mardi 5 octobre 2010

Oeuvre en cours


C'est tout de même bon, pour un lecteur ou une lectrice, de savoir que la source des livres qu'il ou elle aime est toujours vivace, que de l'auteur en question des textes jaillissent un peu partout, que ces textes font des petits, qu'une publication se prépare, que l'écriture d'un roman est en cours !

Un exemple, ce soir ? Celui de Marcu Biancarelli ; signalons donc avec joie :
- la renaissance d'un blog consacré à son oeuvre (c'est son blog perso) : marcubiancarelli.blogspot.com
- l'existence sur Facebook d'un certain nombre de poèmes inédits (mais enfin, cela ressemble à une certaine forme d'édition...)
- l'assurance que la traduction en cours du dernier roman, "Murtoriu", est bien en cours (oui mais jusqu'à quand ?)
- la nouvelle qu'un recueil des meilleures chroniques publiées dans Corse-Matin sera bientôt publié (en version bilingue corse/français)
- que la pièce de théâtre tirée de "51 Pegasi" est toujours en tournée (à ce que je crois, voir le Facebook du comédien, Christian Ruspini)
- et puis quoi encore ? Ah mais oui, bien sûr, la récente publication chez Materia Scritta, de "Vae victis", un recueil d'une quinzaine d'articles (traduits du corse ou écrits directement en français) et qui évoquent la Corse contemporaine à travers le point de vue créateur d'un écrivain qui choisit cette fois de ne pas s'exprimer au moyen de personnages ou de poèmes mais au moyen de son intelligence, de sa réflexion, de son désir d'intervention dans le champ public. Un exemple ? Le voici, extrait de l'article intitulé "Célébrations" :

La geste, l'évocation du merdier, ça veut encore dire quelque chose, de par chez nous. Dans toutes les familles l'épopée a laissé des traces, dans les veillées, dans les albums-photos, dans les cimetières. Notre culture et notre imaginaire ont été marqués au fer rouge. Une part de notre héritage est là. Mon père me racontait comment, alors qu'il était enfant, il écoutait la chute de Dien Bien Phu en direct à la radio, avec mon grand-père sous-off de la coloniale à ses côtés : "Isabelle vient de tomber... Gabrielle ne tiendra plus longtemps". Et tous deux pleuraient, le gamin et l'ancienne bête de guerre (Les Eparges, Verdun, le Maroc, la Syrie, plus quelques destinations exotiques plus tranquilles...), ils pleuraient les illusions perdues d'un Empire en décrépitude.

Ils nous l'ont bien fait avaler, leur bréviaire colonial, leur farce sinistre, à nous et à nos vieux. Par exemple un éminent conseiller municipal de mon village avait proposé un jour de faire baptiser une rue "Avenue de la Grande Aventure Coloniale des Corses". Je suis sérieux, mais je me fous pas de sa gueule, j'étais pas mieux que lui. Mon livre de chevet, quand j'avais une dizaine d'années, c'était quand même "Par le sang versé", de Bonnecarrère, le Quid des combats de la Légion en Indochine. J'étais illuminé, envoûté par la bravoure du colonel Mattei, je voulais être lui, diriger plus tard au feu une bande hétéroclite de Spartiates couillus, y aurait eu des Russes blancs frappadingues, des Ritals vicieux, anciennes chemises-noires ayant échappé aux purges de la Résistance, des Teutons disciplinés nostalgiques de la Wermacht, et puis quelques pays à moi, qui auraient fait là leurs premières armes avant d'intégrer le milieu. En face : des milliers de rastaquouères bridés en pyjama à qui on aurait défoncé leurs gueules, et qui seraient morts en poussant des gloussements pas humains, comme dans les vieux films de Tarzan où les porteurs noirs chutent dans les Abymes avec des hurlements grotesques. C'était ça, les scénarios de mon enfance.

Pas mal, non ? Je dois dire que cette bande dessinée enfantine et imaginaire me ravit, dans le sens où elle m'enlève et m'élève dans ce nébuleux imaginaire collectif (nébuleux car complexe, changeant et peut-être inexistant, je suis d'accord avec Jacques Fusina). Complexité des imaginaires (fantasmes, scénarios imaginaires, désirs, souvenirs, remords et haines), c'est cette complexité vivante des imaginaires corses que ce recueil d'articles met en scène, pour moi. Avec une grande liberté de parole, et de ton. Et cela me paraît extrêmement nécessaire et bénéfique.

Complexité, comment tout est plié de façon si subtile : car l'article suivant s'appelle "Guerre civile" et je ne lis pas sans trembler l'évocation vécue - par celui qui n'était plus un enfant alors - de la chute de la tribune à Furiani (5 mai 1992), notamment ceci :

Au milieu des hurlements, j'ai entendu les cris de guerre.

Cela vaut bien "Jim la Jungle", non ? (Ici, on voit bien que son propre poing va lui revenir en pleine face, non ?)

(La photo)

1 commentaire:

  1. C'est bien vu, Furiani, dans un texte ("Guerre civile") qui évoque la chute sans fin, mais non sans causes, d'un peuple qui en réalité selon l'auteur est "mort à Ponte novu" (Vae victis). Les deux textes (Vae victis et guerre civile)vont parfaitement ensemble et se complètent, l'un dans l'analyse, l'autre dans un symbolisme qui donne lieu à une superbe création littéraire, un diamant noir de notre littérature (la version originale en langue corse est en ligne sur le site de "a pian d'Avretu") C'est à lire, vraiment.

    Je ne sais plus quel auteur parlait de "la pureté et la beauté de l'échec" . Dieu que cela nous ressemble...-(

    (mais, pour dérider nos esprits, dans les "Echecs" nous réussissons bien, voir les magnifiques résultats de la Ligue corse des échecs -))

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