lundi 2 janvier 2012

Lu ceci dans le dernier numéro de la revue Fora!

Lu ceci, oui, et je le relis maintenant, en le réécrivant :

(Dany et Pierre Faïsse, petits producteurs agricoles en Corse évoquent leur installation dans l'île dans les années 70, et notamment via une "anecdote" qui met en scène d'autres personnes qu'elles, anecdote qui m'a frappé, j'y reviens après le texte de leurs propos, recueillis par Vannina Bernard-Leoni et Jérémie Aynié, et publiés dans le numéro 9 de la très belle et toujours passionnante revue "Fora!", la revue dont le slogan est "La Corse vers le monde" ou encore "Per spaisà vi senza sradicà vi"...) :

Pierre : Quand ils sont partis à la retraite, mes parents sont venus s'installer en Corse, à Piedipartinu, en Orezza. Un jour, je fais une randonnée sur le San Petrone avec mon père, mais en redescendant il faut une attaque d'hémiplégie. Il a fallu que je reste plus longtemps que prévu. Il a même fallu qu'ils aillent un moment dans une maison de repos à Santa Catalina, près de Sisco. Je m'occupais de leur déménagement, tout en faisant pas mal d'allers-retours entre Paris et la Corse. Progressivement, j'ai commencé à m'installer en Castagniccia.

Dany : Par l'intermédiaire des parents de Pierre, nous avons fait la connaissance d'un couple qui voulait établir une communauté de travail en Castagniccia. A l'origine, il y avait une fille qui venait de la Sarthe. Elle tenait le coup en faisant des ménages, en gardant des vieux. Elle avait prospecté : elle connaissait les maisons à louer, les châtaigniers, etc. Elle est allée sur le continent à un festival écolo - il y a en avait pas mal à l'époque - et elle a dit qu'elle voulait monter une communauté mais qu'elle n'avait pas d'argent. Elle y a rencontré un type qui avait un peu de tunes pour l'aider. C'était un militant antinucléaire - et ils se sont mis en couple. Ils laissaient un appartement à Ortiporiu, et partaient dans une maison pas loin avec leur projet communautaire.

Pierre : Ça ne me branchait pas trop le côté communautaire, mais j'ai récupéré l'appartement.

Dany : C'est à ce moment-là que je suis arrivée en Corse. A l'époque, j'étais bibliothécaire à Paris, au centre Pompidou. Je suis venue avec une copine pour aider Pierre à s'installer. On était peinards en vacances, mais quelques jours à peine après mon arrivée, débarquent la nana de la communauté et une copine. Elles nous disent : "On va faire de la guitare à une fête à Bisinchi. Est-ce qu'on peut dormir chez vous demain quand on revient ?". Pas de problème. Mais le lendemain matin, elle voit arriver une 3CV avec marqué "Non au nucléaire" : c'était son mec qui venait lui déposer son testament et qui repartait en trombe en lui disant qu'il partait se suicider aux Sanguinaires, où ils avaient eu leur histoire d'amour. On a sauté dans la voiture de Pierre pour essayer de le rattraper. Ça a été une course-poursuite à travers la Corse. On s'est arrêtés à Corte à la gendarmerie pour expliquer la situation et essayer de le stopper, mais c'était peu après les événements d'Aleria, fin août 1975 et les gendarmes n'en avaient rien à faire... Bref, on en l'a pas rattrapé. Et deux jours après, on lit dans le journal : "Mystérieux noyé dans la baie d'Ajaccio". On voulait être peinards, et ça commençait bien...


C'est le genre d'anecdote qui me ravit ; j'imagine tout de suite qu'un scénariste pour s'emparer de cette histoire, cela pourrait devenir un vrai bon film sur la Corse de cette époque (car enfin, des vrais bons films corse ou sur la Corse, vous en connaissez ? Je veux dire des films qui vous font hurler au chef d'oeuvre, qui vous font pleurer, qui vous emportent à chaque nouvelle vision dans un monde à la fois familier et autre, cette fameuse "demeure inaccoutumée" dont parle Empédocle, un film qui vous fait jeter votre sandale bien loin de vous, un film qui vous donner l'impression de tomber dans un volcan...).

Faire un pas de côté pour mieux voir ce que les discours historiques, politiques, communs ont fini par masquer ou déshumaniser.

Une course-poursuite entre Ortiporiu et les îles Sanguinaires (143 kilomètres minimum sleon Google maps ; mais on peut imaginer bien des zigzags), juste après les événements d'Aleria, avec les gendarmes à Corte, et des couples de babas cool au relations amoureuses chaotiques ; ça pourrait commencer sur de la guitare à Bisinchi... et se finir avec le Corse-Matin (Nice-Matin, à l'époque non ?) du matin, au petit-déjeuner, avec le voile pudique que la prose journalistique pose sur le monde (un monde absolument chaotique et insignifiant).

Un film dramatique avec beaucoup d'humour, cet humour que j'ai senti dans les mots un peu distants de Dany.

Mais une histoire vue à travers quel regard (ou quels regards) ? Très importante question. En flash-back ou plongé dans l'époque ?

Quelque chose comme un mélange entre "Corsica Blues", roman de Jean-Pierre Santini et "Adieu Philippine", le film de Jacques Rozier.

Où est le scénariste ?

(Evidemment, je souhaite une très belle année de lecture à tous les visiteurs et participants à ce blog et je réitère ici mon appel : ce blog est accueillant : j'y place des billets qui sont comme un libre journal de lecteur, et vous pouvez y ajouter vos propres impressions de lecture, ou récits de lecture, n'hésitez pas à prendre les quelques dizaines de minutes que cela réclame, c'est la littérature corse qui y gagne, à tous les coups ! C'est aussi un blog de discussion : rien de tel que se dire gentiment la vérité de nos pensées et désirs pour faire évoluer les imaginaires, toujours enclins à s'appauvrir, par indifférence ou par crispation. A bientôt.)

4 commentaires:

  1. incroyable histoire..Piedipartinu, Ortiporiu les Sanguinaires...Une histoire folle, comme souvent dans,notre île où la folie côtoie le rire et les larmes..

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  2. MP, merci pour le commentaire. Il me semble que tous les lieux du monde abritent de telles histoires. Et qu'un des intérêts de telles histoires, c'est de permettre de ne pas focaliser sur une image unique de l'île (ou d'un autre lieu "à forte identité"), ou sur une image qui dirait "l'essentiel" ou "l'âme" de l'île, etc.

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  3. Pae è salute à tè è à tutti i lettori di stu Blog. Chì u 2012 sia un annu riccu torna di letture è di cumenti quì in u to locu .Una cappellata à u to travagliu chjuccutu, pacente, apertu è di e volte ingratu!

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