vendredi 27 avril 2012

"Pasquale Paoli ou La déroute de Pontenovu", de F.D. Guerrazzi

Non, ce ne sera pas une présentation en bonne et due forme de ce roman historique écrit en italien, publié en 1860, traduit pour la première fois en français par Petr'Antò Scolca et publié par les éditions Albiana en 2011 : "Pasquale Paoli ou La déroute de Pontenovu. Roman corse du XVIIIème siècle".

L'auteur (Francesco Domenico GUERRAZZI) est italien, citoyen de Livourne, un homme engagé dans le Risorgimento, condamné à l'exil en 1853, après une révolution ratée dans sa ville natale. Il choisit la Corse comme lieu d'arrivée (en face de chez lui, finalement). Visiblement son obsession est de parvenir à réussir cette révolution et, pour ce faire, l'écriture est un des moyens pour y parvenir : d'où un livre où vont s'entremêler sans cesse deux "voix" :

- la voix de l'auteur Guerrazzi pour appeler à la révolution, à un idéal républicain ; régulièrement l'auteur va interrompre le récit des aventures de ses personnages pour distribuer les bons et mauvais points, pointer du doigt ce que le lecteur doit retenir...

- la voix du narrateur Guerrazzi, qui raconte une histoire où s'entremêlent personnages réels (Pasquale Paoli, James Boswell, et bien d'autres) et de fiction (Santi Giacomini, Altobello, Giovan Brando, Lella, Serena, etc...)...

Et ce sur 560 pages !! Que j'ai lues !! Une à une !!

Certes, je n'ai pas encore lu les poèmes qui encadrent le livre, cela viendra, car ce livre, je vais le relire, pour mon plaisir personnel d'abord mais aussi pour picorer ici et là des pages que je citerai sur ce blog...

Car ce livre (au même titre que le "Vir Nemoris" de Nobili-Savelli) est ABSOLUMENT EXTRAORDINAIRE et désormais INCONTOURNABLE. Je le dis calmement.

Un résumé ? Impossible, ou alors dans les grandes lignes cela donne : une évocation follement romanesque des derniers jours de la Corse indépendante sous le généralat de Pasquale Paoli, et ce à travers des figures à la fois extrêmement singulières et représentatives des vertus républicaines et populaires (le souci de justice, l'amour de la patrie, de la liberté...).

J'ai été frappé par ce mélange d'un discours anti-tyrannique parfois très manichéen (le portrait des officiers de l'armée française ou des Corses qui ont refusé de soutenir Paoli est toujours une charge très violente) et d'un récit qui enchaîne, certes de façon parfois décousue (mais les travaux de couture ne semblaient pas être le premier souci de Guerrazzi) les épisodes d'une tragédie aux tonalités et aux scènes d'une folle inventivité.

Je pense à la première fois où Boswell arrive à Corte et voit Pasquale Paoli en action : il enquête comme une sorte de super Sherlock Holmes ! Il devine tout, comprend tout, prend tout le monde de vitesse ; puis se transforme en un extraordinaire juge de paix, qui arrive à persuader la famille du coupable de la nécessité de la punition la plus grave (la mort) !

Dans ce récit, ce qui me frappe c'est l'association de scènes extrêmement mélodramatiques (qu'on pourrait regarder comme frisant le ridicule par excès de sentiments et de situations contrastées) et de visions extrêmement vivantes, prenantes, enthousiasmantes : comme lorsqu'on lit des récits mythiques (ou les "Misérables" de Hugo ou qu'on voit un film comme "Avengers", si je puis me permettre ce lien...).

J'ai dans l'esprit de nombreuses scènes : dans le bateau français au large de la Corse ; la rencontre entre Boswell et Giacomini à Livourne juste avant ; les discussions entre le mari et la femme, Mariano et Lucia, couple infernal, vénal, traître, mesquin, radin ; Paoli marchant seul près du Pontenovu quelques heures avant la bataille ; l'évasion d'Altobello ; toutes les scènes finales - que je ne dévoile pas ici et maintenant - dans la montagne au-dessus de Corte, qui atteignent au sublime (et prolongent et développent, par variation, celles racontées dans le "Vir Nemoris" de Nobili-Savelli).

Bref, je citerai dans d'autres billets, notamment le chemin parcouru par Boswell pour rencontrer son contact corse à Livourne, Santi Giacomini (deux extraordinaires petites portes pour parvenir à un gardien digne de Cerbère avant d'arriver dans une pièce où s'entremêlent la vie et la mort...). Dans un précédent billet, j'ai cité les pages consacrées au portrait de ce Santi Giacomini :

- A la recherche d'une parole.

Je parlerais volontiers avec qui aura eu le courage de lire ces 560 pages !!! Il faut vraiment le faire, on ne peut plus lire la littérature corse sans cet ouvrage écrit en italien par un exilé du Risorgimento. Ce roman, qu'on peut considérer comme anachronique (au moment de son écriture et au moment de sa traduction en français) contient un nombre considérable d'images, de scènes, de personnages et d'attitudes propres à nourrir l'imaginaire corse contemporain... Ces images, ces scènes, ces personnages et attitudes sont à la fois assez puissamment épiques et lyriques pour s'imprimer dans la mémoire et la sensibilité et assez complexes, étranges, délirantes, dérangeantes pour titiller notre envie de les questionner. Non ?

Bonne lecture, et à bientôt pour discuter !

(Soyons plus clair encore, soyons prescripteur sans honte aucune : IL FAUT ABSOLUMENT LIRE CE ROMAN DE GUERRAZZI !)

(Une information : sont à venir, après ce billet, d'autres billets où j'évoquerai "La Montagne" de Jean-Noël Pancrazi, des nouvelles neuves de notre enquête sur "Ode à la Corse" et Saint-Exupéry, le signalement d'une évocation d'une chanson de Pierre Gambini dans un entretien paru dans la Revue littéraire (éditions Léo Scheer, numéro 53, avril-mai 2012), etc. etc. Et tout ce que vous voudrez bien évoquer vous-même ici, n'hésitez pas à envoyer vos récits de lecture...)

8 commentaires:

  1. Peut-on se procurer ce livre dans la version originale en italien ? En aurais-tu les références ?

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  2. Emmanuelle, j'ai commandé cet ouvrage via la Librairie All Books and Co à Aix. Il a été republié dernièrement, j'ai trouvé cette référence sur Amazon :

    http://www.amazon.fr/Pasquale-Paoli-Ossia-Rotta-Ponte/dp/1148218335/ref=sr_1_fkmr0_1?s=english-books&ie=UTF8&qid=1335617717&sr=1-1-fkmr0

    Références :
    Broché: 612 pages
    Editeur : Nabu Press (31 mars 2010)
    Langue : Italien
    ISBN-10: 1148218335
    ISBN-13: 978-1148218335

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  3. Je devrais recevoir cet ouvrage la semaine prochaine. J'ai pris quelques infos sur la page wikipédia concernant cette maison d'édition, Nabu Press, qui indique que l'ouvrage ne sera pas accompagné de notes ou de présentation, je cite :

    " 1. Par rapport aux autres livres de BiblioLabs LLC.
    Le livre de Nabu Press n'a pas nécessairement fait l'objet d'une attention humaine2.
    2. Par rapport aux livres de Gutenberg ou de Wikisource.
    Le livre est payant, même si le texte est dans le domaine public.
    3. Par rapport à l'éditeur traditionnel sur papier.
    L'éditeur traditionnel publie également des textes qui sont dans le domaine public, par exemple un classique de la littérature, mais il y ajoute généralement des notes, une introduction, quand ce n'est pas l'établissement même du texte. De plus, il y a un tirage, un nombre minimum d'exemplaires."

    Ce n'est pas très engageant, mais cela a l'air d'être la seule façon d'obtenir ce livre sans trop de recherches.

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  4. Gérard PAGANELLI28 avril 2012 à 17:43

    Bonjour,
    je n"ai pas lu ce livre mais je vais me le procurer dès que je pourrai ( j'ai une liste de lectures en attente qui s"allonge...).
    Vous écrivez :
    "...on ne peut plus lire la littérature corse sans cet ouvrage écrit en italien par un exilé du Risorgimento. Ce roman, qu'on peut considérer comme anachronique (au moment de son écriture et au moment de sa traduction en français) ...

    Voulez-vous dire qu'à l'époque de Guerrazi, l'épisode "paolien" (ou "paoliste"?)était loin des préoccupations ?
    Sans doute. Mais l'épisode qui se termine par Ponte Novu est pour les Italiens (et en particulier ceux du Risorgimento) un épisode important pour l'idée qu'ils se font de l'Italie.
    C'est le moment de la séparation de la Corse d'avec le monde italien, en raison de la prise de possession par la France (sous Paoli, la Corse restait une partie d'un ensemble italien pas encore uni, supranational en quelque sorte). Donc pour les partisans de l'unité italienne, du Risorgimento, la Corse fait partie des terres italiennes à récuperer (ces fameuses terres irredentes).
    Un autre acteur du Risorgimento s'est intéressé, à peu près à la même époque, à la Corse et à Paoli, c'est Tommaseo, illustre lexicographe. Lui aussi exilé en Corse, ami de Salvatore Viale, il publia un choix de lettres de Pascal Paoli et des poésies populaires corses avec celles d'autres régions de culture italienne ou qu'il jugeait italienne ( lui-même était originaire de Dalmatie, il appartenait à cete minorité italienne de Dalmatie qui a subi des tribulations).
    Tommaseo participa comme ministre à la brève République vénitienne ressuscitée par Daniele Manin, qui subit le siège des Autrichiens en 1848-49. Sa statue est sur une place de Venise, et comme le sculpteur a eu l'idée de placer derrière lui une pile de bouquins (ses oeuvres) qui ont l'air de sortir de sous sa redingote, les vénitiens, facétieux, appellent sa statue le "cagalibri"...
    Ajoutons que pour les Italiens, Tommaseo est surtout l'auteur d'un célèbre dictionnaire (sorte de Littré). Dans l'immortel "Divorce à l'italienne", le héros, aristocrate sicilien joué par Mastroianni, veut se débarrasser de sa femme et imagine de faire croire que celle- ci le trompait. Ainsi il pourra la tuer et sera forcément acquitté ! Il imagine le procès avec un avocat qui s'adressant aux jurés, avec des effets de manches et de voix, leur dit : "Messieurs, est- ce que nous allons ranger l'honneur au magasin des vieilles lunes, ou est-ce que nous reprendrons à notre compte la magnifique définition qu'en donnait Tommaseo : l'honneur est l'ensemble des comportements qui rendent un homme respectable dans le milieu où il vit".
    Acquittement garanti dans la Sicile de 1960 ! ( mais on sait que dans le film, ce scénario n'est pas celui qui se réalisera).

    On est un peu loin de Ponte Novo, mais toujours sur les bords du Mare nostrum...

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  5. Monsieur Paganelli,
    vous avez certainement raison, ce roman était d'abord écrit pour les Italiens. Le traducteur, Petr'antò Scolca, écrit ceci dans son introduction :

    "Francesco Domenico travaillera son texte de 1854 à 1860, année de sa parution. En Italie, le "Pasquale Paoli" rencontre tout de suite un grand succès, puisqu'il fait l'objet de cin rééditions jusqu'en 1872, de neuf au total en 1925. Sans doute ce roman intervient-il au bon moment, puisque le lent processus du "Risorgimento" est enfin sur le point d'aboutir. Et même si le regard personnel de Guerrazzi sur la politique a changé, le texte transmet un message patriotique qui connaît un profond retentissement public à l'heure où la Toscane est enfin débarrassée de ses grands-ducs."

    Mais un peu plus loin, il insiste sur le fait que de mettre l'accent sur l'échec total des efforts de Pasquale Paoli et des autres patriotes est une façon pour l'auteur de faire écho à sa propre défaite (instaurer la démocratie) : "Lorsque Guerrazzi nous fait comprendre que la voie du sacrifice comme seule liberté, il pense surtout à ses idéaux trahis, à sa vie défaite et parfois vaine, à ses compagnons de malheur, à tout ce monde glorieux et toujours vaincu que jamais il ne reniera pourtant."

    C'est en ce sens que je parlais d'anachronisme, mais cela est certainement maladroit. La question reste, pour moi, de comment lire aujourd'hui un tel livre.

    Merci pour ces évocations de Niccolò Tommaseo. Autre grand défi éditorial à venir : une réédition de ses ouvrages consacrés à la Corse (Lettres de Pascal Paoli et Canti popolari).

    Pour revenir au roman de Guerrazzi : je trouve qu'il a une place "contemporaine" dans la littérature et l'imaginaire corses : il propose des tensions, des attitudes contradictoires qui peuvent nous toucher, aujourd'hui (et notamment cette réalité d'un attachement total à la Corse et les discussions autour des valeurs - Justice, Liberté - qui conduisent à la mort, au sacrifice ; alors qu'on pourrait imaginer de suivre Paoli dans son exil plutôt que d'arrêter avec l'apothéose des suicides d'Altobello et de ses compagnons). Si je devais faire découvrir cette littérature à des amis, je leur conseillerais le "Pasquale Paoli" de Guerrazzi, au même titre que "Murtoriu" de Marcu Biancarelli ou "A funtana d'Altea" de Ghjacumu Thiers, etc.

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  6. Bonjour,

    Je lis occasionnellement les billets de ce blog. Je me permets aujourd'hui d'intervenir seulement pour signaler que puisque la version originale date de 1860, elle appartient au domaine public et qu'à ce titre on peut la retrouver sur Google Livres, et la télécharger en PDF (la qualité de la numérisation peut parfois laisser à désirer mais ça reste lisible) : http://books.google.fr/books?id=-0dLAAAAcAAJ&printsec=frontcover&dq=pasquale+paoli+francesco+domenico+guerrazzi&hl=fr&sa=X&ei=sY-eT6fQEM2v8QP2iuXdDg&ved=0CEgQ6AEwAw#v=onepage&q&f=false

    Cordialement.

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  7. Merci beaucoup, Anonyme 06:17 !
    Il faut venir beaucoup plus régulièrement sur ce blog, et l'enrichir encore plus par votre regard et vos connaissances. Merci encore. Je m'en vais de ce pas chercher le passage en italien de la quête par Alotbello de grottes moins mélancoliques...

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  8. Voici le lien vers la deuxième et dernière moitié du livre numérisé : http://books.google.fr/books?id=GUhLAAAAcAAJ&pg=PA3&dq=pasquale+paoli+francesco+domenico+guerrazzi+volume+2&hl=fr&sa=X&ei=aZKeT8K7HYf08QPQ-oCEDw&ved=0CEIQ6AEwAQ#v=onepage&q&f=false

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