Avec l'accord de l'auteur bien sûr (merci à lui !), voici un point de vue sur le roman de Jérôme Ferrari, "Le sermon sur la chute de Rome" par André Blanchemanche (qui se dégine toujours dans ses notes de lecture par l'expression "le Lecteur", une manière amusante et intéressante de mettre son opinion à distance, et de l'offrir à la discussion commune). Bonne lecture !
(Lu avec plaisir dans l'hebdomadaire chrétien "La Vie" (n° 3499) un entretien croisé avec Jérôme Ferrari et Marco Biancarelli, par la journaliste Marie Chaudey ; 7 questions, 11 réponses ; avec des points de vue très élogieux sur ces deux romans, désignés comme "emblématiques de la rentrée" littéraire.)
« Le sermon sur la chute de
Rome »
FERRARI
Jérôme
(Actes
Sud)
« Ce qui naît dans la chair meurt dans la
chair. Les mondes passent des ténèbres aux ténèbres, l’un après l’autre… »
Ainsi parla Augustin. Dont le
sermon sur la chute de Rome a donc inspiré Jérôme Ferrari. Lequel délivre ce
superbe roman. Un roman dont le Lecteur peine à se défaire. Un roman vers lequel
il revient, dont il s’imprègne. Non point tant parce que la Corse lui est
familière et qu’il y est question de la Corse, cette terre singulière dont
l’âpre beauté le fascine. Si le cadre choisi par Jérôme Ferrari est bien celui
de cette terre-là, son propos vise à quelque chose qui atteint à l’universel. Un
village se meurt. Deux jeunes hommes de là-bas font l’acquisition du vieux café.
Ils le gèrent selon les modèles dominants et l’établissement acquiert
très vite ce qu’il est convenu d’appeler la notoriété. Touristes et autochtones
s’y croisent. Dans cet environnement de l’intérieur, parmi ces montagnes où il
est essentiellement question de survie. Au cœur du « village (où)
les morts marchent seuls vers la tombe… ». Les évènements s’y
déroulent de telle façon que le récit prend très vite les apparences d’une
tragédie antique. Tragédie d’autant plus violente, d’autant plus sanglante
qu’interfèrent les souvenirs des guerres coloniales auxquelles nombre de corses
furent « associés » (le Lecteur reste impressionné lorsqu’il s’arrête
devant les monuments aux morts des villages de Balagne et qu’il y lit la liste
des noms de ceux qui périrent au Viêt Nam et en Algérie).
Alors oui, les mondes passent des
ténèbres aux ténèbres, l’un après l’autre. Sans qu’il leur soit de rémission
possible. Il n’est pas utile, pour Jérôme Ferrari, de rédiger une thèse sur
saint Augustin. Il lui suffit de laisser entrevoir le fait qu’aucune
civilisation n’a droit à l’éternité. Pas même celle qui s’est construite autour
du bar d’un village de la montagne corse. Vision pessimiste ? Le Lecteur
pense plutôt à la lucidité courageuse de l’écrivain. Un écrivain qui construit
pierre à pierre une œuvre singulière, d’une force et d’une pertinence qui le
réjouissent.
Oui, c'est en effet un livre dont on a du mal à se défaire ! Je suis un peu frustrée par ce billet trop court et heureuse de voir que l'on parle de plus en plus d'une oeuvre singulière "qui se construit de pierre à pierre". Et la Lectrice adhère bien sûr en totalité à la conclusion du Lecteur ! Voir le Sermon - et tous les autres livres de JF - comme pessimiste, c'est même à mon sens confondre pessimisme et lucidité. Et je pense en effet qu'il y a du courage, non seulement à se montrer lucide mais à écrire un sermon par les temps qui courent ...
RépondreSupprimerJe note le hourra des quelques "happy few" célébrant les dernières oeuvres de Ferrari et Biancarelli... Au risque de paraître pitoyablement matérialiste, je précise que je ne peux à ce jour me permettre d'acquérir des livres à 19 et 22 euros, avec le sentiment que le partage critique ou plutôt dithyrambique des lectures, tant souhaité par FXR, m'est de fait interdit, confirmant le vague pressentiment que la culture (plus précisément la littérature) est bien réservé à une élite monétaire.. Bon, je fais figure de rabat joie mais je crois nécessaire de signaler la chose, en passant... Pas encore eu le temps de passer commande à la biliothèque de mon quartier... Sinon, j'attendrai les poches... Au plaisir de vous lire...
RépondreSupprimerAnonyme 20:21,
RépondreSupprimerJe conçois que le prix des livres, avant leur passage en poche, soit trop élevé. Heureusement nous avons les bibliothèques, l'édition en poche justement et maintenant l'édition numérique (j'ai,vu sur le site d'Actes sud, "Balco Atlantico" de Ferrari à 6 euros 99). Ou bien encore, il y a le prêt entre amis. Histoire de faire circuler les textes.
Il y a des livres qui devraient être déclarés d'utilité publique, ou remboursés par la sécurité sociale, et je suis sûre, sans les avoir lus encore, que ces deux-là (Sermon et Murtoriu) doivent en faire partie. Peut-être dans tous les cas, faut-il essayer de savourer ce temps d'attente qui nous sépare du livre, pour que le moment venu - et il viendra - la rencontre soit encore plus intense...
RépondreSupprimerchez Babel ( poche acte Sud) dans le secret du même auteur.
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