samedi 31 décembre 2011

Et toujours grâce à Corse-Matin... une discussion

Un dernier billet pour le dernier jour de l'année 2011. Ce sera pour relayer une discussion, qui se poursuivra peut-être sur Facebook ou ici, comme vous voudrez.

De quoi sera-t-il question ? Comment ? De Corse et de littérature ? Encore ??!

È perchè no ? ùn serà micca impurtantissimu issu sugettu ?

Situons l'enjeu : un de nos auteurs les plus importants (vous le saviez déjà... mais peut-être n'êtes-vous pas d'accord - entre parenthèses, maintenant, j'hésite à écrire cette phrase tellement elle sert à me brocarder sur la Gazetta di Mirvella... où il s'en passe de belles, en ce moment, vous avez vu ?), un de nos auteurs les plus importants, disais-je, est interviewé par le journaliste Pierre Ciabrini dans le cadre des bilans de l'année écoulée : alors, propos revigorants et pertinents ou idées "conformistes et démagogiques" (selon un des participants à la discussion), ou encore occasion manquée d'évoquer précisément les livres importants de l'année ? Ou bien encore l'article est-il utile s'il ne propose pas de modalités d'actions concrètes pour susciter un "printemps corse" ? Et une "révolte" (contre les blocages politiques, sociaux et mentaux de la société insulaire) est-elle possible en Corse ?

Voici le lien vers l'article : Marcu Biancarelli interviewé par Pierre Ciabrini, plusieurs commentaires ont là aussi entamé une discusion (quand le lien ne fonctionnera plus, envoyez-moi un message et je vous enverrai le texte que j'ai sauvegardé dans un fichier).

Et voici le lien vers la page Facebook de Francesca Graziani, où a démarré la discussion.

Evidemment, je ne vous souhaite pas de belle dernière journée de cette année 2011, ni d'entamer sous les meilleurs auspices l'année 2012 !!

(Bon, il n'y a pas que MB dans la création corse contemporaine : voyez La Corse Votre Hebdo de vendredi dernier qui propose aussi une page sur Pierre Gambini (souvent évoqué ici), une sur Francescu Raffaelli (j'avais vu une partie de son travail de lecture des "Confessions" de Saint-Augustin, à Aix, travail périlleux, qui m'a parfois ennuyé, mais parfois aussi fasciné et surtout donné envie de lire enfin ce texte fou) et une autre sur Magà Ettori et son travail cinématographique et autour du cinéma en Corse (encore rien vu de ses productions, dommage qu'on ne puisse rien voir vraiment, à part quelques bande-annonces ou mini courts-métrages, sur Internet ; j'aimerais pouvoir me faire une idée personnelle de ce travail et en discuter, surtout que pour l'instant, le peu que j'ai vu ne m'a pas convaincu ni emballé, ni les idées de scénarios ni les images effectivement produites, affaire à suivre tout de même, car la démarche est très volontariste et ambitieuse, l'important est donc de ne pas rejeter a priori et ensuite d'accepter toutes les critiques (honnêtes et argumentées), non ?).

mardi 27 décembre 2011

"Diversité est ma devise", comme disait l'autre : un tour sur le net littéraire corse

Quelques mots pour signaler quelques voies empruntées par des paroles contemporaines, et qui, d'une façon singulière, disent quelque chose de la Corse et de la vie de son imaginaire (ou de ses imaginaires) aujourd'hui :

- deux voix intimes, qui oscillent entre, ou mêlent, la réflexion exercée au quotidien et la narration de choses vues, avec une belle écriture, précise, souvent humoristique, parfois amère. Paris et la Corse comme pôles majeurs. Donc, la Corse souvent présente comme sujet, mais pas toujours. Ce sont les voix de Sylvestre Rossi (Chroniques insulaires, blog hébergé sur le site du Nouvel Obs, tenu depuis 2 ans ; voir ici par exemple, un billet qui le conduit à évoquer son grand-père et l'utilité de s'interroger sur ses origines : "Buren intra-matic") et de Noël Casale (Collection de sable, blog hébergé cette fois sur le site de Mediapart, tenu depuis 1 an ; beaucoup aimé le récit d'une balade dans les quartiers du Finosello, des Salines, à Ajaccio : ... mince, je ne le trouve plus, le déplacement dans les billets n'est pas facile, pas de tags ou de fonction recherche ; alors en voici un récent concernant un article de Corse-Matin qui oppose théâtre populaire et théâtre élitiste : "A Ajaccio, encore un mur" ; signalons que Noël Casale est dramaturge, metteur en scène, comédien ; plusieurs billets de "Pour une littérature corse", l'évoquent à ce propos).

- Sur le forum de Musanostra, les lecteurs s'expriment sur tous les tons (sérieux, précis, ou bien ironique ou allusif), et je signale une discussion en cours à propos des livres corses à mettre sous le sapin (ou qui ont été mis sous le sapin dimancher dernier) : pour lire le début de la discussion c'est ici : pour voir comment elle a débouché sur un autre sujet, à savoir "Les ouvrages "Ovnis dans le ciel corse" de Christophe Canioni et "Kursig" de José Stromboni sont-ils délirants et peuvent-ils être critiqués ? De quoi sont-ils le signe ?" (c'est moi qui formule cette question...), lire ici.

- Sur le blog de Marie-Hélène Ferarri, écrivain, plusieurs billets concernant notamment la littérature corse (pour laisser un commentaire, il faut d'abord s'inscrire dans l'espace "Membres"). La sincérité du propos et l'acceptation de la contradiction sont à souligner. Ainsi vous participez aux deux discussions en cours : "Littérature régionale, ou pas" (le sujet pourra paraître sempiternel, vous me direz que tout le monde en a fait le tour, mais je ne peux m'empêcher de participer à ce type de débat, la répétition fait partie du jeu et est l'occasion d'approfondir ou de mieux formuler une opinion ou de la faire évoluer ; sur la même question, écouter le point de vue de l'écrivain Kossi Efoui, "Je ne suis pas un auteur africain", sur le site de Courrier International). Deuxième discussion sur le blog de Marie-Hélène Ferrari : "Le droit de dire ou pas, suite". L'auteur donne son point de vue sur 7 sites internet littéraires, notamment corses, qu'elle a dernièrement visités : le forum de l'association "Musanostra", "Du texte au texte", le blog de Joël Jégouzo, "Terres de femmes" d'Angèle Paoli, "Invistita" de Norbert Paganelli, "Isularama" de Xavier Casanova, Mescladis e còps de gula" de Jean-Pierre Cavaillé (taban.canalblog.com) et "Pour une littérature corse". Je ne résiste évidemment pas au plaisir de reprendre ici les mots qui décrivent ce dernier blog : "Le plus polémique. Effervescent, partisan, concerné. Ses qualités sont aussi ses défauts. L'expression du politiquement correct d'une certaine corse y trouve tout son sens." Puisque la dernière expression me paraît trop allusive, j'ai demandé à ce qu'elle soit précisée, la discussion est en cours !

Bonne lecture, et participez aux discussions sur ces différents sites, si le coeur vous en dit.

jeudi 22 décembre 2011

En écho au précédent billet, une page de Jean Rouaud

... une page du deuxième roman de Jean Rouaud, page qui m'a laissé bouche bée, de plaisir et d'effroi, et d'admiration pour cette façon si habile de mêler les temps et les émotions (le récit du bombardement de Nantes et ses scènes d'horreur, le 16 septembre 1943 - comme celui de Bastia le mois suivant -, et le récit de l'errance de son futur père et celui du sauvetage de sa future mère, tout cela raconté par la voix et le regard du futur enfant devenu narrateur vieilli, écrivant les mots que nous - lecteurs - lisons et auxquels, par là même, donnons vraiment chair et vie, souffle - (encore bien sûr faut-il pour cela disposer d'un texte qui soit déjà un monde prêt à revivre sous le moindre regard bienveillant)).

Echo au précédent billet puisque encore une fois il s'agit d'un récit de catastrophe collective qui contient en lui-même une profonde énergie vitale et le souffle d'un chant (et germe de littérature) particulièrement clair ("lindu è chjaru" comme la conscience de Petru Gambini dans "A lea") chez Rinatu Coti ; plus en sourdine, en pudeur chez Rouaud. J'y trouve un immense plaisir.

Voici les dernières pages de "Des hommes illustres" (éditions de Minuit, 1993), une seule et longue et sublime phrase (après cette lecture, vous pourrez - si vous le désirez - relire le passage de "A stanza di u spichju" de Coti) :

Les pas du menuisier se sont à peine estompés dans l'escalier qu'une rumeur grondante, comme une ébauche d'orage, pointe dans le lointain, grandit, enfle démesurément jusqu'à envahir tout l'espace, recouvrant bientôt la ville d'un dôme de tonnerre, ronronnement puissant, assourdissant, mécanique, qui pousse le grand jeune homme à se hisser par une lucarne sur le toit, s'allongeant à même les ardoises, visage tourné vers le ciel, aux premières loges pour saluer le beau geste des libérateurs tout là-haut dans un bain bleu pâle d'empyrée, bien à l'abri des représailles des batteries antiaériennes, à quoi l'on reconnaît la désinvolture des Américains, quand les pilotes anglais, parfaitement élégants, prennent tous les risques, lâchant leurs bombes en piqué pour gagner en précision et ne pas se tromper de cible, et les bombardiers sont si nombreux qu'ils assombrissent le soleil déclinant de cette fin d'été, nuage noir ajouré, mouvant, soudain relié à la terre par une curieuse échelle de Jacob, des échelons fous démontés qui s'affalent des soutes ouvertes en sifflant, percutant le sol dans un fracas formidable du côté du Rond-point de Vannes, la chaîne explosive progressant vers la place Bretagne, soulevant sur son tracé des colonnes de flammes noires qui se boursouflent au-dessus des toits perforés comme des coffres de pacotille, atteignant maintenant la place du Pont-Sauvetout, si proche que le souffle d'une déflagration projette l'observateur mont-en-l'air contre la souche d'une cheminée qui en perd ses mitres, mais le retient de basculer dans le vide, et c'est tuméfié, l'épaule à demi déboîtée, que l'imprudent regagne précipitamment les combles, se recroquevillant dans la cage d'escalier, les mains en conques sur les oreilles, n'ayant plus que ce pauvre geste à opposer à l'effrayant vacarme, et il a beau fermer les yeux, s'abîmer dans la contemplation de ce noir rétinien piqueté d'étoiles, il ressent dans son corps les trépidations du sol et des murs à chaque détonation, s'accrochant à cette drôle d'idée qu'il ne peut mourir sous un faux nom, hésitant tout ce temps à rejoindre cet abri que lui a signalé le charpentier, sous le café Molière, à deux pas du Katorza, mais il est trop tard désormais, le labourage tragique éventre à présent la place Graslin, semailles meurtrières qui surprennent les passants incrédules comme ces villageois que les cris répétés du petit Pierre ne parviennent plus à convaincre de la peur du loup, l'alerte jusqu'alors ce n'était qu'un prétexte commode pour quitter le bureau, le magasin ou l'usine, et pour flâner jusqu'aux abris, ceux-là courant éperdus dans tous les sens, emportant dans leurs bras des enfants au visage défiguré par la frayeur, tirant les plus âgés par la main qui traînent à leur tour un jouet, un ours en peluche, déviant leurs trajectoires au hasard des bombes et des éboulements, projetés à terre par une onde de choc, se relevant, repartant à courir, remettant à plus tard de s'inquiéter du filet de sang qui coule d'une tempe, et de tous côtés des appels, des recommandations à ne pas se séparer, des noms d'abri hurlés par des hommes responsables, les explosions se succèdent, des milliers de bombes sur Nantes cet après-midi-là, auxquelles se mêlent les torchères surgissant des saignées des trottoirs, tuyaux de gaz sectionnés transformés en lance-flammes, comme si l'enfer souterrain joignait ses forces maléfiques à la fureur céleste, et la chaleur du brasier est telle près de la pharmacie de Paris, embrasée sur cinq étages, que les plats d'argent d'une bijouterie voisine se liquéfient en une sauce de mercure, des immeubles pulvérisés ouvrent des béances dans l'alignement des façades, des pans de mur vacillent lentement et s'effondrent en une avalanche de pierres qui comblent les rues, redessinant le plan de la ville et composant avec les rails de tramways arrachés, avec les poutres, les carcasses de voitures et le mobilier dépecé, de dérisoires barricades face à l'insurrection du ciel, les bâtiments s'ouvrent comme des maisons de poupée, lits à ciel ouvert, cheminées en suspension collées contre un pignon, appliques murales piquant du nez, retenues par un fil électrique, tapisseries intérieures soudain dévoilées, aussi impudiques que des dessous, miracle d'un miroir intact pendu au-dessus du vide, et sous les blocs déjà les corps broyés, mutilés, des humains et des chevaux de fiacre prisonniers de leurs brancards, les cris déchirants qui réclament d'improbables secours, couverts par le vacarme immense, et devant le Katorza, dans un nuage de poussière et de fumée, hagarde, terrorisée, la cadette des Burgaud, la frêle Anne, la jolie Anne, qui, c'est une première, a boudé ses cours du jeudi pour accompagner son cousin à la séance de quinze heures, et elle raconte que sans Freddy elle serait morte ce 16 septembre 1943, écrasée ou percée par un éclat d'obus, mais morte à vingt et un ans, incroyable châtiment pour avoir préféré à sa leçon de comptabilité les beaux yeux vindicatifs de Pierre Blanchard - ô maman, suis bien ton cousin, il est de Nantes et connaît les abris, ne demeure pas prostrée d'effroi sur le trottoir au milieu de ce déluge de pierres de feu, il faut que tu sois bien en vie et aussi ravissante quant tu vas, c'est pour bientôt, sceller un pacte d'amour avec le grand jeune homme recherché qui joue sa vie dans les parages, tu as déjà croisé son regard ces dimanches qu'il passe à vos côtés, décelé dans la douceur de son sourire un fond de tristesse dont tu peux deviner la cause, tu as goûté aux plaisirs de sa conversation - il a beaucoup lu et connaît mille choses -, tu as peut-être même remarqué que depuis quelque temps il cherche par un mot aimable, une attitude prévenante, à retenir ton attention, mais avoue que tu es sensible, comme tout le monde d'ailleurs, à son charme, son entrain, sa gentillesse, tu as noté ses bonnes manières - cela compte chez vous -, son élégance naturelle, cette façon de tenir sa cigarette du bout de ses doigts jaunis par la nicotine ou d'incliner sa haute taille quand il prend congé et te serre la main, t'obligeant à lever les yeux vers lui mais, c'est un fait notoire, souvent les grands hommes épousent de petites femmes, tu l'as vu, adroit de ses mains, réparer la poupée d'une petite fille réfugiée avec sa maman à Riancé et tendre à l'enfant ravie ce prodige de la chirurgie plastique, des yeux réorbités, un bras remonté, tu n'ignores pas que, réfractaire au STO, il se cache dans une ferme des environs - il va y retourner quelques jours pour les labours d'automne -, mais n'en va pas tirer des conclusions hâtives car il s'agit d'un brave - sais-tu son surnom dans la Résistance ? Jo le dur, oui, tu as bien entendu, il ne s'en vantera pas, on trouve le renseignement dans une lettre de la fin de la guerre, écrite par le commandant du réseau Neptune auquel il appartint un certain temps, attestant qu'il effectua de nombreuses et périlleuses missions et que sa conduite et sa bravoure ont toujours été dignes des plus grands éloges, mais il ne supporte pas longtemps une autorité, c'est un trait de son caractère, il faudra que tu t'y fasses, et il change de groupe comme plus tard d'employeurs, le réseau suivant s'appelle Vengeance - c'est un peu grandiloquent mais tu peux comprendre -, et puis on le retrouve agent de renseignement au Deuxième Bureau, engagé volontaire, agent de liaison auprès de l'armée Patton, c'est d'ailleurs à cette occasion qu'il accomplit un très haut fait d'armes de l'amour, détournant par Riancé le convoi américain qu'il était censé guider - pour embrasser qui, selon toi ? -, et puis il y a l'épisode fameux de la moto que racontera Etienne, les Alliés obliquant vers Paris et les frontières de l'est, négligeant les restes de l'armée allemande qui, coupée de ses bases, se retranche farouchement dans ce qu'on appellera des "poches", et celle de Saint-Nazaire qui englobe Random compte parmi les plus redoutables puisqu'elle ne se rendra qu'au lendemain de l'armistice, mais le grand jeune homme qui a participé à la libération de son secteur ignore cette situation et fonce retrouver les siens assis l'arrière de la moto que pilote Etienne, trente centimètres plus bas, son éternel béret enfoncé jusqu'aux oreilles, tous deux ivres de vent et de cette liberté toute neuve qu'ils fêtent à leur manière en klaxonnant pendant la traversée des villages et slalomant sans raison sur la chaussée, et puis au pied de la côte de Random un barrage allemand, lui se saisissant de ses deux pistolets, un en chaque main, prêt à forcer le passage, "Joseph, tu es fou", hurle Etienne, qui choisit la ruse, ralentit comme s'il obtempérait, et, à hauteur des soldats, remet brutalement les gaz, les balles sifflant autour d'eau tandis que, courbés sur la machine, ils plongent dans un raidillon en contrebas de la route, abandonnant dans un marais la moto dont Etienne le lendemain signalera innocemment le vol, mais cette fois encore il s'en tire, notre grand jeune homme courageux, tu as les meilleures raisons de prendre grand soin de toi, pour toi, pour lui, pour nous, pour ne pas disparaître avant qu'on ait un peu parlé de nous, nous ne sommes pas si importants que d'autres s'en chargent, trop humbles, trop laborieux, et toi disparue en ce jour sombre, qu'advient-il de nous ? qui nous propulsera vers la lumière ? Nous laisseras-tu, pauvres petits néants de rien du tout dans l'antichambre des refusés de la vie ? aie confiance, nous serons glorieux, Freddy est notre seule chance de sortir tous en choeur, d'un même coeur, de l'anonymat, Freddy auquel un hasard tragique réserve un sort funeste à Dresde, parmi les deux cent cinquante mille victimes de cet Hiroshima à l'ancienne, mais dépêche-toi de t'abriter, faut-il pour t'en convaincre te raconter cette photo du jour prochain de vos fiançailles ? vous marchez tous les deux sur une petite route de campagne, toi toute petite à son bras en dépit de tes chaussures à semelles compensées, radieuse dans ton élégant tailleur au col gansé de velours noir et sous ta coiffure savante, le soleil derrière vous étire vos ombres jumelles, devant cette éclatante démonstration de grâce et de jeunesse, comment douter ? c'est sûr, vous serez heureux, vous vivrez dix mille ans, votre chemin sera semé de pétales de roses, alors ne reste pas plantée pétrifiée de terreur sur ce trottoir meurtrier, à côté de toi une femme s'effondre et par son ventre ouvert libère ses entrailles, c'est notre chance, le cri que tu pousses alerte ton gentil cousin qui te repère enfin dans le nuage de fumée et, te tirant par la main, t'entraîne en courant vers les caves du café Molière tandis qu'au même moment, dans le cinéma dévasté, l'écran incendié jette ses derniers feux - ouf, nous sommes sauvés.

mercredi 21 décembre 2011

Pour Noël, j'aimerais bien une traduction (en français) de "A stanza di u spichju"

J'ai lu ce livre (paru en 1999, acheté... quand ? ah, cette mauvaise habitude de ne pas noter la date de notre rencontre avec un livre..., lu quand ? au début des années 2000, certainement).

Durant toute une nuit, trois femmes se relaient pour préparer la pâte du pain. Bianca, Chjara et Rosa.

Elles parlent, chantent. Chacune à tour de rôle. Tandis que les deux autres dorment.

Elles racontent (des souvenirs ? des rêves ? des espoirs ? des cauchemars ?).

Nous lisons, notamment ceci, qui ce soir fera billet : (ah, oui le livre a été écrit par Rinatu Coti, publié par les éditions Cismonte è Pumonti ; et ce passage, à chaque fois que je le lis, je me dis : "C'est là un des sommets de la littérature corse - non ? Vous ne trouvez pas ? Vous en voyez d'autres ? ou bien vous n'en voyez aucun ? Avez-vous seulement ouvert les yeux ?...") :

U ventu m'allisciava l'ali. È mi purtava buffulati di rimori, di trosta, di briona. Emanavani, tutti buliati, da quiddu ponti altu carcu imbardatu à casponi di parsoni cù i so capa, i so braccia, i so mani, i so anchi, i so peda. Soca c'era statu calcosa, chì u ponti cidia. I caspi si rumpiani. A ghjenti cascava. Era una disgrazia maiò chì succidia quà cù tutti quiddi parsoni impalaficcati, chjuchi è maiò, donni è omini. Una disgrazia sanguinosa è spietata.

Una donna incinta s'era cripata in terra, murendu criaturu ed edda. Un ziteddu avia i so mani tagliati. C'erani i parsoni cù u spinu troncu, cù i membri rotti. C'erani i parsoni svinuti, insanguinati. Era calchì guerra o chì era ? Ghjacìani unu annatu à l'altru, à chì briunendu da u dulori, à chì ammutulitu da l'angoscia. S'era sfraiatu u ponti è a ghjenti era sprufundata. Sarà stata in a trappula di u spichju ch'e aviu vistu quidda spavintosa faccenda di a morti.

Par aria, c'era un soffiu maiò chì sutrinnava tuttu. Si scigliani tanti luma maiò chì uchjittavani. In terra, s'era furmata una carpìa di carri è d'ossa. Erani corsi i sanguinicci. À cosi fatti, ùn vali à pricà. Nemmenu à supplicà. Chì, tandu, saria un'inghjulia à a faccia di l'universu. Ed eiu ùn eru più in essaru ch'e eru prima. C'era stata una cambiazioni radicali. Com'è ch'e fussi vultata parti, svolta da a me parsona. Era una strana sinsazioni. Cusì tenua da parè insignificanti.

Di suttrattu, aghju vistu, arrimbatu à un palazzu di setti piana, u ghjacaru neru. S'allisciava à a quatrera. O tamantu ghjacaru ! U capu francava u tettu. Fighjulava senza veda. Stava à senta senza senta. Stava fermu senza arrichià. Era a so manera di vardà a porta maiò di a stanza. Senza mancu tuccà a parsona, ùn a lintava più. Ed eranu ochja chì ùn erani ochja. Ùn avia bisognu à viaghjà, chì tuttu viaghjava pà eddu. È, cun eddu, tuttu era fini.

(Sona a cetara è si senti u cantu).

Corri corri o ghjucarè
In a vicata di l'avvena
Strappa strappa o tisurè
La schiavitù è la catena.

Desfa desfa o chjucarè
Li pinseri di la to menti
Stancia stancia o tisurè
I lacrimi di li to pienti.

Pensa pensa o chjucarè
À li to ghjorna di dumani
Campa campa o tisurè
Di lu stantu di li to mani.

Conta conta o chjucarè
Li passati di li to loca
Franca franca o tisurè
La to campagna da li foca.

Sona sona o chjucarè
Di la cetara d'armunia
Canta canta o tisurè
La canzona d'aligria.

Lampa lampa o chjucarè
La to vuciata d'amicizia
Batti batti o tisurè
Chì la paci fussi prupizia.

Varca varca o chjucarè
La vadina è lu vangonu
Cerca cerca o tisurè
D'a virità lu radiconu.

Alza alza o chjucarè
La lumera chì splindureghja
Cresci cresci o tisurè
Chì l'amori da tutti veghja.

Dormi dormi o chjucarè
Ti biuccia la to minnanna
Sonnia sonnia o tisurè
Sintendu la tennara nanna.


A quand une traduction en français de l'intégralité de l'oeuvre de langue corse de Rinatu Coti ? (Sachant que cet auteur a aussi écrit, quelque peu, en langue française, en latin (si si), et quelque fois en mêlant le corse et le français : voir les autres billets à lui consacrés sur ce blog).

vendredi 16 décembre 2011

Editions Lettres vives (Castellare di Casinca)

Cela m'émeut de lire ces poèmes de Jacques Ancet ("La dernière phrase").

(Je crois que c'est Stefanu Cesari qui m'avait parlé en bien de ce poète, alors j'ai acheté un de ses livres, à Librairie Le Point de rencontre, à Bastia.)

Cela m'émeut de lire :

"Editions Lettres vives, 2004
Campu Magnu - 20213 Castellare-di-Casinca"

L'Esprit souffle où il veut.

On voit un hibou (?), qui porte de petites lunettes rondes, encadré par deux bougies et deux flambeaux, tous allumés, quatre lumières.

L'ouvrage est publié dans la collection Terre de poésie, dirigée par Claire Tiévant.

Je lis et relis l'ouvrage, et notamment ce poème (en fait je murmure les mots écrits, je les murmure doucement et distinctement, je laisse du silence après les points, je veux dire que je ne lis pas silencieusement et avec l'oeil seulement, je prends les mots dans le souffle, le souffle du moment ; c'est comme lorsque le vin "revient" en bouche, et qu'il fait son office, merveilleusement - du genre "le p'tit Jésus en culotte de v'lours...). Et il me semble qu'il est à sa place pour être le centième billet de l'année 2011 (il doit avoir, ce poème, - je l'espère - bien d'autres places, il doit donner lieu à bien d'autres usages, "de main nocturne et journelle") :


Une autre fois. Avec les lumières
sur la nuit froide. Ce qui s'en va.
Quelque chose qu'on n'entend pas bien.
Un chuchotement à peine, et rien.
Le jour maintenant n'est que le jour,
soudain distant, presque séparé.
Les doigts comme du sable remuent
des bribes de vie. On ne sait plus
ce qu'on sait ni ce qu'on a perdu.

dimanche 11 décembre 2011

La liste : un bel outil pour donner envie

Donc, voici deux listes nouvellement apparues (non exhaustives, non exclusives, en cours de constitution) qui nous poussent à lire des ouvrages de littérature corse, de façon originale qui plus est :

1. La façon la plus originale du moment : cela vient de sortir sur la toile, l'idée est d'Ugo Pandolfi et il s'agit de proposer une série d'ouvrages aimés, placés dans une cabane, ouverte à tous, où tous pourraient venir piocher, emmener chez soi le livre ou le lire directement sur la place de l'Eglise (ou du café, ou des ormeaux, comme vous voulez), puis le remettre ensuite à la disposition de chacun. Où sont ces cabanes ? Patience, patience le site qui annonce cette initiative démarre à peine, et tout cela se précisera avant le printemps 2012. Personnellement, je trouve l'initiative excellente, ainsi résumée sur le site "Livres libres" :

"Inaugurée en Corse par des auteurs de romans, cette initiative, entre book crossing et librairie gratuite, consiste à libérer des livres dans des communes rurales. Ce projet, soutenu par le blog www.corsicapolar.eu et l'association Operata culturale, prévoit l'installation de ses premières réalisations avant le printemps 2012."

Rappel : le book crossing est une pratique maintenant mondiale qui favorise la circulation physique et gratuite des livres (voir ici la page wikipédia et le site officiel).

Les premiers livres bientôt libérés ? :

- "Un Corse à Lille", d'Elena Piacentini

- "La Chèvre de Coti-Chiavari", de Jean-Pierre Orsi

- "Pace è Salute", de Paul Milleliri

Evidemment, cette initiative en appelle au désir de chacun ! Longue vie à cette initiative.

2. Après les "Chroniques littéraires" de Marie-Jean Vinciguerra (éditions Alain Piazzola), les chroniques de Marcu Biancarelli ("Cusmugrafia/Cosmographie", éditions Colonna), voici "Lochi mondu", recueil de chroniques radiophoniques, écrites pour RCFM et publiées par les éditions Albiana/CCU. 40 très brèves chroniques (une page et demi pour 3 minutes de radio) qui prend prétexte de différents lieux de Corse pour évoquer l'histoire et la culture insulaire, "mittendu locu è storia in perspettiva di un prisenti corsu sempri prublematicu". C'est donc aussi l'occasion d'évoquer la littérature corse, puisque l'auteur des chroniques est Alanu di Meglio, écrivain, poète, bien connu. Alors cette liste des artistes et livres cités ? Et bien, la voilà, telle que recensée en lisant le livre page à page, inventaire qui met en appétit et donne à lire un certain visage réel, actuel, de la littérature corse, à travers le regard d'un de ses acteurs :

- François de Lanfranchi et Michel-Claude Weiss (pour leurs recherches archéologiques, de nombreux ouvrages à leur actif)

- "Filidatu è Filimonda" de Sebastianu Dalzeto

- "Vir Nemoris" de Giuseppe Ottaviano Nobili-Savelli

- "U trenu di Bastia", de Maria Felice Marchetti

- Tintin Pasqualini

- Petru Mari

- "U lion' di Roccapina"

- Antonu Maria Graziani

- César Vezzani

- Tino Rossi

- Ghjacumu Luciani et Gregale (Preti Paulu Filippi), pour le groupe "A Mannella"

- Petru Guelfucci, Ghjuvan Paulu Poletti, Saveriu Valentini, Alain Bitton dettu Minicale

- Felici Quilici

- "La terre des Seigneurs", de Gabriel-Xavier Culioli

- Ghjacumu Culioli, Ghjuvan Andria Culioli

- "Ci vulia à pulì", Ceccè Lanfranchi

- "A Vergini à i chjarasgi", peinture de Sano di Pietro

- Jean Nicoli

- Ghjacumu Santu Versini

- Santu Casanova, Petru Rocca, Paulu Arrighi

- Petru Leca, Ghjuvan Maria Arrighi, Ghjuvan Ghjaseppu Franchi, Pasquale Ottavi

- Matteu Ceccaldi, , Ghjacumu Santu Versini, Dumenicantone Geronimi, Pasquale Marchetti

- "A Cispra", "Rigiru"

- "A strage di Bustanicu", Bartulumeu Dolovici

- Jean Nicoli

- Antone Marchini, Jean Nicoli

- Marcellu Acquaviva di l'Acquale

- "Bartulumea", Ghjuvan Vitu Grimaldi

- Didier Rey

- "Colomba", "Mateo Falcone", de Prosper Mérimée

- Micheli Lorenzi di Bradi, Ghjacumu Thiers, Jérôme Ferrari

- "Dionomacchìa", de Salvatore Viale

- Dumenicantone Geronimi, Pasquale Marchetti

- Pasquale Marchetti

- "A paghjella di l'impiccati", de Ghjuvan Teramu Rocchi

- Ghjuvan Claudiu Acquaviva, du groupe A Filetta

- U piuvanu Turchini, Petru Guelfucci, Ghjorghju De Zerbi

- Ghjacumu Fusina

- Laurent Renucci

- "51 Pegasi", de Marcu Biancarelli

- "U Santu", de Pasquale Ottavi

- "A Barca di a Madonna", de Ghjacumu Thiers

- Sebastianu Dalzeto

- "A Infanfata", de Lisandru Marcellesi

- "U rumanzu corsu di una famidda di pueti è di stututori trà u 1771 è u 1928", de Geniu Gherardi

- Anton Sebastianu Lucciardi (Prete Biasgiu), Ghjuvan Petru Lucciardi

- Jacques Casamarta et Claude Cahuzac

- "Una nivaghja in Alisgiani", de Tumasgiu Pasquale Peretti

- Pierre-Jean Giorgi


samedi 10 décembre 2011

En flânant sur la toile... beauté de la persévérance

Sans commentaires :

- sur le site d'Angèle Paoli, "Terres de femmes", un billet ce 10 décembre 2011, contenant un poème de Jean-François Agostini, extrait de son recueil "Quelques mots en l'air pour ne pas dire" (Colonna éditions, 2011). Tiens, cela fait 7 ans, jour pour jour, me semble-t-il, que cette revue de poésie, de critique et de littérature, existe. Persiste. Une webographie à la fin du billet renvoie vers d'autres poèmes de JFAgostini ; à laquelle on peut associer les billets de ce blog "Pour une littérature corse", ceux sur le blog "Isularama", et ceux sur le site "Invistita".

- sur le blog "Tarrori è Fantasia", de Marcu Biancarelli, une nouvelle - in lingua corsa - de Jean-François Rosecchi (un des traducteurs de "Murtoriu" en français, dont on espère ardemment la publication en 2012... Cette nouvelle ? "Annovra"... version corse du nom de "Hanovre" ? En tout cas, ça commence bien, (il n'y a que la première partie pour l'instant) : sexe, désir et frustration à tous les étages, ça bouillonne, l'urne est trop pleine... peut-être une sublimation en vue ?

- sur le site "Invistita", de Norbert Paganelli, rien depuis le billet du 18 novembre 2011, consacré au recueil de poèmes de Patrizia Gattaceca, "Tempi di rena", et à sa traduction en français par Dumenica Verdoni, une véritable recréation poétique (de l'avis de Norbert Paganelli, et de bien d'autres personnes).

- sur le blog "Isularama", de Xavier Casanova, une série de billets de plus en plus délirants et satiriques : des éditions de livres-fantômes, une vraie création totalement numérique. Par LA GARE édition. Certainement ce qui se fait de plus intéressant en ce moment dans la plaine orientale de la Corse. Enfin, plus intéressant que tous ces meurtres, exécutions, actes de justice, représailles programmées passées, présentes et à venir...

- sur le site des éditions "Albiana", l'arrivée de la première traduction en français (par Petr'Antò Scolca, en 2011 donc) d'un livre incontournable pour la littérature corse : le "Pasquale Paoli" de Francesco Domenico Guerrazzi (publié en 1860) et relatant l'épopée paolienne et notamment la défaite de Ponte Novu (1769)... Et voilà comment on mélange les temps et les époques, et comment on fabrique une littérature : à coup d'arrivées tardives et miraculeuses (voir le "Vir Nemoris" comme autre exemple), à coup d'anachronismes : comment lire aujourd'hui un tel ouvrage ? Aucune critique négative ici de ma part ! Ne nous méprenons pas ! J'admire le fait de publier maintenant un tel ouvrage et de le rendre accessible à tous les insulaires, et à tous les francophones. J'ai hâte de le lire, et je me demande de quelle façon je vais le lire... est-ce que le livre se laissera faire, ou bien aura-t-il des ressources pour me conduire dans des contrées inattendues ?

- sur le site de Musanostra, un autoportrait de Petru Vachet-Natali, poète, que j'ai trouvé très intéressant, à la manière d'un CV en 9 points, en toute franchise, avec un choix personnel parmi ses ouvrages. Je me suis dit : "Tiens voilà un exercice amusant, et peut-être instructif : proposer aux autres auteurs corses de se présenter eux-mêmes, à la façon de Petru Vachet-Natali, surtout avec ce choix final parmi leurs propres livres... l'auteur lecteur de lui-même, c'est une catégorie de lecteur absolument passionnante, non ?". Toujours sur le même site, on trouve un lien vers un numéro de la fameuse émission littéraire "Apostrophes" de Bernard Pivot, consacrée à "La corse d'hier et d'aujourd'hui", hébergée sur le site de l'INA. La date de cette émission ? Le 21 mars 1980 !!! 1 h 15 et 43 secondes que je vais essayer d'écouter entièrement cet après-midi. Mais d'ores et déjà, nous pourrions nous demander s'il serait possible, souhaitable, essentiel qu'une émission littéraire sur la tv nationale offre de nouveau un numéro entièrement consacré à la Corse ? Les invités d'Apostrophes étaient Alexandre Sanguinetti, Xavier Versini, Stéphane Muracciole et Jean-Paul Delors, Dominique Alphonsi (oui, avec un "ph") représentant Hyacinthe Yvia-Croce resté ce jour-là à Ajaccio du fait de son grand âge. Des ouvrages à tonalité essentiellement politique et historique. Et aujourd'hui, quels auteurs devraient être invités ? Et quelle serait la place de la fiction, de la poésie et du théâtre ? Et des ouvrages en quelle langue ? Faites votre menu...

- une expérience toute neuve et que je trouve géniale à plusieurs titres : un nouveau blog de Marcu Biancarelli, mais cette fois tenu par le professeur de corse, "Testi pà u liceu" (contient les extraits travaillés en classe de Terminale (avec l'épreuve d'oral du bac à la clé, me semble-t-il), leur présentation et leur analyse). Une manière de voir ce que la littérature corse devient dans un contexte très précis. Le blog se consacre essentiellement à la littérature contemporaine et le dit ainsi : "A scelta di l'autori studiati, è dinò di i tematichi sfruttati, si farà quì cù un disideriu affirmatu di fà cunnoscia à l'elevi di liceu a literatura corsa a più muderna, a più in cuntattu forsa cù i so rialità è i so primuri d'oghji." Le "forsa" ("peut-être") dit bien que tout cela est à discuter !

- je voudrais aussi signaler que je vais régulièrement écouter les émissions de France 3 Corse Via Stella consacrées à la culture et à la littérature insulaires : "Sera Inseme" de Philippe Martinetti et "Via Cultura" d'Antoine Albertini et Delphine Leoni (le numéro consacré à la "critique" en Corse dans le domaine des arts et de la littérature a abouti à confirmer l'idée qu'une telle critique est nécessaire et en même temps impossible, triste constat, peut-être pas définitif).

- bon, il y a certainement d'autres lieux numériques où vous allez rencontrer la littérature corse et où elle se discute : vous pouvez compléter cette liste dans les commentaires. Si le coeur vous en dit.

jeudi 8 décembre 2011

Sparghjeraghju a notte sopra à tè... (O. Friggieri)

Mi scusarete

(vous êtes-vous déjà interrogé sur le fait que deux des chefs-d'oeuvre de la littérature corse commencent par la formulation d'excuses ? Voir les débuts de "A Funtana d'Altea" de Ghjacumu Thiers et de "Prighjuneri" de Marcu Biancarelli)

ma quandu apru un libru, eiu, leghju una pagina, cusì, senza troppu riflette, lasciu fà l'azardu (o forse si dice "lasciu fà à l'azardu"... ?), chì i capricci di l'azardu mi piacenu monda...

Ed oghje, ch'aghju fattu ? Aghju apertu "Puesie" di Oliver Friggieri (edizione Albiana/CCU, 2011). 20 puemi. Azardu : leghju quellu di a pagina 16. Si chjama "Sparghjeraghju a notte sopra à tè".

Surpresa : quandu aghju finitu a prima strofa, aghju u laziu di leghje a seguita, allora leghju. È mi dicu (chì u francese lu sò parlà...) : "Ah, ce dont il parle, ce poème, je ne suis pas sûr de l'identifier précisément, c'est un poème-énigme, mais qui ne réclame pas de réponse - ce serait le poème ou l'autre, aimé, tout aussi bien que soi-même, ou le sentiment de soi-même, ou une obsession - choisissez la vôtre -, ce qui serait capable de nous faire vivre, vraiment, ou bien peut-être... mais non je m'égare (et si je le disais, personne ne comprendrait)."

Issi puemi misteriosi, quelli chì ti dicenu cose impurtante, cummuvente, è ind'u listessu tempu guasgi scure... cume issa bellissima canzona di Léo Ferré, "A mimoria è u mare" (sentitela quì nant'à youtube) :

"Les coquillages figurants
Sous les sunlights cassés liquides
Jouent de la castagnette tant
Qu'on dirait l'Espagne livide..."


Alè, eccu lu issu bellu puema di Oliver Friggieri (pueta maltese chì scrive in maltese, inglese, talianu... ed avà in corsu : ACH ! mi sò sbagliatu, ùn scrive micca un corsu issu pueta maltese, i so puemi sò stati tradutti in corsu da Guidu Begnini - ma in chì lingua eranu scritti ? In talianu, forse, no ?) :

Ùn sò ciò chì tù voli sta sera
issa parolla gira è gira
pesa cum'è piombu in pettu à mè.
Da duve veni è duve anderai ?

Sorti da u mio latu,
t'imbucini à e mio labbre,
sguilli nantu à a mio lingua,
è ti spicci di more, indernu.

Hè isciutu da mè,
o spina di u dulore,
è ùn aghju palisatu, sta sera, à nisunu
u cuntegnu di u nostru secretu.

Sì troppu pisiu per ch'o ti alzi,
s'o ti cogliu, u sangue surgerà,
ti scuncerti s'è eiu ti toccu,
s'è eiu ti spogliu, ti sfiurisci.

Ti piatteraghju in fondu d'una tomba,
è t'innacqueraghju di lagrime,
sparghjeraghju a notte da sopra à tè
per chè tù ùn capisca chè l'anima.

mercredi 7 décembre 2011

"Un lieu de quatre a vents" a été lu

Et le lecteur raconte sa lecture (c'est la première fois que cet ouvrage est ainsi commenté par écrit publiquement, merci).

Vous n'êtes pas obligé d'être d'accord.

Et vous pouvez le dire, ici ou là.

Pour trouver le livre, publié aux éditions Albiana, en 2006, cliquez ici.

A bientôt peut-être ?

Personnellement, je trouve "Un lieu de quatre vents" absolument bouleversant, magistral, fantastique, novateur. Cette évocation de la Corse des années 70/80 (du XXème siècle) via un texte poético-autobiographique né d'un regard sur des encres de Chine (peintes par Adam Nidzgorski) représentant des herbes anonymes m'a laissé baba d'admiration. (Il faut dire que j'en suis l'auteur et que j'aime dire ce que je pense à propos des livres que je lis...). Un peu d'humour pour finir une petite annonce, cela ne fait jamais de mal, non ?

Et puis lors de l'émission Sera Inseme, avec Philippe Martinetti et Yann Benard, il avait été question de ce livre, mais je n'avais pas eu l'idée d'en parler un peu précisément, alors voici une occasion rêvée pour le faire...

mercredi 30 novembre 2011

En pleine nuit, un coup de fil littéraire !

Oui, c'était à 02 h 23, cette nuit, véridique, le téléphone (le fixe) sonne, réveil brutal, horreur, qui, quoi, pourquoi, nom de dieu, vite décrocher avant que tout le monde soit réveillé, c'est pas possible, mais... "allo ?... oui... André ? (le prénom a été modifié)... mais... comment ?... la page qui me vient à l'esprit, maintenant ?... tu rig... non ?... mais... atten...(pas eu même le temps de dire le "ds", incroyable)... ok t'énerv... ok... euh... très honnêtement ?... oui, oui... il y a en a une... oh oui, elle est là... elle me hante... oui... tu veux que je te la lise ?... demain ?... non, non, André, tout de suite, faut pas rigoler avec ça, t'as réveillé la bête... ça va déclamer sec dans les chaumières... oh oui, attends... je vais chercher le mégaphone... attends (là, j'ai eu le temps)... j'ouvre la fenêtre... écoute, écoute..."

Il était alors 02 h 34... Je lus, dans le ciel enténébré illuminé aixois de ce mercredi 30 novembre 2011 - dernier jour de l'avant-dernier mois d'une année au combien singulière (vous me direz en quoi),

ceci :

Mais il serrait ma main si fort que je dus m'asseoir près de lui. Il toussait, il étouffait et il serrait ma main. Il murmurait des phrases, il parlait encore du jardin des Afars, il parlait du mois sacré de ramadan, il parlait du fardeau d'être un assassin, il réclamait de l'opium et du sang, il essayait d'éloigner de lui ses propres mains, il gémissait avec une tristesse désolée, et il me regardait parfois avec terreur, parfois avec amour. Il est mort à l'aube. Je me suis rappelé une injonction du Coran. "Dis : Je cherche la protection du Seigneur de l'aube contre le mal qu'Il a créé." Je l'ai récitée contre l'oreille glacée de mon oncle. J'ai appelé Antoine. "Au nom de Dieu, le Miséricordieux, Celui qui fait miséricorde." Nous ne savons pas ce que peut être la miséricorde. J'ai demandé à mon oncle s'il le savait, maintenant, ou s'il n'y avait pas de secret, mais il ne m'a pas répondu. Et je suis resté avec lui en attendant Antoine, je me suis serré sans peur contre lui, en me demandant simplement si j'étais écrasé de lucidité ou d'illusion. Car je ne suis pas nietzschéen, et je préfère la vérité à la vie. A nouveau, il y eut du café et des embrassades, et l'église. On mit notre oncle dans son grand tombeau vide. Le soir, j'y descendis avec Antoine. Je regardai les fleurs. Et enfin, je me suis mis à pleurer, à pleurer sans pouvoir m'arrêter, à en tomber à genoux devant les bouquets de fleurs et les couronnes, avec la main de mon frère posée sur la nuque, à pleurer devant le regard insoutenable de mes parents, à pleurer sous le poids de l'amour dont j'étais finalement capable, comme si la mort de mon oncle, que je ne savais pas aimer tant, achevait une longue série d'événements qui avait débuté dans le secret d'une secousse infime et silencieuse dont personne n'avait le souvenir. Le soir, j'ai trouvé une photo de mon oncle assis torse nu sur une pièce d'artillerie, près de la mer. Au dos, il avait écrit "A ma soeur chérie. Djibouti. 1958." J'ai passé la nuit allongé dans les photos, toutes ces attestations officielles de la fuite du temps, toutes ces preuves de notre irréalité, comme si nous n'étions rien d'autre que les incarnations provisoires et les avatars de quelques rêves cruels qui nous traversent et nous survivent. Et à chaque mouvement que nous faisons, des milliers de mondes possibles meurent, à chaque mouvement infime, à chaque décision insignifiante, des mondes meurent et toutes nos vies sont parsemées des cadavres de mondes trahis. Pourquoi n'aurais-je pas le droit de penser que, quelque part, à un moment que j'ignore, j'ai fait quelque chose dont je ne me souviens pas, et que, maintenant, Dieu m'a donné une autre vie ? Dans le secret de sa bonté, ne m'a-t-il pas donné une autre vie dans laquelle je n'ai pas bifurqué aux mêmes endroits ? une autre vie où José s'arrête pour laisser passer le camion ? - et je n'ai jamais arrêté mes études, ou n'importe quoi d'autre, mais quelque chose a eu lieu et, maintenant, j'ai suivi un autre chemin, qui n'a pas abouti au village, ni devant la porte verte de l'hôpital, et il n'y a jamais eu aucun toit de cimetière, ni aucune bouteille vide, ni aucune photo poussiéreuse autour de moi, rien n'a eu lieu, je reconnais la voix de ma mère, ou je l'entends peut-être résonner près de moi, et je suis peut-être allongé sereinement sur une route, dans la poussière lumineuse, ou assis dans un jardin pendant une nuit chaude de juin, l'air embaume le jasmin et le mesk el-il, c'est un pays que je ne connais pas mais auquel je suis lié par le secret de mon sang, j'entends l'appel à la prière venir de l'ouest, et aussi les cinquante muezzins de Sanaa, par-dessus la mer Rouge et les déserts, j'entends les branches des lauriers roses bruire derrière moi comme la robe noire de la jeune fille que je n'ai jamais revue, à qui je suis, encore une fois, resté fidèle, et qui est la seule que je n'ai pas trahie, et j'ouvre une lettre de mon frère qui vit loin de moi mais pense à moi, sans colère et sans rage, et j'en sors des photos qui ne parlent plus de la mort mais de la vie, de la douceur de la vie, Agathe me sourit dans la splendeur de son adolescence, et Joseph n'est qu'un enfant souriant, et il y a encore une photo où ils sont tous les cinq, avec José, Lucille se serrant contre Antoine. Ils me sourient tous et, de sa main, mon frère a simplement écrit - tout va bien.

1. Quel lyrisme, mais quel lyrisme, me dis-je, en réécrivant ces mots... La dose est forte tout de même, non ? Et pourtant, cela correspond bien à une de mes pentes, à mon goût pour une certaine emphase, un emportement - ici mystique, charnel, géographique, existentiel, personnel et collectif. Un enthousiasme. Mais un enthousiasme traversé. Empêché, gorge nouée. Contredit.

2. Ce que j'apprécie - et que je vois mieux en le réécrivant - dans ce texte : cette contradiction - mais en est-ce une ? - entre l'affirmation "je préfère la vérité à la vie" et puis toute la fin du texte qui suppose, appelle ardemment la possibilité de cette supposition : que la vie ait finalement gagné, ait pris le dessus (ailleurs, dans une autre vie), au détriment de la seule vérité funeste.

3. On pourrait cependant dire qu'il y a quelques images attendues, quelques facilités dans cette collision des images, cette description de la photo finale par exemple, pour faire éclater une profonde émotion, une nostalgie (avec cette écriture: "tout va bien"). Mais ce qui me paraît fort c'est justement d'instiller cette émotion à propos d'une photo qui n'existe pas.

4. La première fois que j'ai lu cette page, j'ai eu l'impression de voir un film de cinéma, avec une espèce de "rewind", retour rapide en arrière pour un arrêt final sur une image que l'on n'avait pas encore vue, où l'amour se dit et se voit de manière éclatante et feutrée en même temps. J'ai été vraiment ému. Heureux d'être ému en sachant que je lisais la dernière page (et je me disais : oh comme je suis content qu'elle soit réussie cette dernière page, oh le plaisir que ce sera de la relire !)

5. En fait, cet écrivain déroule de très sombres histoires (dans ce roman) pour pouvoir finalement imaginer quelqu'un (le frère) écrivant au dos d'une belle photo que "tout va bien". C'est le seul moyen pour lui d'écrire que "tout va bien".

6. On oscille en ce moment entre accablement et frisson d'horreur, avec tous ces meurtres, exécutions revendiquées (comme il n'y a pas si longtemps). Une société paralysée, condamnée au murmure, a besoin de représentations artistiques qui étalent sur un grand ciel imaginaire les complexités que l'on ne veut pas se dire publiquement. Voilà une des raisons qui font que j'aime cette page.

7. Fables Formes Figures... dite e vostre !

(8. Tout le monde aura reconnu le livre et l'auteur, pas besoin de les noter encore ici...)

samedi 26 novembre 2011

Ite missa est ! / ZERT (1967), Milan Kundera

ZERT, c'est le titre tchèque du premier roman de Milan Kundera, traduit en français par "La Plaisanterie" (Gallimard, 1968-1985).

Voici la première page (c'est un des personnages, un dénommé Ludvik, qui parle) :

Ainsi, après bien des années, je me retrouvais chez moi. Debout sur la grande place (qu'enfant, puis gamin, puis jeune homme, j'avais mille fois traversée), je ne ressentais nulle émotion ; au contraire, je pensais que cette place dont le beffroi (semblable à un reître sous son heaume) surplombe les toits rappelait le vaste terrain d'exercice d'une caserne, et que le passé militaire de cette ville de Moravie, jadis rempart contre les raids des Magyars et des Turcs, avait imprimé sur sa face la marque d'une irrévocable hideur.
Des années durant, rien ne m'avait attiré vers ma ville natale ; je me disais qu'elle m'était devenue indifférente, et cela me paraissait naturel : depuis quinze ans déjà je vis ailleurs, je n'ai plus ici que quelques connaissances, ou des copains (que je préfère du reste éviter), ma mère est enterrée dans une tombe étrangère dont je ne m'occupe pas. Mais je m'abusais : ce que j'appelais indifférence était en fait de la rancune ; les raisons m'en échappaient, car il m'était arrivé des choses bonnes ou mauvaises dans cette ville comme dans toutes les autres, en tout cas cette rancune était là ; j'en avais pris conscience à l'occasion de mon voyage : la tâche qui m'amenait ici, j'aurais pu, tout compte fait, l'accomplir aussi bien à Prague, mais j'avais été soudain irrésistiblement attiré par l'occasion offerte de l'exécuter dans ma ville natale justement parce qu'il s'agissait d'une tâche cynique et terre à terre qui, avec dérision, m'acquittait du soupçon de revenir ici sous l'effet d'un mièvre attendrissement sur le temps perdu.
Une fois encore je parcourus d'un oeil narquois la place disgracieuse avant de lui tourner le dos pour prendre la rue de l'hôtel où ma chambre était retenue pour la nuit. Le portier me tendit une clé à poire en bois en disant : "Deuxième étage." La chambre n'était pas très engageante : un lit contre le mur, au milieu une petite table avec un seule chaise, à côté du lit une prétentieuse table de toilette en acajou avec miroir, près de la porte un lavabo écaillé absolument minuscule. Je posai ma serviette sur la table et j'ouvris la fenêtre : la vue donnait sur une cour et sur des maisons présentant à l'hôtel leur dos nu et sale. Je fermai la fenêtre, abaissai les rideaux et m'approchai du lavabo qui comportait deux robinets marqués l'un en rouge, l'autre en bleu ; je les essayai, l'eau en coulait également froide. J'examinai la table, laquelle, à la rigueur, suffirait, une bouteille et deux verres y trouvant fort bien place ; malheureusement, une seule personne pouvait s'y installer, faute d'une seconde chaise dans la pièce. Ayant poussé la table vers le lit, je tentai de m'asseoir sur celui-ci, seulement il était trop bas et la table trop haute ; de plus, il s'enfonçait tellement sous moi qu'il fut aussitôt évident que non seulement il ne pourrait servir que malaisément de siège, mais qu'en outre il remplirait de façon douteuse son office de lit. Je m'y appuyai sur les poings ; après quoi je m'y étendis en soulevant avec précaution mes pieds chaussés afin d'éviter de salir couverture et drap. Le matelas se creusant sous mon poids, j'y étais allongé comme dans un hamac ou dans une tombe étroite : il n'était pas possible d'imaginer que quelqu'un partageât ce lit avec moi.

Et voilà, une belle perspective pour la littérature corse à venir...

mercredi 23 novembre 2011

La messe est dite ! / ULYSSES (1922), James Joyce


Je montai en toute innocence dans l'avion, attrapai machinalement le Corse-Matin du jour, m'installai. (C'était l'avion de 9 h, pour Ajaccio, au départ de Marignane ; oui, il s'agissait de rencontrer les animateurs de l'émission Inseme Sera, pour une interview, voir billets précédents ; vous l'avez vue au moins cette émission ? Non ? Ah oui ? Bon.)

Que lus-je avec un sourire consterné ? Des syndicats étudiants de l'Université de Corse voulaient annuler une exposition d'un étudiant d'Arts plastiques au prétexte qu'elle serait une insulte aux "valeurs chrétiennes" de la Corse... Bon, je me dis que c'est cher payé pour avoir un débat culturel et artistique en première page de l'unique quotidien de l'île !... J'ai signé (comme vous peut-être) la pétition émanant de l'équipe pédagogique du département Arts de l'université : elle rappelle l'importance de la liberté d'expression. Ceci dit, il faudrait profiter d'un tel incident, désolant, pour (comme le signale de fait la pétition) organiser un débat médiatisé à propos des arts dans l'île. (Je n'ai pas vu l'ensemble de l'exposition de l'artiste malmené, mais pour l'instant la photo incriminée - un sexe d'homme entouré d'un chapelet - ne m'a pas semblé très belle... avis tout à fait subjectif et sans grande valeur ; AJOUT DU 25 NOVEMBRE 2011 : Vu sur Facebook, un lien renvoyant vers le site Roomantic, site consacré à la "sexualité au féminin", qui, me semble-t-il, est le seul lieu sur le Net où l'on peut lire la réponse, précise et développée, d'Anthony Limelette à la censure dont il a été victime : cliquer ici pour lire son interview par "Topper", pseudonyme du créateur de Roomantic). (AJOUT du 29 janvier 2012 : ici un lien pour voir l'émission Via Cultura du 21 janvier 2012, sur France 3 Corse Via Stella ; vraiment intéressante pour discuter plusieurs aspects de cette "affaire").

Bref, l'objet de ce billet est autre (encore que...), puisqu'il s'agit de commencer une série de citation de textes que j'aime (ou que vous aimez, vous vous souvenez que ce blog accueille et publie avec une joie infinie tout message qui répond à ses appels énamourés). Mais attention, ces textes ne sont pas de la littérature corse (si si, il y en a...). Ces textes sont des passages d'oeuvres adorées et possiblement regardées comme des "modèles" pour une future littérature corse (ou comme étant des échos à une littérature corse présente, voire passée).

Une telle série (en fait déjà commencée ici et là sur ce blog) peut faire écho - très modestement - aux lectures extra-insulaires d'un Marcu Biancarelli (Cusmugrafia/Cosmographie, éditions Colonna, 2011) ou d'un Marie-Jean Vinciguerra (Chroniques littéraires, éditions Piazzola, 2010).

Tout cela est évidemment à commenter, littéralement et dans tous les sens...

Je commence par : ULYSSES (1922), James Joyce + Traduction par Jacques Aubert (Gallimard, 2004).
(Oui, je sais c'est le texte publié dans le billet précédent... mais cette fois il est à l'honneur, tout seul, comme un grand, dans son billet à lui.)

—Lend us a loan of your noserag to wipe my razor.

Stephen suffered him to pull out and hold up on show by its corner a dirty crumpled handkerchief. Buck Mulligan wiped the razorblade neatly. Then, gazing over the handkerchief, he said:

—The bard's noserag! A new art colour for our Irish poets: snotgreen. You can almost taste it, can't you?

He mounted to the parapet again and gazed out over Dublin bay, his fair oakpale hair stirring slightly.

—God! he said quietly. Isn't the sea what Algy calls it: a grey sweet mother? The snotgreen sea. The scrotumtightening sea. Epi oinopa ponton. Ah, Dedalus, the Greeks! I must teach you. You must read them in the original. Thalatta! Thalatta! She is our great sweet mother. Come and look.

Stephen stood up and went over to the parapet. Leaning on it he looked down on the water and on the mailboat clearing the harbourmouth of Kingstown.

—Our mighty mother! Buck Mulligan said.

He turned abruptly his grey searching eyes from the sea to Stephen's face.

—The aunt thinks you killed your mother, he said. That's why she won't let me have anything to do with you.

—Someone killed her, Stephen said gloomily.

—You could have knelt down, damn it, Kinch, when your dying mother asked you, Buck Mulligan said. I'm hyperborean as much as you. But to think of your mother begging you with her last breath to kneel down and pray for her. And you refused. There is something sinister in you...

He broke off and lathered again lightly his farther cheek. A tolerant smile curled his lips.

—But a lovely mummer! he murmured to himself. Kinch, the loveliest mummer of them all!

He shaved evenly and with care, in silence, seriously.

Stephen, an elbow rested on the jagged granite, leaned his palm against his brow and gazed at the fraying edge of his shiny black coat-sleeve. Pain, that was not yet the pain of love, fretted his heart. Silently, in a dream she had come to him after her death, her wasted body within its loose brown graveclothes giving off an odour of wax and rosewood, her breath, that had bent upon him, mute, reproachful, a faint odour of wetted ashes. Across the threadbare cuffedge he saw the sea hailed as a great sweet mother by the wellfed voice beside him. The ring of bay and skyline held a dull green mass of liquid. A bowl of white china had stood beside her deathbed holding the green sluggish bile which she had torn up from her rotting liver by fits of loud groaning vomiting.

Traduction en français par Jacques Aubert (édition Gallimard, 2004) :

- File-moi donc ton tire-jus, que j'essuie mon rasoir.

Stephen se laissant faire, Buck Mulligan sortit un mouchoir sale et tout chiffonné qu'il tint par un coin pour l'édification des foules. Il essuya la lame de rasoir avec soin. Puis, contemplant le mouchoir, dit :

- Le tire-jus du barde. Une nouvelle couleur artiste pour nos poètes irlandais : vert-morve. On peut presque la déguster, pas vrai ?

Il monta à nouveau au parapet et contempla les lointains de la baie de Dublin, sa chevelure blonde, chêneclair, légèrement agitée par le vent.

- Bon Dieu, fit-il tranquillement. Est-ce que la mer n'est pas, comme le dit Algy, une mère grande et douce ? La mer vert-morve. La mer serre-burettes. Epi oinopa ponton. Ah, Dedalus, les Grecs. Il faut que je t'apprenne. Il faut que tu les lises dans l'original. Thalatta ! Thalatta ! C'est notre grande et douce mère. Viens voir.

Stephen se leva et s'approcha du parapet. S'y appuyant, il plongea le regard sur l'eau et regarda le paquebot-poste qui doublait l'embouchure du port de Kingstown.

- Notre mère toute-puissante, dit Buck Mulligan.

Brusquement le regard inquisiteur de ses yeux gris, quittant la mer, se tourna vers le visage de Stephen.

- La tante pense que tu as tué ta mère, dit-il. C'est pour ça qu'elle ne veut absolument pas que je te fréquente.

- Quelqu'un l'a tuée, fit Stephen sombrement.

- Tu aurais pu te mettre à genoux, sacrebleu, Kinch, quant ta mère mourante te l'a demandé, fit Buck Mulligan. Je suis hyperboréen tout comme toi. Mais quand on pense que ta mère t'a supplié dans son dernier souffle de t'agenouiller et de prier pour elle. Et que tu as refusé. Tu as quelque chose de sinistre...

Il s'interrompit et étala à nouveau légèrement de la mousse sur son autre joue. Un sourire tolérant lui retroussa les lèvres.

- Mais quel charmant cabot, mumura-t-il à part lui. Kinch, le plus charmant cabot de toute la bande.

Il se rasait à traits unis, avec soin, silencieux, sérieux.

Stephen, un coude posé sur les aspérités du granit, appuya sa paume contre son front et contempla le bord effrangé de sa manche de veste noire et lustrée. Une souffrance, qui n'était pas encore une souffrance d'amour, lui rongeait le coeur. Silencieusement, elle était venue à lui en rêve après sa mort, son corps dévasté flottant dans ses vêtements mortuaires de bure, d'où émanait une odeur de cire et de bois de rose, son haleine, qui s'était penchée sur lui, muette, pleine de reproches, une faible odeur de cendres mouillés. À travers le bord élimé de la manchette il apercevait cette mer saluée comme une grande et douce mère par la voix repue qui se faisait entendre à son côté. Le cercle de la baie et de l'horizon contenait toute une masse liquide d'un vert terne. Un bol de porcelaine blanche était resté près de son lit de mort, qui avait recueilli la bile verte et glaireuse arrachée à son foie pourrissant dans des accès bruyants de vomissements ponctués de gémissements.

(la photo : ne vous inquiétez pas, je ne sais pas si cela va durer, ce retour des photos décalées...)

samedi 19 novembre 2011

Voir la vidéo (la discuter si jamais) : Inseme Sera du 18 novembre 2011

Philippe Martinetti et Yann Benard m'ont interviewé lors de l'émission "Inseme sera" du 18 novembre 2011. Ce fut un grand plaisir pour moi, à tel point que je regarde la vidéo en boucle ! (Je plaisante, et je précise que je plaisante car l'écrit sur Internet est très souvent pris au sérieux. En même temps, plus j'écoute ce que nous avons dit et plus je me dis qu'il y a de quoi avoir envie de réécouter ! Vous n'êtes pas obligés d'être d'accord avec moi, bien sûr...).

Voir la vidéo sur le site de France 3 Corse Via Stella.
Voir la vidéo sur Facebook.

Plaisanterie mise à part, je veux ajouter quelques éléments :

- une correction : lorsque mon nom apparaît à l'écran, il est indiqué que je suis "éditeur". C'est une erreur, je "publie" certes des billets sur un blog, mais ce n'est pas vraiment un travail d'éditeur. Car le blog n'est pas une revue au sens strict, avec un comité de lecture, etc... Donc il serait plus juste de remplacer "éditeur" par "animateur de blog".

- je suis très heureux d'avoir pu faire passer des idées qui me tiennent à coeur, je remercie Philippe Martinetti et Yann Benard qui avec leurs questions, relances et "portrait anticonformiste" m'ont donné l'occasion de les préciser. Il était très bienvenu de citer Guitry pour ouvrir une discussion : "Les critiques sont comme les eunuques : ils savent, mais ne peuvent pas." De l'humour, voilà une bonne chose !

- il y a quelque chose que j'aurais aimé dire (mais le temps et la présence d'esprit m'ont manqué) : l'écriture de billets sur le blog est extrêmement agréable, elle permet une très grande liberté et diversité de ton et de forme.

- autre chose : on m'a interrogé sur mes propres écrits (après la 17ème minute), j'ai donc évoqué le seul écrit personnel que j'ai publié chez Albiana, mais je n'ai pas cité son titre - "Un lieu de quatre vents" (2006) - et je n'ai pas cité Adam Nidzgorski, peintre, dont les encres, présentes dans le livre, sont le point de départ de ce texte. Et je corrige une erreur : j'ai indiqué que ce livre n'avait pas eu d'écho critique, or, Patrice Antona et Flavia Mazelin l'on présenté positivement et m'ont invité à en parler sur RCFM (je ne me souviens plus de la date). Mais c'est vrai que c'est le seul écho public que ce livre ait reçu.

- pour finir, voici le passage d'"Ulysse" de Joyce, que j'évoque brièvement, en associant le golfe d'Ajaccio et la baie de Dublin :

—Lend us a loan of your noserag to wipe my razor.

Stephen suffered him to pull out and hold up on show by its corner a dirty crumpled handkerchief. Buck Mulligan wiped the razorblade neatly. Then, gazing over the handkerchief, he said:

—The bard's noserag! A new art colour for our Irish poets: snotgreen. You can almost taste it, can't you?

He mounted to the parapet again and gazed out over Dublin bay, his fair oakpale hair stirring slightly.

—God! he said quietly. Isn't the sea what Algy calls it: a grey sweet mother? The snotgreen sea. The scrotumtightening sea. Epi oinopa ponton. Ah, Dedalus, the Greeks! I must teach you. You must read them in the original. Thalatta! Thalatta! She is our great sweet mother. Come and look.

Stephen stood up and went over to the parapet. Leaning on it he looked down on the water and on the mailboat clearing the harbourmouth of Kingstown.

—Our mighty mother! Buck Mulligan said.

He turned abruptly his grey searching eyes from the sea to Stephen's face.

—The aunt thinks you killed your mother, he said. That's why she won't let me have anything to do with you.

—Someone killed her, Stephen said gloomily.

—You could have knelt down, damn it, Kinch, when your dying mother asked you, Buck Mulligan said. I'm hyperborean as much as you. But to think of your mother begging you with her last breath to kneel down and pray for her. And you refused. There is something sinister in you...

He broke off and lathered again lightly his farther cheek. A tolerant smile curled his lips.

—But a lovely mummer! he murmured to himself. Kinch, the loveliest mummer of them all!

He shaved evenly and with care, in silence, seriously.

Stephen, an elbow rested on the jagged granite, leaned his palm against his brow and gazed at the fraying edge of his shiny black coat-sleeve. Pain, that was not yet the pain of love, fretted his heart. Silently, in a dream she had come to him after her death, her wasted body within its loose brown graveclothes giving off an odour of wax and rosewood, her breath, that had bent upon him, mute, reproachful, a faint odour of wetted ashes. Across the threadbare cuffedge he saw the sea hailed as a great sweet mother by the wellfed voice beside him. The ring of bay and skyline held a dull green mass of liquid. A bowl of white china had stood beside her deathbed holding the green sluggish bile which she had torn up from her rotting liver by fits of loud groaning vomiting.

Traduction en français par Jacques Aubert (édition Gallimard, 2004) :

- File-moi donc ton tire-jus, que j'essuie mon rasoir.

Stephen se laissant faire, Buck Mulligan sortit un mouchoir sale et tout chiffonné qu'il tint par un coin pour l'édification des foules. Il essuya la lame de rasoir avec soin. Puis, contemplant le mouchoir, dit :

- Le tire-jus du barde. Une nouvelle couleur artiste pour nos poètes irlandais : vert-morve. On peut presque la déguster, pas vrai ?

Il monta à nouveau au parapet et contempla les lointains de la baie de Dublin, sa chevelure blonde, chêneclair, légèrement agitée par le vent.

- Bon Dieu, fit-il tranquillement. Est-ce que la mer n'est pas, comme le dit Algy, une mère grande et douce ? La mer vert-morve. La mer serre-burettes. Epi oinopa ponton. Ah, Dedalus, les Grecs. Il faut que je t'apprenne. Il faut que tu les lises dans l'original. Thalatta ! Thalatta ! C'est notre grande et douce mère. Viens voir.

Stephen se leva et s'approcha du parapet. S'y appuyant, il plongea le regard sur l'eau et regarda le paquebot-poste qui doublait l'embouchure du port de Kingstown.

- Notre mère toute-puissante, dit Buck Mulligan.

Brusquement le regard inquisiteur de ses yeux gris, quittant la mer, se tourna vers le visage de Stephen.

- La tante pense que tu as tué ta mère, dit-il. C'est pour ça qu'elle ne veut absolument pas que je te fréquente.

- Quelqu'un l'a tuée, fit Stephen sombrement.

- Tu aurais pu te mettre à genoux, sacrebleu, Kinch, quant ta mère mourante te l'a demandé, fit Buck Mulligan. Je suis hyperboréen tout comme toi. Mais quand on pense que ta mère t'a supplié dans son dernier souffle de t'agenouiller et de prier pour elle. Et que tu as refusé. Tu as quelque chose de sinistre...

Il s'interrompit et étala à nouveau légèrement de la mousse sur son autre joue. Un sourire tolérant lui retroussa les lèvres.

- Mais quel charmant cabot, mumura-t-il à part lui. Kinch, le plus charmant cabot de toute la bande.

Il se rasait à traits unis, avec soin, silencieux, sérieux.

Stephen, un coude posé sur les aspérités du granit, appuya sa paume contre son front et contempla le bord effrangé de sa manche de veste noire et lustrée. Une souffrance, qui n'était pas encore une souffrance d'amour, lui rongeait le coeur. Silencieusement, elle était venue à lui en rêve après sa mort, son corps dévasté flottant dans ses vêtements mortuaires de bure, d'où émanait une odeur de cire et de bois de rose, son haleine, qui s'était penchée sur lui, muette, pleine de reproches, une faible odeur de cendres mouillés. À travers le bord élimé de la manchette il apercevait cette mer saluée comme une grande et douce mère par la voix repue qui se faisait entendre à son côté. Le cercle de la baie et de l'horizon contenait toute une masse liquide d'un vert terne. Un bol de porcelaine blanche était resté près de son lit de mort, qui avait recueilli la bile verte et glaireuse arrachée à son foie pourrissant dans des accès bruyants de vomissements ponctués de gémissements.


dimanche 13 novembre 2011

Annonce : discussion télé avec Philippe Martinetti (sur France 3 Corse)

Quelques mots pour confirmer le titre du billet : Philippe Martinetti, journaliste, m'interviewera ce vendredi 18 novembre 2011, dans son émission "Inseme Sera". L'émission sera diffusée sur France 3 Corse Via Stella le soir même (entre 18 h 30 et 18 h52), et rediffusée le lundi suivant à 11 h35.

Pour ceux qui ne peuvent pas voir l'émission à la tv, il est possible de la regarder sur le mur facebook de Philippe Martinetti.

J'évoquerai le blog "Pour une littérature corse", le livre "Eloge de la littérature corse", les enjeux des discussions que nous essayons de mener ici, etc...

Evidemment si vous avez des questions en préambule à cette émission, n'hésitez pas, ou des remarques ; de même, après l'émission.

mardi 8 novembre 2011

Emmanuelle Caminade ou Comment traduire le titre "Murtoriu" (dernier roman de M. Biancarelli) ?

Je publie ici avec plaisir (merci à elle) les réflexions que nous envoie Emmanuelle Caminade à propos des titres de romans et de la traduction en général ; et en particulier de la traduction du titre du dernier roman de Marcu Biancarelli, "Murtoriu" (Albiana).

Bonne discussion, si jamais le coeur vous en dit :

Un livre, c'est d'abord un titre...

Le titre, c'est le résumé le plus concis ou du moins ce qui, à mon sens, doit indiquer la tonalité essentielle du livre.
Personnellement, je passe beaucoup de temps à méditer sur le titre avant de commencer ma lecture et ces rêveries m'emportent souvent très loin. Mais beaucoup abordent surtout un livre par l'illustration en couverture et je déplore qu'il en soit ainsi car ces illustrations *- notamment chez Actes Sud - , bien que rarement révélatrices du contenu , ont néanmoins un pouvoir attractif ou répulsif, même lorsque l'on s'en défend (un peu vieillotte et déprimante en effet celle de Autrefois Diana !) Aussi préféré-je largement un titre sobrement mis en valeur par un fond clair uni.

* Elles sont le plus souvent proposées par l'éditeur qui, au pire, n'impose à l'auteur que d'en choisir une , mais les bonnes couvertures illustrées sont en général celles que l'auteur choisit de sa propre initiative et réussit à imposer .

Le choix du titre s'avère donc pour moi primordial et j'aime à penser que le meilleur est celui qui vient à l'écrivain d'emblée, naturellement, chargé de toutes les connotations plus ou moins conscientes que porte le livre. Et, même si le titre appartient, paraît-il, selon la loi à l'éditeur, j'ose espérer que l'auteur réussit en général à en conserver la maîtrise...

Plus que du choix du titre c'est de sa traduction que je voudrais parler. Je viens en effet de découvrir la surprenante traduction de celui de Murtoriu et ma réaction ne cherche qu'à souligner les difficultés de traduction particulièrement flagrantes lorsqu'il s'agit d'un titre et d'un titre se résumant à un seul mot.
Je précise tout de suite ( il vaut mieux jouer les démineurs avant de s'exprimer sur ce site ! ) que critiquer la traduction d'un titre ce n'est ni agresser les traducteurs – ni l'auteur qui a peut-être approuvé ou même initié ce choix - , ni me mêler de ce qui ne me regarde pas : ayant lu le livre en langue originale, il ne me semble pas abuser de mes droits de lectrice ! Et, surtout, j'aimerais bien que tous ceux qui ont lu Murtoriu puissent donner aussi leur avis sur cette traduction.

La traduction est un exercice difficile et traduire littéralement Murtoriu par Le glas , 2 syllabes à la consonnance peu heureuse, ne rendait pas toutes les connotations du titre corse originel , un titre m' évoquant le « morituri » latin (« ceux qui vont mourir »). Cette sonnerie du glas qui résonne sur les champs de bataille annonce en effet, bien au-delà des morts de la guerre de 1914, la tragique répercussion à venir d'un conflit rendant les campagnes exsangues : la mort de toute une société rurale traditionnelle , la disparition d'un monde...
Ballade des innocents retient , certes, un élément essentiel du roman: l'hommage aux innocents , aux humbles , à ces coeurs nobles et pur non pervertis par l'individualisme , sans complaisance pour le mal dont Mansuetu est le dernier représentant , un personnage s'affirmant comme le symbole de cette société rurale disparue et un peu idéalisée . Face au matérialisme qui envahit le monde moderne, le terme évoque aussi l'innocent russe, dostoïevskien, qui dans sa simplicité semble plus proche de Dieu, ou du moins d'une certaine spiritualité.
Mais ce titre français évacue la violence de la mort , d'autant plus que la ballade , poème ou forme musicale, se caractérise plutôt par une certaine douceur faisant appel à la compassion ou à la nostalgie. Et je ne peux m'empêcher de voir également dans cette traduction une touche d'autocensure anticipant les désirs de l'éditeur : la mort n'est pas très vendeuse ... Sans compter que j'ai vu sur Google que La ballade des innocents était le titre d'une chanson d'Enrico Macias !

Et puisqu'il est facile de critiquer sans rien proposer, il me semble que l'on aurait pu peut-être atténuer la sécheresse de la traduction littérale et garder la référence à la mort tout en intégrant le terme « innocents » qui s'avère assez judicieux : « Le glas des innocents » m'aurait personnellement mieux convenu.

Ballade des innocents, traduit du corse par Jean-François Rosecchi, Marc-Olivier Ferrari et Jérôme Ferrari, est actuellement en attente d'édition.

Emmanuelle Caminade.

Norbert Paganelli évoque la qualité de certaines discussions littéraires corses sur le Net : qu'en pensez-vous ?

Je n'interviendrai que dans les commentaires pour participer à la discussion, si elle a lieu.

Je relaie, avec l'accord de l'auteur, les propos de Norbert Paganelli publiés sur son site Invistita à propos des "échanges littéraire sur Internet" (billet du 4 novembre 2011).

Forse, vulerete discutà un pocu di issu sughjettu ? :

Je l’avoue, la réalité est parfois décevante. Non pas la lointaine réalité d’horizons qui ne sont pas les nôtres, non….la réalité d’ici, la nôtre, celle que nous parcourons tous les jours, que nous côtoyons à notre insu ou de manière délibérée…
Comme beaucoup (pas assez il est vrai), je m’intéresse à la littérature et en particulier à la création poétique en langue corse. Je l’ai dit, écrit, répété maintes et maintes fois, ce n’est pas une volonté d’enfermement de ma part mais bien plutôt la conviction que le combat en faveur des langues minoritaires est un combat légitime dont nous avons tout à gagner.
Il va de soi que, dans mon esprit, la frontière séparant la production en langue corse et les écrits portant sur la Corse n’est pas d’une netteté absolue. En fait, un ouvrage sur la Corse ou mettant en scène des Corses va m’intéresser car il m’apparaît évident qu’il convient de mieux se connaître si l’on veut avoir une chance de comprendre le Monde. Comprendre le Monde…Venons-en au fait justement !
Des sites passionnants, des échanges incertains…..

Allant de temps à autres sur la toile, j’y fréquente un certain nombre de sites et de blogs ayant pour thème la littérature. Ce que j’espère y trouver, ce sont des échanges, des points de vue différents du mien, des découvertes…Concernant le monde insulaire, je me dois d’avouer que si je suis heureux de constater le nombre important de blogs et de sites, je suis sidéré d’observer l’énergie négative qui y est dépensée.

Certes, cela n’affecte pas la totalité de ces espaces dont certains, il faut bien le dire, demeurent d’excellente qualité : je pense à Gattivi Ochja de Stefanu Cesari (http://gattivi-ochja.blogspot.com/) qui nous distille avec parcimonie son remarquable savoir faire de traducteur, je pense aussi à Emmilia Gitana (http://emmila.canalblog.com/) de Caroline Ortoli qui présente un vaste panorama de la poésie contemporaine sans oublier l’Invitu de Jean Claude Casanova (http://www.l-invitu.net/) qui est toujours un précieux « road-book » pour parcourir les sentiers culturels de l’île ou encore Puesia in negra è biancu d’Angélique Bazziconi (http://puesie.blogspot.com/), laquelle nous présente les multiples facettes d’une passionnée de langue corse…J’en oublie, bien entendu, et on ne m’en voudra pas de ne point citer tout le monde….
Non, il ne s’agit pas de ces blogs et sites qui bien souvent ne font que nous offrir une production ou une sélection de textes, il s’agit bien plutôt des blogs ouverts à la discussion fonctionnant donc un peu comme des « forums » qui m’attristent dans leur mode de fonctionnement.
Disons-le tout net, je n’incrimine nullement leurs animateurs, ils ont eu la bonne idée de créer ces espaces et il convient de les en remercier, non, ce serait plutôt l’usage qui en est fait qui me pose un problème.

Loin de moi l’idée de penser qu’il soit nécessaire de se prendre au sérieux car il me semble évident que ceux qui sont trop sérieux sont d’une irrémédiable tristesse mais….lorsque la quasi-totalité des discussions est complètement dénaturée par des plaisanteries, des allusions (pas toujours compréhensibles par le commun des mortels),on est en droit de se demander si la juste cause de la création est véritablement honorée.
La création littéraire mérite mieux
Les personnes que je connais et qui font œuvre littéraire en Corse (cela doit être vrai partout ailleurs) sont passionnées par leur démarche, elles ne recherchent ni la notoriété facile, ni l’approbation unanime. Elles font leur travail de créateur dans l’indépendance la plus totale et souvent l’incompréhension du plus grand nombre. Ces gens là méritent, me semble-t-il un certain respect même si l’on ignore, la plupart du temps, ce qu’il faut de travail et de peine pour mettra au monde un modeste ouvrage.

Qu’on me comprenne bien, je ne souhaite pas que les auteurs soient encensés, ils ne le voudraient pas eux-mêmes, mais, simplement, qu’ils soient respectés pour le travail accompli dans la pénombre de leur cabinet, hors des feux de l’actualité.
Or, les dérisions, les plaisanteries un peu lourdes dès qu’on souhaite aborder leurs travaux me semblent ne rien apporter, en termes de valeur ajoutée, à leur entreprise, bien au contraire…Je dirais même que si l’on voulait purement et simplement fusiller la création locale, on ne s’y prendrait pas autrement…
Il ne suffit donc pas qu’il y ait autant de difficultés à éditer un ouvrage, à trouver un lectorat qui se dérobe chaque jour un peu plus, à affronter les sourires amusés des touristes devant les rares librairies présentant des ouvrages en langue corse, il faut aussi que nous assistions, en direct, à cet auto sabotage au nom de je ne sais sens de la « macagne » ?
Mais au fond pourquoi ? Pourquoi cette pratique qui apparaît comme purement et simplement suicidaire ?
Parce que nous sommes des vaincus….
En relisant l’ouvrage de Marc Biancarelli (Vae victis), j’ai eu le sentiment d’y trouver un début d’explication : parce que nous sommes des vaincus et utilisons mille et un subterfuges pour ne pas nous donner les clefs de la réussite. Dévaluer un écrit ou une personne, même sur le mode pseudo comique c’est, de facto, s’interdire de les prendre au sérieux tout en positionnant son discours dans un no mans land aux contours mal définis mais où personne n’est responsable et donc n’encourt aucun risque.

Or ceux qui font acte de création, quels qu’ils soient, prennent un certain nombre de risques : celui de se faire critiquer en tout premier lieu ou de se voir oublier ou encore de se voir taxer de je ne sais quelle complicité avec je ne sais quel réseau.
Ceux qui créent disent, d’emblée, d’où ils parlent, en se dévoilant, en s’exposant et ils ne rencontrent en face d’eux que ces snippers aux discours faciles dont la seule fonction semble d’être d’ amuser un public au demeurant exsangue et médusé.

La création mérite mieux, beaucoup mieux que cela. On ne peut reprocher à ceux qui ne s’y intéressent pas de ne pas participer aux débats. On peut par contre en vouloir à ceux qui font profession de s’y intéresser et qui ne font que ravaler l’acte de créer à un simple hochet destiné à leur faire passer un court et agréable moment.

J’appelle de mes vœux l’émergence d’un espace virtuel pluriel où les échanges et les réflexions, éléments indispensables à la vie culturelle, puissent se multiplier et s’enrichir dans un esprit d’ouverture et de respect, lequel nous fait, aujourd’hui, cruellement défaut.



Norbert Paganelli.