouvrant Facebook un message de Marilena Verheus (déjà animatrice de son propre blog sur la littérature corse : Percorsu ; et grande internaute corsophone sur le Foru Corsu, sur Tarrori è Fantasia, etc.).

Bien évidemment, je clique sur le lien indiqué qui me conduit vers un tout nouveau blog littéraire corse ; bienheureuse abondance !

C'est (peut-être, dites-moi si je me trompe) le premier blog entièrement consacré à une oeuvre littéraire corse bien spécifique (les poèmes chantés de Ghjacumu Fusina). A ce titre, c'est une nouveauté majeure : nous connaissions les blogs d'auteurs parlant de leur oeuvre, les forums parlant de tout, les blogs ouverts aux lecteurs, voici deux lectrices avec un projet très précis :

"Le projet de suivre, dans son opus chanté … (un ensemble de environ 280 textes dont 160 ont été enregistrés et publiés) les traces, les impressions, les sensations et les descriptions-images qui reflètent l’UNITÉ d’une île dans l’UNIVERS d’un poète, de ce poète…"

Les deux lectrices sont Gerda-Marie Kühn et Marilena Verheus qui, en plus d'offrir le texte corse des poèmes-chansons, fournissent la traduction en néerlandais et en allemand (faites par leurs soins) ainsi qu'en français (faite par Ghjacumu Fusina lui-même).

Cela veut dire qu'à terme nous disposerons d'une oeuvre poétique et musicale dont chaque lecteur (corsophone, francophone, néerlandophone, germanophone) pourra interroger l'unité et les variations, les effets et les histoires, les métamorphoses et les plaisirs ! Peut-être même indiquer des préférences, des choix, des changements de point de vue ; voire discuter. Je vois que pour l'instant il n'y a pas de commentaires accrochés aux sept premiers billets, mais je crois qu'il ne faut pas hésiter à révéler les impressions et les pensées qui nous frappent lorsqu'on lit, écoute ou même chante cette oeuvre, limpide et charnelle.

Longue vie à ce blog ; il n'est pas interdit d'espérer que d'autres, du même genre (consacré par des lecteurs à une oeuvre littéraire corse spécifique), verront bientôt le jour !

Pour en savoir plus :
- lisez ici le billet inaugural qui explique le projet de "Una sì tù"
- ici la page Facebook de Marilena Verheus
- là la page consacrée au premier recueil en langue corse de Ghjacumu Fusina, "E sette chjapelle", aux éditions Albiana et qui contient de nombreux poèmes devenus chansons

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mercredi 5 janvier 2011

Lente naissance : "Corsica Calling"


Toujours fait comme ça : par le truchement des paroles des autres (qui eux-mêmes d'ailleurs...), exprimer mes pensées... Inévitable, non ?

Alors, dans ce billet informatif (une information toute bête, somme toute), se trouvent tout de même les paroles d'un pilote de guerre ami de Saint-Exupéry (grand écrivain corse bien sûr), puis celles d'un pilote de guerre ami de Jean Israël, avant de se conclure avec l'information de la création d'une association dans laquelle je travaille désormais.

1. Témoignage de Jean Israël : mon livre (vous trouverez ce texte dans l'édition de 1982 - pas celle en Folio de 1994 - des "Ecrits de guerre 1939-1944", de Saint-Exupéry, chez Gallimard ; il écrivit ce témoignage le 7 janvier 1978, à la demande des responsables de l'édition de ce volume ; toujours adoré ces histoires de livres cachés, perdus et retrouvés, objets qui se métamorphosent et nous métamorphosent) :

Dans un coin de ma bibliothèque se terre un livre noir sale triste usé. Sous sa reliure grossière les pages d'un gris profond gardent la trace des nombreuses mains peu lavées qui les ont tournées.

Ces mains étaient celles d'une partie des huit mille officiers français enserrés dans un camp de prisonniers en 1943. Ce livre était l'unique exemplaire dans ce camp d'une édition condamnée par la censure.

Revêtu d'un magnifique faux cachet
geprüft ("vu"), il résista aux fouilles et contrôles divers de l'autorité de fait. Son état de délabrement au bout de quelques mois de circulation m'avait amené à la confier à un atelier de reliure. Il m'avait été rendu en état de reprendre du service, habillé d'une robuste toile de paillasse qui lui permit d'affronter la cohorte des lecteurs suivants.

Ce livre, c'était
Pilote de guerre, première édition française, achevé d'imprimer le 27 novembre 1942 à Montrouge. D'abord autorisé (visa de censure n° 14 327), il fut interdit quelques semaines plus tard. Un exemplaire, acheté à temps par ma mère et envoyé dans un paquet réglementaire de nourriture, fut sauvé grâce à un vol judicieux commis dans la baraque d'arrivée des colis.

Pourquoi cette interdiction tardive, alors que ce livre avait reçu l'autorisation d'être imprimé en France ?

C'est une critique "littéraire" de Pierre-André Cousteau publiée par l'hebdomadaire
Je suis partout qui déclencha le processus. Saint-Exupéry y était traité, entre autres, de judéo-belliciste pour avoir fait l'éloge du "copain Israël, étalon de la vaillance française". Cet article fut suivi d'un deuxième plus virulent encore, provoquant l'interdiction de la vente et la mise au pilon du livre. Mon cher bouquin, qui avait survécu à la captivité, faillit disparaître en revenant en France. Je repris contact avec le sol national à Lille, où quelques heures de battement me permirent d'aller humer l'air français. A mon retour, ma sacoche contenant quelques hardes avait disparu, volée. Sans espoir de la retrouver, je vais à la gare prendre mon train. Sur le quai, la sacoche, vide de ses affaires, mais contenant - oui - mon Livre.

2. Ce texte de Jean Israël, je l'ai lu ce matin, ouvrant une nouvelle fois (et cette fois au hasard) ces Ecrits de guerre de Saint-Exupéry (édition imprimée en 1982). Puis je retourne vers mon propre Pilote de guerre (collection Folio, imprimé à Barcelone en juin 2007), que j'avais lu il y a quelques mois et que je reprenais ces derniers temps ; j'avais corné les pages 23, 42, 60, 68 et 150. Je retourne aujourd'hui vers ces pages, je m'arrête finalement sur les pages 59 à 61 ; et je reproduis ici ce que j'ai aimé y lire (et que Jean Israël a lu, forcément...) :

J'ai vu remonter un homme, en Espagne, après quelques journées de travail, de la cave d'une maison écrasée par une torpille. La foule entourait en silence et, me semblait-il, avec une soudaine timidité, celui-là qui revenait presque de l'au-delà, revêtu encore de ses gravats, à de mi abruti par l'asphyxie et par le jeûne, semblable à une sorte de monstre éteint. Quand quelques-uns s'enhardirent à l'interroger, et qu'il prêta aux questions une attention glauque, la timidité de la foule se changea en malaise.
On essayait sur lui des clefs maladroites, car, l'interrogation véritable, nul ne savait la formuler. On lui disait : "Que sentiez-vous... Que pensiez-vous... Que faisiez-vous..." On jetait ainsi, au hasard, des passerelles au-dessus d'un abîme, comme l'on eût usé d'une première convention pour atteindre, dans sa nuit, l'aveugle sourd-muet que l'on eût tenté de secourir.

Mais lorsque l'homme put nous répondre, il répondit :
- Ah ! oui, j'entendais de longs craquements...

Ou encore...

- Je me faisais bien du souci. C'était long... Ah ! c'était bien long...

Ou encore...

- J'avais mal aux reins, j'avais très mal...

Et ce brave homme ne nous parlait que du brave homme. Il nous parla surtout de sa montre, qu'il avait perdue...

- Je l'ai cherchée... j'y tenais beaucoup... mais dans le noir...

Et certes, la vie lui avait enseigné la sensation du temps qui s'écoule ou l'amour des objets familiers. Et il se servait de l'homme qu'il était pour ressentir son univers, fût-ce l'univers d'un éboulement dans la nuit. Et, à la question fondamentale, que nul ne savait lui poser, mais qui gouvernait toutes les tentatives : "Qui étiez-vous ? Qui a surgi en vous ?", il n'eût rien pu répondre, sinon : "Moi-même..."
Aucune circonstance ne réveille en nous un étranger dont nous n'aurions rien soupçonné. Vivre, c'est naître lentement. Il serait un peu trop aisé d'emprunter des âmes toutes faites !

Une illumination soudaine semble parfois faire bifurquer une destinée. Mais l'illumination n'est que la vision soudaine, par l'Esprit, d'une route lentement préparée. J'ai appris lentement la grammaire. On m'a exercé à la syntaxe. On a éveillé mes sentiments. Et voilà brusquement qu'un poème me frappe au coeur.

Certes je ne ressens pour l'instant aucun amour, mais si, ce soir, quelque chose m'est révélé, c'est que j'aurai pesamment apporté mes pierres à l'invisible construction. Je prépare une fête. Je n'aurai pas le droit de parler d'apparition soudaine, en moi, d'un autre que moi, puisque cet autre que moi, je le bâtis.

Je n'ai rien à attendre de l'aventure de guerre, sinon cette lente préparation. Elle paiera plus tard, comme la grammaire...

3. Et voilà.
L'information est la suivante : aujourd'hui est créée à Aix-en-Provence une association loi 1901 nommée "Corsica Calling". Elle a pour objectif de promouvoir, hors de l'île, les oeuvres littéraires et artistiques corses (à travers diverses rencontres, conférences, cafés, manifestations, festivals, débats, échanges, critiques...). Et ce en partenariat évidemment privilégié avec l'Amicale corse d'Aix (où je travaille aussi), et dans un esprit de coopération avec tous les organismes divers et variés qui, dans l'île et hors de l'île, poursuivent le même objectif.

Précision importante, ce blog n'est pas une émanation ni une vitrine de l'assocation "Corsica Calling" ; il reste ce qu'il était depuis le début, c'est-à-dire un des lieux (certes imparfait, je sais) de discussion autour des lectures des livres de littérature corse (avec des écarts vers d'autres arts), ouvert à tous, anonymes ou non, induve si pò scrive in corsu o in francese o in talianu o in inglese...

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mardi 4 janvier 2011

Lecture en cours : "Murtoriu" par...


... par Emmanuelle Caminade, qui nous envoie ce très petit récit de lecture. Un grand merci. (Ah oui, le livre le plus important de l'année 2010 fut tout de même "Murtoriu"... Oui, je sais, il a été publié en 2009, mais nous attendions la publication de sa traduction en français pour 2010 ! Ce sera donc en 2011.) :

L'altru mondu

J'ai entamé, moi aussi, un voyage vers l' altru mondu au travers de la littérature corse. Je ne l'ai pas encore terminé mais, pour débuter l'année, je viens vous proposer, non une chanson, mais un récit de lecture, juste un court extrait de ce chapitre 7 qui a déjà suffi à m'y conduire ...

(...)
Eramu à u cori di u dopu meziornu. Ghjustu un picculu nivulu passaia in u celi pà abbughjà un pocu u soli. Pò sparia com'iddu era vinutu, manghjatu da l'immensità turchina, cennu di ventu pà i ghjorna à vena, u soli vultaia cussi subranu, cussi supiriori, ma ci vulia lacà di tutta manera, è ghjà si mittia à tramuntà. L'ùltimi raghja risistiani è viniani à pichjà contru à a furturezza, dendu à i pietri un chjarori russu d'unu splendori assulutu. Mi paria ch'eramu à l'ora a più culma di tranquillità, di sulennità, è pò dassi ch'era vera, ch'era cussi. Avariu vulsutu chi 'ssa paci fussi sempri stata in a me vita, ch'idda duressi per sempri. Avariu vulsutu chi st'armunia si mantinissi, ch'e' a risintissi dinò avali, pinsendu a quiddu ghjornu, ch'idda mi fussi stata un rimediu à a vita par ciò ch'avia da suvità. È chi avia da suvità ? L'infernu. A sintiu. Calcosa a mi dicia.
(...)

Murtoriu, ch 7, p 82

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dimanche 2 janvier 2011

L'altru mondu di Gambini


Il paraît que le participe passé est un temps qui a à voir avec le présent.

Alors si j'entends quelqu'un me dire : "aghju fattu u mo viaghju" ou "u tempu ch'aghju messu", il faut bien que je me sente un peu concerné.

Si, en plus de cela, la voix de celui qui chante et la musique qui porte cette voix sont envoûtantes et lancinantes, alors je fais le même voyage, je ressens la même épaisseur de temps écoulé. Il y a une beauté apaisante, comme une santé recouvrée (vous avez reconnu le "pace è salute", là ?)... De quoi mettre un peu de rose sur nos joues pâles. C'est de bon augure pour la nouvelle année, qui nous promet un printemps de toute beauté.

Ce voyage conduit vers "l'altru mondu". Je ne veux pas savoir précisément ce qu'il est, je veux seulement en rester au fait, au combien réjouissant, que quelques notes de guitares sur une rythmique binaire suffisent bien à m'y conduire.

La littérature corse (ultime variation définitoire) est cet autre monde. (Pour comprendre de quoi je parle ici, cliquez sur la chanson n° 3, intitulée justement "l'altru mondu", un grand merci à Pierre Gambini, auteur, compositeur, interprète ; cliquez sur "lyrics" pour lire les paroles de la chanson et l'apprendre par coeur à loisir !).

(Ce premier "billet" de l'année 2011, pour patienter... Bientôt quelques mots sur ma lecture de l'ouvrage de Dumenicu Tognotti, "Par-delà le théâtre" : quel incroyable parcours théâtral et politique au sens plein du terme ! Bientôt aussi le programme des réjouissances artistiques avec l'amicale corse d'Aix dans le cinq prochains mois. E po sè vo vulete mandà qualcosu, fatte puru ! V'aspettu !)

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