mercredi 30 juin 2010

Pierre Bacchelli et Salvatore Satta

Reçu ce message foisonnant et (je trouve) magnifique de la part de Pierre Bacchelli évoquant la figure et l'oeuvre de l'écrivain sarde Salvatore Satta.

Je me permets de le placer dans un billet. Qui a lu Satta ? (Je sais que Marie-Jean Vinciguerra y fait souvent référence.) Je n'ai pas lu "Le jour du jugement" (encore un incontournable contourné ! Il est disponible en Folio, il me semble).

Merci beaucoup à Monsieur Bacchelli !

Bonjour,
vous avez souvent dit que votre blog était un lieu d'échange, entre autre, pour des lecteurs de cultures proches d'une façon ou d'une autre avec la nôtre, capables de susciter une émotion, plus même une émotion enceinte d'une autre émotion, perpétuellement enceinte.
Je profite de votre billet sur nos amis Sardes pour me laisser aller.
Moi qui aurais voulu simplement que mon blog comme ma poésie, avec une sorte de naïveté hâtive, soit simplement un terminal d'où les gens arrivent et repartent comme des voyageurs qui perdent ou échangent volontairement ou non leurs bagages. Oui je vais me laisser aller à vous parler de ma rencontre avec Salvatore SATTA et de son unique livre : "Le jour du jugement" publié chez NRF dans les années 80.
Je me rappelle l'avoir découvert en 1985 au milieu d'un mois d'avril neigeux où la mer de la promenade des Anglais fumait. Je me souviens des la première lecture avoir voulu alors traduire en corse certains passages comme si je voulais abîmer mon émotion sarde en corse, tellement certains de ces passages attenant au café Tettamanzi m'avaient étranglé d'un plaisir cruel.
Mais Salvatore SATTA n'avait pas écrit en sarde, mais en italien de la plus pure académie. Oh ! combien j'aurais voulu alors le traduire de l'italien en sarde et du sarde en corse (j'ai essayé mais je ne suis arrivé qu'à un mélange de corse de Bonifacio et un italien Génois de chroniqueur du XIIIème siècle, grand moment de solitude) tant je voulais aller plus loin que l'écrivain lui-même dans ces propres pas, tant cette écriture en retrait, toute feutrée d'absence et de non-dit, d'absence féline et suave qui sait ô combien susciter le concis douloureux de cette terre aride, dessiner les contours d'une lucidité aigüe de Nuoro où une vigne de pierre jaillit comme une lanterne, où les pas, les gestes les rires, les colères et les deuils des morts en offrande aux vivants sont autant de blessures nettes et abruptes de nos villages corses. Autant de contours imprécis et ajustés, étrangers et familiers qui sont les contours de mes contours faisant de mon silence une ruine aménagée et de ma parole un moulin à sable.
Combien cette écriture me rapprochait et m'éloignait (comme la douleur d'une sciatique du mouvement) de mes propres sentiers, de mes propres poussières, cheminant vers ce culte de la parole de l'église au café, du café à la place, de la place à l'église et de l'église au cimetière entre la partie de cartes et le verre à moitié vide où le temps soigne vainement la lombalgie des jours.
A ce moment, que mes racines sont profondes jusque sous la souche primitive de la ronce, jusque dans la moelle de la pierre qui régénère les vieux assis !
Ah ! que je parle mal de mon Salvatore SATTA - Lisez le, si l'édition n'est pas épuisée - il méritait bien mieux que moi, cet écrivain juriste qui a essayé de faire correspondre entre elles les architectures de la tombe et de la maison, architectures de deux siècles déchirés entre le Piémont et la Toscane, architectures du silence et du mot entre le mime et le masque.
Et dire que je fais ce billet en écoutant sur FranceÔ l'échange musical entre VoceVentu et Mieko Myasaki. Corse et Japon. Echange conclu par la sortie d'un album commun. Il n'y a pas de mot pour célébrer cette "force collaborative".
J'ai été long, aussi long que le chemin de notre identité qui passe par la rencontre de l'identité de l'autre. Mais je suis content et cela fait du bien lorsque l'émotion vous garrotte. Je ne me fais cependant aucune illusion sur l'audience de mon oecuménisme îlien, et pourtant, si vous saviez, et pourtant.
Merci à bientôt.

lundi 28 juin 2010

En cours de (re)lecture : les "Chroniques littéraires" de Marie-Jean Vinciguerra

Puis-je être "objectif" avec les textes de Marie-Jean Vinciguerra, puisque nous sommes quelque peu "liés" par une relation amicale, des conversations, des échanges d'idées, des échanges de "préfaces" (moi pour son "Don Petru", une tragédie publiée chez Sammarcelli ; lui pour une postface à "Eloge de la littérature corse") ?

Eh bien oui, c'est possible, puisque c'est à cause de mon enthousiasme pour son texte "D'une lecture de la "Tempête" ou La Corse comme métaphore baroque du mystère" (publié dans le recueil "Corse, défense d'une île", éditions Autres temps, 1992), que j'ai eu l'audacieuse idée de vouloir le rencontrer. L'appel final de son texte :

Que l'île invente son volcan ! Qu'elle s'enracine à ses vrais arbres !
Qu'elle lise les secrets inscrits dans sa pierre.
Que son roc soit l'os de sa parole. Voix d'Ariel rassemblant les éléments dans le pin au sang de sable. Lumière de la parole qui tient l'île debout.
Que le feu exprime l'obscurité irréductible de l'Île.
Que son cri brise la gangue minérale où s'emprisonne la matrice de son Peuple.
Que le Chant libéré délie les chaînes !
Que Caliban, nouvel Oedipe, déploie sur la scène d'un théâtre singulier l'énigme du Sphinx insulaire.
La Corse ou la métaphore d'un Sisyphe faisant éclater son rocher en buisson de paroles !


...cet appel a résonné en moi avec force (j'avais vingt ans, on me comprendra) et résonne encore ; je le relis régulièrement, ce texte, j'y puise une certaine folie que je veux retrouver dans ce que nous essayons de nommer littérature corse...

(Mais où trouver ce livre maintenant ? Où trouver ce texte ? Avec l'autorisation de l'auteur, je peux le réécrire dans un des billets de ce blog...)

Bref, tout cela pour revenir sur le dernier ouvrage de Marie-Jean Vinciguerra, que je suis en train de lire : "Chroniques littéraires", édition Piazzola, 2010. 69 chroniques littéraires qui cheminent autour et au coeur de quelques grands thèmes, mythes ou réalités, qui ont forgé l'image de la Corse et que de nombreux ouvrages (essais universitaires ou littéraires, sagas familiales, romans, mémoires, stalvatoghji, etc.), des oeuvres d'art (peintures, installations, sculptures) ou des vies même (Agatha Christie, Christian Boltanski, Gian Paolo Borghetti, etc.) , ont illustrés : l'Italie, le Clan, l'Exil, la Franc-maçonnerie, la Vengeance, l'Amitié, l'Identité originelle, la Femme et la Mère, la Langue corse, le Rire.

L'ouvrage est d'une richesse considérable, par la variété des oeuvres et des vies analysées mais aussi par la volonté commune de chaque chronique de s'élever au-dessus d'un cas particulier et poser un certain nombre de questions plus qu'intéressantes.

Par exemple, celle-ci, à la fin d'une chronique consacrée à Emmanuel Arène :

"Personnalité à facettes, faite de finesse et de roublardise, d'élégance et d'audace, de retenue et de panache, Arène fut l'un de ces rois de la Corse à la royauté éphémère, même si elle dura un quart de siècle, l'un de ces princes de l'esprit qui firent les délices du Paris de la Belle-Epoque. La Corse ne serait-elle qu'un décor et un tremplin pour des gens de qualité qui, et les exemples foisonnent, dispensent les trésors de leur imagination et de leur créativité ailleurs que dans cette île vouée à sa pauvreté et à la seule richesse des mythes qu'elle engendre ?..."

(Ce fut publié dans "Kyrn", en mai 1983).

La question qui court tout au long du recueil est celle de parvenir à dire la véritable singularité de la Corse tout en lui permettant de se libérer du carcan des vieilles structures et des vieilles images. Ce n'est donc pas innocent si le livre commence avec Angelo Rinaldi et se termine (presque) avec Jean-Noël Pancrazi. Deux romanciers (et non analystes ou pamphlétaires) qui par la magie de la fiction et de l'écriture font quelque chose avec les douleurs (ne se contentent pas de les constater) et ouvrent des horizons, promettent des métamorphoses.

Ainsi à propos de "L'Heure des adieux", de Pancrazi :

"L'Heure des adieux" est un livre magique, bréviaire du sacrifice, conque de ferveur et de pureté. Après avoir présenté une apocalypse de la Corse, il nous offre sa métamorphose : cette révolte contre la superstition et les peurs ancestrales dont les clans de faux maîtres ont nourri l'imaginaire des Corses. Toutes les mères, prêtresses sacrifiées veillant sur notre malheur se remettent à danser. Les chemins, les villages et les villes s'ouvrent à la lumière, aux travaux et au commerce. Les navires solaires entrent dans la baie..."
(Kyrn, mai 1985)

Je trouverais dommage qu'un tel livre soit réduit à une collection de regards sur des écrivains, intellectuels et hommes politiques qu'il serait agréable de visiter, en se répétant - secrètement flatté - "ah ! lui aussi est venu dans l'île ?"... Non ?

Mais vous n'êtes peut-être pas d'accord ?

Nous pouvons déjà signaler à nouveau dans ce billet (comme dans un précédent), qu'il y a une discussion lancée par Xavier Casanova à propos des mérites et défauts du travail de l'éditeur de cet ouvrage, Alain Piazzola. Il fait une critique assez virulente de ce travail sur son blog, Isularama ; j'ai envoyé un commentaire à son billet auquel il répond dans un nouveau billet. Discutons-en ! Non ? En argumentant et en citant. C'est la seule façon d'avancer dans une connaissance de plus en plus fine des livres qui comptent à nos yeux ?

Dans tous les cas, l'ouvrage de Marie-Jean Vinciguerra a plusieurs mérites (notamment de nous faire sentir le changement de climat mental et culturel lorsque la Corse passe de l'Italie vers la France), mais il en est un qui est précieux : il m'a donné une furieuse envie de lire "Les Jardins du Consulat" de Rinaldi et de relire "L'Heure des adieux" de Jean-Noël Pancrazi !

(Et puis cette histoire de "navires solaires entrant dans la baie..." (d'Ajaccio, bien sûr), cela me fait penser à ce poème de Ghjuvan Ghjaseppu Franchi que je citais dans un ancien billet, non ? : "u bastimentu assulanatu"...)

dimanche 27 juin 2010

Des livres, des dates, du juillet, du sang et des larmes !

Mais qu'est-ce qu'on ne ferait pas comme titre de billet pour attirer l'oeil du lecteur !

Le mois de juillet approche - oui - le mois de juillet de l'année chrétienne 2010, et il va encore se passer quelque chose d'extra-ordinaire : une profusion de festivals, journées, soirées, salons où vont se côtoyer, se frôler, se frictionner, s'électriser livres, auteurs, éditeurs, lecteurs...

Il faut dire avant toute chose qu'Île Rousse (L'Isula, si dice cusì, no ? L'Isula Rossa, L'Isula... L'Isula, pocu nome di cità !) est en train de devenir - après Porti Vechju (Porto-Vecchio en langage international) - un des centres du monde littéraire corse :

- dernièrement, ce furent les "Journées du livre et de la chanson corse" (les 30 et 31 mai 2010), avec de nombreux éditeurs présents (je me souviens d'un article de "Corse-Matin" donnant la parole aux éditions Cismonte è Pumonti qui vendent de plus en plus par Internet).
- aujourd'hui même ont eu lieu les premières "Rencontres historiques d'Île Rousse", organisées par Dominique Taddei (co-auteur d'un récent et très attirant "Les pères fondateurs de la Nation Corse"). L'article dans "24 ore", signé Sandro Piscopo-Reguieg, nous informe que ces Rencontres seront consacrées chaque fin de mois de juin au XVIIIème siècle, la "grand siècle corse". Voir ici le programme, sur le site de l'Outil culturel de la CTC. Ces rencontres donneront lieu à publication, apprend-on encore, dans le cadre d'une nouvelle collection aux éditions Albiana. Alleluia.

Revenons à nos moutons ! Les livres corses au soleil du mois de juillet.

Dans l'ordre du temps qui passe :

1 - Porto-Vecchio, le deuxième numéro du Festival "Lire au soleil". Quand ? Du 2 au 4 juillet 2010 (c'est cette semaine !). Le programme ? Le voici :

Vendredi 2 juillet
19 heures : Table ronde « Transcendance : besoin ou nécessité ? »
avec Frédéric Lenoir, Régis Debray et Marie de Hennezel.
Centre culturel.

Samedi 3 juillet
11 h 30 : Conférence « Initiations »
avec Alain Pozarnik et Philippe Cornu.
Centre culturel.
14 h 30 : Conférence « Comment Jésus est devenu Dieu »
Frédéric Lenoir.
Centre culturel.
15 h 30 : Table ronde « L’écriture féminine existe-t-elle ? »
avec Bellinda Cannone, Cécile Ladjali, Anne-Marie Garat,
Marie-Hélène Ferrari…
Centre culturel.

16 à 20 H : Dédicace de tous les auteurs présents au festival. Centre ville.


Dimanche 4 juillet
11 H : Table ronde « Territoires littéraires »
avec Fabienne Juhel, Simonetta Greggio, Marie-Hélène Ferrari…
Centre culturel.
11 H 30 : Apéritif-dédicace au Verbe du Soleil.

Les auteurs invités à qui vous pourrez faire la bise ? :

Frédéric Lenoir, Guillaume Musso, Régis Debray, Alain Pozarnik, Eliette Abécassis, Marie de Hennezel, Marcu Biancarelli, Fabienne Juhel, Bélinda Cannone, Cécile Ladjali, Philippe Cornu, Raphaël Lalhou, Christian Estèbe, Luciano Melis, Marie-France Etchegoin, A-Mathieu Mezzadri, Frédéric Federzoni, Nino, Marie-Hélène Ferrari, Jean-Pierre Orsi, Anne-Marie Garat, PHD, Sylvie Gracia, Jocelyne Sauvard, Simonetta Greggio, Arlette Shleifer

2 - A Ajaccio - "Aiacciu, Aiacciu, ta tala tala tala tala tala !" - accueillera pour la quatrième fois, le "Festival du polar corse et méditerranéen", les 9, 10 et 11 juillet 2010, avec 40 auteurs, des rencontres/dédicaces, certes, mais aussi et surtout des débats autour du polar et la remise du prix du 2ème concours de nouvelles policières en langue corse. C'est l'association Corsicapolar qui organise le tout, voir sur leur site, bien sûr. Toujours sur la Place des palmiers (Foch).

3 - A Ajaccio, encore : les 16 et 17 juillet 2010, les traditionnelles Journées des éditeurs corses, avec des livres et des auteurs et des éditeurs et du soleil, bien sûr (j'essaierai même d'être présent, si si, avec "Eloge de la littérature corse" sous un bras et "Un lieu de quatre vents" sous l'autre, nous pourrons en parler si vous le voulez et ce, sans obligation d'achat !). Toujours sur la Place des palmiers (Foch).

4 - A Bastia, un tout nouveau "Salon du livre corse", le 24 juillet 2010, sous l'impulsion de l'Operata Culturale, au Théâtre de Bastia, pendant trois jours : dédicaces avec une soixantaine d'auteurs (il est même prévu que j'y sois !), des lectures, des tables rondes, des entretiens et présentations, un jeu de piste...

Mais comment trouver le temps d'aller à la plage ?! Stop à l'inflation ! Jusqu'où irons-nous ? U troppu stroppia, no ?

AJOUT DU 29 JUIN 2010 : Trêve de plaisanterie, car abondance de biens ne nuit pas en ce domaine ! Je consulte le forum de Musa Nostra qui me conduit à cliquer sur la rubrique AGENDA, je vous engage à en faire autant, vous apprendrez avec plaisir où et quand vous pourrez rencontrer Jacques Fusina, Gabriel Diana et tant d'autres écrivains et artistes au cours de ce mois de juillet : cliquez ici

Le retour de Jérôme Ferrari, dans un nouveau format (et avec un nouveau roman...)

Voilà, je viens de comprendre à quoi sert ce blog : à exposer ses obsessions, ses sujets de prédilection, à y revenir, sans cesse et encore, de toutes les façons. Un peu comme quand le quotidien nous conduit à vouloir communier tous les jours en accommodant différemment le même aliment (les patates par exemple, ou les pâtes).

Alors, vous comprendrez le plaisir que je ressens à recevoir un message contenant un morceau de livre corse ! Et en plus c'est extrait d'un roman de Jérôme Ferrari ! Et pour couronner le tout : cet extrait est choisi par Emmanuelle Caminade !

(Pour ceux et celles qui trouveraient que ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent ici, je tiens à les engager à 1) le dire, 2) proposer d'autres auteurs et d'autres livres. L'idéal ? Que je puisse ne faire que "publier" vos pages préférées, tout cet été au lieu d'essayer de lire des livres introuvables, ou illisibles, ou médiocres ou les trois à la fois !)

Allez, je laisse la parole à la lectrice et à l'écrivain (avec, en rouge, mes réactions) :

Un Ferrari en poche !

Dans le secret va sortir en poche dans la collection Babel au mois d'août (youpi !, à quand une traduction en anglais ?).

(Dans le secret, Jérôme Ferrari, Actes sud (Babel n°1022), 25 Août 2010 192 p ISBN 9782742792993 )

Bonne nouvelle, car cela donne un indice réconfortant sur la notoriété (qui ne dit rien de la qualité de l'oeuvre) de l'auteur et permettra à un large public (j'espère !) d'accéder à ce magnifique (oui, oui ! Mais je connais plusieurs personnes qui préfèrent "Aleph zéro", de loin) roman.
Un roman qui fait d'ailleurs partie des livres préférés de FXR (Eh oui, vous pouvez le lire comme moi sur son profil... - Tiens, je l'avais complètement oublié, celui-là et ce n'est peut-être pas mon meilleur profil...) et dont il s'est pourtant bien gardé de nous faire partager un extrait sur ce blog (quoi ? comment ? on m'attaque ? ouh là là ! ouh là là !...).
L'exemple ne serait-il pas plus incitatif que les exhortations ? - proposition tout à fait discutable ! (J'aime te pousser dans tes retranchements, François, - je vois, je vois ! - et sais bien que tu en tires un plaisir masochiste ! - je suis percé à jour ! aïe aïe, ça va finir sur Facebook...)
C'est l'occasion pour moi d'en copier un passage qui me touche beaucoup – sans commentaires pour une fois (enfin !) - , ce qui ne dispense pas l'animateur de ce blog de consentir à nous proposer un de ses extraits préférés (et en plus, on se paye ma bobine ! mais, comme je le disais précédemment, "où on va là ?")...

EXTRAIT n°2 ( p. 48/50 dans l'édition de 2007)

(...)
-Es-tu déjà allé en Sardaigne ? demanda-t-il un jour à l'enfant.
-Non, répondit l'enfant.
-Il y a là-bas, poursuivit Guido en polissant une plaque d'étain, une ville qui s'appelle Castelsardo et dans laquelle se trouve une très célèbre et pieuse confrérie. Mon père m'y amena quand j'avais à peu près ton âge et j'y vis l'oeuvre de Dieu.
- L'oeuvre de Dieu ?
- Mais oui, son oeuvre même. C'était pour le Vendredi saint, quand nous pleurons la mort de Notre-Seigneur Jésus avant de fêter sa résurrection. Les confrères chantent, ce jour-là, qui est pour eux un jour sacré entre tous, peut-être plus que Noël que nous célébrerons bientôt. Ils chantent le psaume cinquante Miserere mei Deus, en polyphonie, à quatre – ces quatre-là sont choisis par le prieur et c'est l'honneur de leur vie. Et sais-tu ce que j'ai entendu ?
-Non, dit l'enfant plein de curiosité, dites-le moi.
- Eh bien, ils étaient quatre à chanter mais j'ai entendu, et tous les chrétiens réunis ce jour-là l'ont entendu comme moi, une cinquième voix ...
-Est-ce possible ?
- Je l'ai entendue. Tu as confiance en ma parole ?
- Oui, oui, bien sûr.
- C'était une cinquième voix qui planait bien haut au-dessus des autres. Les confrères la nomment sa quintina. C'est une voix d'une pureté bien au-delà des capacité de l'homme, déchu et cependant pas tout à fait abandonné. Et pourtant, sais-tu ce que raconte le psaume ?
- Non, je ne m'en souviens pas.
- C'est le chant du roi David qui demande pardon à Dieu pour un très grand péché qu'il commit lorsque son âme fut ensorcelée à la vue d'une femme nue se baignant sur un toit dans la nuit de Jérusalem et qu'il la convoita au point d'envoyer son époux légitime à la mort, afin de s'unir à elle. C'est de cela qu'il demande pardon dans ce psaume, c'est pour cela qu'il implore la pitié de Notre-Seigneur et c'est une telle confession qui fut, ce jour-là en Sardaigne, comme agréée par la voix angélique dont je te parle. Comme si Dieu demandait pardon avec lui.
- Et moi, je ne pourrai pas l'entendre ?
Guido se mit à rire en caressant les cheveux de l'enfant. Il s'accroupit près de lui.
- Quand un accord est parfait, cette voix se fait entendre.Si nous réparons cet orgue comme il le faut, si nous travaillons bien, alors, quand je poserai mes mains sur ces quatre touches, là, tu entendras toi aussi la cinquième voix. Mais il faut que tout soit parfait, veux-tu que nous essayions ?
L'enfant répondit oui.
- La musique n'est qu'un ornement de la foi - un ornement extrèmement utile et précieux- mais elle n'est pas la foi, dit le prêtre en reniflant avec force. Elle aide les âmes simples à se représenter la Majesté de Dieu, mais elle n'a en elle-même aucune valeur.
Guido posa ses outils et s'adossa au mur pour répondre.L'enfant vint s'asseoir à ses pieds.
- Je ne crois pas, dit-il. Aucune âme n'aurait l'idée de Dieu ni la force de considérer cette idée sans la musique. Personne n'aurait l'idée de la rédemption. Si vous ne le pensez pas, à quoi bon faire réparer cet instrument ?
- Je vous l'ai dit, les âmes simples, peu faites pour la méditation...
- Non, coupa Guido. Sans la musique, il n'est aucun contact possible avec Notre Créateur, il n'est aucun langage commun, aucun lien. Rien que l'abandon et la chute. A cet égard, il n'est pas légitime de distinguer entre les âmes simples et celles qui ne le seraient pas. Nous sommes tous infiniment dépassés.
- Si bien que votre ministère est plus sacré que le mien , ironisa le prêtre.
- Je ne prétends pas cela. La musique est la prière parfaite. C'est ce qu'elle est. Parce qu'on ne la comprend pas. Parce qu'elle ne dit rien. (...)

Un dernier mot..., je cherche le lien vers ce livre dans la collection de poche d'Actes Sud et, en cherchant, :
- je ne le trouve pas ! (et vous ?)
- par contre, je trouve ce dont ne parle pas Emmanuelle (incroyable !) : la parution, pour le même mois d'août 2010, du NOUVEAU roman de Jérôme Ferrari, "Où j'ai laissé mon âme" !
- et, sans rancune, je renvoie vers le billet d'Emmanuelle consacré à "Dans le secret", sur son blog

Bonnes lectures à tous !

jeudi 24 juin 2010

Quale hè chì l'hà scrittu issu testu ?

Attenti, ci hè una trappula !

Ind'è un anzianu articulu aghju parlatu di u piacè di e liste (l'enumerazione di i nomi). Eccu issu strattu (quandu l'aghju lettu, m'hà piaciutu da veru issu passagiu - ancu sè u libru sanu ùn m'hà micca elettrizatu).

In tempos de iscola, in maju e finas in làmpadas, colaiat dae su Litzeu, colaiat in su Mercadu, lòmpidu in dae in antis de San Ghjuvà, pigaiat a manca pro s'iscalighedda, atraessaiat sa Marina finas a s'Ochidòrgiu, colaiat in su Ponteddu, isbucaiat a su de Gabè, si l'avantzaiant duos soddos si firmaiat in ue Peppina a si comporare unu sanglìsciu, colaiat a suta de sas Lògias, andaiat finas a Santa Maria, lompiat a Ghjostru, falaiat a sa Pudriera finas a su bastione de pedra. In cuddae l'isetaiant sos cumpàngios. Dae cue subra b'aiat unu panorama fenomenale : Portu Vechju, Ficaghjola, U Tufò, L'Arinella, Chjurlinu e finas a Punta d'Arcu. Dae in pitzu de su batsione, abidende in giru, poscas bi fiat A Culonna, sa roca chi mantenant sa muràllia de Citatè. Prus a tesu, sa roca manna chi marcaiat su printzìpiu de s'oru de su mare in ue sa gente faghiat su bagnu, fiat su Scugliò. Una chimbantina de metros prus a cuddae, b'aiat A Zecca, e a pustis su Fasgiolu, poscas beniat su Paradisu, e a sa fine A Buca d'Infè chi marcaiat sa fine de Portivechju e su cumintzu de Fiacghjola. Cando in s'oru de su mare b'aiat gente a muntone e fiant seguros de fàghere s'ispetàculu in dae in antis de unu pùblicu numerosu, tando, sos galliofos si preparaiant a brincare dae su bastione de pedra, a bintoghimbe o trinta metros prus in artu de s'abba.

AJOUT DU 25 JUIN 2010 (après la bonne réponse de Francesca, voir les commentaires) : la version corse originelle de l'extrait en langue sarde donné plus haut... (Voir les ouvrages ici, "L'ùltima pàgina" de Georges de Zerbi et sa traduction en sarde, "S'ùrtima pagina")

In tempu di scola, di maghju è po' di ghjugnu, cullava da u Liceu, passava per u Mercà, ghjuntu davanti à San Ghjuvà, pigliava à manca per a scaletta, traversava a Marina finu à l'Ammazzatò, cullava per u Puntettu, sbuccava à a Gabè, s'ellu l'avanzava dui soldi, s'arrestava ind'è Peppina à cumprassi un sanglisciu, passava sottu à e Loghje, andava finu à Santa Marì, ghjunghjìa o Ghjostru, falava à a Pudriera sinu à u rampà di petra. Custì, l'aspettavanu i so amichi. Da quassù, si avìa una vista strepitosa : Portu vechju, Ficaghjola, U Tufò, L'Arinella, Chjurlinu è sinu à Punta d'Arcu. Da l'altu di u rampà, à guardà inghjò, sùbitu, c'era A Culonna, u scogliu chì tene a muraglia di Citatè. Più luntanu, u grande scogliu chì marcava u principiu di a batticcia induve a ghjente facìanu u bagnu, era U Scugliò. Una cinquantina di metri più in là, c'era A Zecca, è po' U Fasgiolu, dopu venìa U Paradisu, è finalmente A Bocca d'Infè chì marcava a fine di Portivechju è u cummenciu di Ficaghjola. Quandu a batticcia burlicava di ghjente è chì si era siguri di fà u spettàculu davanti à un pùblicu numarosu, tandu, i sgaiuffi s'appruntàvanu à saltà da u rampà di petra chì supranisce l'acque vintincinque o trenta metri.

De la littérature sur les murs : "Bitton et Zonzon", "Gloria à tè Marcu Biancarelli", etc. etc.

Lu ceci, hier, dans "Le tag en Corse. Analyse d'une pratique clandestine", de Pierre Bertoncini (chez L'Harmattan, 2009) : trois pages consacrées à de singuliers graffitis, faits à Corte, autrefois. Le temps passe, le temps passe... mais nous avons peut-être là le récit des origines de la nouvelle littérature corse ! Celle qui a commencé au coeur de ces terribles années 1990...

(Ce billet fait ainsi écho à un précédent qui évoquait le premier ouvrage du même auteur).

Des séries de graffitis non signés sont posées dans un but humoristique sur le campus. Leur style proche des private joke les rend parfois difficilement identifiables. J'estime que nombre d'entre eux n'ont pas été recensés mais existent bel et bien. Depuis 1997, j'ai vu quelques graffitis de cette catégorie à Corte. Tout en les décrivant, j'indiquerai pourquoi je les interprète comme étant le fait d'étudiants.

En 1998, tandis que dans les kiosques à journaux le magazine humoristique insulaire A macagna commence à connaître un succès de vente, Corte est à ma connaissance la seule ville qui porte plusieurs sortes de graffitis montrant un conflit entre ces deux noms : Bitton et Zonzon. Zonzon apparaît sous la forme d'un pochoir, d'un "Z" encerclé, du nom écrit en toutes lettres. Bitton apparaît sous la forme d'une figure barbue peinte au pochoir. On voit un "B" encerclé ou le nom écrit en toutes lettres. Un combat entre les deux séries de graffitis est visible en plusieurs lieux de Corte. Parmi eux, des bâtiments de l'université ou des couloirs de cités universitaires confortent l'idée qu'il s'agit de graffitis étudiants. La lutte se fait par l'inscription de "Antizonzon" ou de barres de censure accompagnées de la pose du graffiti concurrent. Le tragique est inclus dans cette lutte quand on lit "Zonzon sempre vivu". L'hypothèse que je formule pour interpréter ces messages énigmatiques est la suivante. Il y a un souci de démonstration de maîtrise du langage graffitique. Le nom d'un groupe, son initiale inscrite dans un cercle, l'usage de slogans, la confection de pochoir, c'est une marque de sérieux. Ce sérieux ressemble aux moyens techniques employés par les bombeurs partisans de mouvements armés clandestins nationalistes. Corte à ce moment marque de nombreuses traces graffitiques des divisions parfois tragiques entre mouvements nationalistes. L'absurdité de la lutte entre Bitton et Zonzon visible sur des sites graffitiques portant déjà d'autres graffitis semble être une satire graffitique de ce qui est compris comme l'absurdité des luttes internes aux organisations nationalistes.

Durant la même période, je recense des graffitis se référant à la célèbre série de dessins animés visibles sur les écrans français à partir de 1990, "Les Simpson". La tête du père de la famille Simpson est bombée en deux lieux. La première pièce est muette. La seconde porte en légende : "Homer rè di Corti" (Homer, roi de Corte). Ce personnage symbolisant un certain conformisme social, on a affaire ici à une satire de la société cortenaise. Un dessin de Bart Simpson est bombé quant à lui près du stade municipal avec un "pétard" entre les lèvres. Dans cette même période, est éaglement bombé à Corte un "Tony Montana nique la police, NTM". J'estime que cette autre référence à la culture américaine n'est pas le reflet d'une volonté d'émettre un discous humoristique. L'interprétation de ce bombage reste difficile à mener. Deux ans plus tard, je rencontre deux exemplaires de "51-69, ma vie". Ces séries sont posées dans le centre-ville. Il est impossible d'affirmer qu'il s'agit de graffitis étudiants. La forte probabilité qu'ils le soient justifie leur présence dans ce paragraphe. Tandis que des slogans politiques sont marqués par l'idée de sacrifice, l'environnement social est considéré comme conformiste par les auteurs de ces séries. Dans la période où Scarface (De Palma, 1984) a atteint le statut de classique et que le film Trainspotting (Boyle, 1996) devient un film culte pour une partie de la jeunesse (j'en vois l'affaiche sur un mur de chambre d'étudiant cortenais), le sexe, l'alcool, la toxicomanie érigés humoristiquement en valeurs de référence apparaissent sans doute à certains bombeurs comme une alternative salutaire.

En décembre 2001, dans un entretien informel, j'apprends que des graffitis atypiques déjà effacés ont été vus à Corte. Parmi ces messages apparaît "Gloria à tè Marcu Biancarelli". Fin 2002, en entretien, un étudiant me donne des informations très précises sur cette série. Il ne me dit pas qu'il en est l'auteur mais affirme connaître celui-ci. La richesse de son témoignage, alors que selon lui la durée de vie de ces graffitis n'a pas dépassé les vingt-quatre heures, est cependant troublante. Ces bomabges n'ont jamais été vus directement. Le discours qui m'a été tenu à leur propos dès la fin 2001 m'a conduit à considérer comme plausibles les informations recueillies lors d'un seul entretien. L'observation, à Caraman, sous un carré blanc, de "Sigmund cu'noi" (Sigmund avec nous) conforte cette position. Les pièces bombées seraient donc : "A populu fattu, bisognu à chjavà" (Un peuple souverain doit baiser), cazzi diritti è muzze in fronte (bites dressées et chattes en avant), Sigmund cu'noi, i Pueti nutambuli di a notte, gloria à tè Marcu Biancarelli, campà per chjavà (vivre pour baiser), libertà per Marcantei, simu muti mà ùn saremu mai zitti (on se tait mais on ne se calmera jamais), i talibani fora". Les bombages sont décrits comme réalisés par des "fils de la contre-culture corse". La motivation de leurs auteurs serait un but "de rupture avec le pas des bottes cadencées. arrêtons de glorifier et sanctifier un combat inutile". L'analyse de ces graffitis permet de faire émerger qu'ils ont comme point commun (comme cela avait été observé avec "Bitton sempre vivu") la récupération, le détournement de formules graffitiques nationalistes. La création d'effet comique est semble-t-il une volonté identifiable dans tout le corpus. La référence à Freud est explicite. De Paoli à Yvan Colonna, en passant par le FLNC en général, il y a, si l'on se réfère à la citation de Freud, l'expression d'une volonté de mise à mort symbolique du père.

Les différentes séries de graffitis humoristiques décrites partagent ainsi des traits communs. Le premier est le détournement de caractéristiques formelles ou discursives des graffitis nationalistes qui sont en position de quasi-monopole sur la cité cortenaise. Ce détournement met en valeur ce que le combat nationaliste a pour certains bombeurs d'absurde, voire de stérile. Par la référence à la sexualité, à la création artistique, à la consommation d'alcool et de stupéfiants, donc à des moyens d'atteindre la sensation de jouissance, l'impasse que représente aux yeux de leurs auteurs certaines formes de lutte nationaliste est mise en évidence.

mardi 22 juin 2010

Un récit de lecture : Emmanuelle Caminade et Joël Bastard

Alors, ça y est, la nouvelle tant attendue vient de tomber sur tous les telex, le monde entier bruisse de cette information qui va bouleverser nos façons de penser, notre avenir, le sens même de la vie humaine :

Emmanuelle Caminade - c'est-à-dire, une lectrice de littérature corse parmi les plus vivaces (voir son blog - L'or des livres - où vous trouverez des notes de lecture précises, enrichies d'extraits sur de nombreux auteurs, notamment corses) - Emmanuelle Caminade est de retour, et elle n'est pas contente.

Et elle l'écrit ! Et elle compte sur moi pour propager les ondes de sa saine colère ! Et elle sait combien je fais tout ce qu'on me demande de faire !

Eh bien, pour vous ce soir, en exclusivité, avant tous les autres blogs et sites littéraires corses, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, voici de nouveau parmi nouououououous, le criiiiiiiiii du coeuoeuoeuoeuoeuoeuoeuoeuoeuoeurrrrrrrrrrrrrrrr d'Emmanueeeeeeeeeeeeeellllllllle !

(Merci infiniment à elle !)


Je reviens pour parler Littérature et plus particulièrement Poésie avec Casaluna de Joël Bastard (qui mérite bien ses majuscules !)
Je sais, François, que tu es d'une curiosité insatiable et t'intéresses à toutes les littératures relevant de l'imaginaire corse (c'est une constatation, pas une critique !)

Alors j'attaque franco - ce qui ne relève nullement chez moi de l'agressivité :
Pourquoi n'y a-t-il sur ce blog aucun billet consacré à Casaluna ?
Parce qu'il est publié chez Gallimard ? Parce que Joël Bastard ne vit pas en Corse mais dans le Jura ou qu'il n'est corse que par sa mère ? Parce qu'il a trop de talent et pourrait faire de l'ombre ? Parce que sa gueule ne te revient pas ?
Je ne sais pas trop quelle raison idiote inventer pour expliquer cette absence inexcusable !
Car Malko Nimu t'as cité ce poète dans un commentaire de février et tu t'es déclaré curieux de le découvrir, car, surtout, je t'ai prêté ce recueil fin mai et que, vraiment, il est rapide à feuilleter...
Si tu l'as regardé et que tu n'as pas été accroché, pourquoi ne pas émettre une critique négative, toi qui les appelles sans cesse de tes voeux ?
Sinon, où est passée ta curiosité ?

Je me contente de citer un très court poème qui m'enchante, laissant aux amateurs de poésie, nombreux sur ce site, le soin d'en proposer d'autres (Malko Nimu, si vous ne voulez pas qu'on continue à s'ennuyer sur ce blog, il faut aussi y mettre du vôtre ! )

p. 87


Les mains calleuses du berger sous le jet d'une
fontaine. Bol de grès pour un sein d'eau claire.
Le poids renouvelé de l'absence à porter en
bouche. La fraîcheur du manque.



J'aime cette langue précise, concise, travaillée, certes, mais pour atteindre la simplicité de l'épure. Elle fait jaillir, avec une belle économie de moyens, une succession d'images et de sensations. Lumineuse nostalgie.


Pour prolonger cet écho de "Casaluna", voir ici le billet d'Emmanuelle Caminade sur son propre blog (avec cinq autres extraits et un commentaire !).

lundi 21 juin 2010

Lecture en cours : "Le premier regard", Marie Susini

Il allait partir à la poubelle ce livre.

Une fois récupéré (bardé de tampons "CDI du Lycée Vauvenargues / Aix-en-Provence" et d'un autre, en rouge, "EXCLU DES COLLECTIONS" et de dates (10 mai 1993 ; 14-12-93 ; 28-03-95 ; 3 mai 2010), il se retrouve dans mes mains, repris une énième fois ce soir, après plusieurs tentatives, certes peu vigoureuses et infructueuses pour l'entamer.

Que lire ? Que lire ? Pourquoi ce livre ?

(Je crois que me taraude la question de l'oeuvre ("non corse" ; ici "Le premier regard", 1960, au Seuil) d'un auteur ("notamment corse", Marie Susini) et de son rôle dans la "littérature corse"... Mais qui a inventé les "guillemets" ?!)

Donc, lecture en cours... et que se passe-t-il ? Comme souvent (mais pas toujours, pas toujours), un passage du livre (pages 26 et suivantes de cette édition de poche en Points Seuil, datant de 1988), un moment de son flux, du fleuve de sa narration, m'emporte.

Je livre ici ce passage, je reviendrai plus tard sur le livre dans son ensemble, je plonge à nouveau.

C'était pas encore la nuit quand je l'ai rencontré, mais c'était déjà plus le jour vu qu'il n'y avait pas longtemps que j'étais sorti de chez Antonio. C'est pourquoi je ne m'en suis pas aperçu tout de suite. Et puis après on a commencé à marcher comme ça, l'un devant l'autre, moi devant, et alors j'ai pas pu me rendre compte. Bien qu'à présent je me demande comment diable j'ai pas vu tout de suite qu'il ne tenait pas sur ses jambes. Dès le premier moment où je l'ai rencontré. Quand il est passé tout près de moi sur la route avec son tricot rouge et sa valise ficelée sur l'épaule. Et qu'il m'a dit : Compagnon ! Comme à un homme. Tout comme à un ami. Et alors moi, je l'ai suivi. Une fois même je me suis arrêté pour lui demander s'il ne voulait pas me donner quelque chose à porter de tout le barda qu'il avait sur l'épaule et je me suis bien retourné pour lui parler mais j'ai pas pu voir, ce coup-là non plus, qu'il était saoul, à cause que c'était alors la vraie nuit. Et pour de bon. Parce que je suis fort malgré ma taille, oui, je pourrais quand même vous porter un peu de tout votre machin. C'est là qu'il m'a demandé si j'allais à l'école. Et je lui ai dit que non. Que je travaillais chez Antonio à faire des paniers en osier. Et pourquoi ? qu'il m'a fait. Là je lui ai expliqué que c'était une longue histoire. Pour vous la faire brève, c'est que je ne comprenais rien à rien. Alors au bout d'un moment, il m'a dit : Tu sais écrire ? Et je lui ai dit la vérité. Ah ! qu'il m'a fait. Remarquez je sais lire. N'empêche, qu'il a dit brusquement. Et puis plus rien. Alors moi, je voulais savoir et je lui ai demandé : N'empêche quoi ? Et lui : Il vaudrait mieux que tu ailles encore à l'école. Sa voix, sûr qu'elle m'avait frappé tout de suite. Oui, j'ai jamais compris comment une voix douce de femme pouvait sortir d'un homme tellement grand. Et aussi qu'il ne respirait pas comme tout le monde. Il avait tout l'air d'avoir un sifflet dans le corps. Alors voilà qu'au bout d'un moment il me demande encore une fois pourquoi je n'allais plus à l'école. Je pensais qu'il avait oublié mais il y tenait. Alors je lui ai dit : C'est rapport à la Sardaigne. Là j'ai compris qu'il s'était arrêté de marcher. À sa voix je l'ai su. Elle était très loin de moi quand il m'a demandé tout comme si je venais de lui dire que je débarquais d'Amérique : La Sardaigne ! Tu dis, la Sardaigne ! Je me suis arrêté de marcher, moi aussi, et on n'y voyait rien de rien, même pas une ombre. J'ai eu peur tout d'un coup et j'ai crié : Eh là, où vous êtes ? Il m'a fallu un bon bout de temps avant de le trouver dans tout ce noir. Mais voilà que je l'ai entendu cette fois tout près de moi qui disait : La Sardaigne ! Mais pourquoi la Sardaigne ? Il avait dû courir pour me rattraper. Avec le ravin qu'on avait un moment, là, tout près de nous, à gauche. J'en ai froid dans le dos quand j'y pense, et maintenant que je sais qu'il était saoul. Comment a-t-il pu faire pour s'en sortir ? Alors je lui ai demandé : Vous n'avez pas une corde ? Et voilà qu'il se met à rire : Une corde ? Oui, que j'ai fait, vous n'avez pas une corde dans votre barda ? Et lui : Qu'est-ce que tu veux faire avec une corde ? Parce que comme ça on serait attachés ensemble, que je lui ai dit, et on marcherait ensemble parce que l'un à côté de l'autre on ne peut pas, le chemin est trop étroit pour deux. Tandis que si on est attachés ensemble avec la corde, on sera mieux pour marcher l'un derrière l'autre. Alors il m'a demandé : Tu as peur ? Non, que j'ai fait, c'est pas ça. Mais peut-être bien que j'avais peur parce que j'ai continué : Si on se perd, comment est-ce qu'on va faire pour se retrouver dans tout ce noir ? Tandis qu'avec une corde, attachés ensemble, c'est pas pareil. Même si je m'étais collé tout contre lui, j'aurais seulement pas pu trouver où étaient ses yeux, on y voyait pas plus clair que dans le fond de la cave. Mais il m'a pas répondu. Peut-être bien qu'il n'en avait pas de corde ou qu'il ne voulait pas être attaché. Je l'entendais qui respirait en sifflant plus fort parce que le chemin montait. Remarquez, que je lui ai fait, peut-être que la lune va se décider à sortir. D'habitude, il y a la lune et les étoiles et tout. Quand je reviens du cinéma avec ma mère, même si c'est la vraie nuit comme à présent, n'empêche, on voit bien où on met les pieds. Ça n'ai jamais été si noir. Et alors voilà qu'il n'a plus parlé. Comme si ça ne l'intéressait plus. Et puis enfin la lune est sortie quand on était sur la route. Et moi, j'ai pu penser tout mon saoul à ma mère.
(...)

Le narrateur est ici un enfant fugueur, retrouvé en compagnie de jeune homme saoul, près de l'Arno à Florence.

dimanche 20 juin 2010

Comment ça fonctionne ici (5) : Alechinsky et Bonnefoy

J'ai été émerveillé par les peintures d'Alechinsky, vues au Musée Granet, à Aix, hier. Très ému par son usage d'un noir profond troué des taches blanches des étoiles, notamment dans la toile nommée "La mer noire" (attention ce tableau fait 303 sur 238 !).

Je l'ai maintenant en carte postale. Sur ma porte d'entrée.

Mais j'ai aussi - et encore sous les yeux tandis que j'écris ces quelques mots - le texte écrit par Yves Bonnefoy à propos de la série des "traversées", publié en 2009 chez Fata Morgana.

J'en ai ouvert les pages avec un couteau (Laguiole) qui m'avait été offert, il y a déjà quelques années (j'étais à Ajaccio, me semble-t-il, hébergé comme en famille, chez Lucie et Marie-Jeanne, que j'embrasse).

Et ma mère me disant, "Mais il faut que tu envoies une pièce de monnaie !"

Un couteau ouvre les pages d'un livre mais peut couper le lien d'amitié.

Il y a toujours des risques à couper quoi que ce soit. Ou un intérêt.

Enfin, à la toute dernière page du livre de Bonnefoy, il y a un dernier paragraphe, que je vais citer ici ; j'aime que l'auteur convoque son passé le plus intime pour le mettre en balance avec la singularité d'un art, et d'un artiste ; j'aime ce "Mais ce ne sont pas..." suivi d'un "mais bientôt le temps...", et d'un "Quant aux tableaux..." prolongé par une série émouvante de minuscules chevilles : "Et je les voyais... et je crois... et des nuits... et entrant... et pour notre bien..." ; j'aime ce regard ami cherchant à dire ce que contient de courage la trace laissée par le peintre.

Et puis dans cette nuit trouée de blancs je vois le voyage paternel vers la ligne de front du 38ème parallèle. Et d'ailleurs Alechinsky a dédié ce tableau à la mémoire de son propre père.

Et puis je pense à tous ces fragments, tous ces ossements littéraires corses, assemblés ici en un cortège improbable et mal fagoté (car enfin, tous ces livres méritent une toute autre attention ; mais quand donc profiterons-nous d'une critique enfin digne de ce nom dans ce pays !?)... Ce n'est certainement pas en vain, comme dit Stevenson (quelque part).

Voici les derniers mots d'Yves Bonnefoy :

Je me souviens d'une après-midi dans l'atelier d'Alechinsky. Nous regardions les Traversées ; et à cause de la nuit d'encre, de cette vague et de ces étoiles également effrayantes, de tant de solitude pour le frêle petit navire au sommet ou au creux de l'eau, penché, luttant, je pensais à un livre que je voyais de loin - d'en bas - quand j'étais enfant dans l'étroite bibliothèque vitrée, fermée, de mon grand-père : l'Histoire des naufrages, dix volumes ! Mais ce ne sont pas des naufrages qu'Alechinsky représente, ou s'il en évoque, ce n'est pas plus souvent que l'histoire de la navigation ne le veut. Le steamer dont il suit le voyage dans le Volturno est tout de suite ou presque dans la tempête, mais bientôt le temps s'améliore, avant de revenir à nouveau à des jours assez terribles, et aux dernières nouvelles la traversée continue. Quant aux tableaux, à ces grands tableaux des années récentes, il y en avait donc plusieurs, ce jour-là, devant nous, sur des chevalets à roulettes, que Pierre Alechinsky faisait avancer un à un, les autres restant à proximité, une vraie flottille. Et je les voyais, et je crois qu'on peut bien les voir, comme eux-mêmes des navires se rassemblant, après des jours et des nuits de mer violente ou étale, et entrant enfin, et pour notre bien, à bon port.

vendredi 18 juin 2010

Le livre de l'été est arrivé : "Eloge de la littérature corse"

Quelle idée de vouloir publier l'intégralité des 61 premiers billets de ce blog (qui en comporte maintenant 277) ainsi que les 200 et quelques commentaires qui les accompagnent ?

Pour satisfaire une vanité d'auteur que personne ne trouvera incongrue ? Pour le plaisir d'encombrer des tables de librairies avant d'échouer sur des étagères qui n'en méritaient pas tant ?

Non, bien sûr !

Ô cher Livre, va, vis ta vie et joue ton rôle aussi bien que tu le pourras ! Quel rôle me demandes-tu ? Eh bien, celui de déclarer sur de solennelles feuilles en papier l'existence et l'importance d'une littérature corse pour nous aujourd'hui... ou alors de permettre à n'importe quel lecteur de prononcer l'expression "littérature corse" sans trop provoquer autour de lui de petits sourires étonnés... ou alors... ou alors... enfin... ne sois pas trop présomptueux... si quiconque lisant quelques unes de tes pages, y prend quelque plaisir, tu seras bien payé en retour ! (À charge pour le lecteur en question de venir en parler sur ce blog !)

Je note ici un premier écho par Xavier Casanova, sur le blog Isularama, qui lance le débat (merci ; regardez aussi ici son analyse critique de l'édition des "Choniques littéraires" de Marie-Jean Vinciguerra aux éditions Piazzola, très instructive !)

Pour avoir accès au livre, publié chez Albiana, vous pouvez voir sur le site, et dans toutes les excellentes librairies de l'île et du monde qui l'environne...

Je signale tout de même qu'"Eloge de la littérature corse" comporte quelques passages inédits :
- une présentation
- la liste des commentateurs
- l'index des oeuvres et des auteurs cités
- et surtout une postface de Marie-Jean Vinciguerra qui fait (je trouve) une critique lucide de l'ouvrage et du blog tout en proposant une vue cavalière de la littérature corse !

mercredi 16 juin 2010

En vrac, tel un fantôme...

La littérature corse (n')existe (pas), la preuve :
- elle brûle (voir ici)
- elle est encore à venir
- elle est un fantôme (un fandoniu, cumu si dice ind'è u u Cavaglieri di Mirvella ; ou encore un "fantôme incertain", comme dit Pierre Bayard)

Alors, en vrac, dans ce maëlstrom illusoire qu'est la littérature corse, je pioche aujourd'hui ceci :

1. À Avignon, Monsieur Piazzola était là et proposait des livres corses à la vente : ce samedi 5 juin, j'ai acquis...

- "Ragguagli dell'Isola di Corsica (1760-1768)" (chez Piazzola ; édition critique de la Gazette de la Corse indépendante de Paoli, avec traduction en français, puisque c'est écrit en italien ; l'édition est établie par Antoine-Marie Graziani et Carlo Bitossi, ceux qui sont en train de publier la correspondance du Grand Homme Corse)... Mais quand est-ce que je vais avoir le temps de lire ces 700 pages ? (Et d'ailleurs, qui lira jamais ces 700 pages in extenso ? Qu'il se manifeste et qu'il raconte son périple !) Folie, folie, folie ! Il le faudrait pourtant, car j'ai envie de savoir si, au milieu des propos politiques, militaires, sociaux, l'abbé Rostini a pu glisser quelques "fables, formes, figures" propres à réveiller notre imaginaire contemporain !
Mais au coeur de la folie, tout de même, une notation qui me soulève d'aise - mi cantanu l'anghjuli, toujours adoré cette expression, rencontrée chez Coti (qui est aussi un écrivain de la Joie Profonde, non ?) -, oui, une notation qui me transporte chez les anges :

"Sur 64 numéros parvenus jusqu'à nous, vingt-sept ne sont connus que par un seul et vingt-trois par deux exemplaires, le numéro le plus connu a été répertorié six fois. Plusieurs facteurs ont concouru à la disparition des "Ragguagli". Les tirages furent relativement limités. En se basant sur la livraison du papier réclamé pour la publication de janvier 1764, François Flori a évalué le tirage à 250 exemplaires ; notre calcul atteindrait un tirage limité de 316 exemplaires.
Plus ou moins rapidement, selon les conditions de conservation, l'encre acide a altéré et pénétré le papier de médiocre qualité. Nous avons travaillé sur des pages très complexes à décrypter où le texte d'un recto ressortait au verso, l'encre ayant traversé l'épaisseur du papier."

SUBLIME ! Lire le recto et le verso en même temps ! Et le décryptage des historiens qui est peut-être totalement erronné ! Et pourquoi pas ? Ce livre est donc la "lecture" des Ragguagli - ancien discours de propagande, donc déjà sujet à caution, devenu illisible et rarissime - par Graziani et Bitossi au XXIème siècle. SUBLIME ! Mais cette littérature est vraiment faite pour moi ! Comment pourrais-je m'arrêter de nourrir ce blog ?

- autre ouvrage acquis à Avignon : les "Chroniques littéraires - La Corse à la croisée des XIXème et XXème siècles" (toujours chez Piazzola). Il s'agit de la réédition en recueil de 69 articles précédemment publiés entre 1975 et 2010 dans les magazines "Kyrn" et "Corsica". (Qui n'a pas chez soi quelques dizaines de "Kyrn" ?) Bon, évidemment, voilà l'ouvrage qu'il fallait pour s'éviter de remuer de la poussière et d'avoir à feuilleter des centaines de pages pour dénicher l'article de Marie-Jean Vinciguerra - car c'est lui l'auteur - qui proposait à chaque fois un point de vue original sur un auteur, un artiste, un livre concernant la Corse. C'est foisonnant, érudit, tendre ; les jugements sont acérés ; l'obsession est celle d'aller derrière les apparences pour mettre au jour les mythes et croyances qui fondent l'imaginaire corse (les Héros, par l'épée ou l'esprit ; la Femme ; le Pouvoir clanique ; la Vengeance ; l'Exil, etc.). L'ensemble constitue donc une anthologie nourrie de livres tout autant que de vies d'auteurs extrêmement divers (Rinatu Coti, Gian Paolo Borghetti, Agatha Christie, Apollinaire, Joseph Chiari (voir ici), etc...).
Evidemment, je relis avec joie l'article consacrée à l'amitié qui a uni Guillaume Apollinaire et Ange-Toussaint Luca (qui est de mon village ! Campile !). Ce dernier a écrit un livre de souvenirs à ce propos (il faut que je le trouve sur Internet et l'achète : voir ici ; histoire de...). Même si je trouve que le poème mentionné par Marie-Jean Vinciguerra, ne jouera pas un rôle immense pour nous aujourd'hui...

Enfin, c'est tout de même émouvant de savoir d'où viennent les châtaignes évoquées par Apollinaire dans "Rhénane d'automne" :

Des enfants morts parlent parfois avec leur mère
Et des mortes parfois voudraient bien revenir

Oh ! je ne veux pas que tu sortes
L'automne est plein de mains coupées
Non non ce sont des feuilles mortes
Ce sont les mains des chères mortes
Ce sont tes mains coupées

Nous avons tant pleuré aujourd'hui
Avec ces morts leurs enfants et les vieilles femmes
Sous le ciel sans soleil
Au cimetière plein de flammes

Puis dans le vent nous nous en retournâmes

À nos pieds roulaient des châtaignes
Dont les bogues étaient
Comme le cœur blessé de la madone
Dont on doute si elle eut la peau
Couleur des châtaignes d'automne

2. Je vois que l'association Musa Nostra a décidé de lancer l'idée de la construction d'une "Fontaine des Ecrivains", sur la place du marché à Bastia. Personnellement, je trouve que tout ce qui permet de parler des écrivains et livres corses est une bonne chose ! Et puis marquer le lieu au moyen d'un monument est une façon d'inscrire de façon solennelle la littérature corse dans le quotidien. Et puis une telle fontaine rappellera le superbe roman de Ghjacumu Thiers (vous n'êtes pas d'accord ?) qu'est "A Funtana d'Altea" (Albiana, 1990), qui est épuisé...
Eh oui, c'est assez incroyable mais nombre des textes et livres corses sont épuisés !... Alors, peut-être qu'avant de fabriquer la fontaine, il faudrait fabriquer la bibliothèque corse, non ? Mais bon, peut-être qu'une prise de conscience sera plus facile une fois que nous serons assis sur la fraîche margelle de cette Fontaine des Ecrivains ?
(Occasion aussi de rappeler que le numéro 25 de la revue "Bonanova" (à paraître en 2011 ?), sera consacré à "Bastia, ville littéraire").
En attendant, je rappelle que le site de cette association propose de nombreux comptes rendus et notes de lecture, notamment concernant les livres corses. Grâces leurs soient rendues. Rien que lors du dernier café littéraire à Macinaghju :
- "Genitori" (éditions Presses Littéraires) de Stefanu Cesari, par Marie-France (Je suis en train de le lire)
- "Teuf 2 Slam" (éditions A Fior di Carta) de V. Fondacci, par elle-même
- "Pépé l'anguille" (éditions Fédérop) de Sebastianu Dalzeto (traduit par François-Michel Durazzo), par Sébastien (je reconnais Sébastien Quenot sur la photo !) (Je suis en train de le lire : quelle puissance émotionnelle, même en français !)
- "Ô Corse, île d'humour" (éditions Le Cherche Midi) d'André Santini et Pierre Dottelonde, par Silke
- "Chronique des dômes" (éditions Clémentine) de Marie-Hélène Ferrari, par Pierre-Louis (Je l'ai, il faudrait que je m'y plonge !)

3. Et voilà...

Comment ça fonctionne ici (4)

Comme promis dans un précédent billet (je ne sais plus lequel), voici quelques lignes publiées par l'auteur de "Lettre à un otage", dans la revue "Harper's Bazaar", en avril 1941. Il y évoque les livres qui lui ont laissé un souvenir particulier... L'article est intitulé, "Quelques livres dans ma mémoire". C'est l'occasion pour moi de rappeler que sur ce blog chacun peut parler de "souvenirs de lecture"... Nous ne sommes pas obligés, ici, de proposer une vision claire et distincte du livre évoqué, car il s'agit aussi de voir comment la littérature corse laisse des traces.

(...)
En pensant à ces livres, qui, sans conteste, ont profondément influencé ma vie, je me souviens tout à coup de mon "Histoire magique". Celle-ci n'est pas tirée d'un livre, mais du souvenir d'une lecture, au sens le plus machinal du terme : un souvenir d'enfance éveillé au cours de circonstances bizarres, dans une contrée reculée de la planète.
Il y a quelques années, mon avion s'est écrasé au Guatemala. Je suis resté longtemps dans le coma ; un état des plus désagréables, car on ne revient pas à la vie d'un seul coup ; on se réveille lentement, avec la sensation de remonter en flottant vers le monde extérieur, à travers une atmosphère épaisse et gluante. Malgré d'épuisants efforts, tant physiques que mentaux, j'étais incapable de m'extraire du monde du rêve. Je me souviens de m'être réveillé une nuit, ayant laissé glisser draps et couvertures. Au Guatemala, à cause de la haute altitude, les nuits sont très froides. Souffrant de huit fractures, je ne pouvais atteindre les couvertures. J'appelais donc mon infirmière, la suppliant de vite m'envelopper dans "la toile souveraine", persuadé que si elle n'agissait pas immédiatement, j'allais mourir.
- Mais nous n'avons pas, dit l'infirmière. Nous n'avons pas de "toile souveraine".
Mes pensées étaient confuses. J'essayais d'évoquer la façon dont on fait un lit. Je me disais : Voyons, à l'armée, je faisais mon propre lit, comment m'y prenais-je... ? Un drap allait en dessous, un autre au-dessus... Non, il n'y en avait pas un troisième. L'infirmière avait raison. C'est avec peine et regret que j'abandonnais l'idée de la "toile souveraine".
Avec le temps, j'oubliai complètement l'incident. Puis un beau jour, je me suis retrouvé à Lyon, où j'avais passé une année de mon enfance. Ma famille m'emmenait tous les dimanches à la messe à Fourvière, une basilique construite sur une colline dominant la ville, et que l'on atteint par funiculaire. Je décidai d'y faire une promenade sentimentale. À l'arrivée, je m'aperçus que l'on prenait toujours son billet à la sortie du tunnel, avant de passer par un portillon automatique. Je pris ma place dans la queue derrière une vingtaine de personnes. Nous avançions lentement, et mes regards se portèrent à ma gauche, vers un mur tapissé d'affiches. C'étaient les mêmes affiches publicitaires que quarante ans auparavant, mais à présent noircies par la fumée et à demi effacées. Je les déchiffrais distraitement quand mon coeur fit un bond. C'était donc ça ! "La toile du Bon Secours, souveraine pour les plaies et les brûlures." Ils étaient là, les draps qui pouvaient calmer, guérir les blessures, et dont je m'étais souvenu sur mon lit d'hôpital au Guatemala ! À l'âge de cinq ans, j'avais sans doute été profondément impressionné par cette "toile souveraine pour les plaies et les blessures". Cette même affiche, pensais-je, devait aussi être à l'origine d'une phrase utilisée par moi dans "Terre des Hommes", quand je dis à Guillaumet : "Le soir même, en avion, je te ramenais à Mendoza où des draps balncs coulaient sur toi comme un baume." Souvenir des draps magiques qui pouvaient guérir les blessures... Souvenir de cette vieille affiche du petit tunnel de Fourvière, niché dans un coin sombre de ma mémoire pendant près de trente ans.

Littérature corse, littérature corse... bien qu'illusoire et toute mitée... ma toile souveraine...

(Concernant le précédent billet, je ne sais pas qui a pu s'infiltrer dans l'administration de ce blog et publier un billet qui n'est pas de moi... Mais je me rends compte que les commentaires sont très instructifs !! Merci à tous !!)

mardi 15 juin 2010

On s'ennuie ferme sur les blogs

Oui, je relaie ici cette évidence, martelée récemment sur la Gazetta di Mirvella, toujours à la pointe de l'actualité la plus fraîche.

Oui, on s'ennuie ferme sur les blogs/sites/revues internet littéraires corses... Il ne s'y passe plus rien. Tout tourne en rond, rien ne se renouvelle, du pareil au même, retour au marasme, aux échanges vains se masquant sous des grossièretés qui ne parviennent même plus à faire sourire ; auto-louanges honteuses et auto-critiques piteuses ; mise en évidence de livres qui ne le méritent pas ; les torchons mélangés avec les serviettes (ici aussi, oui, ici aussi !) ; les serviettes utilisées comme kleenex ; les kleenex affichés sur Facebook... Je dis donc, moi aussi, devant tout ce gâchis : MAIS OÙ ON VA LÀ ?

Car enfin, ce bon Cavaglieri di Mirvella a mille fois raison lorsqu'il écrit à propos de ce blog (et d'une façon qui me paraît encore bien gentille) :

...mittariu bè a sgherza annant'à u situ di Ranucci, ma l'ambienti pari d'essaci à u pidda para pà a minima inculera di muschi, è u prima mirlitonu vinutu ci hè ludatu com'è ch'iddu fussi Virghjiliu in parsona...

Eh oui, sur ce blog, les gens sont trop nerveux, manquent totalement d'humour ! Et ils ne disent rien lorsque les mauvais vers envahissent l'écran !

Mais alors, pourquoi le Cavaglieri n'est-il pas intervenu pour rétablir la vérité ? Ou au moins pour dire la sienne ? La crainte du "pidda para", vraiment ? Un manque d'envie ? La fin de tout désir ?

Voici mon point de vue : avec l'activité numérique littéraire corse des cinq dernières années, les certitudes, les obsessions et les tics des uns et des autres sont maintenant bien connus, il n'y a plus d'effet de surprise, plus de découverte. Et puis peut-être que nos désirs ont excédé les capacités de nos écrivains à les satisfaire ? N'était-ce pas un peu prétentieux et ridicule finalement, cette volonté de réclamer une littérature corse sublime et enthousiasmante, lucide et troublante, créatrice de formes nouvelles et déployant les atouts de ses formes anciennes, divertissante et prophétique ?

Alors comment (et faut-il) renouveler ce petit champ littéraire du Web corse ?

Est-ce le début de la fin ou la fin d'un long début ?

dimanche 13 juin 2010

"Où se trouve la littérature corse ?" : un compte rendu...

Magnifique salle des fêtes de l'Hôtel de Ville d'Avignon, grande et belle journée (samedi 5 juin 2010), grand et beau soleil, des dizaines de personnes bienveillantes dans le public - plus de cinquante le matin, un grosse vingtaine en fin d'après-midi - eh bien, ce fut un beau moment : j'écoutai le matin la présentation de Corsica Diaspora par Edmond Simeoni, au discours alerte et incisif, la présentation des travaux ethnologiques de l'Adecem par Georges Ravis-Giordani, puis l'après-midi la discussion entre Jacques Thiers et Jean-Yves Casanova sur l'état des lieux de la défense et du développement du corse et de l'occitan, pour finir par monter sur scène pour animer la dernière table ronde consacrée à la question "Où se trouve la littérature corse ?"... Nous apprenions le matin même avec grand regret que Jacques Fusina n'avait finalement pas pu venir. Les invités présents sont donc : Paulu Desanti, Ghjacumu Thiers et Michel Vergé-Franceschi. Joseph Pollini, président de l'Amicale des Corses et des amis de la Corse d'Avignon, maître d'oeuvre de ces journées, introduit les participants et je commence immédiatement avec la première question :

1. Quand vous écrivez vos textes, avez-vous l'impression (et/ou le désir) de participer à la fabrication d'une "littérature corse" ?

Michel Vergé-Franceschi : Oui, j'ai le sentiment de participer à l'histoire, à l'étude de l'île, c'est évident.
Je suis admiratif du travail de Paulu Desanti et Ghjacumu Thiers qui écrivent en langue corse. C'est un vrai courage car il y a une vraie difficulté. On écrit pour être lu par le plus grand nombre, or les langues régionales ont un lectorat restreint. Ce courage, Rabelais l'a eu en abandonnant le latin pour écrire en français. Au début du XVIème siècle, 85 % des écrits étaient en latin en France, à la fin du même siècle, le pourcentage est de 15 % (chiffres à vérifier avec l'auteur, car je ne sais pas si ma prise de notes a été fiable).
A l'heure où l'anglais s'impose au niveau international, même dans la recherce historique (70 à 80 % des colloques d'histoire maritime, qui est ma spécialité, sont en anglais), je trouve qu'il faut féliciter les auteurs qui utilisent les langues régionales, c'est un patrimoine à sauvegarder.

Paulu Desanti : J'ai écrit deux livres en langue corse (du théâtre et des nouvelles). Je dirai avec un peu d'humour que ce n'est pas du tout courageux, c'est même presque lâche ! J'ai obéi à une sorte de besoin et aussi une sorte de plaisir, intérieurs. Cela m'est paru naturel.
Concernant l'aspect de communication restreinte lorsqu'on écrit en langue corse : il est vrai que peu de gens le parlent, et moins encore le lisent. Mais face cette situation, il me paraît évident qu'il faut utiliser la traduction. Nous avons tous lu des livres anglophones, hispanophones, russophones , grâce aux traductions dans les diverses autres langues.
Pour ma part, je trouve important que la traduction soit un écho différé (publiée plusieurs mois après le texte original, et non en même temps) et qu'elle soit faite dans plusieurs langues.
D'autre part, je trouve qu'écrire en langue corse ouvre le champ, et ne le restreint pas. Pour cette raison : quand je vais dans un pays étranger, je cherche les ouvrages autochtones afin de mieux découvrir ce pays - plutôt que de me contenter d'écrits extérieurs qui présenteraient ce pays avec des stéréotypes (par exemple, je cherche les ouvrages des romanciers et poètes catalans, qui parlent de leur pays, dans leur langue). Il me semble que les ouvrages écrits en langue corse (et traduits) peuvent être un "objet d'appel" : beaucoup de gens aimeraient lire des auteurs corses quand ils viennent dans l'île.
Un dernier point concernant l'écriture en langue corse : cela peut paraître pédant, mais certaines choses ne peuvent réellement s'exprimer qu'en langue corse. Et comme le statut du corse est encore instable, qu'il y a de nombreuses influences des autres langues sur lui, le travail littéraire devient intéressant pour l'écrivain. Cela permet un jeu linguistique, de l'invention.

Ghjacumu Thiers : En ce qui me concerne, je ne peux pas écrire d'ouvrages littéraires en français. Ecrire en langue corse est un plaisir intense, une nécessité absolue. J'ai eu une expérience malheureuse d'autotraduction du mon premier roman, "A funtana d'Altea" (devenu "Les glycines d'Altea"). J'étais heureux en écrivant cette traduction en français et puis une fois éditée, je l'ai trouvée horrible ! Je lisais une langue intellectuelle, comme écrite par un autre. J'avais fait un exercice linguistique, qui cherche à montrer qu'on écrit bien en français et non un ouvrage sincère, profond et honnête.
C'est un plaisir de se colleter une langue qui résiste, c'est magique pour un écrivain d'avoir à inventer sa langue, parce que celle-ci n'a pas encore développé tout le vocabulaire utile pour dire le monde dans sa diversité ou parce que certains usages ne sont pas traditionnels. Ainsi des adverbes démesurément longs, que Baudelaire affectionnait ; la langue corse ne les utilise pas facilement, eh bien moi je le fais.
Concernant le fait d'avoir un lectorat restreint, il faut replacer les choses dans un cadre général. Connaissez-vous Mitch Albom ? Il a 41 ans et a vendu plus de 20 millions de livres ? Voilà un fait qui donne du poids à cet auteur ! Et pourant, rares sont ceux qui le connaissent dans cette salle aujourd'hui... Cela me fait penser à ce texte de Paulu Michele Filippi s'adressant à ses lecteurs : "Cari lettori... Caru lettore... Ma induve hè passatu ?"...

Trouvant que ma question n'avait pas été entièrement prise en compte, malgré l'intérêt des réponses, je la repose :

1. Quand vous écrivez vos textes, avez-vous l'impression (et/ou le désir) de participer à la fabrication d'une "littérature corse" ?

Michel Vergé-Franceschi : Avec mon ouvrage sur le "Voyage en Corse" (édition Robert Laffont, collection Bouquins), il s'agissait de prendre le contrepied d'une image médiatique de la Corse souvent négative. Et de montrer que l'on n'a pas regardé la Corse de la même façon, dans tous les temps.
Au XIXème siècle, c'est la Corse de Napoléon, celle vue par Balzac en 1830 ou Flaubert en 1850.
Au XVIIIème siècle, c'est la Corse des Lumières. Les Ecossais James Boswell et Miss Campbell viennent à la rencontre d'un laboratoire des Lumières.
Au XVIème siècle, le génois Monseigneur Giustiniani décrit la Corse avec une persective géostratégique et économique.
A la fin du XIXème siècle, l'officier de marine Ardouin-Dumazet a aussi un regard géostratégique sur la Corse, située en Toulon et l'éventuelle conquête de l'Egypte.
Les ouvrages écrits aujourd'hui témoigneront dans 200 ans de ce qu'était la Corse pour nous aujourd'hui : une recherche de l'identité, la défense des racines et le développement de la langue. Il n'y a que les sociétés en paix qui peuvent se payer le luxe de ces recherches.
Ce qui me chagrine c'est qu'aujourd'hui disparaissent des pans entiers de nos cultures (je pense à la langue grecque, à l'enseignement de l'histoire en Terminale).
La langue corse, comme d'autres nécessités, est à défendre.

Paulu Desanti : J'ai du mal à dire que je participe à une "littérature". Pour moi, ce mot recouvre un ensemble d'ouvrages inclus dans une institution littéraire (avec une critique littéraire, des médias qui relaient l'information littéraire, etc.). Ecrire et lire ne suffisent pas à faire une littérature. Donc en ce sens, j'ai plutôt le sentiment de participer à une "création corse" contemporaine.
Concernant la "littérature corse", ma position est de réserver cette expression aux ouvrages écrits en langue corse (ce critère linguistique permet d'évacuer les raisons idéologiques). Ainsi on ne définit pas la littérature par son sujet (la Corse) mais d'un point de vue technique (la langue utilisée).
Faut-il inclure Mérimée dans la littérature corse ? Cela me paraît déraisonnable. Tout ce qui s'écrit dans l'île constitue-t-il la littérature corse ? Cela me paraît difficile : si j'écris en français une nouvelle sur l'île de Kyushu, cela ne me paraît pas écrire de la littérature corse.

Question reformulée : En écrivant les nouvelles de "L'ultimi mumenta d'Alzheimer", n'as tu pas conscience d'abonder une certaine image pessimiste de la Corse : une île où tout se perd (langue, identité, certitudes...) ?

Paulu Desanti : Concernant mon livre, "L'ultimi mumenta d'Alzheimer" (éditions Albiana), figurez-vous qu'il a concouru pour un prix littéraire médical (le prix des Hôpitaux de Paris), à cause de son titre sans doute ! Je ne l'ai pas eu.
Il est vrai que le fil directeur des nouvelles est la perte des choses, de la langue, de l'identité. Chaque personnage perd ou a perdu quelque chose. Mais en l'écrivant j'ai beaucoup ri, et j'espère que le lecteur rit lui aussi. Je ne le trouve donc pas pessimiste ou alors s'il y a effectivement une situation catastrophique, je pense qu'on peut en rire.

Ghjacumu Thiers : Oui, j'ai conscience de participer à une littérature corse, mais cette conscience est seconde, il y a d'abord un plaisir tout personnel. L'écriture pour moi est d'abord un acte plein parce que solitaire.
Personnellement, je pense qu'il est prématuré de définir la littérature corse.
Je crois qu'il faut d'abord s'assurer de l'identification des productions, les suivre, les soutenir.
Il n'y a pas encore de littérature corse parce que cela suppose une institution avec un circuit du livre, un accès aux lives qui soit dynamique et vivant (ce qui est différent d'un travail de patrimonalisation).
Par exemple, dans un autre domaine, le chant corse se porte bien mais vous ne trouvez pas un seul article critique sur les albums qui sortent !
Il n'y a pas de littérature critique, il faut la construire. Pour avoir une littérature corse, il faut un nombre suffisant d'ouvrages, une critique, des relais médiatiques. Il faut de la vie (pas de catégorisations).

Question subsidiaire : Ne peut-on pas inclure les livres écrits en français, en italien (par le passé) dans la littérature corse ?

Ghjacumu Thiers : Je dirais que la littérature corse est un invariant dont les variables sont les différentes langues dans lesquelles elle a été écrite.

Intervention d'Edmond Simeoni : La langue corse est en chantier. Il se passe quelque chose d'important. Je voudrais signaler le travail initié par le regroupement de 80 auteurs corses dans l'association Operata Culturale dont l'objet est la promotion des livres corses et qui a donné lieu à l'édition d'un ouvrage collectif, "Petre senza nome". Il est bon d'aller dans ce sens pour associer les auteurs, les éditeurs, les libraires et les lecteurs dans des démarches certifiées. Ce groupe propose une définition large de la littérature corse ("tout ouvrage témoignant d'une sensibilité ou d'un rapport direct à la Corse écrit et/ou édité dans l'île ou ailleurs").
Cela concerne donc aussi les polars écrits par Eléna Piacentini. C'est une approche plus "politique" que littéraire. Mais attention à la tentation militante qui pousse à aller vite, alors que la littérature réclame de la lenteur. Le monde culturel est une force considérable et il est bon de développer des démarches souples.
Voici quelques questions : comment vivent les auteurs corses ? Comment vivent les éditeurs corses ? Que est le lectorat ? Quelle est sa marge de progression ? Vers quelles littératures voisines faut-il regarder ?

Jean-Yves Casanova : Concernant votre débat sur la définition de la littérature corse, quel auteur en fait partie, en quelle langue elle s'écrit, cela me fait penser au débat qui a eu lieu ici en Occitanie au XIXème siècle. Devait-on inclure dans la littérature occitane les écrits en langue française d'Alphonse Daudet au même titre que les ouvrages de Frédéric Mistral ? Ou bien faut-il réserver les "Lettres de mon moulin" à une littérature régionale d'expression française ? Il me semble que cela pose la question du champ littéraire dans lequel veut se déployer une littérature : voulez-vous un champ littéraire autonome ou compris dans le champ littéraire français ? Lorsque Philippe-Jean Catinchi écrit un article dans le "Monde des livres" sur les livres de Marcu Biancarelli, que se passe-t-il ?

Michel-Vergé Franceschi : Comment vivent les auteurs corses ? Comme n'importe quel auteur en France, pas de leurs livres. Il faut savoir que acheter un ouvrage, ce n'est pas donner 30 euros à l'auteur. Au mieux, il touche 10 % et pour une anthologie comme "Le Voyage en Corse", c'est 2,5 %. On ne peut pas vivre de sa plume. La plupart des auteurs sont des fonctionnaires. Le libraire prend sa part sur la vente du livre, il faut aussi payer les frais de fabrication et de diffusion pour que le livre arrive dans les librairies de Porto-Vecchio ou de Bastia, puis les invendus repartent et passent au pilon. En France, une centaine d'auteurs vivaient de leur plume, ce n'est plus le cas aujourd'hui. J'ai donc beaucoup d'admiration pour les écrivains ; être écrivain est difficile, c'est un vrai parcours du combattant.
Et puis la vie du livre dépend nécessairement de bons comptes rendus dans les médias, dans les revues de vulgarisation ou scientifiques. Une présentation à la télévision ou à la radio, selon l'horaire de diffusion, peut être très utile.

Paulu Desanti : Personnellement, je ne vis pas de ma plume, bien sûr.
Par ailleurs, j'anime une revue, "A Pian'd'Avretu" (revue culturelle bilingue), et nous courons après les subventions. Pour que la revue vive, c'est un combat. Nous avons aussi besoin des abonnements.

Ghjacumu Thiers : Concernant la revue "Bonanova", du Centre culturel universitaire, il faut savoir qu'éditer un numéro coûte entre 17 000 et 20 000 euros. Elle subventionnée et cela pose la question de l'usage de fonds publics. Elle ne compte que 100 abonnés ce qui est dérisoire à côté de l'empan symbolique de la langue corse. Cela pose aussi la question de la relation entre ce qu'on affirme (son attachement à la langue corse) et ce qu'on fait (pour la parler, la lire, la diffuser). Un autre exemple dans l'histoire littéraire corse : la revue "Rigiru" dans les années 70 comptait 800 abonnés, c'est considérable, mais elle devait être lue par 15 personnes seulement ; pour "Bonanova", on peut dire que 80 des 100 abonnés lisent vraiment la revue.
Le numéro 23 vient de sortir (consacré aux poèmes qui sont devenus des chansons très connues), le numéro 24 est en cours d'élaboration et le 25ème sera consacré à Bastia comme ville littéraire.

Michel Vergé-Franceschi : La Fagec fait un travail considérable et édite une publication ; la revue "Stantari" est magnifique mais la subvention de 15 000 euros ne couvre qu'un des quatre numéros édités par an. C'est pour cela que les auteurs, les revues ont besoin que vous vous abonniez, c'est essentiel !

Je termine en signalant au public que la quasi totalité du catalogue des publications corses est disponible sur les différents sites internet des éditeurs et que l'on peut commander les ouvrages par ce biais. J'insiste sur le fait qu'à côté des efforts pour traduire et diffuser les livres corses, il faut que les lecteurs réclament auprès des éditeurs la réédition d'un certain nombre d'ouvrages aujourd'hui épuisés, et ils sont nombreux, à tel point qu'on pourrait dire que la littérature corse existe mais qu'elle est "épuisée"...
Je signale enfin que nombre de blogs et sites personnels donnent à lire la littérature corse aujourd'hui, permettent d'en discuter, d'échanger, de la promouvoir. (Je cite, de façon non exhaustive, un certain nombre de ces blogs et sites : Invistita, Isularama, Musa Nostra, Corsicapolar, Terres de femmes, Gattivi Ochja, Avali, A Piazzetta, l'Invitu, Foru Corsu, Gazetta di Mirvella...)

Un dernier point : les Journées corses d'Avignon se sont poursuivies le dimanche matin par un exposé des travaux de la Fagec, par Stéphane Orsini et par un débat sur les enjeux pour la Corse, avec Edmond Simeoni, Vincent Carlotti, Georges Ravis-Giordani. Je signale que vous pouvez lire la communication de Vincent Carlotti en allant sur son blog, ici.