jeudi 7 avril 2011

Littérature corse dans "Libération" !!


Il faut saluer comme il se doit l'évocation élogieuse et fracassante (bon, c'est vrai, j'exagère un peu) de trois auteurs corses (et universels, aussi, bien sûr) dans un article de la grande presse quotidienne française ("Libération" du 4 avril 2011). (J'ai découvert cet article grâce à un post de Vannina Bernard-Leoni, sur Facebook ; merci !!)

Les heureux nommés sont : Jérôme Ferrari (et pour cause, il est l'auteur de l'article !), Marcu Biancarelli et Jean-Baptiste Predali.

Et pourquoi est-ce une aussi bonne nouvelle que ça ? Tout simplement parce qu'ils sont réunis dans un idéal : celui de produire de la littérature. Et pas du discours identitaire (jouant sur les clichés ou les anti-clichés). Voilà, les lecteurs amoureux de "Libération" pourront découvrir qu'il existe des écrivains vivants qui ont pour ambition de faire de la littérature avec la matière corse.

Cela nous vaut par la même occasion, un très beau "récit de lecture" de l'oeuvre de Marcu Biancarelli ; je me permets de citer ici le passage :

"En 2000, la publication de Prighjuneri, le recueil de nouvelles de mon ami Marco Biancarelli, a montré que le réel n’avait pas été tout à fait englouti sous une montagne de clichés et qu’il pouvait encore s’exprimer avec une vitalité incroyablement violente et forte. Prighjuneri donne à voir un réel partiel, fragmentaire, paradoxal, indigeste, qui ne peut en aucun cas rivaliser avec le merveilleux cadre d’intelligibilité que procurent les clichés, il n’y est pas question d’hospitalité, d’honneur perdu ou de vendetta, ni de quoi que ce soit de romantique, on y trouve un type qui s’emmerde sur la place déserte de son village, une lycéenne transparente, des voyous impuissants ou narcissiques, un club échangiste, un pêcheur psychopathe, une villageoise nymphomane, de la cocaïne de mauvaise qualité, un condottiere couard et chanceux, et toutes les figures de la désillusion et de l’ennui qui montrent, très modestement, ce que cela peut vouloir dire d’être un homme, ici et maintenant – mais c’est seulement cela, la grande affaire de la littérature." (dixit, donc, Jérôme Ferrari).

Ces lignes sont précieuses du fait des circonstances de leur publication et du fait de leur pertinence : elles disent précisément ce que font les textes de Marcu Biancarelli (donner aux lecteurs un accès nouveau au réel), en direction d'un lectorat qui n'a certainement pas l'habitude d'imaginer qu'une telle littérature existe aujourd'hui dans et autour de l'île.

Alors, évidemment, personnellement, je lis cet article avec une grande joie et une grande gratitude.

Les dernières lignes sont remplies d'une force et d'un espoir qui contrebalancent efficacement, me semble-t-il, d'autres phrases beaucoup plus lucides et sombres (comme celle-ci, par exemple : "Car si nombreux soient les talents (en Corse, NDLR), dans quelque domaine que ce soit, on dirait qu’ils sont condamnés à se flétrir, comme sous les rafales d’un vent toxique et brûlant, pour ne servir au bout du compte qu’à alimenter une interminable désillusion.") :

"(...) Construire un roman en fonction des attentes du public demande des compétences dont je suis absolument dépourvu et j’ai dû me contenter d’écrire cela seul qu’il était en mon pouvoir d’écrire, en essayant de ne pas trop me soucier des lectures qui en seraient faites. C’est vrai, mais ce n’est pas tout – et c’est seulement au cours d’une conversation avec Jean-Baptiste Predali, auteur de deux très beaux romans chez Actes Sud (nous attendons le troisième, d'ailleurs... NDLR) que j’ai compris la raison profonde de mon étrange obstination. Je demandais à Jean-Baptiste ce qu’il cherchait à faire, lui, en prenant la Corse comme cadre de ses fictions. Il m’a répondu après avoir réfléchi qu’il essayait sans doute de « faire accéder la Corse à la dignité littéraire » et, en l’entendant, j’ai eu immédiatement la certitude qu’il venait de m’offrir les mots qui me manquaient pour décrire ma propre entreprise, celle de Marco Biancarelli et de quelques autres. Il ne s’agit pas de lutte, de militantisme ou de revendication chauvine. Ça n’a rien à voir avec un quelconque chauvinisme. Cela signifie au contraire que la dignité littéraire ne connaît ni pays ni territoire et que toute réalité humaine, pour peu qu’elle soit portée par l’écriture, est digne d’y accéder."

Alors, on peut penser que la Corse a depuis longtemps accédé à cette "dignité littéraire", il n'empêche que le travail est toujours à recommencer et qu'un tel objectif est un horizon à scruter en permanence. Et chacun mettra les noms qu'il voudra derrière l'expression "et quelques autres" !

Pour lire la totalité de l'article, cliquez ici. Il y est aussi beaucoup question des clichés qui recouvrent la Corse, évoqués avec beaucoup d'humour par l'auteur, mais il me semble que le vrai sujet n'est pas là. Et puis vous pouvez participer à la discussion en cours en laissant un commentaire sur le site de Libé à la suite de l'article. J'en ai laissé un.

Une dernière remarque : Jérôme Ferrari est l'auteur corse qui intervient le plus souvent dans l'espace médiatique au niveau de la France, c'est le cas dans deux autres publications, papier cette fois :
- un article qui critique vertement la série "Mafiosa" (et fait un éloge de "Un prophète" de Jacques Audiard), dans le deuxième volume de "Ecrivains en série", dirigé par Laure Limongi, chez Léo Scheer
- un article dans "Les écrivains préférés des libraires", chez Hoëbeke, sous la direction de Jean Morzadec et où il évoque (trop rapidement) son oeuvre et sa fréquentation des librairies (notamment à Ajaccio)

(l'image)

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