Je remercie Monsieur Blanchemanche de me permettre de rendre publique sa lecture - intéressante et à discuter - du magnifique roman "Murtoriu" de Marc Biancarelli.
De nombreux propos du Lecteur, ainsi que des citations de ce roman, entrent forcément en résonance avec les récents assassinats qui viennent d'avoir lieu dans l'île. J'ai l'impression de n'avoir vécu (né en 1972), avec tout le monde, qu'avec cette liste interminable des assassinats (quelles que soient les raisons réelles ou proposées). Je crois que la littérature nous offre une possibilité de respirer, malgré cette litanie, en proposant des formes qui soient autre chose qu'une liste interminable.
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« Murtoriu »
BIANCARELLI Marc
(Actes Sud)
Le Lecteur se souvient des quelques phrases qu’il apposa sur la page d’un blog qui se consacre de bien belle manière à faire connaître la littérature corse. Il y formulait sa demande autant que son attente de découvrir cette littérature par le truchement des traductions. Mal lui en avait pris : un contradicteur le renvoya dans les cordes en lui assénant que s’il avait tellement envie de découvrir la littérature corse, il n’avait après tout qu’à apprendre la langue corse. Logique. Imparable. Sauf que le Lecteur n’est que très moyennement doué pour le maniement des langues étrangères, fusse-t-elle la langue qui s’écrit et se parle sur la Terre où il considère qu’il a passé les jours les plus lumineux de son existence. Et que sur un plan plus général, il considère que c’est rendre service à toutes les littératures que de les traduire dans le plus grand nombre possible de langues.
Voici donc un roman corse, un bouleversant roman corse, un roman dont la force, dont l’intensité l’ont emporté, lui, le Lecteur, et dont il s’est extirpé dans une sorte d’état second. Non qu’il y ait trouvé les réponses que lui pose sa fréquentation assidue de la Balagne. Il n’a d’ailleurs pas ouvert le roman pour cela. Il l’a ouvert afin de se confronter à cette littérature dont on parle si peu sur le continent, une littérature marginalisée par le système dominant, lequel peine à tolérer les langues dites régionales. Qui sont pourtant des langues dont le Lecteur considère qu’elles n’ont pas à s’effacer devant d’autres langues, celles que des jacobins borgnes affirment qu’elles sont prédestinées à l’universalité.
Donc « Murtoriu ». Marc Biancarelli précise en exergue : « En langue corse, le mot murtoriu revêt le double sens de « glas » et « d’avis de décès ». Et c’est bel et bien de mort dont il s’agit dans cette œuvre singulière. Non point la mort que narrent les gazettes, dont elles se repaissent si souvent, même si elle ne s’absente pas du récit dont elle ne constitue cependant pas le point d’orgue. Mais bien la mort dans ce qui ressemble à un mouvement que rien n’est en mesure d’arrêter et qui conduit donc à l’anéantissement. Des tranchées de la « Grande Guerre », celle au cours de laquelle des millions d’hommes entremêlèrent leurs cadavres du côté de Verdun ou sur les rives de Somme jusqu’à cette terre niée autant dans ses richesses que dans ses spécificités.
Le retour sur la plus effarante des boucheries n’est pas anodin : il marque le début de l’ère dite moderne. « C’est de cela dont je vais parler. D’une guerre. Totale. Dans chaque recoin du pays. Je ne sais pas où ils ont appris à tuer. Mais il y a ces visages dans les journaux, presque toutes les semaines. Peut-être meurent-ils parce qu’ils sont les plus faibles ? Meurent-ils parce qu’ils ont, eux aussi, pris part à d’obscures tueries ? » Il est certes bel et bien question d’une certaine actualité corse. Mais ce qui s’y commet ne découle-t-il pas de ce que tant d’hommes de cette terre furent conduits à commettre sur d’autres terres ? A moins que leur histoire à eux ne fut la source primitive de leurs violences ? Marc Biancarelli, de toute évidence, indique des pistes. Il ne tranche pas, il hésite. « La seule chose que je sais je suis dans l’incapacité de l’expliquer, ce mal profond qui nous afflige est né de la sensibilité la plus extrême, de la plus franche estime que l’on peut porter à la personne humaine. Il est né de cette foi que nous avons dans l’humanité. Sauf qu’il y a une guerre, Trajan, sur tous ces territoires, sur les Terres, une longue guerre qui n’en finit plus, où l’on tue pour trouver du fric sous un matelas. »
Ce qui soulève l’enthousiasme du Lecteur, c’est cette exceptionnelle capacité de l’Ecrivain à user de la Corse comme décor à la mise en scène d’une tragédie universelle. Laquelle s’esquisse dès les toutes premières pages du roman. « Car si la révolte représente une dynamique de rupture, et implique dans sa prise de conscience une inévitable phase de résistance, soumission et domination ne sont qu’une seule et même chose, nourries par une même conception de l’ordre, les deux côtés d’une même médaille unis dans une même corruption, deux éléments indissociables qui s’équilibrent dans une même logique. La domination ne va pas sans soumission, mais elle peut se produire sans susciter de révolte. »
Voilà pour l’idée directrice, puisqu’il n’est pas inutile de savoir comment s’orienter dans ce roman si singulier qu’il rebutera les bien pensants chargés de régenter la société littéraire franchouillarde. Il suffit ensuite de se laisser happer par le récit, de composer avec chacun des personnages qui vivent dans un des recoins de la montagne corse. Marc-Antoine, libraire à ses heures perdues. Jean-Baptiste, le journaliste. Maroselli, le rêveur. Trajan, le paysan, féru d’histoire et d’archéologie. Et Mansuetu, le berger, ultime figure d’une culture destinée à sombrer dans l’oubli. Ceux-là qu’il faut prendre le temps d’observer et surtout d’écouter, puisqu’ils sont la substance. Et puis, il y a ceux qui furent mobilisés en août 1914 sans savoir pourquoi ils allaient traverser la Méditerranée et participer, malgré eux, à l’immense carnage (et pour l’immense majorité d’entre eux de n’en jamais revenir). Leurs vies qui s’amalgament par l’artifice de l’écriture, « écrire en guise de geste ultime pour triompher de la mort. » Leurs vies qui s’inscrivent dans une douloureuse tragédie. Tragédie désespérée, indiquant qu’il n’est plus d’avenir, que les rêves sont forclos ? Pas si évident que cela ! Celui qui fut un quasi libraire s’est, à la fin du récit, exilé à Barcelone. Il écrit à son ami Trajan : « Libre et désormais délié de tout ce qui m’empoisonnait, des vains espoirs, de ce qui m’étranglait et me clouait à ma propre infamie. Je suis là et je cherche cette possible paix que je sens approcher, peu à peu, elle est à ma portée du fait même que j’y crois. Cette paix que je me suis promis d’atteindre, mon ami. »
Le Lecteur ne parvient pas à se défaire de ce roman-là. Il le garde à portée de sa main. Il l’effleure. Il l’ouvre, relit un paragraphe ou deux ou trois pages. Comme convaincu que sa première exploration ne lui suffira pas. Acharné à ne rien laisser de côté, à ne rien négliger. Surpris parfois de rencontrer quelques phrases qu’il n’avait donc que survolées. « Un univers qui sombre ? Ce n’est rien du tout, face à l’immensité de ce qui fut. Rien du tout, rien que la dernière page d’un livre ancien qui vient de se referme. » Ceci n’est pas une conclusion. Juste le vœu que vous formule le Lecteur : vous immerger à votre tour dans ce stupéfiant et passionnant roman.
J'ai lu Murtoriu, je trouve ce roman bon, percutant, stylé, j'ai aimé pour les mêmes raisons que j'aime les bons films, j'entends par là l'atmosphère qu'il y règne plus que l'intrigue en elle même.En plus écorcher un peu l'insulaire, mettre le nez dans le caca à certains est bien vu, parfois c'est du pagnol trash, de l'humour un fatalisme presque joyeux, parfois un lyrisme épuré, l'absurdité de la vie, Sartre disait qu'un objet a déjà une essence,une verre par exemple sert à boire, l'homme n'en a pas à sa naissance, il doit la trouver (la bonne) et la nourrir sous peine que sonne le glas de l'absurdité. C.H
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