lundi 27 décembre 2010

Jean-Yves Acquaviva nous parle de "Vae Victis", de Marcu Biancarelli


Et il fait donc mentir le précédent billet qui se déclarait le dernier de 2010, et qui ne le sera donc pas ! Merci à lui pour cet envoi, en espérant que sa lecture, ses réactions, son point de vue enrichiront l'ouvrage en question. Personnellement, j'ai lu son texte avec un très grand plaisir, j'y trouve la même force vitale que dans les propos de Petru Ottavi lisant "Murtoriu". (J'aimerais d'ailleurs en savoir un peu plus sur les circonstances de la révélation qui "10 ans en arrière" lui ont révélé que la langue corse pouvait tout exprimer ; c'était en lisant quoi, où, comment ?)

Avis aux amateurs de littérature, de littérature corse, de l'oeuvre de Marcu Biancarelli, de "Vae Victis" : discutons (je rappelle que j'accepte tous les commentaires qui évoquent les livres, même virulents, mais pas - ou plus... - les commentaires visant les personnes ou produisant des informations blessantes ou malveillantes. Remember : la critique est Thésée, l'art est un labyrinthe, dixit Ghjacumu Gregorj, dans "Miroirs de la mort"...)... (ça commence à faire beaucoup de points de suspension, tout ça...)

Sè vo vulete risponde in corsu, hè permessu nant'à issu blog ; o in talianu ; o in inglese, ecc. ecc.

Eccu u puntu di vista di Jean-Yves Acquaviva (unu di l'autori publicati nant'à u blog "Tarrori è Fantasia : videte quì) :

« Oh putain ! » Dans un premier temps, je n’eus rien d’autre à dire. Que pouvais-je bien dire ? Ce que je venais de lire tournait dans ma tête en un écho semblant ne plus vouloir se perdre. Je me couche rarement avec un livre s'il n'y a pas d'images, mes instants de lecture sont plutôt diurnes, et maintenant je sais pourquoi. Plus j’avance en âge et plus le sommeil m’est nécessaire, et lorsque j’eus terminé la première phrase du nouveau bouquin de Marcu Biancarelli, je sus que ce soir-là il ne viendrait pas de suite. Deux heures plus tard, en refermant « Vae Victis », j’en fus définitivement convaincu. Au-delà de la qualité littéraire de ce que je venais d’avaler d’un trait, c’était bien le contenu qui me donnait tant de raisons de me relever, pas question de fermer les yeux après ça. Je retournai donc dans mon salon, réveillai le feu dans la cheminée et me mis à parler seul, il fallait que je m'entretienne avec moi même. « Oh Putain ! » Furent donc les deux premiers mots que je réussis à articuler. Un « incroyable » vint leur tenir compagnie immédiatement. Je venais quand même de lire la quasi exacte synthèse de mes propres pensées sur bien des sujets et d'autres qui me donnaient l'occasion d'améliorer considérablement mon score nicotinique du jour en me poussant à de nouvelles réflexions. Certaines de mes pensées formulées avec une verve dont je n'aurais pas l'immodestie de me sentir capable mais correspondant en de nombreux points à ce que j'aurais pu écrire ou dire, à ce que j'ai pu écrire ou dire (surtout dire jusqu'à présent). D'aucuns, esprits chagrins confits de frustration de ne pouvoir penser par eux-mêmes, ne verront peut être dans mes mots que flagornerie ou vantardise, j'aimerais les convaincre que... En fait, non ! Je m'en bats le steak, comme on dit chez moi.

Mon feu ayant repris une vigueur plus adéquate, je repris mon monologue en l'appuyant d'un mouvement de tête vertical. Tout de suite, un frisson me parcourut. J'ai rencontré Marcu lorsque nous fréquentions les bancs de l'Université de Corse il y a plus de 20 ans, et depuis quelque temps, je regrettais de ne pas avoir eu plus de contacts avec lui. Aujourd'hui je m'en félicite. N'y voyez aucunement le fruit de la détestation, bien au contraire. J'étais, en ce temps-là, plutôt dans le camp de ceux qui lui auraient volontiers construit le gibet susceptible de l'aider à expier les « fautes » qu'il s'apprêtait à commettre, jeune con de Corse mal dégrossi que je me forçais à être. Je me vis donc bienheureux d'avoir vécu quelques années de plus avant de rédiger ce commentaire au coin du feu. Bienheureux comme je le fus, 10 ans en arrière, lorsque je reçus en pleine tronche la révélation que ma langue pouvait exprimer autre chose que le « fucone di babbone » et « u tribbiu in l'aghja » et ce sans pour autant me procurer la tentation de les vouer au bûcher de l'oubli. Car, je l'avoue sans honte, j'ai pour l'instant bien plus écrit sur les roses que sur leurs épines.

Je ne cherche pas à le défendre comme je n'ai pas cherché à le condamner en d'autres temps, je le lis simplement avec le plaisir insondable du lecteur anonyme espérant que c'est cela qu'il attend et seulement cela. Et puis croire qu'il a besoin d'être défendu après avoir lu « Vae victis », ce serait un peu, selon moi, comme croire à l'utilité des religions après avoir lu Saint Augustin. Le plaisir de la lecture me suffit, ma famélique production personnelle m'a appris qu'il est vain de chercher plus loin que ce qui est écrit. Débusquer le sens caché d'un silence ou d'une page vierge pourquoi pas, mais lorsqu'un auteur comble ce silence, noircit cette page, nul besoin de creuser plus profond, tout est là sous nos yeux.

Ce qui m'a vraiment troublé dans les mots de Marcu, c'est la similitude de nos expériences, de nos rencontres devrais-je dire, avec la langue corse. Né moi-même loin de cette île, éduqué jusqu'à l'âge de 10 ans loin des préceptes locaux, moi aussi abreuvé de quelques gros mots puérils distillés par ceux qui aujourd'hui baissent le regard en entendant mon fils s'exprimer dans cette langue dont mon enfance fût privée, je retrouve dans la symétrie parfaite de ses phrases un peu de ma propre vie, de mes aventures acquisitives de cette langue qui m'est devenue maternelle. Je retrouve ce refus de la nostalgie soit-disant éprouvée pour des choses que l'on n'a pas connues. Je retrouve cette appréhension critique mais tout de même reconnaissante du Riacquistu, ce morceau de notre histoire qui honore ceux qui l'ont façonné mais ne leur donne aucun droit de juger ce que nous en faisons à notre tour. Et puis je ne peux omettre le regard du nationaliste que je suis et serais toujours, je crois, malgré tout ce que les hommes ont pu faire en matière de distorsion de cette idée. Le nationaliste qui se nourrit de l'utopie de voir ce mot enfin défini par tous de la même façon, celle qui tend à n'en retenir que la seule acception tolérable selon moi, celle de l'aspiration pour cette terre au destin de nation non pas « souveraine » mais libre d'être ce qu'elle est, a été et deviendra. Celle qui induit forcément l'immédiate disparition de ce concept à la seconde même de son aboutissement. Celle qui ne connait que l'impérieuse et absolue nécessité de se remettre en question soi-même avant que les autres ne soit tentés de le faire à notre place. Conduisant immanquablement à cet infect dégueulis de sentences lamentables, prononcées au nom de je ne sais quelle pestilentielle autant que prétendue autorité, à l'encontre de telle ou telle communauté, groupe ou peuple. De celle qui me conduisirent un jour à entendre bouche bée un « journaliste » du Monde me dire, alors que je lui faisais part de mon dégoût de ce déferlement anti-corse : « Ah, quand tu tues un préfet... » Je ne sus que lui répondre que moi, je n'avais tué personne avant de faire un effort surhumain pour éviter de donner du crédit à la théorie du « corse violent ». Oui, cette remise en cause si misérablement absente des discours de ceux qui prétendent nous représenter, cette remise en cause que je vivrais comme une invitation à l'abandon de ce pessimisme désabusé qui prit tant de fois la place de l'espoir dans mon esprit ces dernières années. Je ne présume pas des obédiences politiques de Marcu, aujourd'hui ou même hier, mais cette désillusion que je lis dans ses mots et que je partage, me pousse à croire qu'il a, comme moi, encore un fond d'envie que ça marche. Et tant pis si je me trompe.

Il y a bien d'autres choses à dire sur ces textes ciselés par la faconde de Marcu Biancarelli. Bien d'autres choses mais à quoi bon ? Je ne voudrais surtout pas laisser croire que j'ai tout compris, tout analysé, annihilant ainsi mon propre propos. Je ne suis, après tout, qu'un lecteur heureux d'avoir moins dormi qu'à l'habitude. Je suis sûrement passé à côté de beaucoup de choses, mais qu'importe, je me suis régalé et ça c'est bon. Car la littérature selon moi, ça n'est pas génial ; la découverte du vaccin contre la rage, c'est génial. La littérature, c'est bon ou mauvais, au sens gastronomique du terme, avec tout ce ce cela induit de subjectivité et de jubilation.


Quand même, avant de laisser mourir mon feu définitivement, un mot de ces éditeurs et autres directeurs de publication de feuille de chou pour touriste déboussolé qui veulent nous engoncer dans des cases trop étroites ou croient savoir ce qu'il est de bon ton d'écrire ou pas. Mais non, à quoi bon ?

Et puis, assez parlé de moi, le but c'était quand même de partager les sentiments d'après « Vae Victis ». L'ai-je fait, je crois que Marc dirait : « On s'en fout ! Tu l'as lu, c'est l'essentiel, tu en fais ce que tu veux maintenant. » Je ne peux que vous dire d'en faire autant et de l'aimer ou le détester, n'est-ce pas ça qui compte lorsqu'on lit, se voir offrir des sentiments à éprouver, quoi qu'il y ait derrière. Souvent ce ne sont que des « merci », des « bravo », des « iscia ! » mais quelquefois, comme ce soir, ce sont des « Oh putain ! »


(la photo)

2 commentaires:

  1. Sò sicura chì ste duie parolle li anu da piace di più chè una critica literaria longa di quelle sapiente...

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  2. C'est sûr que ça fait plus plaisir de lire ça que de se faire lyncher comme un vulgaire DJ...

    Merci donc à Jean-Yves pour cette lecture réconfortante.

    A paci è a saluta pà u 2011 o ghjenti. È a paci dinò annant'à i blogghi !

    MB

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