Mi scusareti, ma mi dumandu ciò chì ghje' futtu quì,
voddu dì quì in u locu ind'ì ghje' stocu,
postu à pusà à a tarrazza d'un caffè di u me paesu,
cù a primura vana di scriva una stodia senza filu,
è l'eroi immobili di issa stodia saria eu, o un altru,
vidaremu.
Avec ces quelques premiers mots, écrits je ne sais quand, ni où, ni comment, mais publiés en 2000, (et épuisés depuis), nous tenons une des remuantes sources de nouvelle poésie corse
du genre de celle qui nous fait vivre
(lisez bien tous les mots)
voici la traduction française (et les noms d'auteur et de traducteur et de livre etc. ne nous importent pas tout de suite).
Vous m'excuserez, mais je me demande ce que je fous ici,
je veux dire ici, là où je suis,
assis à la terrasse d'un bar de mon village,
avec le souci futile d'écrire une histoire sans intérêt,
et le héros immobile de cette histoire, ce serait moi, ou un autre,
on verra.
Marco biancarelli. Le prisonnier
RépondreSupprimerBravo, Anonyme 20:17.
RépondreSupprimerJe voulais revenir sur cette phrase. En fait, je cherchais "Extrême méridien" du même auteur pour le passer à une collègue, lui ayant conseillé de lire cet ouvrage puisqu'elle était intéressée par la découverte de la littérature corse contemporaine.
Je cherchais dans un carton, dans le garage, remuant les livres empilés ; je ne trouvai pas "Extrême méridien" (il doit se trouver dans la bibliothèque de l'amicale, et a même peut-être été emprunté, il faudra que je vérifie). Mais je tombe sur "Pirghjuneri/Prisonnier". Mon exemplaire est griffonné, souligné, mais je juge que cela n'est pas trop grave et je le passerai à mon collègue dès demain.
Feuilletant l'ouvrage, je lis plusieurs phrases ici et là, et puis la toute première de la première nouvelle (qui donne son nom au recueil). Et ce qui me frappe alors c'est cette rupture vers la fin de la phrase : "è l'eroi/et le héros...", alors qu'on attendrai "induve seria eiu l'eroi/où je serais le héros...", non ? J'aime cette rupture syntaxique, comme si une nouvelle phrase (tremplin pour une autre perspective, pour une autre humeur) émergeait au sein de la première, comme un rejet de plante, un rejet parce que la première phrase aurait ouvert un espace trop bouillonnant, aurait suscité un afflux de sève qui doit s'exprimer plus vite que la musique. En fait je conçois cette phrase comme une qui commence quelque chose et qui en même temps se regarde commencer ce quelque chose, crée un chemin et en même temps fait un pas de côté pour se demander où il peut bien mener.
Et puis cette façon de s'excuser pour commencer, mélange d'humilité et de ressentiment. (D'ailleurs, est-ce fait exprès ?, "A funtana d'Altea" de Thiers commence aussi avec des excuses : "Scusate, cara signora, sè vi rispondo in la mia lingua.").
Cette situation très particulière de solitude énervée au sein même du groupe (café, village, "mon" village). Et donc la folie d'un tel acte d'écriture dans ce contexte (écrire ainsi à cet endroit précis ; et non dans une chambre solitaire). Et l'aspect tout à fait volontaire d'un tel acte, à la fois défi et suicide.
Et ce jeu des pronoms, tous là, dans une seule phrase, le "vous" du lecteur impliqué dans le "nous" final ("vidaremu"), "vous" et "nous" encadrant le "je" de l'écrivain qui naît sous nos yeux et le "il" du "héros", marionnette encore sans identité précise, accueillant la possibilité d'être un "autre".
Naissance d'un écrivain personnage et naissance de la littérature corse (une des naissances de la littérature corse, une naissance en connaissance de cause, MBiancarelli étant un lecteur de littérature corse et faisant explicitement référence à des auteurs corse, comme Thiers et Coti).
La littérature corse se regardant naître, c'est cela que je lis dans cette phrase. Avec ce projet, à la fois jubilatoire et troublant, "comment puis-je raconter ce que je vis ici et maintenant ? est-ce je peux/dois le faire ?"
Et l'appel au lecteur : "vous"/"nous". "Vidaremu" = leghjerete (vous lirez). La question est aussi celle au lecteur : "que voulez-vous lire ?" "à quoi vous attendez-vous, passé cette première phrase, et la première page, et la première nouvelle ?" "vous en voulez encore ?"
On en veut encore et toujours plus...
RépondreSupprimerI dubbiti sò sempre più belli ch'è e "verità" chì si volenu impone. Hè a grandezza di a literatura d'ùn andà versu u "cunfortu" intellettuale, ma di creà l'incunfortu.
RépondreSupprimerAncu a scienza ùn avanza chè grazia à i "dubbiti" di i scientifichi i più creativi, babbu mi dicia sempre chì era u "dubbitu" a più grande qualità di un scientificu.
Dommage que je ne connaisse pas encor M.Biancarelli.Mais comme vous l'avez dit ou qu'il l'a dit ou communément dit,ensembble au même moment ou séparément et ailleurs(cela me rappelle le temps et le lieu dans la tragèdie grecque)ou que quelqu'un d'autre le dise,. sinon le dira.Toutes les réflexions de votre excellent commentaire me font étrangement mais familièrement penser à Luigi Pirandello aussi bien dans "L'exclue" que dans les "Six personnages en quête d'auteur",peut-être plus encore dans sa correspondance surtout à partir de 1927.
RépondreSupprimerA bientôt merci.
Monsieur Bacchelli,
RépondreSupprimerj'espère que vous aurez plaisir à lire les livres de M. Biancarelli (tous chez Albiana, quelques nouvelles ailleurs). N'hésitez pas à faire part de vos impressions, qu'elles soient positives ou négatives, d'ailleurs.
Je reporte ici un autre commentaire que vous avez envoyé et que je n'arrive pas à publier par les voies ordinaires !
Merci pour ce rapprochement intuitif entre M. Biancarelli et Luigi Pirandello (c'est amusant, parce que dans "A Funtana d'Altea" de Thiers, il est fait allusion à une pièce de l'auteur sicilien...).
Donc voici le deuxième commentaire de Monsieur Bacchelli, qui dit la même chose en précisant tout de même :
"Dommage que je ne connaisse pas M.Biancarelli,pas encore.Pourtant toutes les réflexions soumises dans votre excellent commentaire et la façon dont vous les soumettez me font étrangement et familièrement penser à Luigi Pirandello aussi bien dans "L'exclue" que dans les "Six personnages en quête d'auteur",mais plus peut-être encore dans sa correspondance,surtout à partir de 1927.Pourquoi?Simplement "leghjerete" et "vidaremu".Rajoutez à tout cela le "jeu des pronoms" comme vous le faites remarquer et aussi l'emploi des temps très variable.Voilà pour l'instant .j'avais essayé un autre message avant,mais il a du se faire avaler."