samedi 26 novembre 2011

Ite missa est ! / ZERT (1967), Milan Kundera

ZERT, c'est le titre tchèque du premier roman de Milan Kundera, traduit en français par "La Plaisanterie" (Gallimard, 1968-1985).

Voici la première page (c'est un des personnages, un dénommé Ludvik, qui parle) :

Ainsi, après bien des années, je me retrouvais chez moi. Debout sur la grande place (qu'enfant, puis gamin, puis jeune homme, j'avais mille fois traversée), je ne ressentais nulle émotion ; au contraire, je pensais que cette place dont le beffroi (semblable à un reître sous son heaume) surplombe les toits rappelait le vaste terrain d'exercice d'une caserne, et que le passé militaire de cette ville de Moravie, jadis rempart contre les raids des Magyars et des Turcs, avait imprimé sur sa face la marque d'une irrévocable hideur.
Des années durant, rien ne m'avait attiré vers ma ville natale ; je me disais qu'elle m'était devenue indifférente, et cela me paraissait naturel : depuis quinze ans déjà je vis ailleurs, je n'ai plus ici que quelques connaissances, ou des copains (que je préfère du reste éviter), ma mère est enterrée dans une tombe étrangère dont je ne m'occupe pas. Mais je m'abusais : ce que j'appelais indifférence était en fait de la rancune ; les raisons m'en échappaient, car il m'était arrivé des choses bonnes ou mauvaises dans cette ville comme dans toutes les autres, en tout cas cette rancune était là ; j'en avais pris conscience à l'occasion de mon voyage : la tâche qui m'amenait ici, j'aurais pu, tout compte fait, l'accomplir aussi bien à Prague, mais j'avais été soudain irrésistiblement attiré par l'occasion offerte de l'exécuter dans ma ville natale justement parce qu'il s'agissait d'une tâche cynique et terre à terre qui, avec dérision, m'acquittait du soupçon de revenir ici sous l'effet d'un mièvre attendrissement sur le temps perdu.
Une fois encore je parcourus d'un oeil narquois la place disgracieuse avant de lui tourner le dos pour prendre la rue de l'hôtel où ma chambre était retenue pour la nuit. Le portier me tendit une clé à poire en bois en disant : "Deuxième étage." La chambre n'était pas très engageante : un lit contre le mur, au milieu une petite table avec un seule chaise, à côté du lit une prétentieuse table de toilette en acajou avec miroir, près de la porte un lavabo écaillé absolument minuscule. Je posai ma serviette sur la table et j'ouvris la fenêtre : la vue donnait sur une cour et sur des maisons présentant à l'hôtel leur dos nu et sale. Je fermai la fenêtre, abaissai les rideaux et m'approchai du lavabo qui comportait deux robinets marqués l'un en rouge, l'autre en bleu ; je les essayai, l'eau en coulait également froide. J'examinai la table, laquelle, à la rigueur, suffirait, une bouteille et deux verres y trouvant fort bien place ; malheureusement, une seule personne pouvait s'y installer, faute d'une seconde chaise dans la pièce. Ayant poussé la table vers le lit, je tentai de m'asseoir sur celui-ci, seulement il était trop bas et la table trop haute ; de plus, il s'enfonçait tellement sous moi qu'il fut aussitôt évident que non seulement il ne pourrait servir que malaisément de siège, mais qu'en outre il remplirait de façon douteuse son office de lit. Je m'y appuyai sur les poings ; après quoi je m'y étendis en soulevant avec précaution mes pieds chaussés afin d'éviter de salir couverture et drap. Le matelas se creusant sous mon poids, j'y étais allongé comme dans un hamac ou dans une tombe étroite : il n'était pas possible d'imaginer que quelqu'un partageât ce lit avec moi.

Et voilà, une belle perspective pour la littérature corse à venir...

1 commentaire:

  1. Comment ? Vous me dites que la littérature corse (autrement nommée "literatura corsa") a déjà emprunté cette voie ?

    Avec quels livres ?

    Pudete dì lu ancu in corsu, chì a nuvità literaria si scrive aspessu in corsu, no ?

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