mardi 9 juin 2009

Faut-il parler de Mérimée ?

Oui bien sûr, mais en le mettant en lien avec d'autres textes, en le replaçant dans une histoire.

Que faire avec une nouvelle comme "Mateo Falcone" ? Par exemple, ce que font les éditions Acquansù. Jean-Dominique Pomella fournit 9 versions de l'histoire (écrites dans 4 langues différentes) et des "points de repères" qui permettent de se rendre compte combien Prosper Mérimée a réutilisé et modifié une histoire connue de longue date.
Voici la liste de ces versions (il me semble que rendre ainsi son épaisseur historique à une "fable" comme celle de cet infanticide, "fable" si problématique pour l'imaginaire corse, est une nécessité) :
- 1771, Abbé de Germanes (en français)
- 1787, Abbé Gaudin (en français)
- 1825, Robert Benson (en anglais)
- 1827, Francesco Ottaviano Renucci (en italien)
- 1828-1850, les versions successives de Prosper Mérimée (en français)
- 1834-1835, Gustave Flaubert (en français)
- 1837, Antoine Claude Pasquin, dit Valéry (en français)
- 1844, Abbé de Lemps (en français)
- 1854, Ferdinand Gregorovius (en allemand)

Voici ce qu'écrit Jean-Dominique Pomella : "Le thème de Mateo Falcone est bien celui d'une histoire populaire, sans doute inspirée d'un fait réel, qui circula en Corse à la fin du XVIIIème siècle. Elle fut rapportée par au moins deux auteurs de ce siècle : l'Abbé de Germanes, en 1771, et l'Abbé Gaudin, en 1787."
Ce fait réel s'est sans doute déroulé entre 1752 et 1754 et met "en scène des militaires en fuite." Et là intervient le point qui arrête mon attention : "D'où que provienne son inspiration de départ, il faut d'emblée concéder que c'est bien Mérimée qui, le premier, introduit le personnage du bandit en lieu et place des déserteurs".

Et cela change tout : "Le meurtre du fils apparaît comme un acte d'autant plus innommable que tout contexte politique a disparu de la version proposée par Mérimée."

Car entre 1752 et 1754, nous sommes au coeur de la "Révolution corse" (pour reprendre l'expression de Jean-Marie Arrighi, dans la dernière histoire de Corse en date), dans un pays en guerre où les armées (françaises en l'occurrence avec le Comte de Nozières, Colonel du régiment de Flandres) sont venues aider Gênes à rétablir l'ordre et enrôlent de force des Corses. Dans ce contexte, la "fable" nous raconte que l'un deux déserte, est dénoncé par un berger (dont personne ne dit qu'il ait été un jeune enfant) et exécuté par l'armée tandis que la famille du berger exécute celui-ci pour punir la délation dont il s'est rendu coupable....

C'est pourquoi je pense que le petit ouvrage publié par les éditions Acquansù est vraiment précieux. Au même titre que les travaux d'un Eugène Gherardi (voir ce billet).
(D'ailleurs Robert Colonna d'Istria en avait fait une brève présentation dans un numéro de "Corsica", je ne me rappelle plus lequel d'ailleurs, qui m'avait paru manquer l'intérêt singulier de l'ouvrage).

Voici la version de Robert Benson, certainement aussi imaginaire que les autres (extraite de Sketches of Corsica or a Journal written during a visit to that island in 1823, London, 1825), pour le plaisir de voir la chose habillée de mots anglais :

I now present the reader with an example of the terrific effects induced by a neglect of it (la vertu d'hospitalité) ; an example indeed, which the island witnessed only a short time before my arrival.
The laws relating to the conscription, are very unpopular in Corsica, and the young conscripts frequently fly to the mountains, to escape from service in the French army. The gendarmerie are employed in the arduous and dangerous service of pursuing the refugees. On one of these occasions, a conscript presented himself to a sheperd of the interior, begging for concealment. The sheperd said, "My house is at your service, but I think that of my son better adapted for your security ; go to him, tell him I send you for protection". The conscript departed and was received by the sheperd's son. There the gens d'armes soon discovered him ; and the old sheperd learning that his son had been treacherous to the conscript, and that he had yielded to the temptation of a bribe, went to his son's house ; and his suspicions being confirmed by actual confession, he destroyed his child on the spot.
I have not the least doubt of the truth of the above anecdote. It was related to me by a French gentleman, one of the chief functionaries in the island.

Et la traduction française maitenant :

Je vais maintenant présenter au lecteur un exemple des effets terribles produits par la négligence de cette vertu (l'hospitalité) ; un exemple qui a tenu l'île en émoi peu de temps avant mon arrivée.
Les lois relatives à la conscription sont très impopulaires en Corse et les jeunes conscrits s'enfuient souvent dans la montagne pour échapper aux service dans l'armée française. C'est à la gendarmerie qu'incombe la tâche dangereuse et ardue de poursuivre les fugitifs. Lors d'une de ces occasions, un conscrit se présenta chez un berger de l'intérieur, en demandant une cachette. Le berger lui dit : "Ma maison est à votre service, mais je crois que dans celle de mon fils vous serez plus en sécurité ; allez lui dire que je vous envoie pour qu'il vous protège." Le conscrit partit et fut reçu par le fils du berger. Les gendarmes l'y découvrirent bientôt. En apprenant que son fils avait trahi le conscrit, et que, cédant à la tentation, il s'était laissé corrompre, le bieux berger se rendit chez son fils ; et ses soupçons confirmés par la confession (du crime), il tua sur place son enfant.
Je n'ai pas le moindre doute quant à la vérité de cette anecdote. Elle m'a été racontée par un gentleman français, un des plus hauts fonctionnaires de l'île.

Que faire de cette "fable" ? (Sachant que les auteurs corses - Ghjacumu Thiers, Jérôme Ferrari, Francis Aïqui - ont déjà réutilisé "Colomba" ou "Les frères corses" de Dumas).

26 commentaires:

  1. I

    A propos de Matteo Falcone et des versions plus anciennes que tu nous proposes, j'ai envie de dire plusieurs choses.

    La première est que l'on dit chez nous, à Porto Vecchio, que les Falcone de Mérimée sont en fait une famille de la région (dont je tairai le nom) qui effectivement n'aime pas trop entendre parler de cette histoire. C'est étonnant si l'on considère qu'il y a ici une fable plusieurs fois transformée, et que le fait que ce soit un enfant qui ait été tué semble bien être un apport de Mérimée lui-même.

    Pourtant, pour avoir souvent parlé de cette histoire avec des gens de cette famille, je sais bien que c'est cette histoire d'infanticide qui les met mal à l'aise, d'autant qu'eux disent n'en avoir jamais entendu parler dans leur propre famille.

    Deux choses troublantes cependant : il y a bien une maison perdue dans le maquis que les gens de la région disent être celle de "Matteu Falcone", je la connais bien car mon frère habite dans ce secteur. Il s'agit en fait de la maison d'un certain Larenzu ancêtre de la famille dont on dit qu'elle est le modèle des Falcone de la fable.

    En discutant avec un descendant de cette famille, il me dit n'avoir jamais entendu parler du meurtre d'un enfant. Il me dit aussi qu'un seul de ses ancêtres aurait pu correspondre au fameux Matteu Falcone, et qu'il ne pourrait alors s'agir que du fameux Larenzu, dont les histoires me sont alors racontées.

    Elles n'ont cependant pas grand chose à voir avec la nouvelle de Mérimée : Larenzu était surtout connu pour son intelligence et sa roublardise, alors que sa femme était une innocente pas très éveillée.

    Un jour que Larenzu était aux champs des hommes viennent à sa maison. Ils y trouvent la femme seule.
    - Larenzu saria p'è i loca ? demandent-ils.
    - Innò, hè mossu culà impressu à l'animali, dit l'épouse naïve.
    Le soir Larenzu rentre chez lui et la femme lui raconte tout. Elle se fait copieusement vitupérer par son époux, car bien sûr les hommes se renseignaient pour savoir si le chef de la famille était dans les environs, et ce afin de lui voler son bétail. La stupide épouse aurait donc dû mentir et affirmer la présence du mari dans le secteur proche.

    Une autre fois (et j'en finirai avec lui) Larenzu qui guettait la nuit se rend compte que des hommes lui volent des brebis. Ils procédaient de la manière suivante : plusieurs hommes se relayaient dans le noir, en silence, pour transporter une bête qui faisait son poids. Lorsque le porteur était fatigué, un homme lui donnait un coup d'épaule (afin de ne pas parler et pas se faire repérer) puis prenait à son tour la brebis en charge.
    Dans l'obscurité, Larenzu se mêle aux voleurs et à un moment, il donne un coup d'épaule à celui qui portait la bête volée. L'homme lui donne la brebis à charrier et lui s'en rentre tranquillement chez lui avec son bien sur l'épaule.

    Voilà quelques histoires de cet homme qui fait partie aujourd'hui de la mémoire collective.
    Pourquoi son descendant établit-il un lien possible entre lui et Matteu Falcone ? Je n'en sais rien. Sans doute la récupération de la nouvelle par la culture populaire pèse-t-elle quelque part, jusque sur cette famille qui voit en Larenzu le possible candidat au rôle du héros romantique. Quoiqu'il en soit, en racontant à leur manière les aventures de ce "Matteu Falcone" astucieux et bien éloigné des extrapolations mériméennes. A leur façon, ces gens de mon pays font comme Larenzu de l'ancien temps : un coup d'épaule aux fables d'opérette et il récupèrent leur bien.

    (à suivre)

    MB

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  2. II

    (le message étant trop long il m'a fallu le scinder en deux partie...)

    Je voudrais maintenant parler de l'histoire que tu évoques des déserteurs vendus qui sont fusillés en même temps que la famille du traitre exécute son parent infâme.

    Comment ne pas penser ici à la très belle nouvelle de Santu Casta, "Campu di l'Oru", qui raconte exactement cette même histoire mais la situe dans la région ajaccienne au moment de la conquête française (1768). Je cite la fin de la nouvelle. Le Général de Narbonne s'apprête à fusiller les déserteurs trahis, dans le même temps la famille du berger indicateur s'est postée hors de la ville. Elle a prévenu par lettre le chef d'Etat major français que si les déserteurs étaient épargnés il en serait de même pour leur parent. Les sous de la trahison ont été rendus en même temps que la lettre parvenait à de Narbonne.

    "Più a lighjia sta lettera più era assiccatu de Narbonne. Ùn tuccava po micca à dui pupulani d'una nazione salvatica è svetica à amparà u codice di l'onore à u Cumandante in Pumonte di e truppe di u Rè di Francia !
    Si pisò, s'avvicinò da u balcone ch'avia intesu u passu incalcatu di u plutone in la corte. Luntanu luntanu u Monte d'Oru s'ammantava à fumacce russicce è grisge, è sott'à a citadella currianu i soliti marosuli turchini è neri urnati di schiuma.
    I suldati piantonu. L'aria parse ch'ella s'impagnessi. S'intese : "Carcate i fucili !... À sfilalli !... Focu !" prima ch'ella si scatinessi a salva.
    Risposenu cinque colpi spicci spicci, mancu tantu luntanu, da e parte di u Margunaghju, à l'intrata di a cità".

    Voilà. On peut trouver cette nouvelle dans le recueil Rise è frizzure, publié en 1994. Sans doute s'agit-il là d'une des plus belles récupérations par la littérature corse d'un mythe que l'île a sans doute impulsé, mais que les voyageurs et auteurs étrangers du XIXème ont pillé et popularisé ailleurs.

    Par ce voyage, puis son retour chez nous, oui, je suis d'accord avec toi pour dire que les romantiques des siècles passés font bien partie de notre littérature.

    Selon ce que nous voudrons bien faire d'eux.

    MB

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  3. Le coup d'épaule : belle image pour dire la relation complexe qui se tisse entre nous et les oeuvres romantiques françaises (ou plus globalement les oeuvres émanant d'un regard extérieur). Passage de témoin à la fois brutal, amical, fait d'incompréhension et de connivence.

    Il faut que j'aille voir "Rise è frizzure" de Santu Casta (et d'ailleurs tous les autres textes de cet auteur, que je n'ai jamais lu ! Toujours entendu du bien de son "Acelli di u Sariseu").
    Visiblement Casta reprend l'histoire "originelle" de "Mateo Falcone", effectivement située dans la région d'Ajaccio au XVIIIème siècle.

    J'aime bien l'extrait que tu cites : la fin de l'histoire via les oreilles, les yeux et l'esprit du général français ; la venue sur le balcon attiré par les pas du peloton, les ordres de l'exécution, les coups de feu de l'autre exécution en réponse... et au milieu de tous ces sons et bruits (du présent pour le général, du passé pour nous), deux éléments visuels : la montagne et la mer (du présent pour le général et pour nous aussi ; je me rappelle moi aussi des vagues habituelles et de la montagne au fond du golfe.

    La liste des versions est donc plus longue que je le disais et est riche de la version corse en langue corse de Santu Casta (après la version corse en italien par F. O. Renucci, qui d'ailleurs évoque la question du nom de la famille du délateur, voici la fin :

    "Ritornato quindi fra suoi, dice loro che nulla avea potuto impetrare, e volgendosi al figlio lo conforta a ricevere da coraggioso la morte. Questi già compunto della enormità del suo fallo, rassegnato si sottopone alla pena. Un Religioso cercato all'uopo il confessa e gli porge le sante estreme consolazioni di cui è si larga e soave dispensatrice l'augusta nostra Religione. E mentre che sotto le verghe spiravano tra le grida ed i gemiti i due poveri disertori, il pastorello opponeva pentito ed intrepido il petto all'archibugio de'suo congiunti.
    Compiuto l'atto di tanta indomita giustizia, l'orbo padre consegnava piangendo al confessore i quattro malaugurati luigi d'oro, e gli commettea di restirtuirli al Colonnello del reggimento di Fiandra e di dirgli : - Signore, noi crederemmo imbrattare le nostre mani a la nostr'anima ritenendo il denaro dell'iniquità. Non vi è corso che possa giovarsene ; e la famiglia di chi l'avea sì vilmente guadagnato cambierà nome per non vedersi oggetto d'ignominia e d'orrore nella posterità."

    Version française (par A. Filippi, en 1841) :
    "Revenu près des siens, il leur annonce que sa démarche a été infructueuse et engage son fils à se préparer à la mort. Le pauvre jeune homme, se reconnaissant coupable, se résigne au châtiment et puis au sein d'un prêtre expressément appelé, les dernières consolations d'un mourant. - Les deux déserteurs rendent le dernier soupir au milieu des plus affreuses tortures ; - au même moment le jeune berger présente avec courage sa poitrine à l'arquebuse de ses parents.
    Après cette atroce exécution, le malheureux père prie le confesseur de rendre au colonel la rançon fatale et de lui dire "que la famille du délateur croirait s'avilir en retenant l'or de l'iniquité improductif à tout Corse, et qu'à partir de ce jour elle changerait de nom pour ne pas transmettre à la postérité un nom d'horreur et d'ignominie".

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  4. Eh bien, pour moi, Mérimée n'est pas de la "littérature corse" mais bien de la "littérature "coloniale", en ce sens qu'il nous offre un miroir déformant et pervers, sans nuance, des réalités sociologiques et culturelles corses de l'époque, par goût du "sensationnel" , exactement comme comme le font les media français d'aujourd'hui (et sans doute a-t-il même inauguré cette tradition)!
    L'image est fixée par le succès littéraire rencontré, parce que le type a quand même du talent, et les Corses eux-mêmes ont intégré cette image de manière malsaine, caricaturale: ils jouent bien souvent un rôle, surtout par rapport aux gens de l'extérieur, ou dans ce qu'ils croient être une "attitude corse", c'est tout le processus mental du colonisé qui joue à fond...!

    Comme par hasard, Mérimée rend les choses plus dramatiques (et plus insupportables) par le choix des personnages : une femme, dont il fait une figure quasi inhumaine, incapable de la moindre compassion, ou des situations: le père qui tue son fils, pour avoir trahi un simple "bandit" (alors que l'histoire probablement à l'origine de la nouvelle est toute autre), tout cela fait ressortir le portrait d'une Corse sauvage, qui n'a pas encore rejoint la civilisation, magnifique pour le lecteur bourgeois français qui va se délecter avec frissons de cette littérature "exotique"!! Et je devrais la faire mienne? Pas question!

    Quand on pense qu'il était venu en tant qu'inspecteur des mopnuments historiques" et je crois qu'il a été beaucoup moins brillant dans cette fonction : mais pouvait-il en être autrement, puisque cette Corse sauvage et primitive ne pouvait à ses yeux avoir beaucoup d'intérêt à ce niveau...Il a bien repéré et griffonné un croquis de menhir anthropoide, mais sans aller bien loin dans sa réflexion, me semble-t-il.

    Vous ai-je raconté qu'à 12 ans à Paris j'ai refusé de lire cette nouvelle de Matteo Falcone devant toute la classe car la prof de français m'avait désignée en tant que "Corse"?

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  5. Francesca,
    je ne suis pas d'accord avec toi ce sur ce point. Ou du moins, j'admets que les textes de Mérimée et consorts ont joué le rôle que tu décris mais je pense qu'aujourd'hui les auteurs corses ont assez de maturité pour les récupérer, les relativiser, les déconstruire, mettre en évidence la complexité de la fabrication des clichés (à laquelle ont participé les Corses aussi, et pas forcément de façon aveugle et impertinente ; voyons les travaux de Gherardi sur ce point).

    De même, le regard de Mérimée sur la Corse est à comprendre dans une oeuvre et une position d'écrivain français de cette époque : voir son regard sur d'autres lieux ou peuples "exotisés" comme l'Espagne, mais aussi les Bohémiens et le monde slave. Est instructif à ce titre le site officiel du ministère de la culture sur Mérimée : http://www.merimee.culture.fr

    En voici un extrait :

    "J'ai toute ma vie cherché à être dégagé des préjugés, à être citoyen du monde avant d'être français", affirme Mérimée quelques jours avant sa mort (1). Une des lignes de force de son œuvre est la recherche inlassable de territoires mal connus ou inexplorés, comme l'Espagne, la Corse, la Lituanie, le monde slave. Il ne les a pas tous visités - il lui arrive d'écrire sur un pays qu'il ne verra que des années plus tard, mais il les a tous fait siens. Leur exploration s'accompagne d'une remontée vers un ailleurs temporel, un monde primitif situé en dehors de la civilisation. Ce double déplacement soulève avec acuité la question du relativisme culturel : Mérimée montre la beauté de la force brute, une beauté éloignée des canons habituels, et la poésie des ballades qui échappent aux normes esthétiques, une poésie que l'on ne perçoit que si l'on fait taire les préjugés du civilisé : "A vrai dire, je ne conçois guère de poésie que dans un état de demi-civilisation, ou même de barbarie, s'il faut trancher le mot (2)". En même temps, il affirme que l'existence de cet univers hors du temps, du progrès, de la civilisation, tient du miracle ; déjà pris dans un processus de dégradation, ce monde révolu ne vivra certainement pas longtemps. Le temps nivelle tout sur son passage, les langues se meurent, les rites s'oublient peu à peu… L'œuvre de Mérimée, tout en révélant l'authenticité de l'ailleurs, est habitée par le sentiment de l'irréparable et de la perte.

    (1) Lettre à Mme de Beaulaincourt, 13 septembre 1870, Correspondance générale, éd. Maurice Parturier, avec la collaboration, pour les tomes I à VI, de Pierre Josserand et de Jean Mallion, t. I-VI, Paris, Le Divan, 1941-47, t. VII-XVII, Toulouse, Privat, 1953-64, t. XV, p. 170.
    (2) "Ballades et chants populaires de la Roumanie recueillis par V. Alexandri, Paris, 1855", Le Moniteur universel, 17 janvier 1855.

    Je crois donc que nous avons tout intérêt - et nous avons la force nécessaire pour cela - à prendre de la distance face aux miroirs littéraires des voyageurs X ou Y, à les comprendre avec de multiples points de vue, à les replacer dans un contexte spatial et temporel large. Je comprends tout à fait l'attitude de refus (dans ton enfance ou encore aujourd'hui) mais elle devrait être un préliminaire avant d'établir une relation rénovée (qui ne soit figée ni dans l'acceptation honteuse ou fascinée ni dans la détestation amère et aveugle, ou myope).

    Non ?

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  6. Incroyable : le passage que tu cites ne fait que confirmer ce que j'écrivais tout à l'heure (oppositions sauvagerie/barbarie/civilisation : comme si précisément il ne s'agissait pas dans le cas des cultures citées de "civilisations" mais plus anciennes que celle de l'auteur...) , avec des interprétations plus flatteuses pour Mérimée!!

    Encore heureux que les écrivains corses d'aujourd'hui puissent "déconstruire" tout cela et qu'ils le fassent brillamment, mais ils ont bien d'autres choses à faire, à mon avis...

    Le seul problème c'est qu'ils sont quasiment inaudibles dans le marché actuel dominé par les grands media et que les héritiers de Colomba et de Matteo Falcone font et continueront à faire carrière avec grand bruit, eux; derniers en date : une femme, "Maffiosa"(fiction particulièrement ridicule), et, désolée d'y revenir, les impitoyables (comme Colomba et le père de Matteo...) maffioso-nationalo-racistes-assassins- qui-parlent-corse-ce-qui-souligne-leur-enfermement, (pourquoi pas leur arriération mmentale?) " du "Prophète" (excellent film, paraît-il, de même que les oeuvres de Mérimée, cela n'empêche pas...)

    Entre parenthèses, je ne vois rien de "beau" ("comme l'antique"? Lol) dans "Colomba" ni dans "Matteo Falcone" ...

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  7. Oui le passage du site consacré à Mérimée confirme ce que tu dis du travail du cliché du sauvage corse, mais la question est de voir dans quelle mesure et comment et pourquoi des Corses ont aussi participé à son élaboration (je pense à Salvatore Viale dans sa "Dionomachia", le début du chant 8 me semble-t-il, qui se lamente sur la Corse qui s'autodétruit et en évoquant le lâche meurtre de son ami pour des histoires de terrain).

    Mais là où je suis d'accord c'est sur le fait que la question est aussi de qui parle et qui parle le plus fort... Si les livres corses étaient plus audibles, visibles, lisibles que les resucées de Mérimée, ce serait peut-être plus simple d'avancer. Il y a encore beaucoup d'efforts à faire pour que ce monde de clichés recule. Il est peut être nécessaire que nous commencions avec des moyens et des outils très peu coûteux comme les sites web (blogs, forums, sites, wikis) et d'abord avec des "communautés de passionnés", et ensuite seulement en direction des grands Centres Symboliques de la Validation Littéraire (Paris, Londres, New York).

    Deux nouvelles terribles pour finir :

    - je viens d'apprendre que Jérôme Ferrari n'a pas eu le Prix Orange du Livre (il est revenu à M. Humbert) : cela signe l'inexistence catastrophique d'un lobby littéraire corse sur Internet !! (ou sa faiblesse relative face au lobby littéraire humbertien sur Internet)

    - Michel Vergé-Franceschi vient de sortir une "anthologie de voyageurs de l'Antiquité à nos jours", intitulée "Le voyage en Corse", chez Robert Laffont, dans la très riche et très diffusée collection "Bouqins" : encore une fois, en 2009, un livre consacré explicitement à la Corse se concentre sur les écrits de Sénèque, Mérimée et autres Vérard. Je ne remets pas en cause la qualité du travail de Vergé-Franceschi (que j'ai pour l'instant à peine feuilleté) et le travail considérable qu'il a abattu pour lire, choisir et ranger thématiquement les extraits de tous ces écrits de voyageurs (1200 pages !). Mais tout de même... encore "Mateo Falcone" (cette fois dans la seule version de Mérimée...) pour illustrer le chapitre "Hospitalité", cela fait beaucoup.
    Cela vaudra le coup de lui poser la question lors du festival littéraire de Porto-Vecchio les 26, 27 et 28 juin 2009. Il faut que je fasse un billet là-dessus.

    Donc, je le répète, à nous de mettre l'accent sur les oeuvres (ou sur les manières de regarder les oeuvres) qui nous permettront de sortir du "ronron poétique" comme dit Ponge. Mettons sur la table les livres et les points de vue qui contribuent à offrir un autre paysage littéraire.

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  8. Vite fait en passant (je vais sur Porto Vecchio illico) :

    - Nous mêmes nous écrivons sur notre "sauvagerie", notre "violence", notre "barbarie", etc. N'est-ce pas aussi un héritage du regard des autres que nous avons fait nôtre ? D'accord avec Francesca pour dire que Mérimée nous as vu de haut, mais l'héritage on en fait quoi ?

    - Ne pas oublier de recontextualiser les oeuvres et de ne pas se tromper de débat. ça n'est pas avec Mérimée que le débat peut exister aujourd'hui, il a écrit en son temps, avec ses raisons et sa culture, le débat est plutôt à mener avec les "resucées" dont parle FX. Là il est encore possible d'interroger : c'est quoi qui vous motive quand vous faites maffiosa, etc. (et puis juste derrière bong, un beddu cazzottu, non je plaisante...).

    - Pour le prix orange : on est des bidons (lol), mêmes plus bons à faire fonctionner le système clanique comme il se doit. Après on parlera de lobby corse... Ah ! Ah !

    - Plus sérieusement : j'ai été saisi aussi par la sortie en même temps du bouquin de Vergé-Franceschi sur les sempiternels voyageurs apportant leur regard sur nous, et en même temps par la ppublication des carnets de voyage de Salvatore Viale en Italie au milieu du XIXème. D'un côté le monde regarde la Corse, de l'autre un Corse regarde l'extérieur, une publication rare. Je ferai aussi une chronique là dessus prochainement, en mettant les deux en parallèle.

    Bon j'arrête là cette intervention inepte et mal écrite. Le temps me manque pour faire mieux, si jamais inutile de la mettre en ligne o François.

    MB

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  9. Deux commentaires à spiccera si je peux apporter quelque chose au débat.

    1) En lisant Matteo Falcone, on s'est sans arrêt posé la question des sources, en allant chercher en Corse parmi les faits divers du XIXe siècle ou d'avant un infanticide. Cette démarche s’est trouvée justifiée par le fait que Mérimée a eu (et a peut-être gardé) la réputation d'un excellent conteur, mais totalement dépourvu d'imagination et tout juste capable de recomposer, magnifier, styliser, bref de transformer les faits. Or cette année en faisant mon cours de littérature sur "Romains, Grecs et Barbares" dans l'antiquité romaine, je me suis rendu compte à quel point les historiens latins de l'antiquité jetaient un regard ethnocentrique et complexe sur l'autre, projetant sans cesse leur passé sur la description de l’origine des autres peuples.
    Je ne suis sûr de rien, j'ouvre simplement une piste de réflexion : en découvrant la Corse, Mérimée découvrirait l'Autre, mais pas un autre aussi radical que cela : des êtres qui feraient partie de son propre passé d’occidental et de latin. Les deux vertus qu'il croit sans cesse avoir sous les yeux, qu’il représente et idéalise (hospitalité et honneur) se trouvent à la fois en conflit et en harmonie avec le meurtre.
    Pour retrouver une pareille situation de crise, un homme du XIXe nourri de classiques latins n’a que le choix des exemples. Tite-Live raconte comment Horace au sortir du combat victorieux contre les Curiaces tue sa sœur qui lui reproche la mort de son fiancé. On peut aussi se souvenir de ce centurion qui tue sa fille en plein forum plutôt que de la voir devenir esclave et concubine.
    On voit aussi un patricien tuer son jeune fils plutôt que d’accepter de le voir rejoindre le camp de Catilina, ennemi public n°1 en -63 av. J.-C. Ces faits réels ou légendaires sont toujours présentés comme vrais, historiques, et illustrent le droit de vie et de mort sur sa femme, ses enfants et ses esclaves du paterfamilias antique.
    Quant au caractère sacré de l’hospitalité, on sait combien il hante la littérature gréco-romaine. Je me demande donc si Mérimée ne donne pas à voir dans Matteo Falcone une image antique plutôt que de la barbarie. Ses personnages me semblent tout droit des hommes tout droit sortis de l’antiquité plutôt que des sauvages. Par ailleurs, il n’est pas seule à voir chez les Corses la survivance de la droiture antique. Tommaseo dit à peu près la même chose à la même époque. Comment interpréter une civilisation sans plaquer ce que l’on sait déjà, avant le siècle de Lévi-Strauss ?

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  10. 2) Le deuxième point soulevé par MB touche la récupération identitaire du regard fantasmé de l’étranger sur soi par les Corses. Phénomène intéressant. Je me souviens d’une analyse très proche de l’écrivain sarde Antoni Arca sur l’impact sur les Sardes actuels d’un roman du XIXe siècle représentant les Sardes comme des êtres violents, toujours ivres, voyageant sur des ânes, à l’occasion d’un colloque à Corte. Or je pense à mes élèves continentaux de 4ème à qui j’expliquais Matteo Falcone. Tous criaient au scandale sauf les deux petits Corses de la classe, prêts à défendre Matteo Falcone, au nom de l’honneur familial souillé par Fortunato. S’ils avaient été scolarisés dans l’île, ils auraient sans doute agi autrement, mais face à l’ « étranger » ils rejetaient toute critique d’ordre moral émise par autrui sur un Corse, fût un personnage de Mérimée.

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  11. Tout à l'heure, je vous donnerai quelques extraits de la correspondance de Mérimée au moment où il vient en Corse, vous verrez le peu de hauteur et de largesse de vue...Il n'idéalise rien du tout, croyez-moi.
    C'est curieux ce que cite l'anonyme précédent : moi la seule "Corse" de la classe au lycée François Villon, j'ai immédiatement rejeté Matteo Falcone, car j'ai ressenti profondément ce regard extérieur sur l'humanité étrange que nous devions représenter pour l'auteur (je vous le prouve tout à l'heure). Je ne veux pas dialoguer avec Mérimée, je l'oublierais volontiers s'il n'y avait ses héritiers et ce n'est pas "NOTRE" héritage, mais celui de la littérature française, d'abord, et des clichés français ou intégrés par nous en tant que colonisés mentaux, ensuite. Quant à nous, que nous récupérions, retournions,déconstruisions, voire confirmions l'image qui nous a été renvoyée,imposée, parce que nous tentons d'analyser nos "réalités" c'est notre droit, c'est tout : le seul problème, dans cette image "mérimesque" continuée aujourd'hui autrement par les media parisiens, c'est qu'elle est UNIVOQUE, UNIDIMENSIONNELLE : époques différentes, processus identiques, avec en plus une continuité dans le temps, une filiation idéologique : la croyance en la supériorité d'un modèle sur une culture considérée comme archaîque, en braquant le projecteur sur un seul de ses aspects, vu à la loupe!!! Quant à nos créateurs, peut-être qu'eux aussi se focalisent un peu trop sur les aspects les plus noirs, les plus dramatiques de notre société, il nous faudrait un peu de lumière aussi, à nous autres public...Mais ils écrivent ce qu'ils ont envie d'écrire, cela ne se "commande" pas.


    Un regret : Flaubert avait des projets de roman corse, alors là oui, avec ce génie , on aurait peut-être eu quelque chose qui eût pu être considéré comme "littérature corse", o FXR. Vous verrez tout à l'heure comment, à seulement dix-huit ans, il a une vue plus large et plus profonde de ce qu'est la Corse de son époque!

    NB : Vous savez tous sans doute que Matteo Falcone est écrit dix ans avant que Mérimée ne mette les pieds en Corse!
    Colomba en revanche est une resucée de toutes les histoires de vendettas qu'il a entendues durant son voyage : ses informateurs Corses ont dû les rendre aussi pimentées que possibles; hè dunque colpa nostra, ancu quì!

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  12. Extraits d'un livre paru en 1963 aux "Nouvelles éditions latines", par Maurice RICORD: "Découverte littéraires de la Corse", où sont passés en revue textes et correspondances de très nombreux écrivains français (plus les quelques inévitables Antiques : Sènèque, Strabon, Virgile, etc)

    Avant de partir en Corse en 1839 (en tant qu'inspecteur des monuments historiques) Mérimée écrit :
    "Je crois que je vais aller en Corse travailler de mon métier et voir un peu s'il y a quelque chose de ce côté-là: j'en doute fort, mais ce doit être un pays curieux"

    à Aleria, il ne rencontre que des vestiges "horriblement douteux" (!!)

    L'hospitalité corse? Il est loin de l'idéaliser, il est même presque grossier pour parler de la générosité de ses hôtes (Flaubert sera beaucoup plus enthousiaste et reconnaissant):

    "Pour vivre il faut faire provision de lettres de recommandation au moyen desquelles on est traité homériquement par les gens à qui elles sont adressées. Quand on arrive éreinté dans une maison inconnue il faut fairer l'aimable jusqu'à 10 heures au lieu d'écrire ou de dormir. Le matin, impossible de partir sans avoir fait honneur au déjeuner. De là, impossibilité de faire vite quelque chose en Corse. "

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  13. (Suite...)

    Il cherche la "couleur locale" et est parfois bien déçu : "il est écrit que je quitterai la Corse sans avoir vu une barretta pinsuta."

    Il renonce à aller à Algajola chercher le fameux monolithe à cause du mauvais temps et note :
    "Le prince Louis Napoléon ayant peu de chances de régner j'ai pensé que le voyage à l'Alcajola ne pourrait servir à mon avancement" (

    Dans la même lettre :
    "La relation de mon voyage est courte. J'ai vu trois très curieuses églises. Je suis tombé dans un précipice où j'ai déchiré ma redingote et endommagé mon nez"

    Voici le passage de sa correspondance qui me praît le plus significatif :
    "C'est la pure nature qui m'a plu surtout. Je ne parle pas du maquis dont le seul mérite est de sentir fort bon et le défaut de réduire les redingotes en lanières. Je ne parle pas des vallées ni des montagnes, ni des sites tous les mêmes et conséquemment horriblement monotones, ni des forêts assez piètres quoiqu'on en dise, mais je parle de la pure nature de l'Homme. Ce mammifère est vraiment fort curieux ici, et je ne me lasse pas de me faire conter des histoires de vendettas...."


    Point de références à l'Antiquité chez Mérimée. La "pure nature de l'Homme" = le Sauvage ...(En revanche, Flaubert y verra immédiatement l'Antiquité et la lumière de l'Orient, et mettra en question, lui, les préjugés qui courent sur la Corse à son époque, or il n'a que 19 ans lors de son voyage)

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  14. Francesco,
    ciò chè tù dici à propositu di Flaubert m'interessa... Aspettu a to lettura di e so opere, incù unu strattu o duie, no ?
    Flaubert vs Mérimée, eccu un macciu !
    Ma ci vole chè tù leghji a so version di "Mateo Falcone" ind'è l'edizione Acquansù (hè vera ch'ellu avia 12 anni).

    D'accordu cun tè : u prublema hè u discorsu unicu.

    Ma l'avemu e suluzione... ghjè a diversità di l'opere corse.

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  15. Scusa mi, vuliu scrive "Francesca" ; ghjè a colpa di Mérimée incù u so "Mateo" !... ùn seremu mai tranquilli !

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  16. Opere di Flaubert? iè ma quì surtimu di a literatura corsa...lol

    Per avà, paragunemu i scritti di Flaubert durante u so viaghju in 1840 (mintuvati in u lsitessu libru di M.Ricord, 1963)cù quelli di Mérimée.

    Ci hè un'antra dimensione, una simpatia luntanu da u disprezzu, un'altezza, una prufundezza di vista, rimarchevule da a parte di un giuvanottu di 19 anni.

    "Tout ce qu'on dit sur la Corse est faux; il n'y a pas de pays plus sain et plus fertile. Jusqu'à présent, nous en sommes enchantés et l'on y pratique l'hospitalité la plus généreuse. Quand on voyage en Corse, on mange et on couche dans la première maison venue dont on ouvre la porte à toute heure du jour et de la nuit. On ne paie jamais, et la coutume est seulement d'embrasser ses hôtes qui vous demandent votre nom quand vous partez. Nous passerons demain par un village où nous verrons la véritable Colomba, qui n'est pas devenue une grande dame, comme dans la nouvelle de Mérimée, mais une vieille femme grossie et raccourcie"

    " Il ne faut point juger les moeurs de la Corse avec nos petites idées européennes. Ici, un bandit est ordinairement le plus honnête homme du pays et il rencontre dans l'estime et la sympathie populaire tout ce que son exil lui a fait quitter de sécurité sociale. Un homme tue son voisin, en plein jour, gange le maquis et disparaît pour toujours. Hors un membre de sa famille, qui correspond avec lui, personne ne sait plus ce qu'il est devenu. Les bandits vivent ainsi dix ans, quinze ans, quelquefois vingt ans. Quand ils ont fini leur contumace, ils rentrent chez eux comme des ressuscités; ils reprennent leur ancienne façon de vivre sans que rien de honteux ne soit attaché à leur nom...Un Corse se venge en plein soleil, en face de tous...On retrouve en Corse beaucoup de choses antiques : caractère, couleur, profil de tête. On pense aux vieux bergers du Samnium en voyant ces hommes vêtus de grosses étoffes rousses; ils ont la tête pâle, l'oeil ardent et couleur de suie, quelque chose d'inactif dans le regard, de solennel dans tous les mouvements; nous les rencontrons conduisant des troupeaux de moutons qui broutent les jeunes pousses du makis(sic), l'herbe qui pousse dans les fentes du granit des hautes montagnes; ils vivent avec eux, seuls dans les campagnes, et le soir quand on voyage, on voit tout à coup leurs bêtes sortir d'entre les broussailles, çà et là, sous les arbres, et mangeant les ronces...A quelque distance se tient leur berger, petit homme noir et trapu, véritable poète antique, appuyé tristement sur son bâton".

    Flaubert hà lasciatu una sessantina di pagine nantu à a Corsica in appicciu di "Par les Champs et par les grèves", cù assai descrizzione di paisagi. Vulia scrive un "Sampieru Corsu", avia presu qualchì nota, ma pare chì u so infurmatore corsu ùn li appii mai mandatu i rinsignamenti ch'ellu avia dumandatu. Quì ci era di chè avè un bellu drama Shakespearianu!

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  17. Oghje lighjia un'articulu di u Nouvel Obs, nantu à un gran chirurgu corsu "Laurent Lantieri", un tarcanu famosu.

    L'articulu cumencia cusì, cù una descrizzione di u tippu, pocu mansu : (...) "l'air sombre du Corse qui n'aime pas être envahi" lol

    Cum'ellu dicia Mérimée "Le Corse est naturellement grave et silencieux"...

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  18. mateo m'a tuer26 juin 2009 à 00:49

    J'en ai trouvé une dixième, anglaise, mais je ne sais pas s'il s'agit d'une copie pure et simple (de Benson) ou une traduction d'une version française ce qui est probable si l'on se réfère à l'avant propos de l'auteur. Elle est intitulée "The outlaw of Corsica" et fait partie d'une sorte de compilation littéraire "The Gem (re-set)" edited by George Emerson. l'ouvrage n'est pas daté mais on trouve sur internet des bouquins en vente, dont l'un porterait une date manuscrite 1840.
    "This was an outlaw, who having set out at night to buy powder in the town, fell in with an ambuscade of Corsican Voltigeurs." (ce passage pour confirmer qu'il s'agit bien d'une version type "XIXe" post-mérimééenne comme doctement expliqué dans le billet).
    Je vais vérifier cette provenance...

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  19. Buscu nantu à Liberation.fr

    U mettu in dui pezzi

    Ces Corses "velus jusque dans les yeux"
    Dans les pas d'un écrivain: aujourd'hui Guy de Maupassant en Corse. Un voyage tout en nuance...


    18 AOUT 2008
    photos: cc bestfor
    texte: miche henry
    1
    Guy de Maupassant nous avait prévenus : pour gagner la Corse, éviter de prendre la mer par Marseille, «qu'on dirait rongée par la lèpre, une sorte de fumier humain où fermente échouée là toute la pourriture de l'Orient», écrivait-il (1). On n'ose le croire, mais il paraît qu'on y croisait «des Arabes, des nègres, des Turcs, des Grecs, des Italiens, d'autres encore, presque nus, drapés en des loques bizarres, mangeant des nourritures sans nom». En résumé, les «rebuts de toutes les races, marqués de tous les vices, [y vont] grouillant sur le sol comme sur eux grouille la vermine». Bigre ! Nous fuyons vers Toulon pour monter à bord d'un ferry peint aux couleurs de l'anis qui, très vite, chantonne dans notre verre et rend la traversée d'autant plus délicieuse qu'on a sans doute, grâce au bon Guy, évité le pire. Des marins italiens servent d'admirables spaghettis de cantine dans une atmosphère remarquablement réfrigérée à «l'air contitionné» (sic) qui nous fige dans une rigueur cadavérique. Clin d'oeil prémonitoire, notre garçon de cabine porte le prénom du père de la nation corse, Pasquale (2). Il faut le féliciter pour sa discrétion parfaite : il est invisible.

    Caricature

    Existe-t-il seulement ? Ses collègues le hèlent en vain. Mais nous avons compris le message. Pasquale est un spectre chargé d'en annoncer un autre, la Corse, ce «fantôme sorti de la mer» que Maupassant décrit d'une phrase respirant l'objectivité : «Un pays magnifique et stupide, une humanité monstrueuse.» Diable ! L'écrivain antivendetta la pratique avec art. La presse locale l'accueille en 1880 comme «un vrai poète». Flatté, il lui rend la politesse. «Les élégants d'Ajaccio n'ont jamais fait minette», note-t-il à la sortie du bordel où il prétend travailler en prenant régulièrement «un chargement de morpions». Il y introduit donc, si l'on peut dire, cette «consolante coutume» sexuelle. Elle permet à ses yeux d'élever une civilisation des plus déplorables, où le Corse, (mauvais) sauvage, est l'hôte d'un «monde encore en chaos», qu'il ne songe pas à améliorer : «On ne rencontre jamais un morceau de bois travaillé, un bout de pierre sculptée», preuve de «l'indifférence héréditaire pour cette recherche des formes séduisantes qu'on appelle l'art». Maupassant attise notre curiosité : où trouver ce «vrai Corse velu jusque dans les yeux»? Nous le c herchons. Mal sans doute, car en vain. A moins que, aussi malin que le cochon sauvage qui renifle le sac des touristes, l'insulaire ne se soit rasé jusqu'à la couenne pour nous tromper ? Pourtant, Maupassant l'assure, l'être corse «est resté avec les défauts et les qualités des races incultes, violent, haineux, sanguinaire avec inconscience mais aussi hospitalier, généreux, dévoué, naïf». Et il tue «pour un oui ou un non, au milieu de montagnes, de forêts, de vallées superbes sous un soleil d'apothéose. L'ignorance est prodigieuse.»

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  20. Caricature? A peine à Ajaccio, on nous annonce qu'un prénommé Ange-Marie a eu «un gros problème». Il gît, troué à la chevrotine au volant de sa Mercedes, quatrième «exécution» en moins de trois mois dans les milieux du banditisme. Est-ce la preuve de «cette race acharnée à la vengeance»?

    Justice insulaire

    Bien que troublés par cette terrible interrogation, nous partons à l'aventure, sur notre mulet à quatre roues, scruter le «légendaire maquis» qui cacherait 150 à 200 «vagabonds [.] nourris par la population, grâce à la terreur qu'ils inspirent». Mais aucun ne se jette en travers de notre chemin, bien que diverses persécutions judiciaires continuent de transformer d'honnêtes citoyens en fugitifs. «Personne ne s'inquiète de ce défi jeté à la justice», notait l'écrivain. Mais que faire ?
    Si la justice insulaire a gardé un côté laborieux, nous en savons la raison : à Ajaccio, pour cause de tribunal en travaux, les magistrats oeuvrent dans des cabanes de chantier (en face de Super-U, allez-y voir). Il paraît qu'on y croise le procureur en bleu de travail, en train de creuser quelque affaire, la perceuse à la main. Désireux de lui venir en aide, nous stoppons net notre périple, après le col de Sevi, au-dessus de Marignana, sur ce qui nous semble un avis de recherches collé sur un enclos à bestiaux. On y annonce les Contes fantastiques, avec le portrait de l'auteur. Damned ! Mais c'est Maupassant ! Wanted, le diable ? Pour quel délit ?
    Ouf ! Aucun, si ce n'est, selon le metteur en scène du spectacle François Orsoni, qu'il «a fasciné beaucoup en Corse». Impossible encore aujourd'hui d'échapper à son emprise : Maupassant contrôle le maquis. Jojo, qui tient une auberge à Albertacce, a dû se plier aux exigences du terrible bandit et ouvrir son exquis menu par une citation sur le val de Niello, «la plus belle chose [que Maupassant ait] vue au monde après le mont Saint-Michel». Fichtre, il va nous gâcher nos cannelloni à nous poursuivre ainsi ! Heureusement, c'est la fin du périple. A l'Ile-Rousse, l'évidence nous tombe dessus comme une châtaigne trop mûre, bien que nous soyons assis sous des platanes. L'universitaire Jean-Dominique Poli nous confirme que, si «s'impose la seule image noire de la Corse» au XIXe siècle, c'est en partie à cause de lui. Eh oui, le bon Guy voulait faire des effets, du style, comme un vulgaire journaliste, et la caricature a survécu, au point que certains Corses s'y conforment, un comble. Pour Poli, Maupassant «se fonde sur des réalités concrètes mais ne garde que l'interprétation la plus négative». Comme les journalistes ? Nous reprenons la mer sur notre pastis-boat en ruminant cette leçon. Et en nous rappelant que Maupassant, «le plus grand menteur de la terre», selon Zola, notait, au sortir d'un bordel d'Ajaccio : «Je suis déjà adoré des putains et exécré par la moitié de la population, qui me considère comme un fou obscène et dangereux.»



    (1) Dans la Corse de Guy de Maupassant. Nouvelles et récits.Recueil de chroniques pour le Gaulois ou Gil Blas. Ed. Albiana, 2007. Lire aussi : Maupassant, de Nadine Satiat, Flammarion, 2003.
    (2) Au XVIIIe siècle, Pasquale Paoli rédigea une Constitution d'un modernisme politique salué par les Lumières

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  21. Era bè 'ssu Maupassant.

    Mirvella

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  22. Bonjour à tous,
    je termine mon dea sur le thème: "l'île: vision intérieure et extérieure, mythes caricaturaux", je souhaitais vous dire que votre débat m'a énormément aidé, beaucoup de choses très intéressantes!
    A très bientôt
    Elsa

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  23. Elsa, bonjour. Merci pour votre commentaire ; heureux de voir que la discussion ici présente a pu vous être utile.
    Nous attendons avec grand intérêt d'avoir un écho de votre travail de DEA (est-ce uniquement sur la Corse ou toute île ?)
    A bientôt.

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  24. Juste un petit mot pour Francesca...Etes-vous mon double???? J'ai vécu les mêmes choses que vous et les ai ressenties pareillement. Bien que je sois un peu plus nuancée que vous sur Colomba, je rongeais mon frein au lycée et au collège face à l'image de notre culture que l'on nous renvoyait à travers Mérimée et Maupassant. Personne ne m'a demandé de faire un exposé sur Colomba ou Mateo Falcone.
    Je pense que je ne l'aurais pas refusé. J'aurai peut-être essayé de présenter les choses montrant à quel point les préjugés de l'auteur étaient destructeurs. Et je n'aurait pas manqué (par opposition) de parler de Paoli...Enfin, à 12 ans on raisonne avec ses tripes...

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  25. j'ai l'impression de ne pas avoir changé depuis mes 12 ANS! LOL.

    On ne m'a pas demandé un exposé, je l'aurais fait avec joie (eheh, à mon idée...) Non, on m'a simplement demandé de lire la nouvelle à haute voix pour toute la classe, sous prétexte que j'étais la "petite Corse, là"...

    Carmen aussi a été une mini-catastrophe pour l'image de l'Espagne et même pour la littérature espagnole, lisez Juan GOYTISOLO : "la forêt de l'écriture", où il explique que des oeuvres littéraires de valeur n'ont pas été connues à l'extérieur de l'Espagne à cause de l'écran de fumée des clichés (dont, entre autres, Carmen):

    " Seule la réduction arbitraire de ce qui est espagnol à une poignée de clichés(il suffit d'évoquer la multiplication des films et des ballets autour du mythe de Carmen) peut expliquer que des oeuvres littéraires de première importance mais dont l'organisation ou la thématique ne correspondent pas à ces clichés, soient demeurées injustement reléguées dans l'oubli comme atypiques et soient restées par conséquent non traduites. Qu'un poète comme Cernuda ou un écrivain comme Valle-Inclàn végètent encore dans le petit ghetto de l'hispanisme n'illustre que trop clairement la soumission des valeurs réelles à la force des stéréotypes"
    Mérimée, une sorte de fléau? -)

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  26. MP et Francesca, merci pour vos commentaires, qui poursuivent une discussion commencée en juin... 2009 !! Comme quoi les archétypes et stéréotypes ont la vie dure.
    Je vais regarder le livre de Goytisolo, cela m'intéresse grandement !

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