En guise de feuille de route pour une future histoire et anthologie de la littérature corse (mais écrite par qui, et publiée quand ?) :
Nous pouvons aujourd'hui lire ou prononcer d'un même élan et en même temps les incantations sacrées des premiers âges des humanités et les poèmes qui ont marqué, dans les marais modernes et les mécaniques des villes et des paysages encombrés, et en marge des prétentions vers une Histoire universelle, les brisures successives des histoires des peuples et la recrue des éléments du Tout, l'avalanche et l'incendie, l'inondation et le cyclone, la terre et le feu, l'eau et l'air. Aucune anthropologie ne s'organise selon le système d'une règle de succession ni à la lumière d'une loi quelconque d'évolution. Le multiple est toujours d'ici-là et de maintenant, même quand il rallie le passé. C'est ce lot et ce hasard qui sont, à cette place-ci de poésie, assemblés.
Une anthologie de la poésie du Tout-monde, celle que voici, aussi bien ne s'accorde pas à un ordre, logique ni chronologique, mais elle brusque et signale des rapports d'énergie, des apaisements et des somnolences, des fulgurations de l'esprit et de lourdes et somptueuses cheminaisons de la pensée, qu'elle tâche de balancer, peut-être pour que le lecteur puisse imaginer là d'autres voies qu'il créera lui-même bientôt.
(...)
Quels désordres pourtant, césures choses prises par petits bouts et mises bout à bout : diriez-vous qu'un poème peut être coupé, interrompu, que nous pourrions en donner des extraits, morceaux choisis (comme dans les manuels les plus scolaires), et décidés par l'action de vents malins ? Oui, vous le pourriez : quand les morceaux ont la chance c'est-à-dire la grâce de tant de rencontres, quand ils s'accordent entre eux, une part d'un poème qui convient à un autre poème, à cette part nouvelle, et devient à son tour un poème entier dans le poème total, que l'on chante d'un coup. L'imaginaire est un champ de fleuves et de replis qui sans cesse bougent.
Pages 17, 18 et 15 de La terre le feu l'eau et les vents (2010), Edouard Glissant, Galaade éditions.
Cueillir au présent et brandir à l’improbable du futur ces trois extraits comme une idéale impossibilité locale, systémique et endémique, — sans rien expliciter de « l’identité-relation » et du « tout-monde » qui fondent cette anthologie — c’est pointer du doigt le vide faute de voir ce qui, « ici-bas mes frères (Augustin) », est déjà en résonnance avec les vibrations de la « mondialité » entrevue et déployée par Edouard Glissant. Ici même ? Mais où, alors ? TdF. Notamment.
RépondreSupprimerXavier,
RépondreSupprimerje ne suis pas totalement aveugle ; tu sais bien que je connais bien et apprécie le site d'Angèle Paoli, Terres de Femmes (TdF). On pourrait certainement citer d'autres outils qui comme cette revue numérique entrent en "résonance avec les vibrations de la "mondialité"" (je pense à la revue Fora!, au site de Norbert Paganelli, Invistita, etc). Mais ces sites ne proposent pas une histoire de la littérature corse.
Mon tout petit billet n'est pas une présentation des concepts imaginés par Glissant (on peut voir avec profit son "Introduction à une poétique du divers", Gallimard, 1995, pour cela).
Je ne dis pas qu'il est "impossible" d'écrire cette histoire de la littérature corse.
Cette citation me permettait simplement de relancer une idée, de signaler que j'aimerais voir la publication d'une telle histoire. Et que j'aimerais que cette Histoire prenne en compte les "rapports d'énergie" qui la parcourent et qui permettront "que le lecteur puisse imaginer là d'autres voies qu'il créera lui-même bientôt."
C'est un billet innocent et souriant.
Il nous manque une telle Histoire/anthologie de la littérature corse (dans toutes ses expressions linguistiques).
Comme anthologie il existe tout de même l'ouvrage en 4 volumes de Hyacinthe Yvia-Croce et Jean-Baptiste Nicolai publié par Cyrnos et Méditerranée en 1987 sous le titre Anthologie des écrivains corses, depuis les origines en commençant par Jacobus Bracellus (né à Bonifacio en 1385) puis Petru Cirneu (né à Felce d'Alisgiani en 1447) qui écrivaient en latin...Je n'oublie pas l'anthologie de la littérature corse de Mathieu Ceccaldi (chez Klincksieck) qui se limite à l'expression corse et qui donne de larges extraits des oeuvres. Chacun de ces deux monuments a ses qualités et ses défauts, plusieurs fois notés (y compris par moi-même) mais ils existent depuis plusieurs années et peut-être serait-il bon de les consulter de temps à autre, avant même de solliciter la publication de nouvelles sommes de ce type, ne pensez-vous pas?
RépondreSupprimerJ'ai par ailleurs publié récemment un condensé de vulgarisation utile sur cette question en effet fort intéressante de l'Ecrire en corse...Des publications existent donc! J.Fusina
Les réactions au billet Glissant sont induites non pas par le texte cité, mais par les deux lignes qui précèdent les extraits. La fonction la plus ordinaire d’une telle introduction est d’énoncer la raison de citer, en invitant le lecteur à en faire sa raison de lire. C’est ce que l’on pourrait appeler un transfert de rationalité.
RépondreSupprimerC’est ce transfert qui ne fonctionne pas, tant l’énoncé initial suppose soit que l’on manquerait d’anthologies soit que l’on manquerait d’adhésion à la perspective de Glissant.
Dans son commentaire, Jacques Fusina rappelle à juste titre qu’il existe déjà deux anthologies monumentales.
Dans mon propre commentaire, je signalais ne pas voir de contradiction entre la perspective de Glissant et la démarche développée par Tdf, où « L’identité-relation » est à la fois femme et poète, et qui ne cesse d’enrichir, sur cette ligne, sa propre anthologie.
Aujourd’hui, j’ajouterai qu’une anthologie n’est jamais rien d’autre qu’un recueil raisonné de morceaux choisis. À cet égard, Pourunelittératurecorse, à travers la récollection d’extraits, a déjà une dimension anthologique. Resterait, bien évidemment, à transformer — avec une feuille de route et un cahier des charges — cette dimension assez floue en appareil plus structuré. Sans nécessairement chercher à poser une œuvre monumentale. Rendre simplement l’utilité plus utilisable.
Jacques, Xavier, merci pour vos commentaires.
RépondreSupprimerJ'ai fait partie de ceux qui ont évoqué l'existence des deux anthologies (de Ceccaldi et d'Yvia-Croce) ainsi que du précis historique "Ecrire en corse" de Jacques Fusina. Et j'ai dit combien j'aimais ces ouvrages et combien ils me semblent extrêmement utiles, surtout l'ouvrage "Ecrire en corse" pour comprendre les enjeux de la littérature corse.
Mais il se trouve que l'ouvrage d'Yvia-Croce s'arrête aux années 80 (manquent donc presque trente années très riches et novatrices). Et les ouvrages de Ceccaldi et Fusina se concentrent sur les écrits en langue corse.
Donc il nous manque bien (en tout cas, je ressens ce manque - suis-je le seul ?) une histoire de la littérature corse qui prenne en compte toutes les expressions linguistiques (latin, italien, français, corse) depuis le XVème siècle jusqu'à aujourd'hui. Je rêve (sur le modèle de l'ouvrage de Fusina) d'une synthèse précise et pédagogique. Voilà tout.
Bon, ce n'était qu'un petit billet de rappel, amusé. Pas assez clair, sans doute. Mille excuses. (Mais bon, si quelqu'un veut bien s'atteler à la tâche, je serais ravi.)
Quant à l'idée d'une anthologie à partir du blog, je la trouve bonne, Xavier, tu le sais. Il faudra en discuter à nouveau, à tête reposée.
Merci encore à vous deux.