lundi 27 décembre 2010

Jean-Yves Acquaviva nous parle de "Vae Victis", de Marcu Biancarelli


Et il fait donc mentir le précédent billet qui se déclarait le dernier de 2010, et qui ne le sera donc pas ! Merci à lui pour cet envoi, en espérant que sa lecture, ses réactions, son point de vue enrichiront l'ouvrage en question. Personnellement, j'ai lu son texte avec un très grand plaisir, j'y trouve la même force vitale que dans les propos de Petru Ottavi lisant "Murtoriu". (J'aimerais d'ailleurs en savoir un peu plus sur les circonstances de la révélation qui "10 ans en arrière" lui ont révélé que la langue corse pouvait tout exprimer ; c'était en lisant quoi, où, comment ?)

Avis aux amateurs de littérature, de littérature corse, de l'oeuvre de Marcu Biancarelli, de "Vae Victis" : discutons (je rappelle que j'accepte tous les commentaires qui évoquent les livres, même virulents, mais pas - ou plus... - les commentaires visant les personnes ou produisant des informations blessantes ou malveillantes. Remember : la critique est Thésée, l'art est un labyrinthe, dixit Ghjacumu Gregorj, dans "Miroirs de la mort"...)... (ça commence à faire beaucoup de points de suspension, tout ça...)

Sè vo vulete risponde in corsu, hè permessu nant'à issu blog ; o in talianu ; o in inglese, ecc. ecc.

Eccu u puntu di vista di Jean-Yves Acquaviva (unu di l'autori publicati nant'à u blog "Tarrori è Fantasia : videte quì) :

« Oh putain ! » Dans un premier temps, je n’eus rien d’autre à dire. Que pouvais-je bien dire ? Ce que je venais de lire tournait dans ma tête en un écho semblant ne plus vouloir se perdre. Je me couche rarement avec un livre s'il n'y a pas d'images, mes instants de lecture sont plutôt diurnes, et maintenant je sais pourquoi. Plus j’avance en âge et plus le sommeil m’est nécessaire, et lorsque j’eus terminé la première phrase du nouveau bouquin de Marcu Biancarelli, je sus que ce soir-là il ne viendrait pas de suite. Deux heures plus tard, en refermant « Vae Victis », j’en fus définitivement convaincu. Au-delà de la qualité littéraire de ce que je venais d’avaler d’un trait, c’était bien le contenu qui me donnait tant de raisons de me relever, pas question de fermer les yeux après ça. Je retournai donc dans mon salon, réveillai le feu dans la cheminée et me mis à parler seul, il fallait que je m'entretienne avec moi même. « Oh Putain ! » Furent donc les deux premiers mots que je réussis à articuler. Un « incroyable » vint leur tenir compagnie immédiatement. Je venais quand même de lire la quasi exacte synthèse de mes propres pensées sur bien des sujets et d'autres qui me donnaient l'occasion d'améliorer considérablement mon score nicotinique du jour en me poussant à de nouvelles réflexions. Certaines de mes pensées formulées avec une verve dont je n'aurais pas l'immodestie de me sentir capable mais correspondant en de nombreux points à ce que j'aurais pu écrire ou dire, à ce que j'ai pu écrire ou dire (surtout dire jusqu'à présent). D'aucuns, esprits chagrins confits de frustration de ne pouvoir penser par eux-mêmes, ne verront peut être dans mes mots que flagornerie ou vantardise, j'aimerais les convaincre que... En fait, non ! Je m'en bats le steak, comme on dit chez moi.

Mon feu ayant repris une vigueur plus adéquate, je repris mon monologue en l'appuyant d'un mouvement de tête vertical. Tout de suite, un frisson me parcourut. J'ai rencontré Marcu lorsque nous fréquentions les bancs de l'Université de Corse il y a plus de 20 ans, et depuis quelque temps, je regrettais de ne pas avoir eu plus de contacts avec lui. Aujourd'hui je m'en félicite. N'y voyez aucunement le fruit de la détestation, bien au contraire. J'étais, en ce temps-là, plutôt dans le camp de ceux qui lui auraient volontiers construit le gibet susceptible de l'aider à expier les « fautes » qu'il s'apprêtait à commettre, jeune con de Corse mal dégrossi que je me forçais à être. Je me vis donc bienheureux d'avoir vécu quelques années de plus avant de rédiger ce commentaire au coin du feu. Bienheureux comme je le fus, 10 ans en arrière, lorsque je reçus en pleine tronche la révélation que ma langue pouvait exprimer autre chose que le « fucone di babbone » et « u tribbiu in l'aghja » et ce sans pour autant me procurer la tentation de les vouer au bûcher de l'oubli. Car, je l'avoue sans honte, j'ai pour l'instant bien plus écrit sur les roses que sur leurs épines.

Je ne cherche pas à le défendre comme je n'ai pas cherché à le condamner en d'autres temps, je le lis simplement avec le plaisir insondable du lecteur anonyme espérant que c'est cela qu'il attend et seulement cela. Et puis croire qu'il a besoin d'être défendu après avoir lu « Vae victis », ce serait un peu, selon moi, comme croire à l'utilité des religions après avoir lu Saint Augustin. Le plaisir de la lecture me suffit, ma famélique production personnelle m'a appris qu'il est vain de chercher plus loin que ce qui est écrit. Débusquer le sens caché d'un silence ou d'une page vierge pourquoi pas, mais lorsqu'un auteur comble ce silence, noircit cette page, nul besoin de creuser plus profond, tout est là sous nos yeux.

Ce qui m'a vraiment troublé dans les mots de Marcu, c'est la similitude de nos expériences, de nos rencontres devrais-je dire, avec la langue corse. Né moi-même loin de cette île, éduqué jusqu'à l'âge de 10 ans loin des préceptes locaux, moi aussi abreuvé de quelques gros mots puérils distillés par ceux qui aujourd'hui baissent le regard en entendant mon fils s'exprimer dans cette langue dont mon enfance fût privée, je retrouve dans la symétrie parfaite de ses phrases un peu de ma propre vie, de mes aventures acquisitives de cette langue qui m'est devenue maternelle. Je retrouve ce refus de la nostalgie soit-disant éprouvée pour des choses que l'on n'a pas connues. Je retrouve cette appréhension critique mais tout de même reconnaissante du Riacquistu, ce morceau de notre histoire qui honore ceux qui l'ont façonné mais ne leur donne aucun droit de juger ce que nous en faisons à notre tour. Et puis je ne peux omettre le regard du nationaliste que je suis et serais toujours, je crois, malgré tout ce que les hommes ont pu faire en matière de distorsion de cette idée. Le nationaliste qui se nourrit de l'utopie de voir ce mot enfin défini par tous de la même façon, celle qui tend à n'en retenir que la seule acception tolérable selon moi, celle de l'aspiration pour cette terre au destin de nation non pas « souveraine » mais libre d'être ce qu'elle est, a été et deviendra. Celle qui induit forcément l'immédiate disparition de ce concept à la seconde même de son aboutissement. Celle qui ne connait que l'impérieuse et absolue nécessité de se remettre en question soi-même avant que les autres ne soit tentés de le faire à notre place. Conduisant immanquablement à cet infect dégueulis de sentences lamentables, prononcées au nom de je ne sais quelle pestilentielle autant que prétendue autorité, à l'encontre de telle ou telle communauté, groupe ou peuple. De celle qui me conduisirent un jour à entendre bouche bée un « journaliste » du Monde me dire, alors que je lui faisais part de mon dégoût de ce déferlement anti-corse : « Ah, quand tu tues un préfet... » Je ne sus que lui répondre que moi, je n'avais tué personne avant de faire un effort surhumain pour éviter de donner du crédit à la théorie du « corse violent ». Oui, cette remise en cause si misérablement absente des discours de ceux qui prétendent nous représenter, cette remise en cause que je vivrais comme une invitation à l'abandon de ce pessimisme désabusé qui prit tant de fois la place de l'espoir dans mon esprit ces dernières années. Je ne présume pas des obédiences politiques de Marcu, aujourd'hui ou même hier, mais cette désillusion que je lis dans ses mots et que je partage, me pousse à croire qu'il a, comme moi, encore un fond d'envie que ça marche. Et tant pis si je me trompe.

Il y a bien d'autres choses à dire sur ces textes ciselés par la faconde de Marcu Biancarelli. Bien d'autres choses mais à quoi bon ? Je ne voudrais surtout pas laisser croire que j'ai tout compris, tout analysé, annihilant ainsi mon propre propos. Je ne suis, après tout, qu'un lecteur heureux d'avoir moins dormi qu'à l'habitude. Je suis sûrement passé à côté de beaucoup de choses, mais qu'importe, je me suis régalé et ça c'est bon. Car la littérature selon moi, ça n'est pas génial ; la découverte du vaccin contre la rage, c'est génial. La littérature, c'est bon ou mauvais, au sens gastronomique du terme, avec tout ce ce cela induit de subjectivité et de jubilation.


Quand même, avant de laisser mourir mon feu définitivement, un mot de ces éditeurs et autres directeurs de publication de feuille de chou pour touriste déboussolé qui veulent nous engoncer dans des cases trop étroites ou croient savoir ce qu'il est de bon ton d'écrire ou pas. Mais non, à quoi bon ?

Et puis, assez parlé de moi, le but c'était quand même de partager les sentiments d'après « Vae Victis ». L'ai-je fait, je crois que Marc dirait : « On s'en fout ! Tu l'as lu, c'est l'essentiel, tu en fais ce que tu veux maintenant. » Je ne peux que vous dire d'en faire autant et de l'aimer ou le détester, n'est-ce pas ça qui compte lorsqu'on lit, se voir offrir des sentiments à éprouver, quoi qu'il y ait derrière. Souvent ce ne sont que des « merci », des « bravo », des « iscia ! » mais quelquefois, comme ce soir, ce sont des « Oh putain ! »


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mardi 21 décembre 2010

Allez, un dernier (de 2010) pour la route (de 2011) !


La deuxième année de ce blog se termine.
2011 sera... comment dire. 2011 sera une année extraordinaire pour la littérature corse (qui va encore se développer en quantité et en qualité, en langue corse comme dans bien d'autres), pour l'espace public littéraire corse (qui va promouvoir à tout va et discuter dans la bonne humeur - mais si, mais si - toute la bonne production littéraire corse, et la moins bonne aussi, pourquoi pas ?). Et c'est une bonne nouvelle pour l'humanité toute entière. Bien sûr.

Avant que l'année 2010 se termine, je vais commander au papa Noël une publication de Dumenicu Tognotti, intitulée "Par-delà le théâtre. Culture et politique en Corse (1972-1991)", aux éditions Dumane. Quelqu'un l'a-t-il déjà lue ? Voilà le genre de titre qui me met en émoi. Pas vous ? Ce sera intéressant de voir le regard de cet acteur du Riacquistu sur le Riacquistu, après le regard de Marcu Biancarelli (dans "Vae Victis", éditions Materia Scritta), non ?
Bon.

Tout ça dans la bonne humeur, avec bienveillance.

C'est pourquoi ces liens vers ces deux vidéos devraient conclure en beauté cette belle année :

- soit le générique alternatif d'un merveilleux film sur la vie de famille, la neige en hiver et la beauté des ascenseurs : cliquez ici !
- soit la plus fameuse séquence d'un film terrifiant sur les conséquences néfastes du sentiment amoureux, sur la pluie qui mouille et les chaussures qui font du bruit : cliquez là !

A bientôt !! Un immense merci à tous les participants à ce blog.

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dimanche 19 décembre 2010

"Le Jour du Jugement", un incontournable chef-d'oeuvre sarde ; lu par Emmanuelle Caminade


Encore un que je n'ai pas lu... (En ce moment, je lis "L'imitation du bonheur", de Jean Rouaud, qui arrive à combiner une histoire de la Commune, de la littérature, de la civilisation européenne, d'amour, de sa propre oeuvre, etc. J'ai pour l'instant sur mon visage le sourire de la Joconde et j'attends doucement que les quelques phrases purement narratives et lyriques semées dans ces histoires me conduisent au sentiment de la vie ; un échafaudage pour retrouver le sentiment de la vie.) Donc, je le lirai plus tard ce fameux "Jour du Jugement" de Salvatore Satta, dont j'entends parler depuis si longtemps (pas vous ?). C'est Marie-Jean Vinciguerra qui propose son analyse dans ses indispensables "Chroniques littéraires". C'est Pierre Bacchelli qui en parlait ici même, récemment. C'est maintenant Emmanuelle Caminade qui propose un regard (mille mercis pour l'envoi ; bonne lecture à tous, bonne discussion, si jamais).

Il carro sardo : un attelage allégorique

(...)
È in quest'ultimo tratto che sorge la prima parte di Nuoro. Si chiama Sèuna, e sorge per modo di dire perché un nugolo di casette basse, disposte senz'ordine, o con quell'ordine meraviglioso che risulta dal disordine, tutte a un piano, di una o, le più ricche, di due stanze, col tetto di tegole arrugginite, lo spiovente verso la cortita dal pavimento di terra come Dio l'ha fatta, il cortile chiuso da un muro a secco come si chiudono le tanche, l'apertura verso la strada sbarrata da un tronco messo di traverso, e davanti a questa singulare porta quel capolavoro di arte astratta che è il carro sardo. Il carro sardo diventa un carro quando gli sono aggiogati i buoi, che ora dormono accovacciati sulle stanche gambe lungo la strada, o, se vi è spazio, dentro la cortita : allora è più che un carro, uno strumento di guerra, per gli incredibili viottoli delle campagne che l'acqua ha lavato nei secoli, mettendo a nudo macigni di granito, che sono scale. Il carro sardo si inerpica su quelle gobbe cigolando, ondeggia come una nave nella tempesta, rimane un poco in bilico, e poi precipita fragorosamente dall'altra parte, per affrontare altri sassi, altri macigni. È fatto per questo, è infatti nei secoli, nei millenni, ha lasciato nel cammino i solchi dei suoi cerchioni di ferro, che sono come le piaghe della fatica dei bovi che lo scavalcano puntando sulle corte gambe oblique, dei massari che pungolano i bovi, e pare che spingano e tirino anch'essi, chiamandoli responsabilmente per nome (boe porporì, boe montadì !) con grida che a sera risuonano per tulla la valle. Giustamente dicono quelli del Comune : che bisogno c'è di riparare le strade? Ma quando i buoi staccano, e il carro rimane lì nella notte, davanti alle casette addormentate, non ha più nulla del carro. Poggia inclinato sul lungo timone, alza al cielo due braccia levigate dallo strisciare delle soghe, si scompone in assurde verticali e orizzontali, e lascia passare per le fessure della coda il chiaro della luna. Può essere un'invocazione e una preghiera, può essere una maledizione o un incantesimo, può essere nulla, anzi assolutamente nulla. Nelle notti d'estate, il contadino si stende sulle assi bruciate del sole, con la beretta ripiegata sotto la testa, e dorme.
(...)

Salvatore Satta, Il giorno del giudizio, p. 30/31, Gli Adelphi (1990/2007)

Un bel extrait illustrant bien la tonalité d'un roman qui, au-delà du bilan d'une époque révolue, celui d'une île dont les traditions et les valeurs se sont éteintes, s'affirme comme le bilan individuel d'un homme sachant sa fin prochaine et méditant sur le sens - ou plutôt l'absence de sens - de l'existence...

Un extrait révélateur également du style de Salvatore Satta, un style simple et parfois visionnaire qui, avec une belle économie de moyens, dresse des images d'une grande puissance expressive.

Transposition d' un simple objet utilitaire quotidien, une modeste charrette, en machine guerrière se lançant à l'assaut des chemins cahoteux ou en navire affrontant la tempête.

Vision fantastique d'une charrette dételée, se découpant dans la nuit comme un chef-d'oeuvre d'art abstrait, un assemblage absurde de verticales et d'horizontales.

Personnification - reflet de l'état d'âme de l'auteur - d'une charrette levant les bras vers le ciel...

Salvatore Satta déploie avec art une puissante allégorie de la vie, de ce combat absurde - et inlassablement répété - sous le joug du destin.
Perché vive l'uomo ? : « È fatto per questo » , come il carro sardo ...
Une réponse qui décline d'une autre manière celle du héros Don Sebastiano à sa femme Donna Vicenza : «Tu stai al mondo perché c'è posto», une affirmation encore en usage en Sardaigne et reprise par l'auteur à plusieurs reprises dans son roman.


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dimanche 12 décembre 2010

Des questions (par Anonyme 16:13 et Anonima 10:23) : des réponses ?


Comme prévu, je relaie des récits de lecture, des avis, des questions : peut-être d'autres voudront réagir, répondre, discuter ? Merci d'avance.

UN :
Une question amusante, un appel angoissé, de la part d'Anonyme 16:13 :

Et Johnny Rep, il parlait pas un peu corse ?

DEUX :

Une envie d'en savoir un peu plus et de compléter sa bibliothèque corse personnelle, de la part d'Anonima 10:23 (qui apprécie donc beaucoup la littérature corse, de langue corse et de langue française, notamment la poésie écrite par des femmes mais qui demandent si nous pouvons lui fournir des noms d'auteurs corses féminins écrivant de la prose) :


Unico punto di dispiacere, la mia personale ignoranza sule donne scrittrici apprezzo tantissimo la poesia e la canzone di Patrizia Gattaceca, ma avete nomi da farmi nella prosa contemporanea non femminile ma scritta da donne, non so se mi spiego ?

Et ma réponse personnelle, pour commencer :

Concernant les écrivains corses féminins en prose, je vous recommande personnellement les écrits d'Eliane Aubert-Colombani, Marie Ferranti, Marie-Gracieuse Martin-Gistucci. Mais aussi "Les carnets de marche" d'Angèle Paoli. Mais ce n'est qu'un avis personnel, il y a bien d'autres écrivains femmes dans ce domaine. Et il faudrait que j'y pense plus précisément. Votre question portait peut-être sur la prose de langue corse par des écrivains femmes ? Là, je sèche. D'autres pourront répondre, peut-être.

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samedi 11 décembre 2010

Pierre Bacchelli a lu "Genitori" de Stefanu Cesari

Reprenons le fil de billets riches de récits de lecture, c'est bien la raison d'être principale de ce blog...

Reçu hier (mille mercis) le message suivant de Pierre Bacchelli, poète bien connu des visiteurs de ce blog (voir notamment ici, ici ou ici), qui offre ses poèmes sur son propre blog (voir ici : "Poésies d'exil"), et qui tenait à accompagner un de ses derniers écrits de quelques propos. Ils concernent le poète Stefanu Cesari (voir ici son blog : "Gattivi ochja") et son dernier recueil en date, magnifique, intitulé "Genitori". C'est avec joie que nous les accueillons ici :

Bonsoir François,
pourriez-vous relayer un poème en hommage à Stefanu Cesari pour Genitori ?
Ce n'est pas une consécration, une apologétique. Non rien de tout cela ou son contraire.

Simplement une lecture, donnée comme je la sens. Considérez la comme la lecture d'un recueil qui m'a transporté, profondément ému dans l'écrit de notre langue comme dans son autonome traduction.
Cette lecture a bouleversé en moi plus que mon silence, ma "mue-tude", (c'est ce qui explique en partie mon absence, le reste est d'une autre et pourtant même origine). J'ai avalé ces vers, j'ai avalé ma mue. J'y ai laissé ma peau ou/et celle d'un autre.
Qu'importe?
Au fond n'était-ce pas celle de tout "mue-tant", "mue-table", de tous les muants ?
Je pourrais citer énormément de poètes ayant traversé les siècles et traversés par eux. Inutile, cette émotion-là me suffit.
C'est fou la force que je ressens dans ces vers !


“MUE-TUDE”

à Stefanu Cesari

“A casa mai a pisarè, a sa, lacarè l'aghja

à u ventu ,à i parichji, l'idea, u so

spaziu.”

in GENITORI

Du miasme au souffle. Inévitable je me suis tu

blanc et sec comme un prodige.

Incorruptible cible rampante de la visée ; cible

du rire nuptial jusqu'à la barque entisonnée de la mort.

Prodige de la figue.

Nécessité de la châtaigne.

Elégance de l'olive.

Le ciel aux toits pauvres les torrents en haillons de glace.

Des coussins de pierres aux lucarnes lasses où

quelques herbes discrètement vieilles donnent la messe au vent.

Deuil faste et solitude de la vague dans une débauche sublime d'écume.

Sous les dômes de mousse les âmes des bergers poussent des villages disparus.

Oréades compagnes !

Inévitable je me suis tu

confit et dur comme une prophétie inattendue.

Les escargots gelés préparent la soupe aux praires

fossiles.

Les yeux ébouriffés du vent derrière les planches

disjointes les feux des veillées.

Toutes ces rues baveuses encastrées de mémoires

aux jambes cassées de trottoirs convergeant

effilochées dans les tympans du même vent.

Les vieilles et le vieux et la mort auxiliaire

devant l'âtre asthmatique.

La gueuse Io la Seguin bâtarde l'Isis en boule

le Cerbère pensif.

Inévitable je me suis tu

Tu

confiant et raide comme une fatalité rituelle.

Les cloches fendues depuis le dernier glas.

Les chants de Pâques plombés à l'encens.

Les bancs ébréchés de la dernière prière.

L'habitude fissurée des murs de l'église.

Jusque sur la table sous la miette du pain.

Cheminant

le délire morne de la pluie.

La grâce muette du soleil.

Sous le foulard des deuils sous le linge

des baptêmes.

Sous la cendre blême des regards.

Inévitable je me suis tu

Tu.

3 décembre 2010

jeudi 9 décembre 2010

Jérôme Ferrari, figure de l'écrivain


Car c'est en tant qu'écrivain (de romans) que Jérôme Ferrari est en ce moment invité dans de nombreuses librairies et émissions de radio ou de télévision. Ou bien qu'il est interviewé, par exemple, dans le dernier numéro de Corsica (ici l'entretien par Gilles Millet, ici le portrait par Elisabeth Milelliri). On y apprend des choses personnelles, des moments de la vie de l'écrivain, son point de vue sur le monde qui l'entoure, c'est toujours intéressant. Mais pas grand chose sur l'oeuvre. Finalement la figure de l'auteur recouvrira-t-elle celle de l'oeuvre ?

Je me dis : ce serait le pire qui puisse nous arriver. Que le bruit des propos de l'écrivain recouvre la profondeur des voix de ses livres. Alors, n'hésitons pas : pour bien terminer 2010 et bien commencer 2011, lisons et relisons les livres de Ferrari (dans l'ordre chronologique, ils ont tellement liés entre eux) !

Pourquoi ces propos ? Pour introduire l'échange intervenu entre Fabien Vellutini et moi-même, plus un Anonyme, sur ce blog, à la suite du billet "Bonne nouvelle..." Attention : ces propos sont critiques, parfois virulents (de façon acceptable et discutable, je trouve), je demande donc qu'on ne se méprenne pas sur mes intentions. Il s'agit toujours pour moi de discuter des oeuvres littéraires corses et des conditions optimales de leur diffusion.

(Personnellement, je considère que l'artiste est libre, absolument. Il n'est pas tenu d'être le porte parole d'une communauté, d'un groupe, d'un pays, d'une littérature. Il peut le faire, bien sûr. De leurs côtés, les lecteurs sont libres, absolument. Ils ne sont pas tenus de lire les livres selon les propos des auteurs. Ils peuvent le faire, bien sûr. Il me semble que c'est de l'interaction entre tous ces "discours" et "lectures" que naît une littérature. Vivace. Je ne vois pas la littérature comme une scène de spectacle, avec gloires et chutes, cultes muets et psychodrames : l'important, c'est la lecture des textes, encore et encore. Vous n'êtes pas obligés d'être d'accord.)

Bonne lecture et bonne discussion :

Anonyme a dit…

http://desmotsdeminuit.france2.fr/, (émission du 01 décembre)

"-est-ce qu'il y a une écriture régionale ?demande Philippe Lefait. -Je ne sais pas du tout ce que cela peut vouloir dire ! dit Jérome Ferrari, Je voulais surtout ne pas faire de littérature régionale, je sais que cela existe, c'est un genre... dénégation, tête dégoutée -Mais ce n'est pas le vôtre!!!! Vous traduisez du corse? demande encore l'animateur. -Oui,( sec, ) ( Hé non, MB ne sera pas cité, pourtant c'était l'instant parfait !)(mais il ne sera donc qu'un pauvre écrivain régional, de ceux qui n'existent pas si on suit le fil du discours) enfin, " Dire que vous avez un style, n'est pas ce qu'on a envie de dire vous concernant, enfonce l'animateur; qui répète, ce n'est pas ce qu'on a envie de dire, et tous les gens du prix ne parlaient pas d'admiration pour l'écriture, mais par rapport à la possibilité d'un ressenti, par pour le style. " Faut il faire un commentaire? L'image et le son suffisent. V

Clément Renucci (pour le blog sur le Petit Nicolas) et François-Xavier Renucci (pour le blog sur la littérature corse). a dit…

V, merci pour ce commentaire. Je vais essayer de voir cette émission (je n'arrive pas à installer le "plugin" utile !!). Oui, je trouve aussi bien dommage que la question du travail de traduction de J Ferrari n'ait pas été développée : il me semble que c'est d'une certaine façon une extension du travail d'écriture de cet auteur et cela aurait permis de porter un peu l'attention sur un auteur de langue corse. Une autre fois ? Par contre, je n'ai pas compris les propos concernant le style : Philippe Lefait veut-il dire que J Ferrari n'a pas de style particulier ? Si c'est le cas, cela paraît étonnant, non ?

Anonyme a dit…

Je n'ai pas de réponse à votre question, mais par contre, si on part du principe que ayant reçu le prix France Té, et que donc Philippe Lefait n'ait eu d'autre choix que de recevoir J.F,puisqu'il est actant de la chaine publique, le fait qu'il passe plus d'une heure après le début de l'émission, (soit donc presque le matin ou en tout cas au moment où tout le monde a fermé le poste), et que l'animateur ait cloué l'auteur avec cette phrase tout de même très violente, insistant de surcroit, puisqu'il dit deux fois "ce n'est pas ce qu'on a envie de dire", pour rajouter que les lecteurs sont unanimes sur ce point, je dirais que tant mieux que tout cela se soit déroulé si tard, mais bon, mon avis et rien...

Anonyme a dit…

Pardon, mon nom c'est Fabien Vellutini.

Clément Renucci (pour le blog sur le Petit Nicolas) et François-Xavier Renucci (pour le blog sur la littérature corse). a dit…

Fabien, votre avis est utile, autant qu'un autre. Merci d'ailleurs, de relancer ici une discussion utile sur la réception des oeuvres qui traitent la matière corse. Je vais transposer cet échange dans un billet. Cela permettra peut-être à d'autres de revenir sur cette émission (ou sur d'autres).

Anonyme a dit…

(Commentaire désobligeant, censuré.)

Anonyme a dit…

(Commentaire désobligeant, censuré.)


(la photo)

lundi 6 décembre 2010

Marilena et la méthode Assimil


Je replace ici, en billet, quelques commentaires d'un précédent billet ("De quelques propositions étonnantes"), car il me semble qu'il peut ouvrir une discussion riche et intéressante sur :

- les méthodes d'apprentissage du corse
- ce qu'elles véhiculent comme imaginaire, et notamment comme imaginaire littéraire

- l'immense plaisir de voir la langue corse (comme n'importe quelle autre langue) devenir objet de plaisir et outil de communication pour n'importe quel être humain sur cette planète...


... car il s'agit bien de Marilena, de nationalité néerlandaise, qui s'exprime ici (merci à elle !), à propos de la Méthode Assimil, écrite en son temps, par Pasquale Marchetti et Rinatu Coti.


Je vous laisse à votre lecture, bonne discussion, éventuellement !
Ah oui, une petite précision, tout est parti d'un message que je n'ai quasiment pas compris (car écrit en néerlandais, par Xavier Casanova)... c'est dire, si l'intercompréhension linguistique et le dialogue se nourrissent aussi de beaucoup d'ignorance !


Xavier CASANOVA a dit…

Ik vergiste me. Ik geef het toe. Ik zag de blog Marilena. Zijn blog is echt prachtig en zeer verrassend. Marilena spreekt heel goed de Corsicaanse taal. De grootste boek van de literatuur van Corsica is de Assimil methode! Nooit vergeten.

Clément Renucci (pour le blog sur le Petit Nicolas) et François-Xavier Renucci (pour le blog sur la littérature corse). a dit…

Merci, Xavier pour ce message en néerlandais. Mais je ne suis pas du tout d'accord avec toi sur la méthode Assimil ! (Si mes souvenirs de néerlandais sont toujours bons...)

Marilena a dit…

Te veel eer, meneer Casanova, te veel eer... Maar ik besta echt, quante volte ci vulerà à pruvalla? À ringraziavvi, aghju da nutrì u me bloggu chì l'aghju tralasciatu appena... L'Assimil, o FXR ghjè un capu d'opera ch'e ùn aghju ancu trovu u so paru. Un hè a cima d'a literatura corsa (dimmi ghjà, a cima d'a literatura corsa per tè chì hè?), ma cum'è metudu ùn hà ancu persu un'oncia d'u so valore! Vergeet dat nooit!

Clément Renucci (pour le blog sur le Petit Nicolas) et François-Xavier Renucci (pour le blog sur la littérature corse). a dit…

A ringrazià ti, Marilena. POssu dì lu avà : ùn aghju micca capitu tuttu ind'è l'ultimi cumenti in neerlandese. Ma ghjè un piacè tamantu di "leghje" li quì. Ah... Assimil (hè statu scrittu da Rinatu Coti è Pasquale Marchetti, mi pare, no ?) : seria passiunante di leghje u to parè nant'à issu libru, cumu l'hai lettu, cumu u leghji oghje : ma quale hè a più bella pagina di l'Assimil corsu ? A cima di a literatura corsa ? Ùn possu risponde chì ùn aghju micca lettu tutti i libri ! Ma possu sceglie trà e mo letture : A FUNTANA D'ALTEA, di Ghjacumu Thiers. Per l'eternità : l'incendiu di Bastia.

Marilena a dit…

Dilla puru o FXR, u neerlandese ùn hè micca una lingua faciule cum'è u corsu;)! Ùn sì pò micca parlà di Assimil cum'è d'un libru nurmale di fizzione. Hè un veru metudu di lingua. Un metudu assai bonu, a dicu è a ripetu. Ancu oghje ùn passa manc'un ghjornu ch'e ùn ne leghji qualchì pagina. Ghjè a me bibbia! Hè statu scrittu da Pasquale Marchetti, è e lezzione 50 à 70 sò state scritte da Rinatu Coti. In cumpagnia d'una coppia corsa femu u giru di a Corsica, scuntrendu per strada a ghjente, i lochi, l'usi, e tradizione è i parlà di a Corsica sana (di l'anni sessanta... o nustalgia!). Ci hè dinù qualchì strattu di libri famosi, di puesia è di canzone corse (Michele Poli, Don Petru de Mari, Ghjuvan Teramu Rocchi ed altri). A pagina più bella? Ci n'hè parechje. Dui testi in particulare mi fermeranu impressi in core: u testu di GT Rocchi "si sëntia l'aschime" è quellu di Poli, "Hè ghjornu in piaghja". Forse perchè fù a prima volta ch'e scoprii a vera putenza, a magia è a ricchezza d'a lingua corsa, 'ssa magia chì face ch'una frasa semplice d'un colpu diventa puesia... (è ùn mi scurderaghju mai di quessa a frasa, bella quant'è inutile: "O mà, ne voli scaccia? Iè, s'ella hè bella umule chì sò sdinticata"...) Ma ùn l'aghju lettu. L'aghju manghjatu, divuratu, mi sò tichjata di lingua corsa: ti possu mustrà u me veru tesoru: un librucciu induv'è aghju nutatu ogni parulla ch'è aghju circatu nant'à Infcor cù a definizione in corsu (aghju dunque amparatu u corsu "in corsu", è micca tantu appughjendumi nant'à u francese). U libru di Thiers ùn si vende più... - ci hè da scimisce: bibliuteca corsa ùn ci n'hè quì in u nordu ;) è quasgi ogni libru chì vale appena a pena hè esauritu...

(la photo.)

samedi 4 décembre 2010

Inch'Allah

Quelques mots afin que personne ne soit surpris : j'écrirai moins de billets durant les prochaines semaines (afin de me consacrer à divers travaux d'écriture et à l'organisation d'une saison de cafés littéraires et rencontres artistiques corses à Aix, avec l'amicale corse et d'autres partenaires culturels).

Mais le blog n'est pas fermé, ni en sommeil : je rappelle qu'il a vocation à recevoir tous vos récits de lecture et désirs de discussion à propos des livres et de la littérature corses.

Je remarque que de nombreux billets, parfois assez anciens (de 2009), sont "visités", tous les jours. Sè vo vulete mandà un cumentu, face sempre piacè è forse sbuccieranu discussione ?

mardi 30 novembre 2010

Fernando Ferreira évoque "Corse" de Raymond Depardon


C'est donc une histoire de photographes, qui regardent la Corse, la photographient, et en parlent.

Fernando Fereira, que je rencontrai à la Maison de la Corse à Marseille, rue Sylvabelle, présentait son ouvrage, "L'odyssée corse". Nous discutâmes de choses et d'autres (et notamment de la Corse, si si). Je fus frappé par certaines des photographies : leur vérité, leur beauté, leur sens de la composition (notamment, page 8, 13, 16, 17, la page 29, que je trouve vraiment magnifique - je ne cessai de revenir vers cette photo :

chemin pierreux au premier plan bordé par un muret haut qui conduit le regard vers la petite tache blanche du lac de Codole, paysage vert sombre que plombe un ciel de nuages gris, reliés par le gris clair vaporeux de quelques pluies

Bon, évidemment, il faut feuilleter l'ouvrage (publié chez Privat), car il y a bien d'autres photos (et aussi un texte de Jean Mattei - que je n'ai pas encore lu - évoquant la Corse, avec un regard personnel), il y a aussi un documentaire d'1h20 qui témoigne de la marche nord-sud (Cap Corse-Bonifacio) effectuée par le photographe-alpiniste-trekkeur.

Donc, merci à lui d'envoyer ses réflexions à propos de l'ouvrage de Raymond Depardon, "Corse" (publié au Seuil, en 2000), (qui associe les photographies de l'artiste à un texte autobiographique de Jean-Noël Pancrazi, récit faisant suite à son "Long séjour", et évoquant son père, Ajaccio et la Corse).

Bonne lecture, et bonne discussion, si vous avez eu l'ouvrage de Depardon/Pancrazi en main :

De l’Image(s) de la Corse.

Lors d’une séance de dédicace à la maison de la Corse à Marseille, j’ai rencontré François Renucci, avec qui j’ai entamé une intéressante discussion sur les photos de Corse. Nous en sommes venus à parler du livre de Raymond Depardon (texte de Jean-Noël Pancrazi) qui pour moi est l’un des meilleurs jamais édité sur le sujet et ce pour deux raisons. La première : vous ouvrez le livre, une photo, une phrase, et vous avez déjà un pied sur l’île... en tous cas j’ai personnellement déjà un pied sur l’île ! La deuxième : l’ouvrage tord le cou aux “clichés“ qui monopolisent l’image de la Corse. Je ne rencontre que très rarement des gens sensibles à cet ouvrage, qu’ils soient corses ou continentaux. Il reflète une réalité qui échappe complètement aux images habituelles véhiculées et qui ont donné naissance à une sorte de vision fantasmagorique de l’Île : féérique et surnaturelle.

Raymond Depardon réussit un très beau livre, beau de par la qualité de ses photos, mais surtout de son regard, simple, attentif, objectif, même et surtout à contre courant ! Trop peut-être ? Je ne pense pas ! C’est un regard à un instant précis entre deux parenthèses bien définies. Un portrait de l’île, sans portraits de Corses, mais de leur île au quotidien. Vide ! Et vivante ! Là est le tour de force. Les images déconcertent. La plupart des lecteurs ont du mal à reconnaître leur Corse ou celle qu’ils imaginaient. Et il faut le nom et le talent d’un grand artiste comme Depardon pour oser un livre en noir & blanc sur la Corse, et réussir à le faire éditer.

Il est vrai que les “clichés“ sur l’Île de Beauté sont coriaces à combattre, car comme tout cliché ils sont rassurants, souvent positifs (je ne parle que des photos !) et surtout stables pour l’imaginaire collectif. D’autant que l’image de la Corse est difficile à capter. Elle offre une telle palette de nuances, de tons, de situations, de lumières, d’états, de paradoxes qu’il est quasi impossible par exemple de résumer la Corse à une image symbole. Comment faire tenir une telle diversité dans une photo ? Imprimer sur la “pellicule“ à la fois la plage de Roccapina, les Calanche de Piana, l’Omu di Cagna, le sommet enneigé de la Paglia Orba, le lac de Nino, les chevaux sur la plateau du Coscione, les ruelles voûtées de Cannelle ? Impossible ! Alors qu’on arrive par exemple à “résumer“ l’Australie à un kangourou, le Kenya au Kilimanjaro, l’Espagne à un taureau, la Grèce aux colonnes d’un temple antique, l’Egypte à une pyramide etc… Quelle image pour “résumer“ la Corse et toute sa richesse culturelle et naturelle ? Aucune ! C’est un ensemble d’images qui fait le travail, et du fait justement de cet ensemble qui forme comme un mur, toute autre image devient difficile à exposer, voire illisible. Comme par exemple des photos de hautes montagnes enneigées, où de paysages de forêts aux couleurs automnales rougeoyantes ! C’est en Corse ça ? Non ? Les Alpes, le Canada ? Pas possible ! Et si c’est possible ! Le “gag“ est qu’on retrouve quasiment cette même attitude chez un rédacteur en chef parisien que chez des amis ajacciens… Les Corses eux mêmes ont souvent de par leur culture une connaissance parcellaire de leur île.

Le livre de Depardon reste pour moi un de ceux qui racontent le mieux la Corse, en tout cas ma Corse : hors saison, hors du temps, à la réalité épaisse et multiple. Chaque fois que je tourne la dernière page, j’ai une pointe de nostalgie qui vient me titiller l’âme (sûrement la “saùdade“ portugaise inscrite dans mon ADN) ; c’est un livre “sentimental“, affectif autant par les images que par les textes. A la fin on trouve d’ailleurs un court texte de Depardon expliquant pourquoi il est là en Corse, à traverser l’île de long en large avec une chambre photo : c’est un voyage loin de l’amour d’une femme. Un voyage dans l’espace mais surtout intérieur : il photographie le vide de l’île comme un instantané en miroir de son vide intérieur. Il est un Voyageur sur le continent Corse. Je partage ce sentiment à chaque fois que je pose le pied sur le “caillou“ (comme mon ami Pierre-Paul aime à surnommer affectueusement l’île), celui d’être un voyageur : toujours. Mais à chaque fois c’est un voyage différent. Dans la préface de “L’Odyssée Corse“, j’ai écrit : “…la Corse… Ce fut pour moi une révélation. Je me suis senti chez moi, et depuis je m’y sens à l’abri. Je me sens aussi étranger, et étranger je veux rester. Ainsi je resterai toujours un voyageur... “. J’ai beau connaître par cœur toutes les routes de Corse, ses refuges de montagnes, l’avoir traversée du Cap à Bonifacio, des plages de sables fins chères aux directeurs artistiques parisiens à ses sommets caillouteux ou enneigés, chaque premier pas sur la terre corse est pour moi la promesse d’un voyage : jamais gratuit ! Je reviens toujours plus riche, car plus fort d’expériences de toutes sortes, de rencontres, de découvertes extérieures et de soi, et toujours d’aventures. Je ne reviens jamais “indemne“. La Corse concentre tellement d’états différents, elle a un tel charisme, une telle photogénie, une telle puissance de caractère, une telle force animale mixée à une sensibilité introvertie, elle mélange tellement de paradoxes, de contradictions, de passions, de subtilités que faire des images de la Corse est à la fois un immense bonheur et un défi ; un sujet inépuisable. Merci à Raymond Depardon d’avoir fixé sur pellicule, avec un très grand talent, une des multiples facettes de Kalliste : il y en a beaucoup d’autres ! La Corse est une montagne d’images qui flotte sur la mer ! Y’a pas photo !

Fernando Ferreira photographe-reporter
Auteur de “L’Odyssée Corse Tra u pumonte e u cismonte“ Editions Privat
Blog :
http://web.me.com/fernandoferreira/pancorsica/Bienvenue.html

Bibliographie :


“Corse“ Raymond Depardon et Jean-Noël Pancrazi, Editions du Seuil

Quelques autres livres à lire :


“ Corsica di una volta“ de Rigolu Grimaldi & Rinatu Coti, Editions d’Art/Somogy, un magnifique recueil d’images anciennes.


“L’Excursion en Corse de Roland Bonaparte, Album du pays natal, 1887 “ avec sa série de daguerréotypes, édité par la CTC à l’occasion de l’exposition au Musée de Corse en 2000.

Les cartes et posters publicitaires du siècle dernier : PLM, Service Automobiles d’Excursion…


Je rajoute ici :
- un lien vers un article d'Annick-Peigné Giuly à propos de l'ouvrage de Depardon/Pancrazi (qui évoque aussi un autre livre associant texte et image, "La renfermée, la Corse", de Marie Susini et Chris Marker)
- un lien vers un ouvrage de photographies que j'aurai bientôt entre les mains (mais peut-être voudrez-vous en parler avant moi ?) : "Eloge de la ruralité" de Maddalena Rodriguez-Antoniotti.

(la photo, qui n'est pas de moi, eh non)

lundi 29 novembre 2010

De quelques propositions étonnantes


Que voici :

- une jeune femme néerlandaise écrit un texte de fiction en langue corse : et tout le monde peut le lire en se rendant sur le blog survitaminé bien connu des internautes amoureux de la littérature corse : Tarrori è Fantasia.

- une demande insistante se fait jour et qui dit ceci : il serait bon - extrêmement bon - de pouvoir lire toutes les semaines, dans un des deux quotidiens insulaires (Corse-Matin et 24 ore), une double page consacrée à la littérature corse sous toutes ses formes.

- je viens de lire intégralement le recueil "Vae Victis", de Marc Biancarelli, et à l'applaudimètre (personnel et portatif qui est le mien), le texte intitulé "Guerre civile" remporte la Palme d'or du texte de littérature corse le plus original publié cette année 2010 (certes le texte original écrit en corse fut publié en 2009 dans la revue A Pian d'Avretu). (Bravo.) (Evidemment, ne me demandez pas depuis quand existe ce prix littéraire, ni son objectif, ni ses critères, ni même si le jury a délibéré en toute indépendance après avoir lu la totalité de la production littéraire corse de l'année, par pitié ne me le demandez pas !). Ce texte : ou comment la sensibilité et la vision d'un écrivain parmi les plus talentueux dans l'île relit l'histoire de la Corse à la fois comme une affaire personnelle et collective, absolument catastrophique. Cela commence par : "Quand la guerre a-t-elle commencé ?" et cela se termine par "Et personne ne sait ce que sera l'avenir des orphelins." Tout cela est évidemment discutable.

Laquelle de ces propositions (en caractères gras italiques rouges) est la plus étonnante, le plus riche de promesses, la plus propre à titiller zygomatiques, récriminations ou enthousiasmes ?

Pour lire :

- le texte de Marilena Verheus, voir ici.
- la demande de double page, voir les derniers commentaires au billet "Bona notte" (la discussion peut se poursuivre là, ou bien ici, comme vous le souhaitez).
- le recueil "Vae Victis" : ici, chez Materia Scritta

Pour finir, je cite la page qui me bouleverse (évocation de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992, peut-être un des moments les plus vertigineux et horribles de notre histoire : tarrori è fantasia) et que je relis, dans "Guerre civile", que j'ai déjà citée en partie autrefois, que je reprends donc ici, car il me semble que ces années 1990 en Corse attendent encore d'être traitées à nouveau par les écrivains et les artistes (tiens, il faudrait que je fasse une recherche, qu'est-ce qui a été publié au cours de l'été 1995, alors que se multipliaient les tracés rouges autour des corps d'hommes jeunes et moins jeunes, embringués dans un des très malheureux épisodes de cette guerre civile ?) :

Mais nous étions un peu déboussolés, il faut le dire. Une tribune nous était tombée sur la tête.

J'étais là, ils s'apprêtaient à chanter le Dio vi Salvi Regina, les gens frappaient avec les pieds, et une femme m'a demandé "vous croyez que ça va tenir ?" J'ai répondu que oui, j'ai dit "quand même, ils savent ce qu'ils font..." et j'ai pas fini ma phrase, la vague de fer et de gens enchevêtrés est venue sur moi, elle m'a évité, elle m'est passée juste derrière, à un mètre, elle a dit que pour cette fois elle m'épargnait, et juste au-dessus de moi, où s'étaient trouvés des milliers de personnes, et des rangées de fer, il y avait le vide. Un homme qui tombait courait dans le vide. J'ai vu cette image, irréelle. La tribune venait de tomber. Un type s'est approché et a dit "mon dieu les gens morts en bas !" Moi je me suis pas approché, je suis descendu le plus que je pouvais, je ne voulais pas que mon morceau de tribune s'effondre lui aussi.

Sous la tribune c'était comme s'il y avait eu un bombardement. Je suis passé là au milieu comme un fantôme. J'ai pensé à la guerre. J'ai entendu les premiers cris de vengeance, après il a été dit que les gens étaient restés étrangement calmes. Ça n'est pas vrai, il y avait un père qui cherchait son fils et qui maudissait la moitié du monde, il criait et il disait "maintenant si mon fils est mort qu'est-ce qui va se passer ?" et c'était du désespoir et des menaces en même temps. Deux personnes portaient une gamine, elle avait la tête en sang, peut-être un oeil crevé, la gosse ne pleurait pas, elle devait être à moitié assommée. Ça courait dans tous les sens, dans un mélange abstrait de terre et de tubulaires, de planches cassées et de poussière. Il y avait des gens allongés et alignés, immobiles, dans une espèce de baraque qui me fit penser à une porcherie, ils ne bougeaient plus, ils ne semblaient plus respirer, j'ai pensé qu'ils étaient morts, j'ai erré sans but au milieu de la zone bombardée, j'ai mis les pieds sur une planche en acier et j'ai glissé, sur la planche il y avait un mélange de sang et de merde, j'ai senti l'odeur du sang et de la merde, j'ai pensé que quelqu'un avait dû se faire transpercer le ventre.

Au milieu des hurlements de souffrance, j'ai entendu les cris de guerre.

Ça n'était pas un accident, c'était ce qui devait arriver. Je me suis senti coupable, toute notre Histoire se résumait là, dans ce désastre, dans cette automutilation de notre corps collectif. Nous n'étions foutus que de ça, semer ce carnage, déjà nous cherchions nos ennemis, déjà nous voulions laver le sang, déjà nous pensions à choisir notre camp, et le sang, et la haine, et la peur de nous regarder dans ce miroir aveuglant. Et ce sentiment insupportable d'être bien l'engeance maudite qu'évoquait la marâtre. Ce besoin qui s'affirmait de nous détruire nous-mêmes, d'en finir avec notre destinée obscure, de nous achever dans un dernier tremblement, cette pulsion infernale à nous exterminer afin de ne plus exister, et exister insatisfait, toujours, et incompris, et incapables d'expliquer quoi que ce soit.

Alors il y a eu la guerre civile.


(la photo)

samedi 27 novembre 2010

"La vie, parlons-en." (Jean Rouaud)


Tandis que la vie numérique de la littérature corse bat son plein (voir les sites de Corsicapolar, Musa Nostra, Gazetta di Mirvella, Tarrori è Fantasia, Invistita, Isularama et Terres de femmes - et j'en passe ; d'ailleurs, voici quelque chose d'intéressant à voir émerger : le couple Gazetta di Mirvella et Tarrori è Fantasia, le premier servant de creuset - forum sans attrait visuel - au second - blog soignant son apparence ; oui on peut lire comment Ghjuvan Filici conseille Ruclinonu pour améliorer l'écriture de "L'alchimistu" : passionnant : de la littérature corse en train se faire, devant nos yeux !)... donc, tandis que cette vie numérique bat son plein, disais-je, je me détourne à grand peine de ces lieux de perdition où se croisent le pire et le moins pire (attention, ironie), pour, comme il le faut,

ouvrir un livre en papier.

Ce que j'ai lu dans ce livre en papier me trotte dans la tête depuis plusieurs mois. (Est-ce un critère suffisant pour faire accéder ces pages au firmament de la littérature corse ? Chì ne sò eiu ? Poca quistione ! Uffa ! Et maintenant, à la question de savoir ce qu'est la littérature corse, je renverrai systématiquement à la merveilleuse réponse de Fernand Ettori - autorité que personne n'osera contester - et qui se trouve à la fin de cet article d'Angèle Paoli, qui le tient de la bouche même de Jacques Fusina (si avec de telles fées penchées sur le berceau d'une littérature encore à naître on y arrive pas, je rends mon tablier !)...

Oui, donc, ce livre en papier qui trotte...

... que raconte-t-il ?

Une histoire d'amour.

Comment ?

Par un dialogue entre ELLE et LUI (j'écris "ELLE" avant "LUI", parce que c'est "ELLE" qui ouvre le dialogue, avec un très engageant "Tu imagines ?" et c'est encore "ELLE" qui le conclut avec un superbe "J'imagine").

Et de quoi parlent-ils ?

De la Corse, de la Loire-Inférieure, de la vie, d'Ulysse et du Christ, d'Ajaccio, et des êtres qui tentent de s'aimer. Toujours pensé que le golfe d'Ajaccio était fait pour les êtres qui tentent de s'aimer. (Un grand roman d'amour - je veux dire un amour réel, concret, pas des clichés - dans la littérature corse, cela existe-t-il ?... Il y a bien ce poème de Ghjuvan Ghjaseppiu Franchi.)
Evidemment, parfois le dialogue ressemble à deux monologues (à moins que l'amour ait toujours un peu à voir avec le vin miraculeux et les incroyables météores qui nous survolent et nous traversent)... mais puisqu'ils sont entremêlés, ces monologues, c'est bien qu'il doit se passer quelque chose entre les deux ?

Voilà, dans ce livre en papier, il se passe quelque chose entre eux deux.
Allez savoir quoi.
En tout cas, c'est avec beaucoup d'humeurs, et d'humour.

Voici les dernières pages (achetez le livre et lisez-le avant de finir ce billet, si vous n'aimez pas connaître la fin des histoires d'amour !) du très court dialogue théâtral écrit par Jean Rouaud, nommé "Les très riches heures", publié aux Editions de Minuit, en 1997. J'achetai cet ouvrage, en présence de l'auteur, en septembre dernier, lors de la manifestation "Racines de ciel", organisée par Michèle Leca.

A Ajaccio.

Bien sûr.

LUI. - "Le fleuve marque la limite septentrionale de la vigne. Nous sommes les derniers Italiens. Au-delà, le sang dans les crânes, la bière et les Barbares, le cidre et les Pictes. Muscadet et Gros Plant constituent le limes de la civilisation".

ELLE. - Je me résignais doucement. Je me préparais à rentrer dans le rang, à jeter mon dévolu sur celui qui n'a pas inventé la poudre en me racontant que c'est pour ne pas faire de mal à une mouche. Je n'avais pour consolation que d'avoir lutté jusqu'à l'extrême bord de la désespérance, d'y être quelquefois même passée par-dessus, le bord, repêchée par une rémission de l'amour. Je m'abandonnais. Presque apaisée : ainsi, mon Dieu, c'est cela que vous attendiez de votre Ajaccienne élue, cet effacement, que je plie une nuque un peu raide devant votre toute-puissante volonté. Ce n'était pas la peine d'en faire toute une histoire, de mettre en jeu toutes les forces de la création pour un malheur si commun, en somme. Vous eussiez mieux fait de m'enlever tout de suite de la tête cette étrange idée que l'amour existe, qu'il peut s'incarner en dehors de votre fils chéri, d'ailleurs trop chaste à mon goût. Et autant vous prévenir. Si vous vouliez m'enrôler dans la légion de ses fiancées, je ferais la sourde oreille. Pour ce qui est de prendre le voile, inutile d'insister, c'est non.

Et ne me dites pas que l'amour n'est pas aimé. Mais si, nous l'aimons puisque nous aimons, mais à notre manière, plus terre à terre, et plutôt, que l'amour du lointain, l'amour du prochain, en cela nous sommes bien d'accord, mais proche, très proche, jusqu'à refermer nos bras sur son corps désiré.


LUI. Nous parlons du mien, n'est-ce pas ?


ELLE. - Le tien, le mien, ne soyons pas mesquins, mon adoré. C'est à nous, tout ça, à nous de jouer, à nous de faire du neuf avec cette vieille idée. Nous inventerons.

De chaque jour, nous nous efforcerons de faire un bon jour, de chaque nuit une bonne nuit, et, chaque matin en ouvrant les volets, nous n'en reviendrons pas.

LUI. - "Le vignoble nantais en arrière de l'estuaire produit un vin blanc sec, acide, qui doit être à l'origine de cette crispation du fleuve au moment de se jeter dans l'océan. Cette même crispation que l'on retrouve sur la mine des gens, cet air de couver un éternel ulcère."


ELLE. - Dis-moi, mon coeur.


LUI. - Quoi ?


ELLE. - Rien, juste pour m'entendre dire mon coeur.


LUI. - "La robe paille du vin a des reflets verdâtres, comme si le pâle soleil de Loire achevait de s'y diluer. Les rayons profitent du soir pour se glisser sous l'épaisse couche nuageuse accumulée au-dessus de l'estuaire et se réfugier dans les grappes comme on se met au vert."


ELLE (chanson).

Chaque matin en ouvrant mes

volets je n'en revenais

pas d'être née là


Le ciel par-dessus les tuiles

la mer bleue comme de l'huile

j'en f'sais tout un plat


Et mon père et ma mère

dansaient sur les eaux

d'Ajaccio


J'attendais quelque chose comme

comment dire, bien sûr, un homme

mais beaucoup plus qu'ça

J'attendais comme on attend

d'une hirondelle le printemps

de la vie de l'a-


mour, mais pendant ce temps

le temps passait qui

passe tout l'temps.


LUI. - "Les ceps, tors, noueux, poussent bas pour offrir moins de prise au vent d'ouest. Ce qui rend la vendange pénible. Mais les plus aptes par la taille n'ont pas forcément la vocation : les apprentis jockeys préfèrent le cheval, les lilliputiens le cirque, les enfants la mine, et Toulouse-Lautrec la peinture."


ELLE. -

-mour, mais pendant ce temps

le temps passait qui

passe tout le temps.

Dis-moi, coeur


LUI. - Oui ?


ELLE. - J'ai oublié.

Ah si : ça t'embête si je t'embête ?

Ça t'embête ?

Ça m'embête.

Ça ne t'embête pas de me savoir embêtée ?

Remarque, je peux très bien me taire. A la rigueur garder le silence, comme Francesca gardait les chèvres.

L'ennui avec le silence c'est que, passé la minute, il demande à être meublé : une armoire de paroles, une commode d'à-propos, un chiffonnier de mots tendres. Ce devrait être un métier : décorateur de silence. Et une fois meublé, décoré, le silence, qui voit-on passer ?

Un ange.

Qui fait l'ange ?

Et moi, devine, ta femme, qui c'est ?


LUI. - Une décoratrice.


ELLE. - Et encore ?


LUI. - Une Ajaccienne.


ELLE. - Toutes les Ajacciennes sont décoratrices.

Alors, range tes photos, ravale tes larmes, relève la tête, regarde-moi.
Et maintenant, comment tu la trouves, ta femme ?

LUI. - Mars est un mois vert et boueux dans la vallée, il y en a qui aiment ça, les fermiers surtout.


ELLE. - J'imagine.


(La photo)

jeudi 25 novembre 2010

and a whole flood of sister memories !


Of asphodel, that greeny flower,

like a buttercup
upon its branching stem -

save that it's green and wooden -
I come, my sweet,

to sing to you.


We lived long together

a life filled,

if you will,


with flowers. So that

I was cheered
when I came first to know


that there were flowers also
in hell.

Today


I'm filled with the fading memory of those flowers
that we both loved,
even to this poor


colorless thing -

I saw it

when I was a child -


little prized among the living

but the dead see,
asking among themselves :

What do I remember
that was shaped
as this thing is shaped ?

while our eyes fill

with tears.

Of love, abiding love


it will be telling

though too weak a wash of crimson

colors it


to make it wholly credible.
There is something

something urgent


I have to say to you

and you alone

but it must wait


while I drink in

the joy of your approach,
perhaps for the last time.

And so

with fear in my heart

I drag it out


and keep on talking

for I dare not stop.
Listen while I talk on


against time.

It will not be

for long.


I have forgot

and yet I see clearly enough
something


central to the sky
which ranges round it.

An odor


springs from it !

A sweetest odor !

Honeysuckle ! And now


there comes the buzzing of a bee !

and a whole flood

of sister memories !


Ed avà a traduzzione francese (fatta da Alain Pailler) di issu puema straudinariu (1954) di William Carlos Williams :

De l'asphodèle, cette fleur plutôt verte,
comme un bouton d'or
sur sa tige qui fourche -

sauf que verte et ligneuse -
je viens, ma douce,
te dire le chant.

Longtemps nous avons vécu ensemble
une vie pleine
de fleurs,

conviens-en. Aussi
fus-je empli de joie
lorsque j'appris

qu'il s'en trouvait même
en enfer.
Aujourd'hui

je suis tout au souvenir déclinant de ces fleurs
que nous aimâmes tous deux,
jusqu'à cette pauvre

petite chose incolore -
je la vis
quand j'étais enfant -

peu prisée des vivants
mais que voient les morts,
se demandant à part eux :

De quoi ai-je souvenir
qui avait la forme
de cette forme ?

tandis que nos yeux s'emplissent
de larmes.
D'amour, d'amour durable

elle parlera
quoiqu'un voile de pourpre bien pâle
pour toute couleur

la rende peu crédible.
Il y a quelque chose
quelque chose d'urgent

que je dois te dire
et à toi seule
mais qui attendra

que j'aie bu dans
la joie de ton approche,
peut-être pour la dernière fois.

Et donc
le coeur tremblant
je la poursuis

continuant à parler
car je n'ose m'interrompre.
Ecoute tandis que je parle

contre le temps.
Ce ne sera
pas long.

J'ai oublié
et pourtant je vois nettement
quelque chose

au centre du ciel
qui le parcourt en son entier.
Un parfum

en jaillit !
Un parfum si doux !
Chèvrefeuille ! Et voici

le bourdonnement d'une abeille !
et un déluge
d'images soeurs !


Ce "déluge d'image soeurs"... "sister memories"... un flux énorme... la vie sans fin... et un langage pour la poursuivre... Combien d'images soeurs et de langages inouïs dans la littérature corse ?

(La photo)

lundi 22 novembre 2010

C'est tout frais, c'est passionnant


Un billet qui se résumera aujourd'hui à vous recommander très chaudement de lire, relire, annoter et commenter les comptes rendus de deux rencontres littéraires très intéressantes qui eurent lieu récemment à Bastia :

avec Jacques Fusina, à propos de son livre "Ecrire en corse" (éditions Klincksieck) :
- compte rendu d'Angèle Paoli sur son site "Terres de femmes"

avec Marie-Jean Vinciguerra à propos de son livre "Chroniques littéraires" :
- compte rendu de la Librairie du Point de Rencontre (où eut lieu... la rencontre)
- compte rendu d'Angèle Paoli sur son site "Terres de femmes"

Moi-même j'y reviendrai dans d'autres billets (peut-être...), ne serait-ce que pour évoquer l'anecdote - délicieuse - mettant en scène Fernand Ettori répondant à la question " Qu'est-ce, pour vous, que la littérature corse ?" (je vous laisse la chercher dans tous ces comptes rendus !)

On ne remerciera jamais assez les auteurs de ces comptes rendus, ils démultiplient les chances de faire connaître et discuter la littérature corse !

(La photo)