lundi 25 octobre 2010

Pierre Bacchelli a lu "Eloge de la littérature corse"


Et je reporte ici, avec le plaisir que vous imaginez, l'ensemble de son point de vue (un immense merci à lui). D'autres critiques positives et négatives (précises, courtoises, vives, polémiques - sans mauvaise foi ni malveillance) sont les bienvenues !

1er message :

J'ai lu une première fois votre livre et je dois vous dire qu'au début où j'ai parcouru la couverture, mes yeux et mes sens sont d'abord descendus dans le bouquet sauvage de ces fleurs "prairiales" aux sépales minières qui l'ornementent et comme tout bon primate j'en ai fouaillé les racines pour ensuite en boire les couleurs, tant à la première lecture presque infante, la conceptualisation de votre ouvrage m'a désarçonné comme une sorte de printemps inconnu.

Puis, je me suis dit aussi bêtement que je vous le livre, ce n'est qu'une compilation, une couture à la rigueur, je préfère "cousure" même si je crée le mot, de plusieurs morceaux de toile et qui plus est d'une géométrie des plus simples, puisqu'il ne s'agirait que d'une géométrie chronologique, aussi tristement simple que celle du temps communément admis de tous.


Je suis donc allé à la postface de M.J.Vinciguerra pour revenir à votre présentation, mais de façon intercalaire et en même temps chevauchante de ma lecture de l'une à l'autre pour déconstruire ce que je prenais pour un simple récit d'exécution.
Et soudain j'ai compris. Je crois avoir compris, et je n'en suis qu'au début de ma deuxième lecture. Votre livre est unique, d'une conceptualisation émouvante (comprenez-le au sens latin) et originale d'un courage d'auteur assez rare pour l'avoir pensé ainsi surtout dans l'actuel devenir de notre langue. Je vous ferai la même remarque que M.Leiris faisait de Tzara, de mémoire, si cette dernière m'abuse, qu'on la pardonne : "Alors que tant de poètes ont l'air de regarder le monde comme s'il n'était fait que pour eux, Tzara est si proche des choses que ses poèmes ont aisément l'allure d'un entrecroisement de soliloques qui jaillissent de toutes parts...". Vous me faites l'effet d'un Michel-Ange énervé par l'ampleur de son plafond, chutant d'excitation et d'enthousiasme de son échelle si "souventement" qu'il se retrouve avec ses genoux égratignés de couleurs dans les yeux.

M. J.Vinciguerra a fait une postface très ouverte avec des mises en garde de vigilance sur l'exercice du blog littéraire très judicieuses. Ses réflexions nommées par lui "de façon cavalière" sont très pertinentes en cela qu'il perçoit bien votre ouvrage comme l'ouverture d'un grand opéra.Vous suscitez en permanence l'échange et les lectures ne sont plus solitaires, même si elles
doivent le rester en partie pour l'eau particulière qu'elles font couler en nous. Comme il le dit d'une autre manière, vous faites sortir la Corse littéraire de sa territorialité et cette sortie en devient grâce à vous son prolongement. Je salue d'autant plus volontiers les morceaux enlevés de M. J. Vinciguerra à propos des "questions de langue" et de "l'imaginaire corse", que grâce à vous certains poètes restent encore des"anfarti". Très brièvement je pense très sincèrement qu'il faut donner à votre livre plus d'audience qu'il n'en a, une"postpublicité" et j'inviterais bien M. J. Vinciguerra, maintenant qu'il a fait une postface à votre ouvrage, à revenir et à contre-courant de lui faire une préface dans un style aussi averti. Puisque, comme il le dit si bien "lisons et relisons". Cela donnerait une dimension plus grande à votre livre qui le mérite largement et une vie plus particulièrement intense à "ce fil d'Ariane" dont vous nous rappelez tant le besoin.

2ème message :

Le lecteur est surpris, votre livre n'est pas une compilation, à plus forte raison une anthologie. Ce n'est pas une somme, pas un "litteratus". Alors de quoi s'agit-il ? De faisceaux de paroles jaillies d'un blog et qui parlent dans un livre? De lecteurs s'adressant à d'autres lecteurs ? Certes il s'agit d'un peu tout cela. Serait-ce tout ? Il serait stupide de le croire.

Votre livre est une fenêtre, une grande fenêtre ouverte, nouvelle, large, vaste et puissante d'horizon, pour celui qui veut se donner la peine de s'y pencher.
Pourquoi une fenêtre ? Parce que ce terme est assez précis pour situer votre ouvrage et assez ouvert pour laisser la place à toute forme d'imagination.

De vos trois raisons à l'édification de ce livre, je ne retiendrai que la
deuxième et la troisième que je cite : "Deuxième raison : le livre serait un objet complémentaire de l'existence numérique du réseau qu'est le blog, en permettant à loisir des lectures et relecture. Ce livre devrait être aussi un objet dont le caractère concret peut servir à tout moment de porte d'entrée vers le blog numérique." Si je n'ai pas cité la première raison c'est qu'elle me sembl ,sinon comprise dans les deux autres, tout au moins diffuse en elles, comme vous le dites :"permettant de manifester une cohérence". "Troisième raison : le livre serait un objet qui assume sa finitude et son existence autonome là où le blog est en évolution potentielle permanente, sous le regard de tous et se repaît d'une existence illusoirement infinie. Le texte proposé par l'auteur serait figé, retrouvant par là un aspect explicitement mortel et donc charnel, mais en même temps offert en pâture au lecteur qui pourrait l'avoir à sa main, en faire façon, lui adjoindre notes et commentaires proprement individuels..."

Je ne vais pas vous rééditer tout ce que je vous ai déjà dit auparavant, je vais
plutôt dire ce qu'a retenu ma compagne mot pour mot : "Pour F.-X. Renucci, le fait de transposer le contenu du blog dans un livre permet de rassembler sous l'oeil d'un lecteur des textes divers et des commentaires, des récits de lecture, produits dans le jaillissement quotidien, de façon à ce qu'il y ait retour critique et distancié, cohérence à redécouvrir sur "la nature, les limites, les effets et les enjeux pour nous tous d'une littérature corse authentique", se nourrissant cependant "comme en miroir" d'autres littératures, en d'autres temps et d'autres lieux. D'une sorte de Journal collectif, qu'est le blog, il veut en faire "la matière d'une réflexion critique et d'un espoir pour l'avenir de la littérature corse".

Lorsque vous dites : "Par ailleurs, je sais combien chaque lecteur se construit son Panthéon personnel d'auteurs et d'oeuvres. Il sera donc loisible de lire l'index des oeuvres et des auteurs cités (170 auteurs, 280 oeuvres) afin de découvrir avec ravissement la présence de son auteur préféré ou avec stupéfaction son absence." Vous venez de lier entre elles deux sensations : le
ravissement et la stupéfaction, ravissement/joie, stupéfaction/colère ou incompréhension. Ces deux émotions sont plus senties, plus continues dans le livre que sur le blog et vous enchaînez : "charge à chacun de venir sur le blog s'il le désire (ce que je souhaite) afin de compléter la liste défaillante et d'alimenter de nouveaux échanges." Vous avez employé un mot-clé qui assure le succès d'un blog de qualité, ECHANGE. Vous donnez une immense possibilité au lecteur d'aller du blog au livre, et du livre au blog. Quelle belle interactivité ! Vous le dites très bien et cela vaut tous les commentaires : "Enfin, vous l'aurez compris, cet ouvrage voudrait être un des objets susceptibles de rendre visible, sur une table, ce que peut être la littérature corse, ce qu'elle peut devenir, mais aussi ce qu'"elle pourra faire dans l'esprit de ses lecteurs et sur la société corse en général." Les mots "rendre visible sur une table" sont particulièrement percutants. Le blog est plus près d'une méthodologie barthésienne du symbole et de la lettre. Le livre épouse mieux "la pensée individuelle et collective", il dit mieux la douleur de l'écriture, il décrit mieux, comme aurait dit en son temps Buffat à propos de Barthes, "les failles qui séparent le sens du vécu".

Vous employez le conditionnel à plusieurs reprises dans votre préface à propos de votre ouvrage. Je crois personnellement que nous pouvons en parler comme d'un acte de grande émotion. L'émotion qui vous anime. Or, l'émotion séduit et impose et devient passion. C'est de cela dont il s'agit. C'est de cela dont vous parlez si bien et dont notre littérature corse a tant besoin. Quelqu'un vous a dit, au lendemain de votre blog : "Era ora!" Oui, il était temps et maintenant il est temps pour votre livre. J'ai dit de votre livre : "fenêtre ouverte" et comme la plupart de toutes les grandes fenêtres, il est une fenêtre-carrefour, "labyrinthique et polyphonique" sur notre littérature et pour elle, sa vie en devenir.


(La photo)

7 commentaires:

  1. Tres touchant ce vibrant hommage de Monsieur Baccheli bouleversant par sa comprehension de la passion qui anime FXR depuis plus de vingt ans. Quel encouragement !!! CR

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  2. C'est tout à fait exact. Je n'avais pas tout à fait le même avis que lui sur le sujet mais il m'a convaincu du bien fondé de son approche.

    Bravo Pierrot, ils sont importants ceux qui aident à nous faire changer d'avis car ils nous démontrent comme nous ne sommes pas tout à fait ...imbéciles (j'allais encore dire un gros mot et me faire censurer).

    Norbert

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  3. Norbert,
    ah mais justement, ton avis précédent me paraît aussi intéressant à connaître. Précisons les arguments divers et variés. Il n'y a pas d'avis définitif, effectivement.

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  4. François-Xavier,bonjour,
    Je sais bien que vous auriez voulu avoir plus de réflexions critiques sur votre ouvrage.Mais pour rendre cet aspect là,il faudrait tenir en compte des initiatives de comparaison.
    Ma connaissance du net est hélas bien faible,mais le peu que j"en possède ne me permet pas de références;et je me refuse à comparer des initiatives comme celle d'Assouline à la vôtre.Elles ne sont pas de même origine,ni de même valeur(Nous en avons déjà parlé par ailleurs).Or, ce qui fait la profondeur et la valeur de votre initiative,hors toute considération littéraire qui tient son propre mérite,c'est son originalité profonde par ce qu'elle défend et la source qu'elle essaye non seulement de préserver mais d'alimenter aussi .
    Je n'ai donc peut-être fait qu'un hommage réfléchi à cette originalité volontaire.
    J'appelle la critique,puisse-t-elle venir et avec elle viendra le débat, c'est ce que je souhaite le plus.

    Je voudrais, si cela est possible, parce que je ne sais où le placer ailleurs,demander aux bonnes volontés de ce blog, et si vous le permettez(c'est hypocritement trop tard)de me renseigner sur les origines d'un rituel sarde -Mentionné par G.de Cortanze dans les Vice-Rois qui raconte les gestes de Grazzia,domestique d'Ercole Tommaso,nommé vice-roi de Sardaigne:"...après le petit déjeuner,elle se rendait dans le petit salon et le fumoir,vidait les cheminées où on avait fait du feu,et prenait les cendres qu'elle tamisait avant de les remettre proprement dans le feu ouvert.Son travail aurait pu s'arrêter là,mais elle mettait un soin particulier à exécuter ensuite des décorations mystérieuses dans les cendres en se servant d'un pied de verre......-Pourquoi ces dessins dans la cendre des cheminées?(E.Tommaso)- Pour protèger Monsieur des mauvais esprits du feu ,des pièges de l'île.......",et aussi Sergio Atzeni dans :"Nous passions sur la terre,légers",mais aussi dans "la Fable du Juge Bandit" - et une similitude de rituel semblable en Corse dont me parlait ma grand-mère paternelle.
    Quelqu'un ou quelqu'une possèderait-il des références sur ce rituel en Corse?Merci et pardonnez-moi cette intrusion un peu cavalière.Au passage, je remercie Norbert Paganelli pour son salut à mon commentaire et la perspicacité de son intervention sur votre billet précédent:"Plaisir de traduire" ainsi qu'à vous,cela va sans dire, pour avoir introduit ce très beau poème et sa traduction.Si vous le voulez bien, je m'exprimerai plus tard à cet endroit.
    Cordialement,
    Pierre

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  5. pas eu le courage de lire "l'éloge de l'éloge". Trop long, trop "bon".


    Allez, un peu de critiques, le patron de ces lieux ne cesse de nous appeler à cela.

    Il faudrait plus de participation des internautes, la plupart des billets(excellents, certes) émanant de Monsieur Renucci.

    Je fais mon mea culpa aussi. Pas le courage de rédiger quelque chose d'un peu substantiel et cohérent. Je me contente de lire. Nous sommes trop passifs, croyant toujours qu'il revient à quelqu'un d'autre de faire.

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  6. Pierre, Anonyme 16:23, merci pour vos commentaires.

    Oui, comparer, participer. Je suis évidemment déjà ravi de ce qui existe déjà. Et puis quand je vois qu'il y a trop peu de commentaires sur ce blog, j'erre sur les autres blogs et sites, et forums : la Gazetta di Mirvella, Musa Nostra, Invistita, Isularama, Corsicapolar, "bien d'autres encore !..."

    Moi-même, je participe quelquefois à la discussion sur ces sites. Sur Facebook aussi, parfois quelques discussions émergent. Dans l'ensemble je trouve aussi qu'actuellement il y a peu de dialogues. Et donc trop peu de mise en relief des goûts et des sensibilités face à la chose littéraire corse. Mais cela (re)viendra !!

    Ah, je rappelle que ce blog est ouvert à tout type d'intervention : un "récit de lecture" minimal est constitué d'un extrait aimé de l'oeuvre aimée et de quelques propos qui pourraient même être un borborygme d'avant ou d'après réveil !! Car enfin, si c'est ce que FAIT la littérature corse sur nous (des borborygmes), pourquoi le cacher ??

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  7. Réponse à Anonyme de 16h23:
    J'ai l'impression Anonyme de 16h23 que c'est comme si je m'adressais à :train de 16h23 entre en gare de.....Le train est identifié,la gare reste anonyme.
    Vous faites bien de souligner les autres sites-La Gazetta de Mirvella,Musa nostra,Invistita,Isularama et bien d'autres comme de ceux de Mme Paoli ou de Caminade-Bien sûr le dialogue reviendra,il est déjà revenu et capricieux comme tout ce qui vit et bouge.
    Loin de moi de les oublier ,bien au contraire,particulièrement celui d'Invistita de mon ami Norbert Paganelli qui m'a fait découvrir entre autres celui là même où je m'adresse à vous,et m'a incité à me manifester et sortir d'un silence trop confortable.Je ne vais pas tomber dans les emphases qui sont bien trop souvent ,à tort,le lot simple de gens simplement enthousiastes.
    Je ne sais comment exprimer la mesure de comment notre littérature était connue avant 1997 et comment elle s'opiniâtre à se faire connaître maintenant.Croyez-vous simplement qu'un seul clic technologique ait suffi à la porter au delà de nos rivages ? bien sûr que non!
    Tant que je chercherai maintenant à affiner cette mesure et dire combien elle rage,giffe,frappe,dérange,soulève,souffre,j'aurai quelque chose à dire pour elle et avec elle.

    Ce que je voulais vous dire avant que vous ne me happiez à 16h23,je vous le livre maintenant:
    Ce n'était pas pas un "éloge de l'Eloge.Je voulais simplement "justifier" mon point de vue.Le débat reste ouvert,comme tout débat ,il suppose des pour et des contre.C'est à cela que sert le blog,et avant lui que servait le livre.
    Soyons clair! Aquoi appelle F.X.Renucci,et je suis sûr de ce que je crois avoir compris;il appelle à l'échange pratiquement de bout en bout de la première émotion de découverte(l'interrogation:y-vais-je à le lire(la forme barbare est voulue)? La déception des 2 ou 3 premières pages ou l'exaltation,puis pendant la lecture,car comme tout bon lecteur,on ne reste pas à subir,voire à pâtir(j'assume le sens transitif du verbe)les premières pages,on poursuit et on évade plusieurs chemins.
    L'opinion se crée ,l'idée se fait et se défait,et avec elle le l'échange au delà même du ressenti,parce qu'il est partagé.
    je vous rappelle les mots de F.X.Renucci:"IL s'agit de ne pas avoir peur(et de croire un tant soit peu à l'intérêt)de raconter ses lectures réelles(d'ouvrages de littérature corse).....mais on ne s'interdit pour autant pas de manifester.....indifferentes et même ytrès négatives....."
    DEUX mots sur l'anonymat:
    Personellement,je trouve cela dommage de rester anonyme .Me direz-vous:-Je pourrai utiliser un pseudo.Pourquoi?Laisseriez-vous une trace plus facile à remonter?
    Quel fameux débat entre le pseudo et l'anonyme?
    Lequel des deux est l'autre?Nous n'allons pas donner dans du Pirandello,quoique?
    J'ai envie de dire :notre littératur a besoin de tout le monde anonyme pour qu'il se fasse connaître ensemble.Nous ne sommes jamais tout à fait anonymes quand nous lisons.ET il faut de moins en moins rester anonyme quand nous écrivons.
    Ne voyez là aucun jugement .Il n'y en a pas.
    Je suis un naïvement grand optimiste et persuadé que la passion sort toujours celui qu'elle possède de "l'ombre".
    Je vais juste rappeler ces quelques vers de Venaille,trop méconnu à mon goût :"
    Tandis que je me tais,quelqu'un ,un jour révèlera le secret......L'un de ces jours où les hommes s'enferment entre eux.Pour rire de tout.Pour se moquer d'eux-mêmes,du moins je l'espère....Je suis d'ici et en même temps il me semble ne pas être au monde....."
    J'aimerais tant que tout ceci fasse débat et ne sois pas perdu dans un commentaire où j'ai été beaucoup trop long trop long et pourtant pas assez loin.
    Cordialement. Pierre.

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