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Plaisanterie mise à part, je veux ajouter quelques éléments :
- une correction : lorsque mon nom apparaît à l'écran, il est indiqué que je suis "éditeur". C'est une erreur, je "publie" certes des billets sur un blog, mais ce n'est pas vraiment un travail d'éditeur. Car le blog n'est pas une revue au sens strict, avec un comité de lecture, etc... Donc il serait plus juste de remplacer "éditeur" par "animateur de blog".
- je suis très heureux d'avoir pu faire passer des idées qui me tiennent à coeur, je remercie Philippe Martinetti et Yann Benard qui avec leurs questions, relances et "portrait anticonformiste" m'ont donné l'occasion de les préciser. Il était très bienvenu de citer Guitry pour ouvrir une discussion : "Les critiques sont comme les eunuques : ils savent, mais ne peuvent pas." De l'humour, voilà une bonne chose !
- il y a quelque chose que j'aurais aimé dire (mais le temps et la présence d'esprit m'ont manqué) : l'écriture de billets sur le blog est extrêmement agréable, elle permet une très grande liberté et diversité de ton et de forme.
- autre chose : on m'a interrogé sur mes propres écrits (après la 17ème minute), j'ai donc évoqué le seul écrit personnel que j'ai publié chez Albiana, mais je n'ai pas cité son titre - "Un lieu de quatre vents" (2006) - et je n'ai pas cité Adam Nidzgorski, peintre, dont les encres, présentes dans le livre, sont le point de départ de ce texte. Et je corrige une erreur : j'ai indiqué que ce livre n'avait pas eu d'écho critique, or, Patrice Antona et Flavia Mazelin l'on présenté positivement et m'ont invité à en parler sur RCFM (je ne me souviens plus de la date). Mais c'est vrai que c'est le seul écho public que ce livre ait reçu.
- pour finir, voici le passage d'"Ulysse" de Joyce, que j'évoque brièvement, en associant le golfe d'Ajaccio et la baie de Dublin :
—Lend us a loan of your noserag to wipe my razor.
Stephen suffered him to pull out and hold up on show by its corner a dirty crumpled handkerchief. Buck Mulligan wiped the razorblade neatly. Then, gazing over the handkerchief, he said:
—The bard's noserag! A new art colour for our Irish poets: snotgreen. You can almost taste it, can't you?
He mounted to the parapet again and gazed out over Dublin bay, his fair oakpale hair stirring slightly.
—God! he said quietly. Isn't the sea what Algy calls it: a grey sweet mother? The snotgreen sea. The scrotumtightening sea. Epi oinopa ponton. Ah, Dedalus, the Greeks! I must teach you. You must read them in the original. Thalatta! Thalatta! She is our great sweet mother. Come and look.
Stephen stood up and went over to the parapet. Leaning on it he looked down on the water and on the mailboat clearing the harbourmouth of Kingstown.
—Our mighty mother! Buck Mulligan said.
He turned abruptly his grey searching eyes from the sea to Stephen's face.
—The aunt thinks you killed your mother, he said. That's why she won't let me have anything to do with you.
—Someone killed her, Stephen said gloomily.
—You could have knelt down, damn it, Kinch, when your dying mother asked you, Buck Mulligan said. I'm hyperborean as much as you. But to think of your mother begging you with her last breath to kneel down and pray for her. And you refused. There is something sinister in you...
He broke off and lathered again lightly his farther cheek. A tolerant smile curled his lips.
—But a lovely mummer! he murmured to himself. Kinch, the loveliest mummer of them all!
He shaved evenly and with care, in silence, seriously.
Stephen, an elbow rested on the jagged granite, leaned his palm against his brow and gazed at the fraying edge of his shiny black coat-sleeve. Pain, that was not yet the pain of love, fretted his heart. Silently, in a dream she had come to him after her death, her wasted body within its loose brown graveclothes giving off an odour of wax and rosewood, her breath, that had bent upon him, mute, reproachful, a faint odour of wetted ashes. Across the threadbare cuffedge he saw the sea hailed as a great sweet mother by the wellfed voice beside him. The ring of bay and skyline held a dull green mass of liquid. A bowl of white china had stood beside her deathbed holding the green sluggish bile which she had torn up from her rotting liver by fits of loud groaning vomiting.
Traduction en français par Jacques Aubert (édition Gallimard, 2004) :
- File-moi donc ton tire-jus, que j'essuie mon rasoir.
Stephen se laissant faire, Buck Mulligan sortit un mouchoir sale et tout chiffonné qu'il tint par un coin pour l'édification des foules. Il essuya la lame de rasoir avec soin. Puis, contemplant le mouchoir, dit :
- Le tire-jus du barde. Une nouvelle couleur artiste pour nos poètes irlandais : vert-morve. On peut presque la déguster, pas vrai ?
Il monta à nouveau au parapet et contempla les lointains de la baie de Dublin, sa chevelure blonde, chêneclair, légèrement agitée par le vent.
- Bon Dieu, fit-il tranquillement. Est-ce que la mer n'est pas, comme le dit Algy, une mère grande et douce ? La mer vert-morve. La mer serre-burettes. Epi oinopa ponton. Ah, Dedalus, les Grecs. Il faut que je t'apprenne. Il faut que tu les lises dans l'original. Thalatta ! Thalatta ! C'est notre grande et douce mère. Viens voir.
Stephen se leva et s'approcha du parapet. S'y appuyant, il plongea le regard sur l'eau et regarda le paquebot-poste qui doublait l'embouchure du port de Kingstown.
- Notre mère toute-puissante, dit Buck Mulligan.
Brusquement le regard inquisiteur de ses yeux gris, quittant la mer, se tourna vers le visage de Stephen.
- La tante pense que tu as tué ta mère, dit-il. C'est pour ça qu'elle ne veut absolument pas que je te fréquente.
- Quelqu'un l'a tuée, fit Stephen sombrement.
- Tu aurais pu te mettre à genoux, sacrebleu, Kinch, quant ta mère mourante te l'a demandé, fit Buck Mulligan. Je suis hyperboréen tout comme toi. Mais quand on pense que ta mère t'a supplié dans son dernier souffle de t'agenouiller et de prier pour elle. Et que tu as refusé. Tu as quelque chose de sinistre...
Il s'interrompit et étala à nouveau légèrement de la mousse sur son autre joue. Un sourire tolérant lui retroussa les lèvres.
- Mais quel charmant cabot, mumura-t-il à part lui. Kinch, le plus charmant cabot de toute la bande.
Il se rasait à traits unis, avec soin, silencieux, sérieux.
Stephen, un coude posé sur les aspérités du granit, appuya sa paume contre son front et contempla le bord effrangé de sa manche de veste noire et lustrée. Une souffrance, qui n'était pas encore une souffrance d'amour, lui rongeait le coeur. Silencieusement, elle était venue à lui en rêve après sa mort, son corps dévasté flottant dans ses vêtements mortuaires de bure, d'où émanait une odeur de cire et de bois de rose, son haleine, qui s'était penchée sur lui, muette, pleine de reproches, une faible odeur de cendres mouillés. À travers le bord élimé de la manchette il apercevait cette mer saluée comme une grande et douce mère par la voix repue qui se faisait entendre à son côté. Le cercle de la baie et de l'horizon contenait toute une masse liquide d'un vert terne. Un bol de porcelaine blanche était resté près de son lit de mort, qui avait recueilli la bile verte et glaireuse arrachée à son foie pourrissant dans des accès bruyants de vomissements ponctués de gémissements.
Tout ça c'est très bien mais tu n'as pas répondu à ma question, contrairement à ta promesse -))
RépondreSupprimermerci pour l'extrait d'Ulysse in english
Francesca,
RépondreSupprimerc'est vrai, je n'ai pas répondu à ta question, qui était : "Quel est votre secret pour supporter vos "clients" (dont moi même) qui ne font (presque) jamais ce qu'ils sont censés faire sur ce Blog, c'est-à dire parler de leurs lectures!"
Ma réponse est la suivante : je grince des dents la nuit, je transpire, t'aghju a frebba... è quandu mi svegliu, l'agjhu trasfurmatu in issa passione ardente di a lettura !
Bonjour et merci de m'avoir signalé la vidéo, riche et instructive.
RépondreSupprimerTout d'abord, n'en déplaise à Guitry, en toutes choses, il ne faut pas oublier l'infini pouvoir de la langue.
Plus sérieusement, je trouve que la vidéo est une bonne synthèse dont je retiens surtout la littérature corse comme objet de désir. Comme la lampe magique contenait le génie, la commenter, c'est déjà la faire apparaître.
Des places comme celles-ci, où l'on attend la littérature corse, sont une belle initiative.
Merci. :-)
Philippe, merci pour ce regard et cette appréciation. Moi aussi, j'en retiens l'idée du désir ; oui, ce blog est une salle d'attente, on attend que le train tant désiré arrive, et en attendant on en parle !
RépondreSupprimerla littérature corse ou Godot?
RépondreSupprimerAnonyme 23:43, oui, pourquoi pas Godot ?
RépondreSupprimerMais j'aime bien aussi l'idée inverse : le train de la littérature corse est déjà passé, nous ne l'avons pas vu à force discuter des possibilités de son existence.... Donc, à nous de reprendre tous les livres publiés et de les relire avec le désir d'y voir de la littérature... Qu'est-ce que cela peut donner ?