mercredi 26 septembre 2012

Un poème de Jacques Fusina / Une chanson de A Filetta

J'ai écouté, très souvent, avec une cassette audio, puis maintenant sur Internet, grâce au site "Una sì tù" tenu magnifiquement par Gerda-Marie Kühn et Marilena Verheus, une chanson d'A Filetta qui est aussi un poème de Jacques Fusina :

c'est "Ma dì ciò ch'è tu voli".

J'ai aimé ce texte et cette chanson depuis la première écoute, et encore plus aujourd'hui. Pourquoi ? Alors qu'on pourrait trouver le texte trop "gentil" de prime abord. "Tu peux dire ce que tu veux, mais elle est belle la Corse, non ?"... je caricature le propos du poème.

En fait l'union de la voix de Jean-Claude Acquaviva, de la mélodie et du texte de Fusina crée pour moi une harmonie et une douceur telles que le texte peut révéler sa puissance, et la violence qu'il contient. C'est un poème d'après la violence. (C'est étrange, je cite ce texte le jour du grand pardon, la fête de Yom Kippour.)

Oui c'est ce qui me frappe et me charme lorsque j'écoute le chant et le sens de ce texte : une façon d'exprimer une émotion individuelle (quelqu'un parle à quelqu'un d'autre) qui semble pouvoir s'épanouir en un choeur collectif (les derniers vers de chaque strophe sont aussi chantés par les autres voix du groupe, les basses). Une façon de dire que nous savons tous bien combien nous nous sommes entre déchirés, à quel point nous avons détruit, et gâché mais que désormais (ou alors que plus tard, ou que déjà depuis longtemps) nous pouvons assumer tout cela et imaginer de vivre autrement.

Ce poème évoque ce que nous pourrions faire juste après la guerre, la solitude, les peines et la haine, mais comme dans un murmure et dans des images dont la simplicité et la bonté - pour moi - ne tournent jamais à la naïveté (parce que justement, elles émergent d'un fond de néant et de mort ; elles sont gagnées sur la mort, qui n'est ni niée, ni minimisée, ni oubliée). De même, ce texte est une adresse à quelqu'un qui visiblement répète sans cesse (voir le titre et le premier vers de chaque strophe) son désespoir, les cinq vers suivants venant le contredire.

Je me permets de placer ici le texte corse et la traduction française produite par Jacques Fusina lui-même (intéressant de voir les changements d'image d'une langue à l'autre, je vous laisse voir cela, nous pourrons en discuter), mais pour écouter la chanson et lire le poème en allemand et en néerlandais, c'est sur le site "Una sì tù" !

MA DÌ CIÒ CH'È TÙ VOLI (1983)

Ma dì ciò ch'è tù voli
hè bella a nostra terra
da e so cime à i moli
in centu riturnelli
ci cantanu l'acelli
hè finita la guerra (bis)

Ma di ciò chè tù voli
chì si stà bè in paese
quand'ellu ùn s'hè più soli (bis)
è ch'omu s'addunisce
in amicizie lisce
à bandere palese
à bandere palese.
Ma di ciò chè tù voli
li farà pro' l'avvene
à i lochi muntagnoli (bis)
si quellu chì ci spera
face girà la sfiera
di e so inghjuste pene
di e so inghjuste pene.

Ma di ciò chè tù voli
chì d'oddiu ùn si capace
un ghjornu ti cunsoli (bis)
è ti vene à u core
un surrisu d'amore
dolce quanti a pace,
dolce quanti a pace.

TU PEUX DIRE CE QUE TU VEUX

Tu peux dire ce que tu veux
notre terre est bien belle
de ses sommets jusqu’aux moles marins
les oiseaux y chantent
leurs refrains
la guerre est terminée (bis)

Tu peux dire ce que tu veux
on vit bien au village
lorsque l’on n’est plus seul
que les hommes se lient
de franche amitié
en parfaite sincérité (bis)

Tu peux dire ce que tu veux
l’avenir sera bénéfique
aux villages de montagne
si celui qui l’espère
tourne la page
de ses injustes peines (bis)

Tu peux dire ce que tu veux
tu n’es pas homme de haine :
un jour tu te consoles
et coule alors en ton cœur
la liqueur d’un sourire
aussi doux que la paix (bis)

----------JF----------

15 commentaires:

  1. En guise de commentaire de ce beau texte accompagné d'une juste et sensible analyse, un essai de traduction en hexasyllabes :

    Dis ce que tu voudras
    Notre terre est si belle
    De ses monts à ses rives
    En mille ritournelles
    Les oiseaux la célèbrent
    La guerre est terminée


    Dis ce que tu voudras
    On est bien au village
    Lorsque l’on n’est plus seul
    Et que nous réunit
    L’amitié sans nuage
    Pavoisée à nos fronts

    Dis ce que tu voudras
    Un avenir radieux
    Nous rendra nos montagnes
    Si les hommes confiants
    Laissent passer le temps
    De leurs peines injustes

    Dis ce que tu voudras
    Tu n'es pas fait de haine
    Un seul jour te console
    Quand à ton cœur affleure
    À ta lèvre un amour
    Aussi doux que la paix
    Aussi doux que la paix

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  2. Excellente traduction, me semble-t-il, de M.Durazzo qui tente avec succès de conserver un rythme propre à la chanson en utilisant habilement l'hexasyllabe. Quant à la présentation de FX.Renucci, je la trouve très juste parce qu'elle resitue la chanson dans son contexte et laisse percer une émotion particulière d'auditeur liée aux voix de JC. Acquaviva et du groupe A Filetta dont nous connaissons le talent. Merci donc à tous les deux d'avoir ainsi mis en valeur un texte déjà ancien, et d'avoir par là même interrogé de nouveau cette place de la poésie dans la chanson d'expression corse. Jacques Fusina

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  3. Merci Francescu-Micheli pour cette nouvelle traduction.

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  4. Pour revenir un instant sur la question de la traduction, il est vrai que celle que je propose moi-même pour le site Unasitù est destinée plutôt à l'élucidation du texte afin de permettre la double transcription plus facile dans les deux langues allemande et néerlandaise. Lorsque je veux tenter une traduction plus poétique (= par exemple obtenir quelque chose qui serait un équivalent chantable) je procéde un peu autrement : c'est ce qu'a tenté avec bonheur ici FM.Durazzo. Pour ces questions et pour prolonger éventuellement la réflexion je conseille de lire l'ouvrage Baratti (Albiana-CCu-2003) et plus précisément ma propre contribution "Traduire en poésie?" pp.298-321. J.Fusina

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  5. Gentillette, cette cantilène de J. F.

    Mirliton

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  6. Un peu courte, cette appréciation, Mirliton, non ?

    Ah puis c'est l'occasion de révéler ici ce qui dans l'ordre de la chanson vous enthousiasme, êtes-vous d'accord ?

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  7. Je n'ose: Mirliton, c'est la signature.

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  8. Osez, voyons. Vous avez commencé, poursuivez.

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  9. Je suis désolé mais dans ce texte je ne vois pas tellement les peines de la haine,etc etc.... sinon il me faut des lunettes pour lires entre les mots, ni rien de très nouveau, je veux bien que les oiseaux célèbrent des choses , mais bon, faut avouer que jamais personne demande son avis à un oiseau , notre terre est tres belle c'est pas faux , mais bon , vous connaissez quelqu'un qui a sculpté le lion de roccappina , les aiguilles de bavella , ou les calanques de piana? S'en réjouir oui, mais en etre si fier me parrait EGOtique.On est là c'est notre seul mérite . Ah boooooooooooooooon? un sourire fait 45° ? c'est fouuuuuuuuuuuuuu, la liqueur d'un sourire? bon c'est vrai qu'en corse et en musique ça a de la gueule , mais de la à y voir ce qu'il n'y a pas y a un pas, une phrase de Brel est plus puissante que tout ça , mais comme dit Mirliton c'est gentillet , et c'est déja pas mal.

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  10. Merci pour votre commentaire, anonyme 00:13, je conçois que ce poème, et peut-être plus encore certaines expressions de la traduction française apparaissent trop "gentils" ; mais c'est justement pour moi la forcé du poème de placer en regard de cette gentillesse des allusions à ce qui fait aussi le fond de nos vies : du mal. Les mots sont là, pas besoin de lire entre les lignes.
    Par contre je ne vois aucune fierté de la beauté de la Corse, mais simplement une évidence réjouie.
    J'aime beaucoup Brel, mais il n'y a aucun rapport entre ces deux auteurs, la comparaison ne me semble pas utile.
    Peut-être voudrez-vous évoquer les chansons corses qui vous plaisent plus que celle-ci ?

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  11. A FXR 22:09
    Comment oserais-je traiter JF de mirliton.
    "Le Mirliton", c'était moi, façon de dire que mon avis n'était pas celui d'un poète.
    Je n'en rajouterai pas sur cet avis: il es loisible à tout un chacun d'en saisir la quintessence (excusez du peu).

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  12. Mirliton, j'avais bien saisi que ce nom vous servait de couverture et de signature. La question pour moi est celle d'engager à des avis développés, à des dialogues fructueux, bref, j'aime qu'on en rajoute. Si vous ne le voulez pas, tant pis. À plus tard peut-être ?

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  13. Mirliton me fait penser à Muriel Robin dans un sketch où elle décortique "ne me quitte pas" et cela donne un fort effet comique

    on ne "répond" pas à un poème on n'argumente pas avec lui il est là pour donner une image par un raccourci "saisissanr"

    c'est un poème sur l'espoir et la beauté qui nous aide à voir au dela du malheur, de la peine. Moi non plus je n' y vois pas une fierté mais une invitation à la regarder cette beauté qui est là

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  14. Mais cette beauté est là depuis les temps géologiques et les oiseaux aussi, avant Saint François, et quid novi sub sole?

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  15. Anonyme 10:25,
    le poème n'évoque pas l'éternité de cette beauté et des oiseaux... Il évoque l'amour d'un pays au milieu même de la guerre (civile). Il est situé historiquement, c'est ce que dit le texte me semble-t-il. Non ?

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