lundi 26 janvier 2009

VIR NEMORIS (1)

Très rapidement (trop), vous dire que j'ai lu et que je relis (par petits bouts), très régulièrement, un ouvrage incroyable à bien des égards : le "Vir Nemoris" (écrit entre 1770 et 1771 ?) de Giuseppe Ottaviano Nobili-Savelli.

Allez voir l'ouvrage sur le site de l'éditeur, Albiana, et d'une façon ou d'une autre découvrez l'histoire de ce manuscrit, de ses traductions mais aussi des récupérations de son "message" par le Risorgimento au XIXème siècle et par le Fascisme au XXème, jusqu'à cette édition enfin intégrale, aujourd'hui.
Il s'agit d'une épopée inachevée (deux chants), écrite en latin. Il s'y exprime la lamentation et la colère de Circinellu, le prêtre rebelle, figure historique réelle à la légende bien connue, devant "l'anéantissement" du jeune Etat corse indépendant après la défaite de Ponte Novu.
Nous reviendrons longuement sur ce texte. Nous devons l'établissement du texte latin et sa traduction en français à François-Michel Durazzo : qu'il soit longuement remercié pour avoir redonné vie (bien longue j'en suis sûr) à cet incroyable ouvrage, à la fois document historique, monument littéraire et événement pour notre imaginaire.

Qu'un texte en latin (une langue "morte") puisse à ce point avoir de l'importance pour notre imaginaire corse actuel me laisse rêveur ; j'en suis positivement enchanté.

Une question : y a-t-il d'autres textes latins qui aient cette valeur pour notre littérature ?
Je crois me souvenir que Monseigneur de la Foata a aussi publié des oeuvres en latin mais je ne les connais pas ; que certaines chroniques historiques (le premier genre littéraire de notre littérature) ont été écrites en latin (le "De rebus Corsicis" de Petrus Cyrnaeus, mais je ne le connais pas et existe-t-il une traduction en français ?). Autre signe : deux chansons dans l'album du groupe Manât ont été écrites en latin par Rinatu Coti ("Petrae sicut" notamment) !

Question subsidiaire : y a-t-il d'autres littératures qui mettent à l'honneur et présentent comme susceptibles d'une lecture actuelle des textes écrits en latins ?

Donc, voici les premiers mots latins (dans ce blog) de la littérature corse :

Astrorum terraeque decus, soror incluta Phoebi,
tu, dea, quae ualles crispato lumine adumbras :
grandia corda uirum tu tollis ad ardua, tentant
perficiuntque tuo sublimia numine coepta.
Tu, dea, tu praesens (quoniam nimus aurea fratris
Lux inimica mihi, patrios ubi fraude penates
Gallia subripuit), nostro sucurre labori.
Te duce, magna peto, duce te quoque magna canendo,
nec prius ausa tegam nectenda murmure conchae.

Que M. Durazzo redit ici avec ses mots :

Honneur des astres et de la Terre, illustre soeur de Phébus,
toi, déesse, qui plonges les vallées dans l'ombre de ta lumière ondoyante,
toi qui portes les grands coeurs à de rudes entreprises,
sous ta protection ils tentent et accomplissent des exploits.
Toi, déesse, qui m'assistes, - puisque la lumière trop dorée
de ton frère m'est hostile, depuis que la France s'est sournoisement emparée
des pénates de ma Patrie -, secours-moi dans cette tâche.
Sous ta conduite, je veux évoquer des faits importants, sous ta conduite aussi, je veux le faire en vers,
et je ne cacherai pas les crimes accomplis, qui ont fait résonner le cor marin.

Plus tard, avec l'autorisation du traducteur, je vous raconterai l'histoire de la traduction des vers 8 et 9 ; elle est superbe et me soulève d'un contentement ultramarin (je ne sais plus qui utilisait cette expression...).

Plus tard encore, j'offrirai à votre regard la lecture par un ami de ce même texte, avec sa permission.

Cela fait beaucoup de promesses, mais je me demande s'il n'est pas dans la nature des blogs d'être d'abord les réceptacles de toutes les velléités, propositions, souhaits et promesses.

A 19:08 il n'y a plus, dans le ciel qui m'environne, que le noir de la nuit et quelques lumières de la ville (Aix), mais c'est tout de même avec cette imaginaire "crispato lumine" ("ondoyante lumière") de la Lune que je termine ce texte.

Quelles sont vos lectures de ce texte ?

8 commentaires:

  1. Je crois bien que le De rebus corsicis n'a jamais été traduit, dommage parce que les historiens s'accordent à reconnaître un véritable intérêt sociologique et romanesque à ce texte. A la différence des premiers chroniqueurs Petru Cirneu parle également de sa vie et de ses pérégrinations entre Corse et Terre Ferme.

    Autre chronique que je n'ai jamais lue : celle de Monteggiani, en toscan celle-ci. L'auteur a souffert des jugements expéditifs d'Yvia-Croce et d'autres analystes, qui le jugeaient de moindre importance et considéraient sa langue comme "trop rustique". Moi c'est justement un des aspects qui m'intéressent...

    Bon, sinon j'ai rien d'autre à dire pour le moment.

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  2. Merci de ce commentaire. Et surtout si vous avez quelque chose d'autre à dire un peu plus tard, n'hésitez pas !

    Voici quelques infos que François-Michel Durazzo m'a envoyé par mail et qui vous intéresseront et que j'aurais dû placer ici plus tôt :

    "Quelques précisions :
    - le latin n'est pas une langue morte, c'est une langue ancienne, dénomination officielle, c'est peut-être une langue en perte de vitesse mais il y a plus de locuteurs du latin (environ 300 000) que du Corse. Disons que le latin cesse d'être une langue vernaculaire et d'usage parlé courant XVIIIème siècle pour rester une langue savante, écrite et parlée jusqu'à aujourd'hui. Réservons donc l'appellation de langue morte au grec ancien, à l'égyptien des Pharaons ou au Hittite.
    - Je te signale par ailleurs la bonne traduction de l'abbé Letteron de Petri Cyrnaei, clrici Aleriensis, de Rebus Corsicis libri quatuor."

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  3. Une précision utile :
    Le De rebus corsicis a été traduit en français
    par Albert Tozza, en 1894, à Bastia en édition bilingue, mais il est très difficile à trouver.
    Il faudrait le rééditer.
    F.M. D

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  4. Merci pour cette utile précision !

    Une réédition serait effectivement la bienvenue; à moins que le "De rebus corsicis" mérite une nouvelle traduction.

    Les oeuvres des Chroniqueurs - les premiers auteurs de la littérature corse - m'ont semble-t-il presque tous été traduits en français et réédités ces dernières années ? Les Giovanni della Grossa, Ceccaldi, etc.

    Ce fil - celui du Récit historique - est importantissime dans notre imaginaire. Récit au service d'un parti, d'un point de vue. Il s'agit de raconter pour prouver, convaincre. Combien de fois, à l'oral ou à l'écrit, recommençons-nous l'Histoire de Corse ? Il serait peut-être utile aussi que nous ayons quelques études globales et approfondies sur cet ensemble d'écrits historiques (elles existent peut-être déjà ?)

    Les remarques d'Olivier Jehasse dans son "Histoire de la Corse et des Corses" (écrite avec Jean-Marie Arrighi) sont intéressantes sur ce sujet, permettant de se faire une idée des spécificités des projets de ces différents auteurs du XVème et du XVIème siècle.

    C'est tout de même fascinant : vouloir raconter l'histoire d'un peuple... comment est-ce possible ?

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  5. En effet le latin n'est pas une langue morte puisqu'il est toujours langue officielle de l'église romaine, quoiqu'en disent certains analystes zélés trop zélés du concile Vatican II.
    Concernant Petru Cirneu si réédition il y a il y a nécessité d'une nouvelle traduction au regard des connaissances beaucoup plus précises que l'on a obtenu depuis peu sur la période concernée par le livre.
    Quant à raconter l'histoire d'un peuple ce n'est pas si difficile : il suffit de donner la parole au peuple, de l'écouter et de l'entendre surtout quand la mémoire dérape et reconstruit par l'imaginaire les manques de l'information. Et c'est en cela que cette histoire est tout aussi légitime que l'histoire savante car elle repose sur une "théorie inconsciente", un concept rusé que j'ai trouvé chez un musicien de mes amis spécialiste de cantu corsu.
    Bonne réflexion et surtout auguri pa a litteratura corsa

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  6. Merci pour ce commentaire, très intéressant !

    Mais j'aimerais savoir où s'exprime cette histoire du peuple par lui-même. Et qui lui donne la parole ? Ou se la donne-t-il à lui-même ? Et le peuple c'est qui ? Les savants historiens n'en font-ils pas partie ? Ne sont-il pas moins motivés par une "théorie inconsciente", à leur corps défendant ?

    Qui est ce musicien de vos amis, spécialiste de cantu corsu ? Où trouve-t-on son concept de "théorie inconsciente" ? Pourquoi ce concept est-il rusé ?

    Merci pour les augures ! et de participer ainsi la réflexion (peut-être êtes-vous particulièrement attiré par les textes historiques : lesquels ? pourquoi ? Voulez-vous les pages d'écrits historiques corses qui vous semblent importantes, belles, qui vous plaisent ? et nous dire pourquoi ? Bien sûr, il n'y a aucune obligation légale !)

    A bientôt.

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  7. ... et si vous nous parliez de François-Michel Durazzo dont le dernier ouvrage traduit (Juan Manuel Roca, Voleurs de nuit, Myriam Solal éditeur, 2009) vient d'obtenir le Prix Casa de America de Poesia Americana 2009 ?

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  8. Voilà une proposition intéressante... et étonnante.

    Ce blog est consacré aux lectures réelles des oeuvres de littérature corse.
    L'ouvrage dont vous parlez est un recueil de poèmes d'un auteur colombien. C'est bien sûr l'occasion d'aller y voir de plus près !
    (Je crois me souvenir d'une publication poétique, "Iles andines", par Marie-Jean Vinciguerra, qui doit évoquer la Colombie.)

    Mais votre message portait en fait sur le traducteur - émérite - qu'est François-Michel Durazzo. Je l'ai rencontré une fois : quelle diversité de talents (j'attends avec impatience ses prochains travaux personnels).
    Avis aux amateurs (personnellement je n'ai lu que sa traduction du "Vir Nemoris") : qui veut raconter sa lecture de ses poèmes, de ses traductions ?

    Je ferai bientôt un billet autour de la place de la traduction dans la littérature corse.

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