dimanche 25 mars 2012

Continuons dans le n'importe quoi...

Oui, la "littérature corse" - ainsi que les autres domaines artistiques insulaires (et ce blog, par la même occasion), c'est vraiment n'importe quoi !

(C'est pourquoi je signale à Zazi Cazzimoddu que je censure son message avec un immense plaisir !)

Profitons-en, de ce n'importe quoi.

Ainsi : impossible d'avancer à grandes enjambées dans ma lecture du "Pasquale Paoli" de Guerrazzi (personne ne l'a lu ? quelqu'un veut en parler ?), donc, je me dis, mais que faire ? Que dire dans le 6ème billet du mois (je crois que je vais essayer de tenir ce rythme de croisière, six billets par mois...) ?

Eh bien, je vais dire ceci :

j'ai une envie puissante de lire "La maison des Atlantes" d'Angelo Rinaldi. Le deuxième roman de ce très grand auteur corse. Qui a reçu le prix Fémina. C'est donc (mais peut-être me détromperez-vous) le livre corse qui a obtenu la plus haute distinction littéraire française ! Cela en fait donc l'alpha et l'oméga de cette littérature !! Et en plus, cela se passe à Aix-en-Provence !!! Et cela commence avec une phrase génialissime (je trouve), je la citerai à la fin de ce billet.

Or, je n'ai toujours pas lu ce roman (publié en 1971, éditions Denoël ; je suis donc né juste après que la littérature corse a été officiellement reconnue !)... Non je ne l'ai pas lu. Pas encore. Enfin, cela fait vingt fois que je lis les dix premières pages. Et pourtant j'aime ce livre. Je le chéris. Comme un coffre secret.

Conclusion : voici la dernière page (le narrateur est un ancien avocat, malade, qui écrit ses mémoires, décousues, à l'attention de son fils, qu'il méprise, où il évoque son enfance en Corse, à Bastia) :

"J'avoue que j'ai eu du mal à grimper les étages, tout à l'heure, et que la peur d'une rechute cardiaque je ne la chasse pas de mon esprit. Pour me rassurer, je me dis que, somme toute, ce ne sont que mes jambes qui, maintenant, me trahissent. Elles sont devenues lourdes, enflées, et il me semble, en outre, que mes doigts tâtent un énorme caillou au niveau du foie. J'aurai trop marché aujourd'hui et, de fait, je me suis levé plus tôt qu'un paysan ; je me serais déjà couché si je n'avais le sentiment, en regardant ces feuillets épars sur mon bureau, que toute heure distraite à cette tâche est perdue à jamais, qu'elle marque un glissement vers l'abdication, vers le renoncement à la compréhension de ce que je fus, et qui m'apparaîtra bien, à force de patience, si je me fouette pour avancer, dominer ma fatigue et ma paresse.

Cependant, mon malaise est trop fort pour que je travaille avec profit dans cette voie.
J'ai envie d'une solitude où mon corps ne serait plus que la béatitude d'un présent sans mémoire, délivré de toute douleur physique, de tout souvenir.

Je vais me reposer, étendre mes jambes, qui pèsent de plus en plus, sur le canapé, et puis les masser ; en faisant ce geste, je penserai à Saveria qui m'attendait dans la cour de récréation. Malgré les lourdeurs dont elle se plaignait, elle n'a jamais, que je sache, souffert du coeur. Voilà ce que je me répète, en tout cas, pour me retenir de téléphoner à mon médecin. Puisque je n'ai pas le goût d'écrire, ce soir, je me tournerai vers ma mère ; je tenterai de la retenir, comme lorsqu'elle passait devant l'église Saint-Roch en sortant du lycée où je l'avais reniée, mais je crains qu'elle ne m'écarte à nouveau de son chemin et ne m'abandonne à mon univers de remords - le plus stérile de tous car, enfin, le remords, que change-t-il au passé ?
"

Je suis vraiment ému par cette simplicité, les mots sincères, les douleurs physiques et morales dites si sobrement, la mort en sourdine qui attaque, les petites marques d'oralité dans la confession écrite, le présent, illusoire éternité, des derniers verbes, etc.

A mettre en relation avec le ton ironique, cruel du début du livre :

"Je tente ici de tenir la promesse que je me dis à moi-même quand j'avais un urinal entre les jambes, et guère d'autre distraction que de diriger précautionneusement entre les plis des draps, mes pets intimes vers la sortie."

Tiens, tiens, cette première phrase de la "Maison des Atlantes", elle me fait penser un petit peu au travail du blogueur...

11 commentaires:

  1. Si c´est du n´importe quoi, pourquoi on s´y intéresse? On n´agresse par ce "n´importe quoi" que ce qui y est pour quelque chose, justement!

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  2. Monsieur Gaffrée Thompson, je plaisantais bien sûr.
    Les discussions sont parfois très vives, voire conflictuelles, les situations tendues, alors parfois je plaisante pour m'amuser de tout cela.
    Je suis fasciné par la vitalité des arts corses et en même temps j'enrage devant les obstacles (conflits, problèmes économiques, etc.). Voilà tout.
    Vous avez lu ce roman de Rinaldi ? Parlons-en.

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  3. Non, malheureusement non, et je ne l´ai pas, je viens de fouiller dans mes étagères, et il n´y est pas. Mais, je suis en train de relire Les Dames de France du même auteur.

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  4. Gérard PAGANELLI31 mars 2012 à 17:38

    Bonjour,
    j'ai lu un certain nombre de livres d'A.Rinaldi, il y a longtemps ( privilège de l'âge même si le mien n'est pas canonique); il me semble qu'A.Rinaldi a émis sur les Corse et la langue corse, des propos douteux, dans un style méprisant, propre à lui valoir l'approbation de ceux pour qui toute culture ne peut être que française...et il est si facile de se moquer des corses.
    M.Rinaldi ne doit pas, en logique, estimer que son oeuvre fait partie d'une littérature corse, qui, pour lui n'existe pas ou se réduit à quelques chants folkloriques...
    mais son hostilié à la Corse (et à ses habitants, sauf erreur) trouve sans doute son origine dans les blessures de son enfance corse...

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  5. Oui, les propos d'Angelo Rinaldi sur la langue corse et sur la Corse ne sont pas sympathiques, et certainement pas pertinents.
    Mais, j'ai envie de vous dire peu importe... et peu importe ce qu'il pense de la place de ses livres dans telle ou telle littérature.
    Il me semble (ainsi qu'à bien d'autres) qu'il est possible de lire ses romans comme des romans, très importants, de la littérature corse. Ils mettent explicitement en scène l'île, la bourgeoisie bastiaise, etc. Ce regard acerbe sur Bastia est à rapprocher d'autres oeuvres, comme celles de Dalzeto ou Thiers, ou d'autres encore. Une littérature ce pourrait être ce qu'englobe le regard désirant d'un lecteur ; plus que des catégories linguistiques, sociologiques, historiques, etc. Non ?

    J'adorerais, Monsieur Paganelli, que vous nous parliez ici de vos lectures des romans de Rinaldi.

    Par exemple en répondant aux question suivantes :
    1. Situation : dans quelles circonstances avez-vous pris connaissance puis rencontré (placer ici le roman en question) ?
    2. Attentes : avant de le lire, qu'en attendiez-vous ?
    3. Ressenti : en cours de lecture, qu'avez-vous ressenti et pensé ?
    4. Effets : après l'avoir lu, qu'avez-vous fait et pensé de ce livre ?
    5. Partage : aujourd'hui, comment en parleriez-vous à vos amis ?
    6. Focalisation : quels moments du livre hantent votre mémoire ?
    7. Généralisation : que diriez-vous de ce livre à propos de sa relation à la Corse et sa littérature ?

    Cela vous tente-t-il ?

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  6. Gérard PAGANELLI1 avril 2012 à 17:17

    Vous me proposez un programme ambitieux (en termes de mobilisation de mes faibles capacités !), mais je vais m'efforcer de vous répondre.
    tout d'abord, je suis d'accord avec vous sur le fait qu'un auteur qui parle de la Corse et qui de plus y est né, appartient, quoi qu'il en ait, à la littérature corse ( ou bretonne ou provençale etc dans des conditions similaires pour ces territoires culturels).

    Je vais suivre l'ordre que vous me proposez. Je me focaliserai sur la Maison des Atlantes, premier roman de Rinaldi que j'ai lu.

    1. J'ai du lire ce roman vers 1978 (?) . Je me souvenais, en tant que Corse de Marseille, de la petite émotion qu'avait suscitée en 1971 ( j'étais à l'époque en seconde, ce qui vous donne approximativement mon âge), l'obtention du prix Femina à un auteur corse, et c'est assez naturellement que quelques années après, j'eus envie de lire ce livre, dont le titre m'évoquait à vrai dire plus Aix-en-Provence ou Toulon (il y a cours Mirabeau un hôtel particulier avec des atlantes et à Toulon, des atlantes dus à Puget) que la Corse...
    Néanmoins déjà le choix du titre évoquait un univers culturel baroque (au sens précis du mot en histoire de l'art) un monde dominé par le passé en quelque sorte (c'est ainsi que je ressens le titre).

    2. attentes : j'en attendais (et je n'ai pas été déçu) un regard particulier sur la Corse ( ou tout du moins le morceau de Corse que l'auteur a choisi parce qu'il le connait) ou plutôt sur la personnalité, la psychologie, l'identité , l'esprit ( choisissez le mot) de ceux qui habitent (ou habitaient) ce morceau de Corse , tout en sachant qu'aucun écrivain de fiction ne peut être considéré comme un ethnologue, et que ce regard dirait plus sur l'auteur que sur la réalité supposée décrite par lui...

    3 Ressenti : beaucoup d'émotion devant la finesse des réflexions, de l'analyse des personnages , le style soutenu, finalement en accord avec le baroque du titre ( majesté et pourriture en quelque sorte) ...

    4. effets : malgré le charme ( on peut utiliser le mot) du livre, l'impression finale est d'agacement. non pour l'image mitigée qu'il donne de la Corse, mais pour une certaine complaisance dans la noirceur ( mot exagéré sans doute), il vaudrait mieux dire la grisaille et la désespérance accompagnée de veulerie, qui caractérisent aussi bien les lieux que les personnages et leur destin ; cette complaisance à parler (est-ce dans ce livre-là ou un autre ? ) du pays où les plus belles maisons sont des tombeaux...
    non que cela me choque pour l'image de la Corse, mais cette complaisance dans l'affliction et le côté sombre de la vie n'est pas ce que j'apprécie vraiment dans la littérature , ou alors il faut l'exprimer avec une forme d'humour qui hélas, n'est pas le fond de commerce de notre auteur ( ni des Corses ?)

    le reste suit

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  7. Monsieur Paganelli, je ne sais comment vous dire mon plaisir à vous lire et ma gratitude ! J'attends la suite avec impatience et gourmandise. Merci encore. La réalité d'une lecture singulière est pour moi ce qu'il y a de plus précieux !

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  8. Gérard PAGANELLI1 avril 2012 à 18:30

    Je vous remercie de vos réactions !
    voici donc la suite annoncée :

    5. partage : dirai-je qu'il faut lire Rinaldi pour avoir une vision de ce qu'est la Corse ou ce que sont les Corse ( même réduits à la bourgeoisie bastiaise)?
    au passage, Les Corses sont, bien entendu, inséparables de la Corse, milieu naturel et culturel, si bien que parler des uns se confond avec parler de l'autre.
    A vrai dire, n'ayant aucune entrée dans la bourgeoisie bastiaise, j'ignore si la description a quelque chose d'exact, y compris sur le passé, car en gros l'action commence vers 1935 - il s'agit d'un retour en arrière, le narrateur, avocat, issu d'un milieu très modeste ( ou même batard, je ne m'en souviens plus) qui a réussi à entrer dans la bourgeoisie par son mariage, se remémore son passé (donc depuis les années 30) et ne voit que des ruines deans sa vie, malgré sa réussite apparente.
    Je dirai : lisez-le pour le talent de l'auteur, pour la nostalgie peut-être imaginaire qui s'en détache, ne le lisez pas comme un témoignage sur quoi que ce soit de véridique...

    6. Passages du livre :
    Ce qui me revient de ce livre n'est pas forcément ce qu'il y a de plus remarquable, loin de là, et pourtant cela contribue à la petite musique de l'histoire (au sens d'historique ) ou du passé qui fait la trame de l'existence des personnages : dans une cuisine, une femme modeste ( la mère du narrateur ? )qui veut prendre sa revanche ( il me semble qu'il y a ce thème dans le livre) par la réussite de son fils, chantonne une comptine en langue corse (permanence d'une culture populaire et aussi infériorisée; Rinaldi précise-t-il, ou cela tombe-t-il sous le sens, que les bourgeois parlent français?);
    dans un salon ( ou dans un jardin ?) des étudiants en droit prétentieux ( dont le narrateur, toujours intérieurement poursuivi par la tare de sa naissance modeste) chantonnent à une jolie fille de la bourgeoisie un refrain à la mode en ce temps de Tino Rossi
    " ce soir Nina" (allusion aux moeurs faciles de la jeune fille?)-

    est-ce aussi dans ce livre que l'auteur évoque le cardinal Merry del Val, que tout le monde a oublié ( il était le secrétaire d'Etat du Vatican avant la guerre de 14 et on le disait homosexuel) en disant qu'en parlant de lui, c'est comme s'il essuyait un peu la poussière sur son chapeau cardinalice ( car le chapeau de Mgr Merry del Val est suspendu dans une église de Rome selon une tradition propre à certains cardinaux):
    le passé et le temps qui passe...Evidemment Rinaldi regarde du côté de chez Proust- c'est facile, mais c'est cela; mais au rebours de Proust, le passé ne mérite pas d'être sauvé et sa résurrection n'apporte aucune idée d'éternité, qu'une remontée d'amertume ...

    en fait, je me souviens de peu de choses 30 ans et plus après avoir lu ce livre et j'ai peut-être retenu ce qui correspond à mes centres d'intérêt ( ou ma psychologie, dit autrement)...

    comme mon commentaire est trop long , je fractionne encore

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  9. suite et fin

    7 généralisation
    Je ne prétends malheureusement à aucune connaissance de la littérature corse, n'ayant lu aucun des écrivains contemporains (eh oui..) qui la représentent (d'autant que certains écrivent en corse et je ne pratique pas, à mon grand regret, le corse)
    je n'ai non plus jamais été tenté par des auteurs comme Marie Susini...
    A dire vrai, je suis plus lecteur d'essais ou de livres d'histoire que de romans .
    Néanmoins, je pense que Rinaldi, à sa manière, a touché une idée juste en faisant de son univers romanesque un univers où on sent le poids des siècles, un poids un peu étouffant...
    J'ai à peu près lu tout ( ? ) de Rinaldi, sauf la Confession dans les collines et le premier, la Loge du gouverneur ( sans doute introuvable aujourd'hui sauf coup de chance chez un bouquiniste -ou sur e-bay).
    certains livres sont de très faible intérêt, à mon sens, ( les jardins du consulat);
    la thématique de la tristesse et de la solitude de l'homosexuel prédominent dans les plus récents ( il y a sans doute déjà quelques allusions voilées à ce thème autobiographique dans la maison des atlantes, voir l'allusion à Merry del Val) ...
    Le roman le plus récent de Rinaldi ( pas le dernier, que j'ai lu et dont j'ai même oublié le titre) qui retrouve beaucoup des thèmes et du traitement talentueux de la maison des atlantes (et toujours la noirceur de la vie) est Les roses de Pline ( dont le titre là encore évoque le poids des siècles...
    et de la culture méditerranéenne classique...
    il me semble que ces roses sont évoquées par un vieux professeur corse "irrédentiste" (pro-italien et profasciste durant la guerre) ami du narrateur à un moment de sa vie.
    Je crois que c'est dans les Roses de Pline que Rinaldi parle pour la première fois, explicitement, de la Corse ( très vite) , dans ses autres livres on parle de l'île, du retour dans l'île etc (évidemment on comprend que c'est la Corse, ne serait-ce que les patronymes, les allusions, mais elle n'est pas nommée).

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  10. Merci encore donc pour ce récit de lecture, si détaillé et sincère. Vous le savez, ce blog est fait pour ce genre de "récits". Si vous avez effectivement terminé, me permettez-vous de le transformer en nouveau billet. Cela permettra à d'autres lecteurs de le trouver plus facilement et peut-être d'apporter leurs échos personnels ?
    Merci d'avance.

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  11. ma rédaction est peut-être un peu lâche (ponctuation mal ordonnée, style un peu parlé),
    mais,bien entendu, faites comme vous le souhaitez !

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