Un immense merci à Gérard Paganelli, qui a bien voulu répondre notre sollicitation concernant ses lectures des romans d'Angelo Rinaldi.
Je profite de l'occasion pour rappeler que ce blog est originellement fait pour cela : accueillir des "récits de lecture", dévoilant les façons singulières des lecteurs que nous sommes.
Afin de faciliter la prise de parole, et l'écriture du récit, j'ai réfléchi à un certain nombre de questions, et avec l'aide précieuse de Xavier Casanova, cela a donné ceci :
1. Situation : dans quelles circonstances avez-vous pris connaissance puis rencontré (placer ici le roman en question) ?
2. Attentes : avant de le lire, qu'en attendiez-vous ?
3. Ressenti : au cours de votre lecture, qu'avez-vous ressenti et pensé ?
4. Effets : après l'avoir lu, qu'avez-vous fait et pensé de ce livre ?
5. Partage : aujourd'hui, comment en parleriez-vous à vos amis ?
6. Focalisation : quels moments du livre hantent votre mémoire ?
7. Généralisation : que diriez-vous de ce livre à propos de sa relation à la Corse et sa littérature ?
Voici donc les réponses de Gérard Paganelli ; bonne lecture, en espérant que d'autres échos suivront ? :
Vous me proposez un programme ambitieux (en termes de mobilisation de mes faibles capacités !), mais je vais m'efforcer de vous répondre.
Tout d'abord, je suis d'accord avec vous sur le fait qu'un auteur qui parle de la Corse et qui de plus y est né, appartient, quoi qu'il en ait, à la littérature corse (ou bretonne ou provençale, etc. dans des conditions similaires pour ces territoires culturels).
Je vais suivre l'ordre que vous me proposez. Je me focaliserai sur la Maison des Atlantes, premier roman de Rinaldi que j'ai lu.
1. J'ai dû lire ce roman vers 1978 (?). Je me souvenais, en tant que Corse de Marseille, de la petite émotion qu'avait suscitée en 1971 (j'étais à l'époque en seconde, ce qui vous donne approximativement mon âge), l'obtention du prix Femina à un auteur corse, et c'est assez naturellement que quelques années après, j'eus envie de lire ce livre, dont le titre m'évoquait à vrai dire plus Aix-en-Provence ou Toulon (il y a cours Mirabeau un hôtel particulier avec des atlantes et à Toulon, des atlantes dus à Puget) que la Corse...
Néanmoins déjà le choix du titre évoquait un univers culturel baroque (au sens précis du mot en histoire de l'art) un monde dominé par le passé en quelque sorte (c'est ainsi que je ressens le titre).
2. Attentes : j'en attendais (et je n'ai pas été déçu) un regard particulier sur la Corse (ou tout du moins le morceau de Corse que l'auteur a choisi parce qu'il le connait) ou plutôt sur la personnalité, la psychologie, l'identité, l'esprit (choisissez le mot) de ceux qui habitent (ou habitaient) ce morceau de Corse, tout en sachant qu'aucun écrivain de fiction ne peut être considéré comme un ethnologue, et que ce regard dirait plus sur l'auteur que sur la réalité supposée décrite par lui...
3. Ressenti : beaucoup d'émotion devant la finesse des réflexions, de l'analyse des personnages, le style soutenu, finalement en accord avec le baroque du titre (majesté et pourriture en quelque sorte)...
4. Effets : malgré le charme (on peut utiliser le mot) du livre, l'impression finale est d'agacement. Non pour l'image mitigée qu'il donne de la Corse, mais pour une certaine complaisance dans la noirceur (mot exagéré sans doute), il vaudrait mieux dire la grisaille et la désespérance accompagnée de veulerie, qui caractérisent aussi bien les lieux que les personnages et leur destin ; cette complaisance à parler (est-ce dans ce livre-là ou un autre ?) du pays où les plus belles maisons sont des tombeaux...
Non que cela me choque pour l'image de la Corse, mais cette complaisance dans l'affliction et le côté sombre de la vie n'est pas ce que j'apprécie vraiment dans la littérature, ou alors il faut l'exprimer avec une forme d'humour qui hélas, n'est pas le fond de commerce de notre auteur (ni des Corses ?).
5. Partage : dirai-je qu'il faut lire Rinaldi pour avoir une vision de ce qu'est la Corse ou de ce que sont les Corses (même réduits à la bourgeoisie bastiaise) ?
Au passage, Les Corses sont, bien entendu, inséparables de la Corse, milieu naturel et culturel, si bien que parler des uns se confond avec parler de l'autre.
A vrai dire, n'ayant aucune entrée dans la bourgeoisie bastiaise, j'ignore si la description a quelque chose d'exact, y compris sur le passé, car en gros l'action commence vers 1935 - il s'agit d'un retour en arrière, le narrateur, avocat, issu d'un milieu très modeste (ou même bâtard, je ne m'en souviens plus) qui a réussi à entrer dans la bourgeoisie par son mariage, se remémore son passé (donc depuis les années 30) et ne voit que des ruines dans sa vie, malgré sa réussite apparente.
Je dirai : lisez-le pour le talent de l'auteur, pour la nostalgie peut-être imaginaire qui s'en détache, ne le lisez pas comme un témoignage sur quoi que ce soit de véridique...
6. Passages du livre :
Ce qui me revient de ce livre n'est pas forcément ce qu'il y a de plus remarquable, loin de là, et pourtant cela contribue à la petite musique de l'histoire (au sens d'historique) ou du passé qui fait la trame de l'existence des personnages : dans une cuisine, une femme modeste (la mère du narrateur ?) qui veut prendre sa revanche (il me semble qu'il y a ce thème dans le livre) par la réussite de son fils, chantonne une comptine en langue corse (permanence d'une culture populaire et aussi infériorisée ; Rinaldi précise-t-il, ou cela tombe-t-il sous le sens, que les bourgeois parlent français?) ; dans un salon (ou dans un jardin ?) des étudiants en droit prétentieux (dont le narrateur, toujours intérieurement poursuivi par la tare de sa naissance modeste) chantonnent à une jolie fille de la bourgeoisie un refrain à la mode en ce temps de Tino Rossi, "ce soir Nina" (allusion aux moeurs faciles de la jeune fille ?).
Est-ce aussi dans ce livre que l'auteur évoque le cardinal Merry del Val, que tout le monde a oublié (il était le secrétaire d'Etat du Vatican avant la guerre de 14 et on le disait homosexuel) en disant qu'en parlant de lui, c'est comme s'il essuyait un peu la poussière sur son chapeau cardinalice (car le chapeau de Mgr Merry del Val est suspendu dans une église de Rome selon une tradition propre à certains cardinaux) : le passé et le temps qui passe... Evidemment Rinaldi regarde du côté de chez Proust - c'est facile, mais c'est cela ; mais au rebours de Proust, le passé ne mérite pas d'être sauvé et sa résurrection n'apporte aucune idée d'éternité, qu'une remontée d'amertume ...
En fait, je me souviens de peu de choses 30 ans et plus après avoir lu ce livre et j'ai peut-être retenu ce qui correspond à mes centres d'intérêt (ou ma psychologie, dit autrement)...
7. Généralisation :
Je ne prétends malheureusement à aucune connaissance de la littérature corse, n'ayant lu aucun des écrivains contemporains (eh oui...) qui la représentent (d'autant que certains écrivent en corse et je ne pratique pas, à mon grand regret, le corse). Je n'ai non plus jamais été tenté par des auteurs comme Marie Susini...
A dire vrai, je suis plus lecteur d'essais ou de livres d'histoire que de romans.
Néanmoins, je pense que Rinaldi, à sa manière, a touché une idée juste en faisant de son univers romanesque un univers où on sent le poids des siècles, un poids un peu étouffant...
J'ai à peu près lu tout (?) de Rinaldi, sauf la Confession dans les collines et le premier, la Loge du gouverneur (sans doute introuvable aujourd'hui sauf coup de chance chez un bouquiniste - ou sur e-bay).
Certains livres sont de très faible intérêt, à mon sens, (Les jardins du consulat) ;
la thématique de la tristesse et de la solitude de l'homosexuel prédominent dans les plus récents (il y a sans doute déjà quelques allusions voilées à ce thème autobiographique dans la Maison des atlantes, voir l'allusion à Merry del Val)...
Le roman le plus récent de Rinaldi (pas le dernier, que j'ai lu et dont j'ai même oublié le titre) qui retrouve beaucoup des thèmes et du traitement talentueux de la Maison des atlantes (et toujours la noirceur de la vie) est Les roses de Pline (dont le titre là encore évoque le poids des siècles... et de la culture méditerranéenne classique...
Il me semble que ces roses sont évoquées par un vieux professeur corse "irrédentiste" (pro-italien et profasciste durant la guerre) ami du narrateur à un moment de sa vie.
Je crois que c'est dans les Roses de Pline que Rinaldi parle pour la première fois, explicitement, de la Corse (très vite), dans ses autres livres on parle de l'île, du retour dans l'île, etc. (évidemment on comprend que c'est la Corse, ne serait-ce que les patronymes, les allusions, mais elle n'est pas nommée).
Ce blog est destiné à accueillir des points de vue (les vôtres, les miens) concernant les oeuvres corses et particulièrement la littérature corse (écrite en latin, italien, corse, français, etc.). Vous pouvez signifier des admirations aussi bien que des détestations (toujours courtoisement). Ecrivez-moi : f.renucci@free.fr Pour plus de précisions : voir l'article "Take 1" du 24 janvier 2009 !
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Merci pour ce commentaire et cette analyse du livre d'Angelo Rinaldi, "La maison des Atlantes".
RépondreSupprimerJ'ai connu Rinaldi, enfant lorsqu'il habitait encore Bastia, c'était autour des années 50-52 et nous avions le même âge.
Nous nous rencontrions le plus souvent dans la rue, devant mon domicile proche de la Librairie-Papeterie "Costa"( qui n'existe plus ), rue César Campinchi à Bastia.
Il n'a jamais été, me semble-t-il un élève brillant au lycée mais cela ne l'a pas empêché de savoir bien écrire en français. Je crois que c'est lui qui a dit, bien plus tard que le corse était une langue pour les bergers et les chiens, ou quelque chose d'équivalent.
Je ne suis pas étonné de ce qui transparaît au travers de son oeuvre et de son besoin de régler des comptes avec son île natale( qui est aussi la mienne ) et avec la petite bourgeoisie bastiaise.
C'était un garçonnet réservé et craintif, poli et passionné de lecture; il m'a fait alors découvrir la science fiction et Jimmy Guieu ( je ne suis plus sûr de l'orthographe! ).
Je crois en effet qu'il a mal vécu son origine modeste, c'est aussi mon cas, mais pour ce qui me concerne j'en suis très fier; mais il est vrai que je n'ai manqué , en Corse, ni d'amour dans ma famille , ni d'amis fidèles et solides. Par la suite nos chemins se sont séparés, du fait de la poursuite de mes études et, pour lui, de ses débuts d'écrivain et de critique littéraire dans une bon hebdomadaire parisien!
Je n'ai jamais été tenté par la lecture de ses livres mais sans doute une erreur; je vais essayer de lire la "Maison des Atlantes"!
Merci Gérard Paganelli
Joseph Pollini, Avignon
Monsieur Pollini, merci pour votre message.
RépondreSupprimerVotre éclairage biographique est intéressant.
J'attends avec impatience et beaucoup de curiosité votre propre lecture des romans d'Angelo Rinaldi.
Merci pour ce joli billet...
RépondreSupprimerJuste un conseil seulement...Lisez les auteurs corses d'aujourd'hui. Ils sont finalement plus nombreux qu'on pourrait le croire, certains écrivent en français et d'autres sont traduits...
Ah, MP, je vous prends au mot, et suite à votre judicieuse sollicitation je m'empresse de vous demander quels auteurs (quels livres) corse d'aujourd'hui conseilleriez-vous ? Et pourquoi ? A bientôt j'espère.
RépondreSupprimerEt évidemment je vous pose, MP, une deuxième question : avez-vous lu les romans de Rinaldi, si oui lesquels, comment ? si non, pourquoi ? en auriez-vous envie ? etc. etc. Merci d'avance.
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