vendredi 28 décembre 2012

Manere di fà / Diversité poétique en Corse

Norbert Paganelli vient de publier un entretien très intéressant sur son site Invistita. Il évoque ses différentes lectures du recueil poétique de Ghjuvan Micheli Weber, "A meza via" et il interroge l'auteur sur sa manière d'écrire de la poésie. GM Weber, tout en acceptant les innovations formelles chez les autres poètes, est un tenant de la tradition poétique insulaire.

Sur Facebook, je "partage" son "statut" mentionnant cet entretien avec une petite présentation et une brève discussion s'engage ; je reporte ici l'ensemble (car tout ce qui s'inscrit sur Facebook est promis à disparaître, puisqu'il n'y a pas de fonction "recherche", me semble-t-il) :


François-Xavier Renucci a partagé la photo de Norbert Paganelli.
mercredi
dernier news: Entretien avec Ghjuvan Micheli Weber...http://invistita.fr/news-invistita/
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  • Norbert Paganelli Oui François c'est aussi cet aspect des choses qui m'a touché dans les écrits de Ghj.M. Weber...En Corse on est souvent de plusieurs lieux à la fois et notre manière de parler n'a rien de chimiquement pure...cela devrait plaire à Jean Chiorboli...
  • François-Xavier Renucci Et ce qui me plaît c'est que ces mélanges et variétés sont aussi bien linguistiques que littéraires, esthétiques. La culture vit de ces options différentes, parfois contradictoires, et des espaces que cela crée entre elles, espaces dans lesquels certains s'infiltrent pour créer les mélanges. J'ai moi aussi des préférences (comme toi ou GM Weber) mais j'aime surtout que nous n'ayons pas tous les mêmes, ni les mêmes façons d'en parler.
  • Norbert Paganelli Je t'approuve à 200% mon cher ami, cela nous met à l'abri des certitudes cancérigènes et mutilantes ! Amitié...



Alors, ce matin devant l'ordinateur, à Campile, afin de célébrer le plaisir de cette diversité dans l'écriture poétique corse, je regarde les livres rangés sur ma droite, et je finis par choisir le recueil poétique "La halte blanche" de Ghjacumu Thiers (Albiana, 2004), traduit du corse par François-Michel Durazzo. Je feuillette à nouveau l'ouvrage, rapidement, je voudrais citer un poème, peut-être "Ceux qui sont vivants", peut-être "Fontaines"... (Ùn aghju micca u libru in corsu, seremu dunque ubligati à leghje Thiers in francese, ma ghjè ancu un piacè tamantu, no ?)

Bon, scrivu quì i dui puemi ; u primu mi pare une versione umoristica è critica di a chjama di i morti (è di u passatu), u sicondu ci dà l'occasione di ramintà issu capu d'opera, u rumanzu "A funtana d'Altea" è tutti i persunagi di a zitellina, dolci quant'è crudeli :

CEUX QUI SONT VIVANTS

Ce soir il vaudrait mieux fermer les fenêtres,
avec ce sirocco les siècles s'amoncellent
et les ardoises suent
de souvenirs errants.
Peut-être fais-je erreur,
mais tous ces craquements
sont ceux d'âmes en peine
qui reviennent :
- une minute, l'ami, après je m'en irai !

Comment devons-nous faire
pour contenir le flot
de ceux qui ne sont plus, et restent insatisfaits ?

J'allume la télévision,
je regarde mon match.
Et, s'ils sonnent, tant pis...
je n'entendrai rien,
ce soir je n'entends pas,
demain je suis absent,
et ensuite on verra.
Mais à leur place,

j'accepterais
de me taire
et de laisser parler
- s'ils le veulent bien ! -
les vivants.

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FONTAINES

Un enfant qui jouait au cerceau
avec une pièce de cinq francs trouée de soleil,
dans les rues sèches du passé,
s'est arrêté
à l'ombre d'un portail crasseux,
nu, éraflé par la blessure des briques,
baisers âpres
comme les visages de vieilles honteuses en fin de mois.

Et les îles de mai sont autant de bancs de sable gorgés d'eau,
entre les roches humides
ces soirs d'inondation,
l'eau se joue à railler
les vieux seaux qui attendent la Semaine sainte,
quelle catastrophe de châteaux de carton,
les coups de libeccio
jettent à terre les vendanges de nos glycines
on voit surgir des treilles, seulement entrevues,
de vieilles filles si noires et de jeunes filles blanches si peu
derrière les hauts volets.

Notre bande bourdonne à l'assaut
de Montepiano où sont les cafards,
nous chauffons les vitres de la boutique profonde
comme ses bocaux à épices verdâtres,
oh vos yeux, filles qui couriez !
nous attendons les Feux de Saint-Jean, on fait cercle
sous les poutres moisies de la Maison bombardée
et des courses aux pierrettes
César passe en traînant un air d'opéra
et la voix de Victor sonne dans ses tonneaux,
Irma se retire sous sa voûte
Quelques bambins en sucre fondent
dans le rire fumeux de la grand-mère infirme.

Un soir on a entendu un dauphin pétrifié
qui s'est mis à ricaner,
la foudre s'est abattue.

Ce n'est ni mémoire sèche
ni le temps retrouvé
dans un dialogue
entre la Fontaine Neuve
et l'autre
La vieille fontaine
au bout d'une petite route
qui sent la menthe sauvage.



6 commentaires:

  1. Avant de les sortir de leurs tiroirs termités et de les exhiber sur la toile il conviendrait de dépoussiérer quelques poètes " di poca cultura" comme ils se présentent et qui se permettent, sans en avoir l'air, d'exprimer des avis totalement dépourvus de sens ! En effet comment oser dire, sûrement parce que leur peu de culture les en empêche, que d'autres poètes, les vrais ? se cachent derrière leur style ?
    C'est quoi le style en poésie, comme en prose d'ailleurs ? c'est être différent parce que créatif et non enclin à reproduire de la rengaine ? Voilà la vraie question !
    Ceci s'adresse à l'invité de M. Paganelli et non aux poèmes de M. Thiers que je trouve excellents.

    Michele Nunzi

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  2. Michele Nunzi, j'ai bien relu votre commentaire avant de me déterminer à le publier, malgré sa forme virulente, puisque cela me semble être surtout le signe d'une exaspération. Il m'a amené à bien relire l'entretien de GM Weber avec Norbert Paganelli et je voudrais ajouter deux points :
    1. Effectivement, GM Weber indique bien dans sa deuxième réponse qu'il préfère de loin les poésies qui usent des mètres et des rimes aux poésies qui useraient d'un style artificiel. Ce propos semble dire qu'il n'est guère possible d'exprimer une vérité, une vision personnelle et sincère hors des formes traditionnelles. On peut effectivement penser que l'histoire de la poésie des deux derniers siècles à offert de nombreux poètes qui ont au contraire usé de styles nouveaux absolument propres à entendre des voix, des mondes, des pensées, des émotions. On peut exprimer un goût prononcé pour telle ou telle forme, mais effectivement, pourquoi penser nécessairement que les autres formes sont forcément artificielles et inefficaces ?
    2. Cependant, l'entretien mené par Norbert permet à un poète d'exprimer sa pensée de façon précise, qui indique plusieurs fois qu'il laisse absolue liberté à quiconque de penser et de faire différemment de lui. Et on sait que Norbert a donné et donnera encore place sur son site à tous les styles de poésie. Ainsi, je pense qu'il ne faut pas non plus condamner à priori toute poésie dite traditionnelle, il se passe quelque chose là aussi. Chacun peut faire l'effort d'éveiller son oreille à des musiques différentes, non ?

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  3. Oui, exaspération est le mot, merci.
    Je ne condamne pas je demande seulement à M Paganelli de secouer un peu les brocantes que de temps à temps il remet au jour et qui, telle une éclipse des croyances passées, font mauvais augure pour l'inconnu restant à écrire.
    D'autre part je ne pense pas qu'un seul poème de Char, Bonnefoy, Jaccottet, Deguy, Prigent, Hugues, Williams, Sanguinetti, Roubaud ou Ponge ait jamais eu besoin d'une partition pour être un chef d'oeuvre.
    Cela dit on peut prêter oreille, par distraction, à une chansonnette différente si réellement elle l'est!


    Michele Nunzi

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  4. Michele, je souhaite que Norbert et GM Weber vous répondent par eux-mêmes.
    Personnellement, je ne crois pas que la vivacité de la poésie traditionnelle soit de mauvais augure pour l'avenir. Je préfère l'idée qu'une littérature se nourrit de tensions fécondes. Ainsi je suis heureux que vous citiez Langston Hugues, déjà cité sur ce blog, qui illustre, comme d'autres, les infinies possibilités de croisement entre oral et écrit, musique et silence.
    Lorsque je lis les deux poèmes GM Weber sur le site de Norbert, je ne suis pas émerveillé par les images et l'agencement des mots, même si certaines me paraissent belles, mais je suis touché par la force et la volonté du poète de proposer ce qui lui paraît être la chair même de la vie (les sentiment humains, éternels, des valeurs importantes, comme la liberté et le partage ; il se place d'ailleurs sous l'égide de Rinatu Coti).
    En même temps ce qui me frappe c'est GM Weber se place dans une situation paradoxale : humilité totale (je ne suis pas poète, peu m'importe d'être reconnu, le poète ne sait pourquoi il écrit en poésie ; qui sont aussi des idées qui ont pu nourri les innovations poétiques, non ?) et ambition très haute (miroir du peuple, lutte contre le fascisme, demande à Coti d'évaluer son travail).
    Et maintenant que je relis les deux poèmes de Thiers, je suis frappé par le fait qu'ils mettent en scène justement ce "dialogue" entre le neuf et l'ancien. Thiers a toujours insisté sur le fait qu'il lui plaisait d'osciller entre le culte et la transgression.
    C'est pourquoi je veux être attentif à la diversité des formes et des intentions dans la littérature corse, GM Weber et Angèle Paoli, etc. Même si je préfère de loin me plonger dans formes qui me paraissent inédites (ce qui ne veut pas dire que ces formes ne pourraient rien faire avec les images traditionnelles).

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  5. bonjour
    traduire est trahir :-)


    permettez-moi de vous offrir dans sa langue d'origine celui se S.Cesari ( génitori)

    Incù ciò chi tu m’ha’ lacata i socu custruitu un linguaghju.
    si pudarà di ch’iddu m’apparteni ?
    s’e riflettu, ùn vicu più chì visu t’avii, nè chì boci ― una prisenza in u verbu o’ tantu : a certitudina chì, un ghjornu, sè statu chivi.
    ti possu invintà in a spaddera di certi omini, s’è voddu, ma chì bisognu ci hè ?
    da tandu aghju imparatu ch’iddi si sìccani fàciuli i padola.
    ch’un paesu intrevu pò nascia nant’à a stancàghjina di l’ochja ― silinziosu.
    infini, credu. silinziosu soca parchì ùn lu capiscu micca.
    nasciarii torra, tu, nant’à i me ochja ?
    par cunfidenza ùn ti sunniighju mai. ma socu àbuli un pocu à i to staghjoni. ùmidi.
    possu dìche perdu sempre a to traccia.
    a dicu, ed hè tuttu ciò chì ferma.



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  6. Je remercie tout d'abord Michèle Nunzi pour sa contribution au débat et voudrais préciser une chose: lorsque je donne la parole à un auteur cela ne veut pas obligatoirement dire que je partage le même point de vue que lui...En l'espèce, l'appréciation de Ghj.M. Weber sur la poésie n'est pas tout à fait la mienne mais je n'ai aucune certitude en la matière pouvant reposer sur des critères un tant soit peu palpables.
    Si Michèle prend le temps de voyager un peu au sein des news publiées, elle pourra constater que des auteurs très différents ont été sollicités et le seront encore et je tenterai de conserver cette démarche pluraliste pour les petits articles à venir car elle m'oblige à un effort d'empathie source d'enrichissement intellectuel et affectif favorable à la création.
    Pour ce qui est de "secouer les vieilles brocantes", je voudrais simplement dire que le processus de création aime à se tourner vers l'ancien pour créer du nouveau ou plutôt tenter de créer du nouveau car, très honnêtement, il ne me semble pas qu'il puisse y avoir de progrès cumulatif dans la création artistique. j'ai plutôt tendance à penser que nous sommes bien là dans une sorte de temporalité circulaire dans laquelle les notions d'avant et d'après, de riche et de pauvre ne sont pas véritablement convaincantes. Dois-je rappeler l'apport de l'art nègre au cubisme ou l'étrange actualité des peintures rupestres du paléolithique ?
    Par ailleurs et sous un autre angle, on peut s'interroger sur le qualificatif de "modernité" en art...Souvent ce qui est perçu comme éminemment novateur à un moment donné, devient par la suite très "daté" et n'intéresse plus grand monde...Prenons l'exemple des Calligrammes d'Apollinaire qui avaient défrayé la chronique lors de leur parution, prenons aussi le cas des oeuvres de Butor ou Robbe Grillet...Loin de moi l'idée de nier l'importance et la nécessité même d'avoir une pratique iconoclaste mais j'observe que cette pratique ne suffit pas, à elle seule, à garantir la réussite sur le long terme...

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