lundi 13 juin 2011

"Ombre di guerra", Jean-Yves Acquaviva


Voici donc quelques mots pour évoquer ma lecture de ce court roman de Jean-Yves Acquaviva. Je l'ai lu avec plaisir, de courts chapitres se succèdent ; l'histoire, bien que fondée sur un ou des secrets de famille, à la fois sentimentaux et dramatiques, est claire ; le personnage principal, Ghjuvan Tumasgiu, réunit en lui tous les fils de l'intrigue familiale et le thème transversal de la guerre (14-18, 39-45, Algérie). Car le livre est finalement celui de la naissance à la conscience : l'enfant idéalise, puis découvre peu à peu l'atroce vérité, s'interroge sur les autres et sur lui-même, finit par prendre une décision (s'engage dans l'armée en Algérie pendant les "événements"), devient un homme. Les masques une fois tombés, la vérité apparaît bien cruelle. Le livre se clôt sur les pleurs de Ghjuvan Tumasgiu.

Toutefois, cette lecture m'a laissé sur ma faim, comme je le disais dans le billet précédent, j'attends avec impatience que l'écriture et l'histoire du prochain roman de Jean-Yves Acquaviva s'enrichissent, se complexifient ; j'espère que l'on entendra moins le discours qui juge et qui explique, et que le récit gagnera en épaisseur et en ambiguïté. Pour faire écho au "manichéisme" de ce roman, dont parle Marcu Biancarelli dans une de ses chroniques, je dois dire que j'ai eu l'impression d'avancer sans surprise dans une quête de vérité qui aurait pu nous valoir des scènes bien plus fortes, si les personnages avaient été moins tout d'une pièce. Ghjorghju le frère démoniaque et Sicondu le frère martyr. Gino l'Italien magnifique et sacrifié. Le Bien contre le Mal. La Souffrance comme mode principal de relation au monde.

Mais au fond pourquoi pas ?

Dans tous les cas, il y a une scène décrite en deux pages, qui me reste en tête, qui m'a frappé. Que je trouve pleine de significations, même si elle s'inscrit elle aussi dans le système global du récit qui rêve de courts moments de fraternité au milieu des misères et des horreurs du monde. C'est une scène qui se déroule en Algérie, pendant la guerre, où Ghjuvan'Tumasgiu commande un bataillon de harkis. Lorsque de jeunes appelés arrivent pour la première fois dans la caserne, les anciens ont pris l'habitude de les accueillir d'une façon toute particulière :

Ci n'era d'altre di iss stonde felice. Cum'è quandu scalavanu suldati novi, giuvanotti un pocu sbasati, lampati nu 'ssa guerra à u fior'di l'età. L'accuglianu sempre di a stessa manera. A sera, un gran'ripastu in giru à un tavulinone. L'idea era di dà li una prima fiura pusitiva di ciò ch'elli avaianu da campà quì. Di fà li sente chì c'era una vera cumunione trà ognunu di 'ss'omi chì avianu avianu bisognu l'unu di l'altru. È i burlavanu, era a valsa di i galloni. I suldati turnavanu capitani, i capitani sargenti è tocca è fila... Magnavanu, biianu è ridianu cum'è zitelli chì festighjeghjanu a fine di a scola. Avianu imaginatu una piccula cummedia ch'elli ghjucavanu cum'è una pezza di teatru. Fattu cena, Ghjuvan'Tumasgiu vistutu à simplice suldatu, facia nice di liticà si cù un antru militare. Quellu, un capurale, purtava i galloni di cpaitanu. U tonu criscia pianu, pianu trà i dui omi. In giru, u silenziu si facia, i novi vardavanu intransanditi u suldatu chì insultava u so capitanu. Durava, è più andava più mughjavanu. U "capitanu" minacciava è u "suldatu" rispundia. È, d'un trattu, Ghjuvan'Tumasgiu cacciava una pistola, caracta à biancu, è tirava nant'à l'ufficiale chì si lampava in tarra fendu crede ch'ellu era mortu. Dui omi s'arrizzavanu, u ricuglianu è u trascinavanu fora è ognunu ricuminciava, cum'è s'è nulla ùn fussi, à magnà è à beie. A facianu durà una mez'oretta 'ssa cummedia. I giovani chjamati si fighjavanu una stonda, santavugliati. È po ci n'era sempre unu, più curagiosu cà l'altri per pisà si è dì ch'ella ùn si passaria micca cusì, ch'ellu avia da avisà l'altu cumandu, ch'elle esistianu e lege ancu quì. Tandu, Ghjuvan'Tumasgiu cacciava torna a so pistola è li tirava addossu. È mentre chì u "mortu" vultava in a pezza, à tutti l'anziani li scappava a risa. Eccu, eranu battizati, è ancu s'elli ùn ridianu tantu, avianu capitu chì ùn c'era nisun'gattivera nu 'ssi fatti. Eranu vinuti per batte si, per tumbà è forse per more. 'Ssa stonda era un rigalu, fattu da quelli chì cunniscianu digià a durezza di a guerra. Una manera di sparte cun elli 'sse spirate di sole chì lucicavanu qualchì volta in 'ssi tempi di bughjura. Eranu scarsa ma cusì calde.

Oui, c'est bien cette scène qui me reste en tête, et aussi celle citée par l'auteur sur ce blog. Scène d'enfance et de rencontre hasardeuse, qui finalement sonne à mes oreilles comme un autre moment "vrai", quelque chose d'à la fois simple et complexe. Où se croisent des enjeux et des sentiments que le discours final du narrateur n'épuise pas. Ce qui me frappe maintenant, c'est que cette "comédie" du meurtre et de l'impunité jouée par Ghjuvan'Tumasgiu ne fait que répéter, mais par la "fiction", ce que sa famille cachait comme un secret honteux. Changement de costume, manipulation, mise à l'épreuve...

Bon, en fin de compte, malgré un discours qui me paraît trop souvent aplatir le propos, cette histoire est peut-être plus complexe que je n'ai voulu le dire. On va dire que je coupe les cheveux en quatre... D'ailleurs vous pouvez faire part ici de vos propres lectures de ce roman, n'hésitez pas.

Voyez par ici, pour écouter l'auteur évoquer son propre ouvrage :
- en vidéo, sur le site de Musanostra (interrogé par Sébastien Quenot)
- par écrit, toujours sur le site de Musanostra
- sur le site des éditions Albiana : un recueil de poèmes du même auteur, "Tandu scrivu"

(l'image)

3 commentaires:

  1. Ignace Stroppianeri, sous-officier en retraite13 juin 2011 à 16:00

    Je ne sais pas qui est cet Acquaviva mais c'est à l'évidence un immonde plagiaire ! C'est quasiment l'intrigue de "Fleur de Lotus" à peine remaniée par un tâcheron dépourvu d'imagination. Chez Fasgioli aussi, on trouve une scène de bizutage dans laquelle les compagnons d'armes échangent gaiement leurs grades dans une ambiance de virile camaraderie. La seule différence - sans doute motivée par la pruderie d'Acquaviva que les mâles ardeurs des vrais soldats effarouchent, le pauvre biquet - c'est que les impétrants ne s'en tirent pas avec une petite frayeur de bambin : au Tonkin, Monsieur, la bleusaille, on l'aguerrit, et pour l'aguerrir, on l'encule ! C'est le caporal-chef N'Dsongué qui s'en charge, en bon camarade.
    Reportez-vous aux pages 52-54 du chef d'oeuvre de Fasgioli, et vous verrez que l'imposteur Acquaviva ne pourra pas nier son méfait !

    Honneur et Littérature !

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  2. Monsieur Stroppianeri,
    vous savez combien nous apprécions vos mâles ardeurs, comme vous dites, car il est bon, parfois, que les choses soient dites, et bien dites, et vous les dites bien.
    Cependant, j'attire l'attention des autres lecteurs et éventuels participants à cette discussion aussi informelle que conviviale, qu'ils ont toute latitude pour user de tonalités différentes, et choisir, par exemple, un langage fleuri et délicat.
    Evidemment, c'est la diversité des approches qui est belle en soi. Que chacun s'exprime et fasse effort pour apprécier les efforts des autres.
    La discussion est donc ouverte.

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  3. Il me semble assez extraordinaire de constater que les deux scènes évoquées par FXR sont les seules que je n'ai pas inventées, je les ai piochées dans les souvenirs de mon père. Comme quoi on se creuse la tête pour alambiquer des choses incroyables et ce sont les vraies qui ressortent. Dunque, si pò forse omu fidà à a verità, qualchì volta.
    JYA

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