mardi 19 avril 2011

La (?) question ? La (?) réponse ? En tout cas du Jérôme Ferrari par EC

Suite (et fin ?) de la petite discussion entamée lors du précédent billet intitulé "Anna Giaufret vient de lire "Aleph zéro"...


Petit rappel pour la compréhension de la chose : il s'agissait de savoir quelle Question l'oeuvre de Jérôme Ferrari pose sans cesse... Voici donc la réponse d'Emmanuelle Caminade (merci infiniment) :

Mes talents d'animatrice ne s'avèrent pas flagrants ! Merci quand même à Francesca pour sa participation éclairée.

Bon alors, tous les livres de Jérôme Ferrari ont pour moi une composante mystique plus ou moins marquée.

Il me semble y entendre toujours poser, avec une belle constance, la même question et en discerner toujours des éléments de réponse, parfois très discrets certes, notamment au travers de la beauté déclinée sous ses multiples formes. (L'auteur ne délivre pas LA réponse, à chacun de chercher, de trouver la sienne, l'essentiel étant sans doute déjà de poser la question.)

L'HOMME EST-IL TOUT A FAIT ABANDONNE ?

Certaines citations, récurrentes et souvent en exergue, semblent montrer l' importance de cette question pour l'auteur ; beaucoup de ses personnages se la posent personnellement plus ou moins explicitement et, même s'ils sont souvent aveugles et ont du mal à entendre la réponse, ils cherchent à l' entendre, ils déplorent ou se désespèrent de ne pas l'entendre, allant jusqu'à refuser de l'entendre...

Et pour vous dissuader de penser que c'est la lectrice qui entend des voix, je vous fournis donc quelques arguments textuels - non exhaustifs :

1- VARIETES DE LA MORT (2001), épigraphe de la nouvelle Le Secteur de Marie :

« Au nom de Dieu, Celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux

Par la clarté du jour

Par la nuit quand elle s'étend

Ton Seigneur ne t'a pas abandonné et il ne t'a pas pris en haine

En Vérité, la vie future vaut mieux pour toi que la vie présente »

Le Coran, Sourate XCIII « La Clarté du Jour »

2- ALEPH ZERO (2002), p. 104 :

«poser la question et savoir entendre la réponse, même petite, même minuscule»

SILENCE DE CINQ ANS ?

3- DANS LE SECRET (2007), p.49 :

« - C'était une cinquième voix qui planait bien haut au-dessus des autres. Les confrères la nomment sa quintina. C'est une voix d'une pureté bien au-delà des capacités de l'homme, déchu et cependant pas tout à fait abandonné. »

4- BALCO ATLANTICO (2008), p. 108/109 :

«Le père de Ryad est mort dans un attentat, rue Didouche-Mourad à Alger. Une bombe a explosé au moment où il passait. La vie est devenue impossible. A Blida, une de ses tantes a trouvé trois têtes posées sur le trottoir en sortant de chez elle. Le lendemain de l'enterrement de son père, l'imam est venu chez lui lire le Coran. C'est sa mère qui l'a demandé. Entendre la parole de Dieu l'apaise. Le salon était plein de voisins, d'amis. L'imam a d'abord lu la Fatiha* et la sourate de l'aube naissante [cf 1)].»

* sourate d'ouverture du Coran : « Au nom d'Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux ... ».

5-UN DIEU UN ANIMAL (2009), épigraphe du livre, déjà en exergue de la nouvelle LA NUIT DU DOUTE publiée dans la revue Philosophie magazine n° 15 ( décembre 2007/janvier 2008):

« Nul éloignement pour moi après Ton

éloignement

Depuis que j'eus la certitude que proche

et loin sont un

Car même dans l'abandon l'abandon m'accompagne

Et comment peut-il y avoir abandon

quand l'amour fait exister?

Grâce à Toi! Tu guides dans la par-

faite pureté

Un adorateur pur qui ne se prosterne

que pour Toi »

Hussein Ibn Mansûr El-Hallâj

6- OU J'AI LAISSE MON AME (2010), épigraphe du livre

« Il dit que même en présence de la lune il

ne connaît pas le repos, et qu'il fait un

vilain métier. C'est toujours cela qu'il dit

quand il ne dort pas; et quand il dort, il

fait toujours le même rêve : il voit un chemin

de lune sur lequel il veut s'engager

pour continuer de parler avec le prisonnier

Ha-Nostri car – c'est ce qu'il affirme -

il n'a pas eu le temps de dire tout ce qu'il

avait en tête, ce fameux jour d'autrefois, ce

14 du mois printanier de nisan. Mais hélas,

quelque chose fait qu'il ne parvient pas à

rejoindre ce chemin, et personne ne vient

vers lui. »

Mikhaïl Boulgakov, Le Maître et Marguerite

3 commentaires:

  1. ce n'est pas votre talent d'animatrice qui est en cause, Emmanuelle, mais cette tendance assez générale de penser que c'est aux "autres" d'animer, cette facilité qui fait qu'on passe lire par curiosité mais qu'on ne participe qu'exceptionnellement, sans se sentir responsable de la vie d'un blog auquel on tient pourtant et pour peu que l'animateur ait d'autres chats à fouetter...
    FXR a failli nous lâcher et nous le méritions bien.
    Nous sommes si occupés, n'est-ce pas, et seulement à des choses IMPORTANTES et INTERESSANTES, nous ne perdons JAMAIS notre temps,non...sûrement pas!

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  2. Francesca,
    ne soyons pas pessimistes. Je revendique le droit au silence et à la grosse fatigue pour tout le monde !
    Patience, patience : bientôt un programme réactualisé des activités de Corsica Calling... (des trucs de ouf en perspective !!!)

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  3. Pascale renucci8 mai 2011 à 20:39

    Bonsoir, il ne me reste plus qu'un livre de Jérôme Ferrari à lire. Un seul et je sais qu'ensuite je vais être dans l'attente, la même que celle ressentie après la lecture du dernier livre de Marcu Biancarelli il y a quelques mois et la frustration de ne pas lire le Corse. Hier soir je suis allée au 104 et j'ai vu Jérôme Ferrari parlant, avec deux autres auteurs, de l'écriture comme engagement. Finalement la question s'était lourdement transformée en "la place du réel dans le roman", les yeux des 3 auteurs évoquaient la même lassitude par avance face à ce marronnier, en tout cas moi j'avais un diner à finir et me suis enfuie après avoir entendu Jérôme Ferrari s'acquiter brillamment de sa tâche : répondre sobrement qu'un seul réel avait motivé l'écriture du dernier livre, qui n'était pas celui que l'animateur avait mis en avant, et que ses "points de départs étaient très petits", bien plus petits qu'on ne lui prêtait. Ayant entendu cela, je suis partie contente d'être venue, même peu de temps,

    Alors je ne sais pas répondre à la question de la question chez Jérôme Ferrari. Cependant, avançant livre par livre j'ai trouvé une ou deux idées sûres au sujet de son oeuvre :
    - elle est difficilement partageable. Je ne peux pas offrir ses livres aux plus vieux qui m'entourent, pour des raisons évidentes, je ne peux pas les offrir aux plus jeunes, très jeunes non plus, pour les mêmes raisons évidentes.Et de toute façon en entrant dans sa lecture, j'ai de moins en moins envie de la partager, elle suscite un plaisir clairement isolé et qui veut rester l'être. je n'ai pas à rendre de comptes, je n'ai pas à expliquer, ça m'explose dans la tête comme une carte électronique qui se pose adéquate sur nombreux de mes réseaux mentaux. Il y a même des moments où j'ai honte d'aimer tant ce qui est écrit, et cette honte profonde, cette conflictualité qui anime la lecture est un plaisir de lire que je n'avais pas connu jusque là, ou en fait si, je l'avais découvert en lisant Extrême Méridien. J'avais eu alors la sensation d'un très long blasphême qui m'avait soulagée.

    Je sais que je devrais citer des passages, des phrases, mais il me faudrait, chercher les livres, en prendre un, le tenir d'une main pour essayer de lire entre les pages se refermant, saisir, relire et corriger...Ensuite il me faudrait choisir...Si il y a bien un passage qui est clair de cette découverte pour moi, et si c'est le seul que je lis pour appâter mes proches, c'est celui où la vieille parente meurt la bouche ouverte dans la maison de Donat, langue pendante et doigt tendu, qu'elle se met à puer pour indisposer prêtres, Sgio et proche famille, que tous font avec jusqu'à ce qu'elle éructe une résurection et que cette odeur ne la prenne plus que quand son sommeil est trop long.

    je devrais peut être changer de passage pour les appâter mais là pour moi il y a tout ce que j'ai découvert chez cet auteur : un humour d'abord, précieux, tendu, imparable, la mort et ses figures déclinées, la famille toujours là et toujours evanescente

    - la deuxième chose dont je suis sure c'est que j'aime la manière dont Jérôme Ferrari parle de l'enfance. J'adore les enfants de Jérôme Ferrari, je ne sais pas de qui ils sont, d'où ils sortent et où ils se perdent, mais vraiment je les vois dedans et dehors, on lit à travers et ils sont toujours, toujours une promesse même si ils sont parfois précocemment pervers.

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