mercredi 31 mars 2010

Une question aux lecteurs visiteurs de ce blog...

Iè, una quistione simplice simplice ; è pudete risponde in corsu o in francese :

De quels auteurs corses attendez-vous le prochain livre ? (Cela me semble important, cette notion d'attente - il y a tout un imaginaire qui se cache derrière ce silence tendu).

Question subsidiaire : et pourquoi ?

(Pour une fois, je ne répondrai à la question qu'après vous).

Question reformulée : De quels livres corses déjà publiés (ou non) dans le passé attendez-vous la réédition ? (Et pourquoi ?, bien sûr)

(Et enfin : mais la question qui suit est-elle utile ? : De quels auteurs corses n'attendez-vous pas le prochain livre ?... ; c'est une plaisanterie, bien sûr, mais que voulez-vous on ne peut lutter contre sa nature, même et surtout lorsqu'elle est diabolique, non ?).

mardi 30 mars 2010

Comment je suis en train de lire "Ghjuventù Ghjuventù..."

1. Avec grand plaisir (pris par les personnages - ce croque-mort notamment ! - et leurs histoires qui semblent à la fois parallèles et liées)
1 bis. Ah oui, il s'agit du roman de Marceddu Jureczek, publié aux éditions Cismonte è Pumonti, en 2007)
2. Avec étonnement (devant une littérature de langue corse qui assume - comme celle de M. Biancarelli ou Ghjacumu Thiers - le passé, le présent et le futur de la Corse)
3. Avec le recours des dictionnaires corse/français sur le Web (Adecec et BDLC) car mon vocabulaire est toujours incomplet et douteux
4. Par petits bouts (ça tombe bien : 130 pages divisées en 19 chapitres)
5. Avec espoir (celui de voir le livre tenir ainsi la route jusqu'au bout)
6. Parfois avec agacement (devant quelques propos plus moralistes, peut-être plus convenus, qui grèvent, je trouve, mais je me trompe sûrement, la force simplement humaine des drames évoqués)
7. Avec horreur : le chapitre intitulé "I moschi", ed eccu u strattu chì m'hà elettrizatu (Gavinu - u bicchimortu (le croque-mort) è Quentin approntanu u corpu di un vechju omu :

À pocu à pocu, Quentin custatava u miraculu chì era fendusi. U calori vitali s'impussissava una volta di di più a parsona di u vechju. I mani turravani rosi, a faccia s'ammaschitava, i labri s'imbuffavani di quidda vita finta arricata da u liquidu magicu.
À Quantin, à veda i mani di Gavinu attivassi nantu à u mortu, li vinìa u vomitu. Gavinu cuntinuò a dimustrazioni :

- Avà fermani i liquidi di u pettu è ch'è no ci tinimu in u stomacu. A faccenda ùn hè ancu à compia, ùn semu pronti pà andà à chjinacci.

U scalpellu tagliò i carri, fendu dui piaghi, una à mezu pettu, quidd'altra sottu à u biddicu, cù i labri netti netti, senza sangui, unti da un liquidu verdi, chì à tuccallu era peccia. Infilzò l'acu longu è aspirò tuttu ciò chì c'era, mocci, pizzatteddi di pleura. Sbiutò dinò a buscisca di u pocu pisciu chì ci firmava. Ùn si sminticò micca di i gasi da fà parta.

- Anc'assai ch'eddi sò bioti i minucci, chò osinnò avarìi intesu po tù a puzza di merda.

Dopu ad avè cusgitu i passaghji di i tubi di l'inghjizzioni è di u drinaghju, è un'antra lavata, tuccava à a parti estetica.

- Abbada ghjà ciò ch'eddu pari issu vechju, hè biancu com'è un linzolu. Ma ch'edda ni fussi s'è la ghjenti avissi à scopralu cusì. Credi puri, hè sempri megliu à veda un mortu cù a sumiglia di un vivu. Compiu chì n'avemu, i difunti acquistani una razza di sirinità chì li mancava in vita soia. Sò ripusati, tranquilli, in paci, via. Sò pronti à riceva parenti è amichi in cundizioni.

Accantu, nantu à un mobulu spampillulenti, aspittavani duzeni di scatuli di pulvaretta, bianca, rossa, culor carri.
À l'ultima, Gavinu pittinò u vechju. Ùn c'era tantu à spiglià chì l'omu era guasgi mondu. L'allisciò i pochi capeddi bianchi nantu à i menti è u tupezzu.

- U vedi com'edd'hè beddu avà, mancu vivu era cusì.

Quentin annittò l'attrazzi è l'allucò. S'era cavatu i guanti Gavinu è s'insavunava i mani. Strufinava chì basta, guasgi guasgi à strappassi un ditu.
Quentin fighjulava sempri u vechju nantu à a tola. Avìa travagliatu bè è megliu u maestru. Parìa vivu, addurmintatu di pocu. Da cacciassi u dubitu, u volsi tuccà. Narbosu, trimulendu è bè, avvicinò a mani. A faccia di u mortu era cutrata, u tuccà era stranu, quant'è à palmulà una petra. Issi lineamenti parfetti l'affascinavani à veru.


Eccu : issa figura : a vita finta di issu corpu di petra affascinante fù a surpresa maiò di issu capitulu. E po issa frasa :

Credi puri, hè sempri megliu à veda un mortu cù a sumiglia di un vivu.

Un mortu cù a sumiglia di un vivu...

È voi, l'avete lettu issu rumanzu : dite a vostra (cumu si dice nant'à RCFM !)...

dimanche 28 mars 2010

Brève relation de ce qui advint hier et le jour d'avant

Vendredi 26 mars, 21 h... sans faire retentir les trois coups du théâtre, le comédien Christian Ruspini entame son sprint, violent et magnifique :

"Je l'ai connu quand j'étais plus jeune, et je pense que je faisais comme tout le monde quand je le voyais : je me chiais dessus."

Vous avez reconnu les premiers mots de la version française de "51 Pegasi, astre virtuel", originellement écrit en langue corse par Marcu Biancarelli. (J'y pense : il s'agit donc aussi d'une oeuvre de Jérôme Ferrari, le traducteur : les mots prononcés sur scène sont les siens ; ils sont certes seconds et dépendants des mots corses de MB mais ce sont eux qui sonnent sur la scène de la Salle Sainte-Victoire - mais oui, comment échapper à cette montagne sacrée ici ? - sur le plateau qui domine le village de Ventabren)...

...d'ailleurs, incroyable, j'entendis - étais-je le seul ? - le bruit d'un avion quittant Marignane et l'aéroport international de Marseille au moment même où le monologue de Christian Ruspini entamait l'épisode virtuel : ce rêve mythique caché au fond de l'espace, dans le sein du "ciel liquide d'avant le Big Bang"...

Rapidité, rupture de tons, contrastes dans la voix, le rythme : le jeu du comédien me parut puissant, parfois trop selon moi : trop de vivacité ne permettant pas parfois au spectateur que je suis de goûter certains moments, grâce à quelques silences bien placés qui permettraient de réassembler nos esprits, juste un bref moment (plus tard, après le spectacle, nous discuterions de cela, lui et moi, et lui insistant sur la difficulté à trouver le "bon moment" pour placer ce silence).

Ah tiens, ce léger désaccord me fait penser que finalement je ne suis pas tout à fait d'accord avec le point de vue de Jacques-Olivier Badia (et je réagis en tant que simple spectateur amateur). JO Badia écrit : "..." (je viens de rechercher le texte en question dont voici l'adresse internet : http://www.lecloudanslaplanche.com/Z%20Modeles_html/51_Pegasi.html (récupérée sur la page Facebook de Christian Ruspini), mais elle ne semble plus fonctionner, mystère, j'ai envoyé un message à l'équipe du "Clou dans la planche", je vous tiens au courant... (AJOUT DE 22:28 : ça y est, voici le lien vers l'article de Badia).

Mais je me souviens tout de même (ah ! cet autre outil qu'est la mémoire du cerveau humain, intéressant mais très trompeur sûrement) que Jacques-Olivier Badia disait que la pièce - qu'il avait vue au" Bijou" à Toulouse - était trop courte (1 heure) pour pouvoir amener de façon vraiment forte et crédible les changements d'atmosphère et l'évolution psychologique du personnage principal. Et j'étais finalement plutôt d'accord avec lui (je m'étais senti frustré du fait de la durée de la pièce.) Mais en fait, après avoir vu pour la troisième fois cette pièce, dans une version légèrement modifiée, je me dis que l'histoire de ce personnage est celle d'un homme en miettes. Il revient après dix ans "d'exil" sur le Continent (souvenez-vous, c'est le même personnage que dans "Prighjuneri", celui qui quitte l'île à la toute fin ; quoi, vous n'avez pas lu "Prighjuneri" ?!), bref, il revient après dix ans d'exil dans un mouvement quasi suicidaire, il ne s'est pas reconstruit hors de Corse, et ce qu'il retrouve c'est, au milieu de quelques changements cosmétiques - l'autonomie et l'édition d'une version corse des "Frateddi Karamazov" - c'est encore son ancien moi : un être marginal, refusant toutes les illusions, tous les espoirs, toute tentative de trouver une cohérence, une cohésion.

Donc, ce que présente cette pièce de théâtre, c'est un assemblage disparate de moments violemment contrastés : avec les trois scènes centrales : la scène du luthier, de sa femme et du comptoir (très crue, très dure) / la scène de voyage virtuel, le rêve du chef de tribu et de sa petite fille, fantasmagorie mythique (très émouvante, le moment qui m'émeut le plus, à chaque fois) / la scène de la confession d'une opération de racket par une équipe de clandestins (très violente : voir la confession de Stavroguine dans les "Démons" de Dostoïevski - c'est tout ce que j'ai lu de cet auteur - avec "Le Double" aussi - et c'est un passage fabuleux, là aussi)... Oui, je crois finalement que ces différents moments sont d'autant plus forts qu'ils ne sont pas préparés, ni fortement liés : la force du personnage se nourrit aussi d'ellipses et de ruptures, et d'une certaine façon "l'épaisseur" psychologique doit nécessairement manquer à un être en miettes, un être qui est explicitement décrit comme un "fantôme", une "ombre" : celui qui à la fois sait tout, et ne peut rien.

Vous avez compris que j'adore ce roman, cette pièce, la façon dont ils sont écrits et joués. Mais tout de même - objectivement (objectivité impossible) bien sûr - ce sont des moments extrêmement importants de la littérature corse, non ? (Tiens, cela me fait penser, qu'un jour cette pièce sera, je l'espère, jouée par d'autres acteurs : qu'est-ce que cela donnera ?... Y a-t-il d'ailleurs des pièces de théâtre corse qui ont eu le bonheur d'être rejouées, reprises par d'autres compagnies ?)

J'arrête là cette chronique faite au vif.

Le lendemain : MJC Prévert, 24 rue de la République, Aix-en-Provence. Un samedi après-midi, entre 17 h 30 et 19 h 30. Un homme s'approche, je suis devant la porte ouverte - comme le gardien du temple - donnant sur le trottoir de cette rue où passent plus de voitures que de piétons, visiblement cet homme sait qu'il est face à la MJC : c'est un saxophoniste lyonnais ! Tentative de racolage actif immédiat ! mais il ne montera pas avec moi, quel dommage (s'il lit ce billet, il se reconnaîtra bien sûr, qu'il m'envoie un message !). Alors nous évoquons la Corse et le Jazz (souvenez-vous que ce blog aime le jazz, voir ici (pour le Dave Brubeck Quartet) et ici (pour le génie qu'est Charles Mingus, accompagné d'Eric Dolphy)... Je parle d'André Jaume qui a fait plusieurs albums avec des chanteurs corses ; il faut que je retrouve cet album (le voici : "Piazza di luna", avec Tavagna) où il est question d'un quelconque "sgaiuffu", je me souviens de ce mot... Il parle du festival de jazz de Pinarellu (où il aimerait bien jouer un jour). Très agréable rencontre : quel plaisir de servir en express mon baratin sur la littérature corse !

Passons aux choses sérieuses : à l'étage, dans la salle Cheminée (celle où se trouve une cheminée), sont là Marcu Biancarelli et Christian Ruspini (deux noms qui vous disent quelque chose). Ruspini va "lire" deux passages : le début, le voyage virtuel et le rêve (au cours de la lecture du deuxième passage, deux "trous" ! et tout le public qui dans un silence tendu aidait muettement le comédien soudain muet ("vas-y, tu vas retrouver les mots, vas-y, c'est beau"). Non je n'enjolive pas, vous auriez dû être là.

Et ensuite ? Eh bien les propos de l'auteur, que je n'ai pas pris en note, que je n'ai pas enregistré, et je sais qu'il est d'une extrême importance de faire les comptes rendus les plus précis !! Alors, que faire ? Une brève relation constituée de ce qui m'est resté à l'esprit, simplement pour vous donner envie de (re)lire "51 Pegasi" ou d'aller voir la pièce si elle passe près de vous.

Première réaction du public après la première lecture : "Eh bien, la Corse a bien changé, alors..."
MB a alors insisté sur le fait que son roman n'était qu'une partie de la réalité, que la nécessité de la fiction et du personnage commande de faire des choix. Mais en même temps, l'ambition de ce roman est tout de même de proposer un certain nombre de vérités sur la Corse : les anciennes solidarités ont explosé : la famille, le "clan", la classe sociale, ils ont explosé sous les coups de la modernisation et de l'individualisation, inévitables.

Autre point : non, le personnage n'est pas qu'un être cynique, sombre, il porte en lui une aspiration, notamment à la poésie (donc une certaine volonté de faire quelque chose avec le monde qui l'entoure), mais c'est un être cassé, brisé, esseulé, qui au fond de lui cherche un ami, un ami qui le reconnaisse.

Autre point : "51 Pegasi" est un des premiers livres de littérature corse au sens où la littérature se nourrit notamment des livres précédents : l'auteur a lu Rinatu Coti et lui rend hommage (tout comme ailleurs, il rend hommage à Ghjacumu Thiers ; tout comme il cite le Cantique de Saint François d'Assise dans le pastiche de poème épique "Viaghju in Vivaldia" ou Giacomo Leopardi dans la nouvelle "Natio Borgo Selvaggio"). MB fait partie des auteurs qui se vivent comme tels et qui participent consciemment à la fabrication d'une littérature.

Autre point : n'oublions pas la force comique de cette écriture : les personnages sont cesse à bout ("de sang, d'ardeur", comme dirait Apollinaire) et les situations qui les fait se confronter et s'affronter sont souvent au bord du ridicule (la rouste par Mathieu Piredda, mais aussi la rouste filée à Mathieu Piredda) tout en mêlant l'émotion, une profonde humanité, et le désespoir (ce que je crois voir uni dans la scène du strip-tease à l'envers de Lisa Benedetti, la charmante présentatrice de l'émission littéraire "Estru è literatura", enfin, un "canon" comme dit le texte).

Autre point : cette oeuvre - celle de MB - est en cours : il faut lire tous les autres livres et notamment "Murtoriu" dont on attend la traduction avec impatience ; comme d'ailleurs les traductions des nouvelles de Paulu Desanti ou encore le quatrième roman de Ghjacumu Thiers, "Septième Ciel", extrêmement original, j'ai trouvé, voir notamment ici sur ce blog la lecture de Pasquale Ottavi). Cette oeuvre constate avec amertume la fin d'une société, tuée violemment (notamment dans "Murtoriu" qui associe la boucherie de la Guerre de 14 et les agissements d'une équipe de voyous, voleurs et assassins, dans la Corse d'aujourd'hui). Paradoxe connu et sans cesse renouvelé de l'art : la mise en forme littéraire de l'apocalypse nous fait du bien. Quel bonheur de se (re)plonger dans ce genre de livres.

Autre point ? Non, j'arrête là cette brève relation.

Un grand merci, bien sûr, au comédien et à l'auteur pour avoir répondu présent à Aix, et s'être entretenus de leur travail respectif. Ce petit billet est un maigre témoignage de gratitude. Puisse-t-il servir d'aiguillon, il aura fait son office.

"Si continua - coraggio ! - ricominciamo la lettura !" (comme disait, paraît-il, Aby Warburg, ça fait toujours bien de citer des grands auteurs pas encore complètement universellement connus et qu'on n'a pas lus soi-même !) :

L'aghju cunnisciutu quand'e' eru più ghjòvanu, è pensu ch'e' faciu com'è tuttu u mondu quand'e' u vidiu : mi cacaiu à dossu.

Ah oui, j'oubliais : vous n'êtes pas obligés d'être d'accord avec ce que vous venez de lire !...!

Dernière chose : pour ceux qui n'habitent pas loin de la rue Cabassol à Aix-en-Provence, vous pouvez venir à la librairie All Books and Co y feuilleter et acquérir le roman de Marcu Biancarelli !



samedi 27 mars 2010

Nietzsche

Eh oui, Friedrich, celui qui voulait venir en Corse, à l'université de Corti... (voir ici par exemple, des propos de Jacques Orsoni, sur le blog Contrafocu).

Je feuillette "Le Gai Savoir". Voici le fragment 307, "En faveur de la critique" :

Maintenant t'apparaît comme une erreur quelque chose que jadis tu as aimé comme une vérité ou du moins comme une probabilité : tu la repousses loin de toi et tu t'imagines que ta raison a remporté une victoire. Mais peut-être qu'alors, quand tu étais encore un autre - tu es toujours un autre, - cette erreur t'était tout aussi nécessaire que toutes les "vérités" actuelles, en quelque sorte comme une peau qui te cachait et te voilait beaucoup de choses que tu ne devais pas voir encore. C'est ta vie nouvelle et non pas ta raison qui a tué pour toi cette opinion : tu n'en as plus besoin, et maintenant elle se détruit d'elle-même et la déraison en sort comme de la vermine. Lorsque nous exerçons notre esprit critique, ce n'est là rien d'arbitraire et d'impersonnel - c'est du moins très souvent une preuve qu'il y a en nous des forces vivantes et agissantes qui dépouillent une écorce. Nous nions et nous y sommes obligés puisque quelque chose en nous veut vivre et s'affirmer, quelque chose que nous ne connaissons, que nous ne voyons peut-être pas encore ! - Ceci en faveur de la critique.

vendredi 19 mars 2010

La littérature corse sur le Continent !

Je relaie ici une information que j'ai placée sur Facebook (en "événement" : c'est la première fois que je fais cela !) :

Un événement exceptionnel en deux actes :


- le vendredi 26 mars (21 h), Salle Sainte Victoire à Ventabren : Christian Ruspini joue "51 Pegasi", la pièce de théâtre qui tourne en ce moment sur le continent. Un tour de force magnifique (tiré du roman du même nom de Marcu Biancarelli - un des livres les plus importants de... la littérature corse contemporaine (non ?) / Entrée : 12 euros.


- le samedi - c'est gratuit mais il y a peu de places et il faut réserver (06 88 80 62 83 : appelez vite) - 27 mars (17 h 30 - 19 h 30), à la MJC Prévert (rue de la République) à Aix-en-Provence. Rencontre du public avec l'auteur (Biancarelli, donc) et l'acteur (Ruspini, donc) pour : entendre des extraits du texte, débattre, discuter du jeu de l'acteur, de la mise en scène, de l'oeuvre de Biancarelli, de la littérature corse, etc ; plus possibilité d'acheter les livres de MB et d'avoir une belle signature. (Info : à Aix, la rencontre est rendue possible par une coopération entre KVA Product, la MJC Prévert et l'Amicale corse d'Aix).

N'hésitez pas à venir : on ne renouvellera pas cet exploit tous les ans !

jeudi 18 mars 2010

Diane de Cuttoli (lue par Malko Nimu) : 1932 / 2010

Je reporte ici, donc, le choix fait par Malko Nimu de lire et de donner à lire cet extrait d'un poème de Diane de Cuttoli (c'est une vértiable série qui commence ! Celle des écrivains corses "disparus". Merci pour tous les lecteurs). Bonne lecture à tous (et même si Malko Nimu s'y refuse, vos points de vue peuvent - car ce n'est bien sûr pas obligatoire - critiquer et la forme et le fond de ce texte, positivement et/ou négativement...)

Toujours, si vous le permettez cher Francè, un hommage, en l’occurrence de circonstance puisque en me promenant sur les hauteurs de mon village j’ai ressenti les mêmes « vibrations » que Diane, pour les femmes poètes.

Je ne critiquerai pas formellement ce texte, à quoi bon ? Ce qui m’intéresse ici c’est l’émotion qui m’étreint en songeant à cette dame panthéiste dont le recueil « La Houle des Jours », d’où ce poème est extrait, a été publié en 1932 aux éditions de la Revue Mondiale, Paris, et qui a correspondu avec notamment, Henri de Régnier, Gustave Khan et Paul Valéry. Elle fut aussi, tout comme Delphine (Marti, voir billet précédent), primée par l’Académie française.

Diane de Cuttoli, née près d’Ajaccio en 1898, Chevalier de la légion d’honneur a publié chez Grasset un autre recueil intitulé « Les Grands Instants » ainsi qu’un roman « Framboise ou les Souffles du Printemps », les éditions du Scorpion, 1956.

Qui s’en souvient ?

Malko Nimu


Pour André Foulon de Vaulx [ … ]

De la tiédeur herbeuse du sol,
Des neuves feuilles et des corolles
Fusent de lourds parfums ondoyants
Parmi la dansante brise errants :
Le pollen jeune, mielleux s’envole,
Comme un nuage d’or transparent,
Des doux pistils, dans la chaleur molle
Et fait, dans l’air bleu, en tournoyant,
De tendres et odorants croisements.

Je suis là, au centre de la lumière,
Qui dans son ample filet d’or enserre
Mon corps joyeux et la végétation
Qui mêlent leur tiède respiration.
Au milieu de la vibration de la nature,
Exacerbée par la haute température
Qui fait bouillonner les arômes jaillissants
Des orangers lustrés et des magnolias blancs,
Je me repose, calme, sans penser à rien,
Sans impétueux désirs, sans âpres souhaits,
Le cœur rempli de silence et de douce paix,
Oublieuse du monde et de ses nombreux liens,
Cernée par l’ample palpitation de la terre,
Confondue avec le sol où je suis assise,
Parmi les trèfles pourprés où les guêpes luisent ;
Je ne suis qu’un étroit éclat de l’univers,
Je suis pareille au vent, à l’effluve, au rayon
Qui traverse l’universelle pâmoison.

mercredi 17 mars 2010

Lu et choisi par Malko Nimu : un poème de Delphine Marti

Je ne connaissais pas cette poétesse. Malko Nimu, à l'occasion de la discussion qui développe le précédent billet, a choisi de l'évoquer.

Voici le texte ainsi que sa présentation par Malko Nimu (je place ici la quasi intégralité du commentaire qui sert d'écrin au poème) ; quelles sont vos lectures de celui-ci ?

Mais puisque justement nous sommes sur un blog littéraire et de plus en période de Printemps des poètes dont le thème est cette année « Couleur femme », pourquoi ne pas glisser vers un peu de poésie et rendre hommage à une de nos poètes quelque peu oubliée ?
Delphine Marti, née à Ajaccio en 1884 et décédée à Paris le 14/10/72, dédia ce sonnet au fameux Carulu Giovoni :

A rosa corsa

Rose chinese, o turche, ed orgugliose
Un aghju ma’sentitu i vostri odori,
Ma in i versi tradutti - traditori –
Sò le vostre virtù maravigliose.

E puru un n’amu ch’e sanguigne rose
Ch’in u mentrastu sbuccianu i sò fiori ;
Profumati ne sò rise e dulori,
Ed ore biate pocu numarose.

Rosa di sangue, amara e dolce, corsa,
Oh ! risùscita da magica forza
Di zitellina u me più bell’amore.

Farfalla bionda intornu a u me’ramentu,
U to’rispiru intornu mi trapana u core,
Svanitu fior, straziatu da lu ventu !


Poète bilingue Delphine a reçu le prix Amélie Murat pour « Des bêtes ensorcelées » et son recueil « Le domaine du silence » a été primé par l’académie française.

samedi 13 mars 2010

Ce n'est pas que je cherche les ennuis...

J'y reviens dans ce billet : en Corse (comme dans toute société que nous rêvons "démocratique" ; impliquant les gens dans un espace public, je veux dire), nous avons besoin de pouvoir nous dire tranquillement que nous ne sommes pas d'accord, même si cela peut blesser un temps nos égos.

Dire : je l'ai adoré, ce livre, pour telles raisons (qui ne sont peut-être pas celles d'un autre lecteur) ; je n'ai pas été touché par ce livre (indifférence, encore plus terrible peut-être que la critique négative) ; je n'ai pas aimé ce livre, pour telles raisons ; je l'ai trouvé mauvais, très mauvais, scandaleux. Dire cela publiquement - puisque l'auteur a voulu rendre publique son oeuvre - est d'une extrême importance.

Car, ainsi, dans cet espace public commun se dessine (et se recompose sans cesse) le dessin de notre imaginaire : nous voyons quelles fables, quelles formes, quelles figures circulent dans nos esprits, hantent nos rêves. L'appréhension et la connaissance de tel livre s'affine, se discute, se modifie : avec les regards des autres, nous modifions (ou au contraire confirmons) notre propre regard, le livre lui-même s'en trouve changé et charge à qui le voudra de "rétablir" le "vrai" visage de cet ouvrage en disant : "je ne suis pas d'accord avec votre point de vue" (pour telles raisons).

Le livre publié a tout à gagner à être critiqué : il sera relu, mieux compris (même si les critiques peuvent être ratées, inexactes, voire même sans fondement - la limite est évidemment la malveillance...).

Ainsi, j'apprends par mail qu'Emmanuelle Caminade a lu "Bleu Conrad" de Maddalena Rodriguez-Antoniotti : sa critique comporte des éléments très positifs et des éléments négatifs (qui peuvent être discutés les uns et les autres, Internet permet cela, profitons-en). C'est l'occasion de (re)lire cet ouvrage unique en son genre et de s'interroger sur les plaisirs que nous en tirons, peut-être aussi sur ses effets potentiels sur la littérature et l'imaginaire corses, non ?

Et pour faire les choses de manière contrastée, je mets ici les liens vers deux autres lectures de ce livre :
- la critique d'Emmanuelle Caminade (sur son blog "L'or des livres")
- la critique d'Angèle Paoli (sur son site "Terres de femmes")
- un petit billet que j'avais placé sur ce blog le 16 février 2009
- et enfin les paroles de l'auteur lui-même !

jeudi 11 mars 2010

Prenons les choses à l'envers : "La mère et l'enfant", de Rinatu Coti

Reprise d'un ancien cummentu, qu'on peut lire sur le site d'Interromania.

Je me souviens de cette page, extraite de "La mère et l'enfant" de Rinatu Coti (extrait du recueil à trois voix - avec J.P. Graziani et J.C. Rogliano - intitulé "Les ombres de la mémoire", Cismonte è Pumonti Edizione, 1987), et comment j'avais été fasciné par le moment qu'elle raconte : la confection d'une flûte par un enfant, très tôt le matin, encore la nuit ; belle image où l'artiste fourbit ses armes, encore imparfaites, s'inscrivant dans le Temps (comme dirait la dernière ligne de la "Recherche du temps perdu").

Alors que j'ai repris "A stanza di u spichju", du même auteur, me promettant de m'y replonger avec délices, je fais finalement retour vers une lecture passée, et toujours vive. Serà un piacè tamantu di ripete, di ripiglià, di ricumincià sempre u listessu ghjocu : move si incù e parolle di l'altri...

Hè statu scrittu in 2002 issu cummentu.

Bona lettura !

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La flûte et l'enfant

Rinatu Coti fait partie, depuis un moment déjà, des auteurs corses qui n’ont plus besoin d’être présentés ou reconnus : son oeuvre, abondante, diverse, riche d’une réflexion approfondie et proprement littéraire sur la Corse parle pour elle-même. Essentiellement en langue corse, cette oeuvre présente aussi quelques textes en français ou mêlant les deux langues. Dans l’extrait suivant, tiré de la nouvelle « La mère et l’enfant » publié dans le recueil intitulé Les ombres de la mémoire, le narrateur évoque un moment de son enfance :


Je revois ce lieu et cet instant précis, comme si tout s’était imprimé en moi. Les bruits, les odeurs, les mots sont là, avec leur puissance d’évocation inégalée. Je tiens cette tige de sureau et, pour vérifier mon travail, je la mets devant mon oeil droit ouvert après avoir fermé l’autre. Je regarde si la tige est vidée de sa substance. Oui, c’est bon. Je pousse un long soupir de contentement. Je suis ravi. Avec la pointe du canif, je me mets à perforer la tige. Je suis impatient de voir mon travail achevé. J’entends toujours le fouet avec les : Ho ! Hisse ! réguliers de Maurice qui n’est pas essoufflé. C’est Camille qui charge les sacs.

Le temps paraît suspendu. La nuit continue d’empiéter sur le jour qui ne parvient pas à se défaire des ténèbres. L’aube semble piétiner. Seul le vent continue de mugir et de se dépenser sans mesure. Il est six heures et demie. Je n’ai pas de montre mais j’en suis sûr. Car l’angélus me parvient, précédant le grand carillon du dimanche. À la vigueur de la volée, je reconnais aussitôt la touche de Canoche, le vieux sonneur, qui s’en donne à coeur joie, s’activant aux trois cordes. Il n’a pas son pareil pour faire vibrer le campanile avec une telle force. Je distingue, agrippés au flanc de la colline, les vieux oliviers dont le feuillage pâle et argenté tremble sous la virulence du vent.

Rien ne me presse. Même si le froid pique et que le ciel menace, je suis trop bien pour chercher un autre endroit où prolonger ces quelques instants de tranquillité. Je poursuis ma tâche qui mobilise toute mon attention. Du bosquet proche me parviennent les pépiements d’une compagnie d’oiseaux affairés en quête de nourriture. Plusieurs, les plus hardis, s’approchent de moi. Je les reconnais, ce sont des passereaux. Leur bec est court, gros et dur. Oui, ce sont des gros-becs. L’un d’eux, le plus curieux et intrépide de la bande, volette et se pose sur la branche morte où j’appuie mes pieds. Il m’observe, suit le moindre de mes gestes. Je fouille dans mes poches et j’en tire des miettes que je répands par terre. Le gros-bec hésite un bref instant puis se met avec vivacité à becqueter. Il a tôt fait de gober toutes les miettes. Il s’approche encore, jusqu’à effleurer mes chaussures de son bec. C’est un oiseau familier qui a compris qu’il n’a rien à redouter. Il continue de me regarder pendant que je m’ingénie à creuser les trous de la flûte. J’essaie l’ébauche. J’en tire des sons qui me déçoivent. Mais enfin je m’en contenterai pour une première tentative. Je m’appliquerai davantage la prochaine fois, me promettant d’observer Salomon avec plus d’attention.


Cummentu :


Mais il ne sera pas fait mention d’une prochaine fois dans la nouvelle car un événement tragique va venir perturber la vie tranquille du petit garçon, le conduisant à écouter les discours successifs des villageois sur cet événement pour enfin assister d’une façon très inquiétante à un autre drame qui donne son titre à la nouvelle. On le voit, la structure de cette nouvelle est assez complexe car deux histoires se succèdent, les points de vue se multiplient et les mystères conservent leur part d’ombre.

Notre extrait pourtant, situé au début de la nouvelle, présente dans une grande simplicité un moment très quotidien, presque banal. Cette simplicité pourrait n’être que le signe du regard enfantin, engrangeant sans vraiment les discriminer ou les organiser tous les sons entendus, tous les êtres et objets vus, toutes les sensations. Mais elle est aussi le sentiment qui accompagne certains moments solitaires de l’enfance, moments de grande intensité, durant lesquels un caractère se forme.

Ici, un enfant est absorbé par la confection d’une flûte dans une tige de sureau. Auparavant, il s’est amusé à différents autres jeux au cours de son équipée matinale mais la confection de la flûte est ici une activité qui se distingue de toutes les autres. Tout d’abord, elle échoue. Le travail n’est qu’une « esquisse », l’application de l’enfant n’est pas récompensée mais cela n’a pas grande importance, car on pourra toujours recommencer ce qui apparaît à la fin du passage comme un effort qui demande de très grandes qualités. En effet, et c’est le deuxème élément qui distingue cette activité, il existe un maître en la matière : Salomon. Un maître qu’il faut observer attentivement. Tendu entre une solitude pleinement ouverte sur la nature et le village qui l’entourent et l’apprentissage de la fabrication d’un petit instrument de musique, le jeune enfant développe des qualités d’observation particulièrement aigües.

Les cris de Maurice, les oiseaux qui s’approchent, la cloche sonnant l’Angélus, le vent dans les oliviers, la tige de sureau qu’il faut vider, tous ces éléments se manifestent avec une égale intensité à la conscience de celui qui dit « je ». À tel point que « le temps paraît suspendu (...) L’aube semble piétiner ». Le moment de la journée ainsi associé avec le nom de celui qui apprit au garçon à confectionner une flûte semble discrètement nous indiquer que l’auteur a voulu dépeindre ici quelque chose de plus qu’un simple moment agréable de l’enfance.

Le passage de la nuit au jour, la solitude, l’acte de création auquel s’adonne l’enfant, Salomon renvoyant par son nom à celui qui fut l’un des rois d’Israël et l’un des écrivains, légendaire ou pas, de la Bible : tout concourt à nimber cette scène d’une aura de mystère. Les moments mystérieux sont très souvent des moments originels, qui, sans marquer le commencement précis de quelque chose, en apparaissent tout de même comme la matrice lointaine mais indubitable. La flûte acquiert ici la valeur d’un objet mythique et sa confection celle d’un acte initiatique. Ainsi au bout de cette initiation, avec sa flûte à moitié réussie, au bout de ce moment de solitude après lequel l’histoire va vraiment commencer, au bout de ce morceau de temps arrêté, l’enfant doit nous apparaître comme métamorphosé. Car l’auteur, dans ce passage si simple, met peut-être en scène la naissance d’un écrivain : « Je revois ce lieu et cet instant précis, comme si tout s’était imprimé en moi. Les bruits, les odeurs, les mots sont là, avec leur puissance d’évocation inégalée. » On attendrait qu’il soit question de « paroles » « gravées » dans la mémoire, or c’est de « mots » et de choses « imprimées » dont parle l’auteur. L’enfant devenu vieux signale ainsi qu’à ce moment-là déjà se préparait sa future vocation : celle de choisir patiemment, inlassablement, avec une attention redoublée, les mots et les phrases aptes à susciter les mondes imaginaires, passés ou rêvés.


mardi 9 mars 2010

Qu'apprends-je ?!

En recevant des mails, ou en vagabondant sur la toile, j'apprends, avec un immense plaisir, notamment, ceci :

- les éditions Cismonte è Pumonti (dirigées par Rinatu Coti et Jean-Pierre Graziani, auteurs déjà évoqués sur ce blog : cliquer sur leurs noms dans la liste à gauche de ce texte) ont un blog ! Allez-y voir, leur catalogue contient notamment l'oeuvre de Coti (mais je n'ai pas l'impression que le blog propose tous les livres de cet auteur majeur, peut-être bientôt ?) ; je vais commander (par courrier postal me semble-t-il) le "Ghjuvenù, ghjuventù" de Marceddu Jureczek, cela fait longtemps que je veux lire ce texte, j'en ai entendu trop d'échos positifs !

- sur la Gazetta di Mirvella, une chronique un peu provocatrice de Ghjuvan Filici comparant littérature corse et littérature irlandaise, pour mettre l'accent sur le fait que la littérature irlandaise - au contraire de la littérature corse - met l'accent sur "l'émancipation et la liberté de l'individu", et pour ce faire, produit des livres très critiques, qui réagissent contre la "première tyrannie : celle du pays natal." Face prò issa chjama pè produce una literatura corsa chì ùn sia micca solu una difesa lirica di l'isula, no ?

- enfin, pour rapidement clore ce billet, ce soir, je voulais signaler le plaisir que j'ai pris à lire un poème signé par Mister Palu (toujours sur la Gazetta di Mirvella). J'évoquais dernièrement une lutte, dans la poésie de Charles-Timoléon Pasqualini, entre le lyrisme scandé et parfois stéréotypé et une tentation prosaïque. J'aime cette tension, et particulièrement lorsqu'elle se fait jour à l'intérieur du poème lui-même. Eh bien, c'est l'impression que j'ai ressentie en lisant le poème signé Mister Palu : l'émotion, pour moi, y est d'autant plus forte qu'elle est empêchée par nombre de vers neutres, froids, parfois tranquillement ironiques. Qu'en pensez-vous ? (Je remarque aussi, avec ravissement, la variété des styles de la poésie corse contemporaine).

Voici un extrait de ce poème, intitulé "Après les transhumances" :

Pierre-Paul n’aurait plus jamais à garder des chèvres
Il gardait des humains qui ronflaient dans des tentes

samedi 6 mars 2010

Citadella da fà...

On se souvient que la dernière fois que Saint-Exupéry quitta le sol de notre planète, ce fut à partir de l'île de Corse. (Depuis un certain temps je rumine un travail autour de cette figure envolée). Il écrivit une lettre avant de décoller, magnifique lettre dont nous avons parlé ici.

Croisant cette perspective avec le projet de ce blog qui est de recueillir les textes et points de vue qui hantent les esprits des lecteurs de littérature corse, je place dans ce billet deux textes qui se font écho, et qui dessinent pour moi un espace où l'on peut s'ébrouer un peu...

Premier texte : Un poème (chanté par Canta u Populu Corsu) de Ghjacumu Fusina (toujours adoré le changement rythmique entre le couplet et le refrain) : "Citatella da fà" (vous pouvez trouver ce poème dans le recueil "E sette chjappelle", chez Albiana. Je ne suis pas du tout sûr de comprendre le poème dans son intégralité (je vais essayer de le traduire pour moi-même). Un poème du désir : ce "tù chì voli" répété cinq fois. Une littérature corse de l'enthousiasme : en 1981, cet enthousiasme était peut-être plus "crédible" qu'aujourd'hui, certes... Un tel poème est-il encore possible aujourd'hui ? (Je me demande d'ailleurs pourquoi Fusina s'est inspiré de ce livre de Saint-Exupéry, le savez-vous ?)

Deuxième texte : Un extrait de "Citadelle", de Saint-Exupéry. Cet extrait, je l'ai lu et relu, d'abord je pense parce qu'il commence en mentionnant une "île" (ce qui m'attirait), et ensuite parce qu'il met en garde contre l'amour (vain) pour cette île (ce qui me heurtait), avec cette incroyable phrase : "Car tu ne trouveras dans ton île ni liberté, ni exaltation, ni amour". Bien sûr, tout dans ce livre inachevé n'est pas poli comme l'aurait voulu l'auteur, et son style peut irriter, la posture de son narrateur, cette parole d'injonction permanente, son imaginaire guerrier et religieux, ces images sans cesse reprises... Cependant, je me plonge avec ravissement dans le rythme de cette écriture, je m'accroche à certaines expressions, j'apprécie la tension spirituelle que propose l'auteur...

Non, je n'ai pas lu en entier "Citadelle", ni même à moitié, ce qui est aussi le cas de "E sette chjappelle" (je vais encore recevoir des tombereaux de lettres manuscrites - si, si, vous pouvez me croire, je ne plaisante pas - pour protester contre l'outrecuidance qui me pousse à parler tout de même de ces livres..., alors voir ici ma réponse, par avance ; et une autre réponse encore). Mais que cela n'empêche pas tous ceux qui ont lu l'intégralité de ces deux livres (de Fusina et de Saint-Ex) de nous faire partager leurs points de vue bien plus avisés ! Peut-être avez-vous une autre lecture de ces textes ? Vous l'avez compris, ce blog - en tout cas pour moi - fonctionne comme un activateur de mémoire (et non d'abord - ce qu'il peut être aussi - comme le réceptacle d'études approfondies ; il fait appel à la profondeur de nos mémoires...)

Allons-y, voici les textes, il faut bien revenir à eux, ils sont nos jeux essentiels !

CITATELLA DA FÀ

À mezu à la rena di u disertu

nantu à una spianata è à l'apertu
mediteghjalu puru u gestu offertu

tù chì voli murà

a petra di l'avvene

citatella da fà di speme per dumane

U nimicu circonda li to lochi

è ne vedi ognitantu li so fochi

chì ti facenu a spia s'è tù ghjochi
tù chì voli pisà
a to casa di mane

ùn ti manca da fà

pè le strade suprane

Chì tuttu hè scambiu è leia trà di noi

trà la guerra è la pace chè tù godi
è capiscimi avale s'è tù poi

tù chì voli sallà

l'amicizia di pane
cù lu sangue à metà
dì fraiata di cane


Ti sente sopr'à l'osse a pelle macca

quand'è tù stringhji li to pugni in stacca
l'ochji fissi nant'à la negra tacca
tù chì voli fighjà

u celu di dumane
è ci voli caccià

tutte l'idee vane


Ma dorme ùn poi più, ùn dorme mai !

è rifletti à quesse le veritai

chì t'avvinghjeranu tantu oramai

tù chì voli crepà
tutte le forze arcane

quelle di l'aldilà
inseme à le terrane.


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Je te veux dessiller les yeux sur le mirage de l'île. Car tu crois que dans la liberté des arbres et des prairies et des troupeaux, dans l'exaltation de la solitude des grands espaces, dans la ferveur de l'amour sans frein, tu vas jaillir droit comme un arbre. Mais les arbres que j'ai vus jaillir le plus droit ne sont point ceux qui poussent libres. Car ceux-là ne se pressent point de grandir, flânent dans leur ascension et montent tout tordus. Tandis que celui-là de la forêt vierge, pressé d'ennemis qui lui volent sa part de soleil, escalade le ciel d'un jet vertical, avec l'urgence d'un appel.
Car tu ne trouveras dans ton île ni liberté, ni exaltation, ni amour.
Et si tu t'enfonces pour longtemps dans le désert (car autre chose est de t'y reposer du charroi des villes), je ne sais qu'un moyen de l'animer pour toi, de t'y conserver en haleine et de le faire terreau de ton exaltation. Et c'est d'y tendre une structure de lignes de force. Qu'elles soient de la nature ou de l'empire.
Et j'installerai le réseau des puits assez avare pour que ta marche aboutisse sur chacun d'entre eux plus qu'elle n'y accède. Car il faut économiser vers le septième jour l'eau des outres. Et tendre vers ce puits de toutes ses forces. Et le gagner par ta victoire. Et sans doute perdre des montures à forcer cet espace et cette solitude, car il vaudra le prix des sacrifices consentis. Et les caravanes ensablées qui ne l'ont point trouvé attestent sa gloire. Et il rayonne sur leurs ossements sous le soleil.
Ainsi, à l'heure du départ, quand tu vérifies le chargement, tires sur les cordages pour juger si les marchandises balancent, contrôles l'état des réserves d'eau, tu fais appel au meilleur de toi-même. Et te voilà en marche vers ta contrée lointaine qu'au-delà des sables bénissent les eaux, gravissant l'étendue d'un puits à l'autre puits, comme les marches d'un escalier, pris, puisqu'il est une danse à danser et un ennemi à vaincre, dans le cérémonial du désert. Et, en même temps que des muscles, je te bâtis une âme.
(...)
Faible et pitoyable est la joie que tu tires de fausses structures, en te les inventant par jeu. Car si tu aimes ce diamant il te suffirait de marcher vers lui à petits pas et de plus en plus lentement pour vivre une vie pathétique. Mais si ta marche lente vers le diamant est d'un rite qui t'enserre et t'interdit d'accélérer, si en poussant de toutes ses forces contre lui ce sont mes freins que tu rencontres et qui t'interdisent d'accélérer plus, si l'accès au diamant ne t'est ni empêché absolument - ce qui te le ferait disparaître en signification, le changeant en spectacle sans poids - ni facile, ce qui ne tirerait rien de toi - ni difficile par invention stupide, ce qui serait caricature de la vie - mais simplement de structure forte et de qualités nombreuses, alors te voilà riche. Et je ne connais point autre chose que ton ennemi pour te le fonder et je ne découvre rien ici qui puisse te surprendre car je dis simplement qu'il faut être deux pour faire la guerre.
Car ta richesse est de forer des puits, d'atteindre un jour de repos, d'extraire le diamant et de gagner l'amour.
Mais ce n'est point de posséder des puits, des jours de repos, des diamants, et la liberté dans l'amour. De même que ce n'est point de les désirer sans y prétendre.
Et si tu opposes comme mots qui se tirent la langue le désir et la possession, tu ne comprends rien de la vie. Car ta vérité d'homme les domine et il n'est rien là de contradictoire. Car il faut la totale expression du désir et que tu rencontres non d'absurdes obstacles mais l'obstacle même de la vie, l'autre danseur qui est rival - et alors c'est la danse. Sinon tu es aussi stupide que celui-là qui se joue, à pile ou face, contre lui-même.
Si mon désert était trop riche en puits, il faut que l'ordre vienne de Dieu qui en interdise quelques-uns.
Car les lignes de force créées doivent te dominer de plus haut pour que tu y trouves tes pentes et tes tensions et tes démarches, mais doivent, car toutes ne sont point également bonnes, ressembler à quelque chose qu'il n'est point de toi de comprendre. C'est pourquoi je dis qu'il est un cérémonial des puits dans le désert.

Donc n'espère rien de l'île heureuse qui est pour toi provision faite pour toujours comme cette moisson de quilles tombées. Car tu deviendrais ici bétail morne. Et si les trésors de ton île que tu imaginais retentissants et qui une fois abordés t'ennuient, je te les veux faire retentir, je t'inventerai un désert et les distribuerai dans l'étendue selon les lignes d'un visage qui ne sera point de l'essence des choses.
Et si je désire te sauver ton île, je te ferai don d'un cérémonial des trésors de l'île.

Déploiements

Donc la littérature corse déploie des ailes, notamment grâce à des gens valeureux qui habitent hors de l'île, ailes plus ou moins grandes ou discrètes, ici et là, ailes numériques, ailes de papier, alors ici je relaie, avec bien d'autres, ceci :

1 - sur le blog languedocien de Marsyas, des mots de Guillevic traduits en corse par F.M. Durazzo et récupérés du site d'Angèle Paoli (avec toutes les autorisations préalables, bien sûr !) :

Mari in taddu di nudda
Chì s'abbulighja à a nudda.

Lire la suite ici.

(Original french version :

Mer au bord du néant,
Qui se mêle au néant,
)

Et la forme cévénole du même ! :

Mar que ribejo ço que noun es,
Mesclo embé ço que noun es

Da leghje a seguita.

2 - je relaie aussi un appel à souscription que vous avez déjà peut-être reçu (comme moi, trois fois, ça y est, j'ai envoyé mon chèque) ; si ce n'est pas le cas, vous avez maintenant la possibilité de soutenir très concrètement la littérature corse (la poésie en l'occurrence). La revue Nu(e) propose un choix - effectué par Jean-François Agostini - de poèmes de 13 poètes corses (un petit jeu, connaissez-vous les prénoms ? :
- Angeli
- Bastard
- Biancarelli
- Cesari
- Di Meglio
- Rodriguez-Antoniotti
- Durazzo
- Fusina
- Manzagol
- Maoudj
- Migozzi
- Sanguinetti
- Santucci
- Viangalli
; c'est dans son numéro 44, qui paraîtra (grâce à nous tous, donc) en mai 2010.
Pour télécharger le bulletin de souscription, je renvoie vers le blog de Xavier Casanova (en plus autour du bulletin vous aurez droit à un propos de XC et un commentaire de Norbert Paganelli, gratuits ! et intéressants !)

3 - Puisqu'il est question de poésie, un clin d'oeil vers le "work in progress" de la rubrique "2010, année de la littérature corse" sur le site des éditions Albiana, cela doit donner des envies de lecture (et les livres peuvent être achetés par Internet, il doit donc y avoir quelques lecteurs en Nouvelle-Zélande...). Quatre poèmes de quatre auteurs différents. Et de nouveau, le jeu des prénoms :
- Fusina
- Santucci
- Franchi
- Vinciguerra (ah, en plus c'est un poème cité sur ce blog, et qui a donné lieu à une immense discussion à propos de la poésie corse, discussion où sont cités les poètes Migozzi, Graziani, Lovichi, etc. etc. mais aussi Pessoa, etc. Ah, la ronde infinie dans la belle forêt numérique...)

mardi 2 mars 2010

Norbert Paganelli lisant "Murtoriu"

Récemment lu sur ce blog :

"sur quelque blog que l'on aille, murtoriu, murtoriu , et encore murtoriu!! quelle originalité!!! même dans les "critiques" , c'est du copié-collé !!"

C'est dire si c'est un un plaisir de placer ici les propos de Norbert Paganelli (poète, voir son site : Invistita, où vous trouverez bien d'autres présentations de bien d'autres ouvrages, corses ou non, rubrique "news"). Ces propos sont certes tenus à propos de "Murtoriu", le dernier roman en date de Marcu Biancarelli, mais ce n'est pas du copier-coller !

Merci à Norbert de placer ici une telle lecture - susceptible de donner envie de discuter, voire de pointer, voire de citer, d'autres passages du livre en question.

ATTENTION : un avertissement tout de même : le billet de Norbert contient des informations qui révèlent le déroulement et la fin de l'intrigue (pour les lecteurs qui veulent garder le suspense, il vaut mieux lire le livre d'abord : l'acheter ici (ou l'emprunter à un ami...). Mais cet avertissement était aussitôt équilibré par cette remarque du même Paganelli en réponse à un de mes messages :

"
Concernant la "défloration" de l'oeuvre, je suis certain que Marc rira
beaucoup du terme mais pourquoi ne pas lui demander ? C'est vrai que je
dis presque tout mais je ne pense pas que l'essentiel soit dans
l'intrigue sinon je m'y serai perdu, mais dans l'art et la manière de
nous émouvoir...C'est au fond le vrai travail de l'écrivain."

Bonne lecture !


MURTORIU
Marc Biancarelli
Albiana, 234 p, 2009
Voir une analyse du même ouvrage sur Avali et sur Pour une littérature corse :

Disons le tout net, "Murtoriu" est l’un des ouvrages en prose qui nous a le plus touché. On ne peut expliquer clairement pourquoi un visage, un paysage, un tableau provoquent en nous un tel effet mais le constat s’impose et nous force à admettre qu’il existe bel et bien un mode perception que les spécialistes nomment l’insight et qui dépasse tout ce que la raison analytique peut imaginer. Serait-ce une raison pour que nous en restions là ? Non bien entendu, il nous faut tenter d’essayer d’y voir un peu plus clair, étant entendu que nous ne dissiperons jamais la totalité du mystère qui enveloppe une œuvre. Alors, pour reprendre la démarche de G. Pompidou dans la célèbre préface à son "Anthologie de la poésie", nous allons précautionneusement tenter de mettre en évidence ce qui est palpable, mesurable, convaincu par ailleurs que l’essentiel est très certainement invisible pour les yeux et qu’il ne saurait se laisser enserrer dans la trame d’un discours.
Nous avons tenu à traduire en français les passages cités, étant entendu que cette traduction est rapide et n’est proposée ici que pour faciliter la compréhension et engager le débat.

Un narrateur en rupture
Ecrivain à ses heures perdues (et il en a beaucoup), Cianfarani est également le propriétaire d’une librairie qui a du mal à le faire vivre. Les clients sont peu nombreux et lorsqu’ils pourraient l’être, il déserte sa boutique, située près du littoral, pour sa maison à l’intérieur des terres.
 Cianfarani a de quoi vivre, sa famille lui a laissé quelques biens qu’il n’hésite pas à vendre à son frère, lequel semble, bien mieux que lui, avoir le sens des affaires. Il mène quant à lui une existence austère mais ne s’en plaint pas. Il ne voudrait pour rien au monde entrer dans le monde consumériste qu’il voit défiler, près des plages, dès la saison des beaux jours, c’est la raison pour laquelle il trouve refuge à l’intérieur, là où il peut prendre un certain recul afin d’écrire et de réfléchir…

Mais à quoi bon ce recul ? Pour écrire des livres édités à compte d’auteur et qui n’ont qu’un faible lectorat ? Pour réfléchir et se remémorer le temps d’avant ? Le temps ou un autre Cianfarani (son grand père) mobilisé au 173° de ligne participait à l’effroyable boucherie d’une guerre dont nul n’est revenu indemne ? Pour ne pas être englouti dans un mode de consommation et d’existence qu’il exècre ?
Peut-être mais au fond pas si sûr car la vie qui est la sienne, il semble la subir plutôt que d’en être l’acteur, l’acteur presque solitaire mis à part ses quelques compagnons qui se retrouvent pour évoquer des banalités au bar, les jours où celui-ci est ouvert.
Cianfarani semble avoir tout raté même sa carrière d’écrivain.

« Quandu pà a prima volta di a me vita prisinteti un assaghju à un editori, cù a pratinzioni d’un avanzu di trè milla eurὸ, mi fù annunciatu piuttostu chì nimu mi lacaria mai a piazza d’un intellettuali, è chì, al dilà di cunquistà i folli, risicaiu di riducia u me letturatu à a so più sìmplicia sprissioni, è dunca di sὸffrani monda. Aghu suffertu subratuttu di ‘ssi très milla eurὸ ch’ùn mi sὸ mai cascati in bunetta, è dunca, com’è l’aveti capita, u me libru fù rifusatu, è socu firmatu in u duminiu sipàticu di a puisia. Era puri un bellu libru d’autori, chì viaghjaia nantu à i violi di a pulìtica , l’antrupulugia, l’anarchia è u n’importa chì, unu spezia d’assaghju alluntanatu abbastanza da l’accademismi chì sὸ fiuriti da quinci com’è in altrὸ, un’ ὸpara ch’in u me capu si scrivia in una certa tradizioni anticunfurmista, quì induva s’aspetta sempri è in darru u pinsà, monda dopu ch’iddi sighini pussuti esista Orwell è Pasolini » (Chap 3, p 35)

« Lorsque pour la première fois de ma vie je présentai un essai à un éditeur, avec la prétention d’une avance sur honoraire de trois milles euros, il me fut répondu que personne dans le milieu intellectuel ne me laisserait jamais une place et que mis à part ma quête de notoriété, je risquais fort de voir mon lectorat se réduire à sa plus simple expression et de souffrir de cet état de fait. J’ai surtout souffert de ne pas voir ces trois mille euros tomber dans mon escarcelle, et comme vous l’avez compris, mon livre fut donc refusé et je me suis cantonné dans le registre sympathique de la poésie.
C’était pourtant un beau livre d’auteur qui traitait de politique, d’anthropologie, d’anarchie et de n’importe quoi, une sorte d’essai suffisamment éloigné des académismes qui ont éclos ici et là, une œuvre que je pensais inscrite dans toute une tradition anticonformiste, là où l’on espère encore et toujours la pensée créatrice, bien longtemps après Orwell et Pasolini. »

La nature comme valeur refuge
Les belles descriptions du sud insulaire que Marc Biancarelli nous offre présentent souvent l’aspect d’un monde où la vie végétale, animale et humaine passe au second plan. Le devant de la scène est occupé par des arêtes, des pics des éboulis, des chaos granitiques brulants l’été et réfrigérants à la morte saison. Ces paysages grandioses ne sont pas à la mesure de l’homme, ils l’écrasent de leur imperturbable beauté, le laissant comme nu face à ce décor qui n’est pas à sa mesure.
Parfois, le regard se perd vers cet ailleurs que symbolise l’île jumelle qu’un bras de mer tient à distance, parsemé lui aussi par quelques éléments minéraux sur lesquels la vie à du mal à s’enraciner.
Rocs, ravins, déchirures, pics… Comment imaginer que la vie d’un homme puisse s’y agripper alors que l’humus est si rare…D’autres fois, la description des lieux est plus humaine, la faune, la flore y sont présentées comme un écrin protecteur où à défaut de bien y vivre on peut tenter d’y survivre.

« I Sarcona.Vinti trè casi s’e’ fighjulgu da a me tarrazza, un pocu di più s’e’ m’alluntanighju è ch’e’ coddu annantu à a Presa, un grossu cantonu chì ci servi d’affaccatoghju. Un paisolu chjusu in a so conca, attuffatu trà i castagni è i pina. Milli metra d’altezza. Da l’affaccatoghju vicu I cimi di a crista, dui o trè tetta di u Rutaghju, è suttu ci hè a falata versu a piaghja, a fin’ di u rughjonu, no dimu “I tarri”, ci hè u mari al dilà, l’isolotti è a Sardegna, ci vicu I lumi di I cità o di I vitturi, di I volti, quand’I a notti u celi hè bè spannatu. S’iddu ci hè caldu, ùn si vidi più nudda à l’orizonti, solu una razza di fumaccia turbida, un chjarori chì pari di vulè significà calchi cunfina. » (chap 1 p 7)

Les Sarconi. Vingt trois maisons si je regarde de ma terrasse, un peu plus si je m’éloigne et monte sur la Presa, un énorme rocher qui nous sert de promontoire. Un hameau recroquevillé dans sa coquille, blotti entre les châtaigniers et les pins. Mille mètres d’altitude. Du promontoire je vois les cimes de la crête, deux ou trois toits de Rutaghju, et en dessous il y a la descente vers le littoral, au bout de cet espace que nous appelons « les terres », il y a la mer, les ilots et la Sardaigne, la nuit, lorsque le ciel est dégagé, j’y vois, parfois, les lumières des villes ou des voitures. Lorsqu’il fait chaud on ne voit plus rien à l’horizon, une sorte de brume vacillante, une clarté qui semble juste vouloir signifier qu’il y a quelque chose. »

Le sexe en guise d’amour
Marc Baiancarelli fut l’un des premiers (à mon avis le premier) à introduire dans ses textes des descriptions de scènes sexuelles et à aborder de front cet aspect de la question. Il faut bien dire qu’avant lui, le sujet était quelque peu escamoté. "Murtoriu" confirme la démarche de l’auteur mais à dose homéopathique dirions-nous. Certes, on n’y retrouve pas d’évocations romantiques mais les scènes « crues » existent sans que l’on puisse dire qu’elles occupent le devant de la scène.
Leur présence nous interpelle toutefois car elle semble signifier que le thème de l’amour se réduit exclusivement au commerce de la chair, décrit sur le mode réaliste et quelque peu provocant. Est-ce à dire que dans l’univers du narrateur seule la chair possède une certaine légitimité et que les sentiments n’en ont aucune ? Peut–être.
Toujours est-il que Cianfarani, lorsqu’il contemple une femme ne voit que son entrejambe sur lequel il rêve comme on rêve devant un plat que l’on s’apprête à consommer et qui provoque une sournoise colère lorsqu’il se dérobe soudain alors qu’on le pensait à portée de main.
Et lorsqu’il consomme, il ne le fait pas en gourmet mais en glouton, persuadé qu’il doit avant tout se rassasier afin d’affronter, du mieux qu’il peut, une longue période de jeûne.

« Tutta a sirata l’aghju futtita , in tutti i pezzi di l’appartamentu. Cambiaiamu di locu, di pusizioni, pruvaiamu tuttu ciὸ chì ci passaia in capu, è riagisti bè ancu quandu cumminceti à mettali i pattona annant’à i paffi, è muvia di piaceri à ugni invinzioni nova. CI abbandunaiamu infatti à tutti i spirienzi, com’è si calcosa ci dissi di prufittà à fundu, ch’ùn la cunnusciariamu pὸ dassi mai più, una passata sìmuli. A futtiu è mi diciu iè, hè mortu tuttu t’universu, semu da nudda, senza rispettu di a crianza, ma puttana gobba, quantu hè bona a me cugina Lena ! » (chap 15 p178)

« Je l’ai baisée toute la soirée, dans les pièces de l’appartement. Nous changions de lieu, de position, nous tentions tout ce qui nous passait par la tête, elle réagit parfaitement même lorsque je commençai à lui donner des coups sur les fesses, elle meuglait de plaisir à chaque trouvaille. Nous nous abandonnions en fait à toutes les expériences comme si quelque chose nous disait d’en profiter intensément, que nous ne connaitrions plus jamais un moment pareil. Je la baisais et je me disais, l’univers entier est mort, nous ne servons à rien, nous ne respectons plus rien, mais putain de merde, quel bon coup ma cousine Lena ! »

Et la tendresse ?
Il serait faux d’affirmer que l’ouvrage ne baisse pas la garde… plusieurs scènes sont touchantes par la tendresse qu’elles dégagent. Il ne s’agit pas de scènes d’amour mais assez curieusement de scènes décrivant la mort d’un acteur. C’est le cas du passage de la mort du jeune soldat Paganelli…

« Paganelli s’hè lacatu piddà a mani, è i so dita senza forza ani circu di stringhja. Ma ùn la facia. I so pansamenti annant’à u pettu erani bagnati di sangu, si sbiutaia malgradu a intarvinzioni di u chirurgu. I baddi l’aviani tarzarulatu i pulmona, avali sudaia è duvintaia grisgiu in ‘ssu mezu lumu suttu à a tenda. Hà finitu pà mova i so labbra, circhendu di dì dui parolli. Ma ùn capiani micca. AlloraCianfarani hà calatu u capu. « Chì dici o liὸ ? Mi voli dì calcosa ?.... »
L’ochja di Paganelli so sὸ aparti d’un colpu, facia unùltimu sforzu pè ridrizzà u capu, tuttu u so corpu trimulaia. « Pianu o Dumè…Pianu…Pianu o amicu…. » Tandu, un sonu hè sciutu da ‘ssa bucca à l’agunia, un sonu attuffatu, è st’ochja persi ùn pariani più di veda stu locu, a tenda, i ferti, i duttori affaccindati, sti dui cumpagni affannati à u so cantu, ma indu’ vidiani, st’ochja cù u so ùltimu chjarori di vita, indu’ si purtaia, a mimoria di Paganelli, à u momentu pricisu di renda l’ùltimu fiatu ? « Ti cunnoscu…. » avia dittu incuerenti, è ùn avia dittu altru nudda.
A so boci débbuli si firmὸ par sempri. » (chap 9 p 100)

« Paganelli s’était laissé prendre la main, et ses doigts sans force ont essayé de serrer. Mais il n’y parvenait pas. Ses pansements sur sa poitrine étaient plein de sang, il se vidait malgré l’intervention du chirurgien. Les balles lui avaient perforé les poumons, et maintenant il transpirait, il devenait gris dans cette pénombre qui régnait sous la tente. Il a fini par bouger ses lèvres afin de pour prononcer quelques paroles. Mais ils ne comprenaient pas. Alors Ciafarani a baissé la tête : « Qu’y-a-t-il ? Tu veux me dire quelque chose ? »
Les yeux de Paganelli se sont ouverts d’un seul coup, il faisait un dernier effort pour relever la tête, tout son corps tremblait. « Doucement, Dominique, Doucement…Doucement mon ami…. » Alors il est sorti un bruit de cette bouche agonisante, un bruit étouffé, et ces yeux perdus qui ne semblaient plus voir ce lieu, la tente, les blessés, les docteurs affairés, ces deux compagnons fous de douleur a ses cotes, mais que voyaient ils ces yeux avec leur dernière lueur de vie, vers quoi se dirigeait la pensée de Paganelli, à ce moment précis où il allait rendre son dernier soupir ? « Je te reconnais… » avait-il dit, incohérent, et il n’avait plus rein dit d’autre ».

Les évocations de la grande guerre ponctuent le livre comme une sorte de leit motiv, comme pour bien rappeler qu’il y eut un « avant » et un « après » dans cette société traditionnelle saignée à blanc par la tuerie. Par ses descriptions sans concession de l’univers des combats, Biancarelli est dans la lignée d’Alice Ferney et de son ouvrage sur cette même tragédie ("Dans la guerre") ou encore de Patrick Rambaud lorsqu’il nous dévoile dans "La Bataille" qu’il n’a jamais existé de guerres en dentelles et que les dommages collatéraux furent, de tous temps, les plus méconnus et les plus insupportables.

La tendresse est aussi présente lorsque Mansuettu est assassiné par deux vauriens…Un peu comme si la période contemporaine avait évacué la guerre traditionnelle au profit d’une lutte larvée et impitoyable où tous les coups sont permis.

« Hè tandu chè Traianu hà lintatu u so brionu, ‘ssu brionu di distrezza infini scioltu, è chì ci stantaraia, no ch’ùn l’aviamu mai vistu pienghja, no ch’ùn imaginaiamu mancu ch’iddu avissi pussutu muscià cussì a so suffrenza. Traianu, cussì duru, ‘ssu pilastru frà mezu à no dipoi sempri, ‘ssu cantonu chì nienti avaria pusutu sfraià, chì mancu a fùlmina l’avaria fattu trimulà. Traianu cussì débbuli oramai, Traianu duvintatu una piaca viva, è chì briunaia u so dulori impinsèvuli. È cù u so brionu, circaia di strappà u celi, è di circà à Mansuetu ind’era ch’iddu si truvaia, è l’aria si rinfriscaia par fassi verga trà iddi dui, è l’aienti, è no, duvintaiamu com’è un mari assicatu, è ancu i muntagni, mi parsi ch’iddi si cutrestini di colpu, intrunati da l’addisperu, da u dulori, da u furrori chì ghjà nascìa. (chap 18, p 200)

« C’est alors que Trainu à faire entendre son cri, un cri de détresse enfin lâché, qui nous pétrifiait, nous qui ne l’avions jamais vu pleurer, nous qui n’imaginions même pas qu’il aurait pu ainsi montrer sa douleur. Traianu, si dur, ce pilier, parmi nous depuis toujours, ce roc que rien n’aurait pu détruire, que la foudre elle même n’aurait pas fait trembler. Traianu si faible désormais, Traianu devenu une plaie ouverte et qui criait sa douleur indicible. Tentant avec ce cri de pourfendre les cieux, cherchant Mansuettu là où il se trouvait, l’air maintenant virait au froid tentant une sorte de passerelle entre eux deux, les gens et nous, nous étions devenus comme une mer asséchée, même les montagnes me semblaient être glacées, ébranlées par le désespoir, la douleur, la fureur qui prenait naissance ici. »

Dans ce monde décrit comme un cloaque, des scènes touchantes peuvent exister entre les êtres humains. Ces scènes sont générées par l’amitié plus que par l’amour un peu comme si l’amitié était somme toute une valeur sûre, la seule valeur susceptible de rappeler à l’homme qu’il fait encore partie de la tribu des hommes.

Et pour finir…
Au final que semble vouloir nous dire l’ouvrage (l’auteur) ? Que le monde dans le lequel nous vivons a perdu son humaine caractéristique, tout entier soumis qu’il est à la tragédie des guerres meurtrières (les chapitres concernant la guerre sont au nombre de 4 et sont certainement parmi les mieux écrits du livre) ?
Que la résistance au rouleau compresseur de la modernité est un effort qui n’aboutira pas puisque le narrateur finit par s’exiler à Barcelone après avoir vendu ou loué son patrimoine ?
Que tout est noir ?

Probablement un peu tout cela… il ne m’échappe pas, en tout cas, que cette noirceur et cette désillusion, cette perception du « sfraiu » que le narrateur a si bien su exposer en fin d’ouvrage (chap 20, p 221) est aussi celle de l’auteur lui-même et de nombreux auteurs contemporains originaires de cette île. Comme il le dit lui-même dans un de ses récents articles, la thématique du « sfraiu » semble être un axe structurant de ce nouvel âge du « riacquistu ».
C’est le grand talent de Marc Biancarelli que d’avoir fait en sorte que le monde soit décrit comme un immense tas de fumier sur lequel peuvent naître les plus belles des fleurs.

Il faut m’imaginer heureux d’avoir pu lire un tel ouvrage et perplexe sur ma capacité à en rendre compte.

lundi 1 mars 2010

"Misère de la littérature corse" ?

Il y a bien des informations à relayer (je le ferai dans un autre billet, cette semaine), mais je voulais d'abord replacer dans ce nouveau billet un échange qui a débuté à la suite de la discussion sur les "prix littéraires" (voir ici).

Histoire de voir si vous voulez discuter du sujet proposé par un visiteur critique (anonyme ; mais cela ne dérange pas les principes de ce blog, je le répète avant qu'on ne fasse des remarques à ce propos). Si vous voulez enrichir vos propos (courtois, courtois) avec des exemples d'oeuvres, de livres, de pages, ce serait encore mieux !

Eccu :

Anonyme a dit…

Voilà bien là résumée la misère de la "littérature" corse. Tout tourne autour de ce médiocre Murtoriu, qui ne sonne le glas que de la noble écriture!!!!!


Clément Renucci (pour le blog sur le Petit Nicolas) et François-Xavier Renucci (pour le blog sur la littérature corse). a dit…

Ah, enfin, un propos critique sur un livre (à moins que, j'en ai peur, ce ne soit de nouveau une technique de marketing dernier cri...).

Anonyme 20:25, qu'entendez-vous par "médiocre Murtoriu" ? Comment l'avez-vous lu ? Avec quelles attentes ? Quelles pages vous ont déplu (ou plu) à ce point ?

"Misère de la "littérature" corse" : pouvez-vous développer ? Ce serait passionnant. Même avec beaucoup d'humour.

Merci pour cette intervention.

Anonyme a dit…

D'abord convenez que cela sent le réchauffé! sur quelque blog que l'on aille, murtoriu, murtoriu , et encore murtoriu!! quelle originalité!!! même dans les "critiques" , c'est du copié-collé !!
rien de nouveau sous le soleil. toujours les mêmes rengaines . et toujours le miséreux manque de distanciation auteur - personnage!!
si l'on applique la même lecture à un film , anthony hopkins mériterait donc perpète pour son personnage du "silence des agneaux"
- " l'auteur a mis beaucoup de lui dans son livre"
Foutaises!!!!
ensuite sur le livre:
j'ai bien essayé de le lire en entier mais j'avoue que j'ai jeté l'éponge avant la fin. si les 2 premiers étaient novateurs et apportaient un vent (enfin une légère brise) nouveau , eu égard à la sclérose ambiante ( au royaume des aveugles .....) rabâchant u paese di mammona , a cara muntagna...ecc..ecc, ce murtoriu n'est qu'une resucée , un ragoût trop souvent servi !
la recette ayant marché , on la reprend , manque de talent ou fainéantise , pour nous l'infliger à nouveau.
par misère de la littérature corse j'entends le peu de création.
Malko l'illustre si bien d'ailleurs qui se plaint de la "classe commune", sorte de fourre tout, des ouvrages .
mais peut-être n'êtes vous pas de mon avis???


Clément Renucci (pour le blog sur le Petit Nicolas) et François-Xavier Renucci (pour le blog sur la littérature corse). a dit…

Anonyme 21:25,
je me permets de replacer notre échange dans un nouveau billet, puisque le sujet est légèrement différent (la création et non les prix).
A bientôt.