samedi 13 février 2010

Anne O. parle d'un texte de Soltèsan del Rio Bomor

Reçu ce "récit de lecture" il y a quelques jours. Je le place donc ici avec grand plaisir. Il évoque une nouvelle qui a été "publiée" une première fois sur le site de la "Gazetta di Mirvella" (voir ici et ici), dont il a déjà été question ici plusieurs fois. Ce site est d'une très grand richesse, d'une très grande créativité ; je ne peux signaler ici que la rubrique "Scrittori di Mirvella" (qui prend la suite, me semble-t-il, des "Scritti imposti" du Foru Corsu) : textes écrits en corse ou en français, souvent brefs, parfois multimédia, traversant les genres et les tonalités. Je n'ai pas fait une lecture exhaustive de tous les textes, mais j'y retourne régulièrement : il s'y joue une extension jubilatoire de l'imaginaire et de l'expression corse.

Voici le récit de Anne O. :

Bonsoir, non pas à proprement parler un récit de lecture, mais 2 ou 3 impressions sur un texte que j'ai aimé particulièrement. Choisi d'abord pour son titre : Sympathy for Soledad et, solidarité féminine "oblige" pour sa signature : Soltèsan.

Ce texte plein de rythme semble écrit comme un scenario. Tres imagé, visuel. Avec des séquences bien scindées que l'on imagine. Des flash backs et puis cette chanson, d'abord comme un générique, puis personnage à part entière du récit.

Un récit en termes crus, actuels.

Que j'ai ressenti comme un clip.

Voilà sommairement quelques commentaires, qui j'espère en génèreront d'autres sur ce texte du monde de Mirvella.

A bientôt.

anne.O



SYMPATHY FOR SOLEDAD



And I was 'round when Jesus Christ

Had his moment of doubt and pain

Made damn sure that Pilate

Washed his hands and sealed his fate

Pleased to meet you

Hope you guess my name

But what's puzzling you

Is the nature of my game

Blême, livide, comme exsangue, les pupilles dilatées et l'oeil dans le vide, stone, halluciné, le jean déchiré et des taches de sang séchées sur sa chemise qui avait été blanche, il marqua un temps d'arrêt avant de pousser les battants de la porte. Il regarda à l'intérieur à travers les vitres crasseuses. Ce qu'il voyait lui parvenait dans un halo blafard encore plus tamisé par la buée sur les carreaux. La carcasse de la station-service se découpait dans l'aube naissante. Le ballet des camions ne tarderait pas à reprendre.

I watched with glee

While your kings and queens

Fought for ten decades

For the gods they made



Les riffs de la guitare s'extirpaient du brouhaha comme pour qu'il les entende mieux. Meme déformée par le bruit du dedans, les vapeurs de bourbon et les flash-back stroboscopiques des poussées d'acide, il reconnut sans peine la chanson. Mais c'était sa voix qu'il écoutait à présent.



whoo whoo,

Who killed the Kennedys

When after all

It was you and me



Il ne pouvait la voir de la fenetre où il se trouvait car l'estrade était au fond du bar.

Mais il voyait la silhouette du patron dans le miroir sur le pilier. Ce gros porc immonde la matait comme tous les soirs, bavant. Il éteignit son cigarillo et pénétra dans la salle. Les cris et les sifflets couvraient presque la chaude et rauque voix . Elle le vit de loin et sourit ; elle commençait à présent leur chanson. Celle-là même sur laquelle ils l'avaient connue.Il essayait de se souvenir combien de temps s'était écoulé depuis cette nuit au "Criollo Loco ". 2 ans ? 3 ans? chaque effort pour penser lui causait une insoutenable douleur . ils étaient alors tous deux à Buenos Aires; quand ils s'engouffrèrent dans le cabaret, l'heure était déjà bien avancée et leur démarche trahissait leur début de soirée bien arrosé. En début de semaine, il avait convoyé et vendu un lot de bétail et depuis ils écumaient les bouges de la ville. Les filles, le bourbon, la Corinne quand ils en trouvaient . ce soir, ils s'étaient contentés de bonbons . des acides à moitié frelatés qui les avaient plus endormis que speedé mais pas de bad trip. Sex, drugs and rock'n 'roll. Dès leur entrée dans le cabaret tous se tournèrent et tous les yeux se braquèrent sur eux.

Même elle. Et ils la virent . Comme tous les autres eux aussi furent saisis par la sensuelle beauté . brute. Hypnotique ; Puis la voix les pris pour ne plus les lâcher. Elle ne chantait que des mièvres balades country et quand elle eut fini le morceau, ils lui demandèrent en même temps " Sympathy for the devil".

Elle esquissa un sourire et chanta . Elle ondulait au rythme chaloupé et ne les quittait pas des yeux. Elle chanta et dansa pour eux. À la fin du set, ils burent un verre puis deux, puis une bouteille et partirent avec elle . elle continua d'onduler et soupirer pour eux . Le soleil était déjà bien haut quand ils s'endormirent tous les trois, enfin repus, chevaux fourbus.

Soledad les avait suivis et depuis ils ne se quittaient plus. Elle honky tonk woman et eux tantôt cow-boys, tantôt barmen, tantôt braqueurs. Ils lui avaient trouvé un nom de scène et tout le monde l'appelait à présent Soltèsan, le soleil de printemps en aztèque;

15 jours qu'ils étaient arrivés à Trinidad. 15 jours qu'il lui demandait d'arrêter de chanter dans ces gargotes immondes . 15 jours qu'il lui disait qu'ils avaient assez d'argent pour se casser à New York . là-bas elle pourrait rencontrer un producteur. 15 jours qu'il lui avait dit qu'il l'aimait et qu'il voulait partir avec elle . Seul . 1 jour qu'elle lui avait dit oui et qu'elle parlerait à Pedro.



Pleased to meet you

Hope you guessed my name, whoo whoo oh yeah

But what's confusing you

Is just the nature of my game whoo whoo um yeah whoo whoo



Il s'avança jusqu'à l'estrade en titubant . ce n'est qu'à ce moment-là qu'elle remarqua sa chemise tachée, maculée de sang caillé.

Les riffs continuaient, mais la voix s'était tu.

- Qu'est ce qu'il y a eu ? ou est Pedro ?

À ces cris, il revit son frère, hors de lui, excédé, comme un taureau blessé, cassant tout dans la chambre du motel . puis il s'était jeté sur lui le traitant de salaud, d'ordure . le frappant. À coup de poings, de pieds, il n'avait pas bougé et s'était laissé faire. Jusqu’à ce qu'il prenne le calibre dans le sac.

- Tu la veux ? dit-il .

- Je te la laisse.

Avant qu'il n'ait pu rien faire Pedro appuyait le canon sur sa tempe.

-Vient, on s'arrache.

- Ou il est ? ou est Pedro ? qu'est ce que tu as fait ??? qu'est ce que tu as fait??

- Viens je te dis ! et il sauta sur l'estrade et la tira par le bras . elle continuait de crier :

-Pedro!!

Il fendit la foule et comme il s'approchait de la sortie le gros lard se mit devant la porte avec ses 2 roquets, 2 serveurs lèche culs, frustrés comme lui,2 chiens lâches toujours prêts à vous mordre au talon dès qu'on leurs tournait le dos.

- Dégage!

- Elle a pas finit !

Il regardait les caniches du coin de l'oeil et vit que le gros sortait sa matraque. Lui avait saisi le calibre qu'il avait dans le dos et quand l'adipeux leva la main pour le frapper, il le cueillit d'un coup de crosse en plein front.

Ce qu'il aimait dans ces moments-là , plus que le sang qui coulait ; c'était l’instant de surprise puis de peur dans les yeux de l'autre.

Il lui mit le second coup sous la tempe et comme il s'affalait de tout son gras, lui en assenât un autre derrière le crâne . il s'étala de toute sa graisse .

il le regardait par terre et lui mit 2 coups de botte dans la bouche . il devint comme fou quand il vit qu'il avait taché ses santiags en peau de python.

Elle criait et le tirait en arrière.

ll le finit à coup de talons

Rassasié il allait sortir mais son regard s'arrêta sur un des roquets. Il le prit par les cheveux et lui enfila le canon dans la bouche. Le serveur avait les yeux exorbités d'un lézard qui aurait lapé de la tequila.

Elle continuait de hurler et de s'accrocher à sa chemise.

Il lâcha le caniche et la tira dehors ;

La moto était garée devant. Il mit le contact . elle pleurait et repetait, hébétée, :

-Pedro, Pedro

Il mit la première, partit et se retourna pour la regarder.

Elle criait encore mais il ne comprenait pas ce qu'elle disait.

Il comprit quand il entendit le klaxon bloqué du semi-remorque . le chauffeur se leva sur les feins.

Comme il tournait la tête il vit la remorque qui glissait vers eux.



Just as every cop is a criminal

And all the sinners saints

As heads is tails

Just call me Lucifer

'Cause I'm in need of some restraint



So if you meet me

Have some courtesy

Have some sympathy, and some taste whoo whoo

Use all your well-learned politesse

2 commentaires:

  1. Excellent choix, espérons que Soltèsan (dont le pseudo ne masque pas forcément une femme, mais cela, personne ne le sait...) viendra servir d'autres textes de cette puissance chez Mirvella ou ailleurs.

    Hanh O'NEAM

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  2. Je me souviens un peu de ma première "vision" de ce court récit, sur le site de la Gazetta di Mirvella. Et de nouveau, après relecture, plus précise, ce soir, me frappe évidemment l'aspect cinématographique, l'effet de rappel de films avec des lieux, des scènes, l'intrigue d'un amour fou qui divise deux frères, la présence de la bande son avec le tube interplanétaire des Rolling Stones (d'ailleurs les derniers mots de la chanson ne sont pas utilisés : "or I'll lay your soul to waste" : voir le texte intégral ici par exemple : http://www.rollingstones.com/archive/index.php?av=lal&v=so&a=1&id=106).

    J'aime bien la rapidité du récit qui colle bien à l'impulsivité des personnages, de leurs désirs, de leur violence, mais ce n'est pas le texte que je préfère, parmi ceux présents sur la Gazetta. Ce que j'apprécie beaucoup aussi c'est la liberté d'invention, de récupération, de variation : cela fait du bien dans la création littéraire corse : pouvoir dire tout ce que l'on veut, avec tous les types de personnages, tous les genres d'écriture.

    J'ai vu aujourd'hui le film de Guy Ritchie, "Sherlock Holmes". Eh bien ce film m'a enthousiasmé : du divertissement, rapide et bourré d'humour, avec des allusions politiques, géopolitiques, scientifiques, dans un Londres où l'on construit le fameux pont, après la guerre de Sécession aux USA. Voilà, nombre de textes présents sur la Gazetta di Mirvella me font penser à cette jubilation : à la fois innover et réutiliser des recettes et des techniques, en faisant confiance aux émotions.

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