samedi 11 août 2012

"On s'en fout de l'image de la Corse !" (in "Coupez" de Laurent Simonpoli)

J'ai vu plusieurs fois le dernier court métrage du cinéaste, comédien et producteur Laurent Simonpoli. J'avais déjà vu "Assassins", que j'avais apprécié (mais je n'ai pas vu les autres films de Simonpoli).

Son dernier court métrage s'intitule "Coupez !". Titre très fort, très drôle, très angoissant. L'histoire en deux mots : un comédien corse, Pierre, se voit proposé le premier rôle ans un long métrage ; mais cette occasion de lancer sa carrière grâce à un "film d'auteur" consiste à jouer un homosexuel ; les préjugés du comédien et la pression des amis et de la famille le font hésiter ; il finit par refuser. Tout le film est donc basé sur une hésitation (sa copine et deux amis l'engagent à accepter). Le rôle du comédien est tenu par Eric Fraticelli (oui, Pido).

Cela dure 26 minutes ; je dois dire que j'ai trouvé ce film à la fois passionnant, très drôle, avec une intrigue qui fait mouche (j 'y reviens tout de suite) et en même temps, j'ai été parfois très déçu, par le rythme, par certaines scènes parfois trop lentes, des effets un peu trop appuyés.

Trop rapidement (désolé, pas le temps), mes impressions - à nuancer bien sûr - sous forme de listes :

Liste des points qui m'ont déçu : 

- je le disais le montage me paraît souvent un peu lent : la scène chez le psy est un peu trop longue, le rythme du dialogue m'a fait languir (et cette lenteur enlève de la drôlerie et de la force à la transformation du psy en boxeur).

- quelques effets visuels ou sonores pas très réussis, ou qui m'ont lassé (les ralentis et panoramiques sur la place du marché ; les effets de guitare chez le psy).

- point le plus important : le personnage du comédien est traité (c'est un choix intéressant et cohérent) comme un être en retrait, impuissant, qui ne sait plus quoi penser, quoi faire et donc son corps est quasi absent. Or, cela aurait pu être l'occasion au contraire de montrer le corps d'Eric Fraticelli, de le pousser dans ses limites (la scène de la douche avec deux femmes puis avec le psy est surtout drôle, mais très elliptique). Finalement, il n'est pas innocent qu'il ne soit plus qu'un uniforme dans le plan final : la corps a disparu (et son être aussi sous l'insulte lancée par Guy Cimino: "Pédé !", insulte qui le laisse sans voix).

Car, liste des points qui m'ont beaucoup plu : 

- le jeu des acteurs dans l'ensemble, que j'ai trouvé très juste, Fraticelli maniant très bien le jeu des mains, du visage (comme l'immense acteur Louis de Funès), toujours dans une situation de malaise et ne sachant trop comment s'en sortir, ou échouant à en sortir ; la façon que Célia Picciocchi a de dire "je t'adore" à son amoureux ; la haine rentrée et la faconde agressive de Frédéric Graziani ; l'envie toujours un peu ridicule de celui qui veut surenchérir par Jean-François Perrone ; la sensualité de Marie-Pierre Nouveau dans le rôle de la vendeuse, etc.

- la scène entre le réalisateur du futur film et le comédien, dans le bar restaurant sur le Vieux port à Bastia est très réussie, je trouve, très drôle : grâce au jeu des acteurs et au contraste entre les deux personnages (regard goulu et voix de velours, avec ton prétentieux et rentre dedans du réalisateur - très bien joué par Charles Dubois - face aux paroles hésitantes et au malaise du comédien, sous la pression du regard de ses deux amis, l'un au regard fixe et noir, l'autre au sourire goguenard et cruel).

- l'idée de scénario est géniale : un sujet qui fait polémique, particulièrement en Corse, à savoir la forcé des préjugés. Le comédien ne rêve que de rôles virils qui correspondent à celui qu'il veut être dans la vie réelle, et ce rôle d'homosexuel le gêne évidemment beaucoup. Mais il imagine très bien faire l'amour avec copine (avec laquelle il forme un couple très amoureux) sous la douche en compagnie de la vendeuse (préjugé plus positif sur l'amour entre femmes). Mais lorsque le réalisateur parisien veut convaincre le comédien qu'il est fait pour ce rôle, c'est dans le cadre d'une vision fantasmée de l'homosexualité en Méditerranée, comme marque d'identité, et c'est avec l'intention de faire en fait un film érotique comme tant d'autres au soleil (et non "dans un abribus de banlieue, sous la pluie") sous couvert du "film d'auteur" conçu de façon attendue comme "prise de tête", "provocateur", etc.

- la question de la représentation de l'homosexualité en Corse est aussi posée de façon directe et drôle, ce qui est rare, non ? Il faudrait faire la recension des oeuvres (textes, cinéma, théâtre, arts plastiques) qui évoquent ce sujet en Corse (il ne doit pas y en avoir beaucoup). Ici en tout cas, cela donne lieu à une réflexion sur la "tyrannie du pays natal" (pour reprendre une expression de Marcu Biancarelli) : la discussion entre amis avant que le comédien ne prenne sa décision donne lieu à cet échange :

- Tu dois défendre l'image de la Corse ! Est-ce que tu as déjà vu Lino Ventura faire la folle ?
- Les "Tatas flingueuses" !... Ah y a pas que de la pomme, y a aussi de la banane !!
- Oh putain, il est lourd lui. Mais c'est affligeant ce déballage de pseudo virilité. Vous avez l'air de quoi là, tous les deux. Alors toi tu préfères qu'il joue un truand, même si c'est le dernier des enculés,  plutôt qu'un homo, même si c'est un scientifique prix Nobel de la paix ?
- Mais bien sûr.
- Mais n'importe quoi, qu'est-ce qu'on en a à foutre de l'image de la Corse ? Ton métier c'est comédien ? Hé ben joue !

Ce dialogue était préparé par les propos de la copine et de la vendeuse faisant la liste des grands acteurs américains virils qui ont joué des rôles d'homosexuels (Sean Penn, Al Pacino). Je trouve cela très fort de prononcer ces paroles :

- Mais n'importe quoi, qu'est-ce qu'on en a à foutre de l'image de la Corse ? Ton métier c'est comédien ? Hé ben joue !

Car la fin du film signe l'échec d'un tel projet : l'image de la Corse pèse trop lourd, alors que c'est la complexité de nos vies et les représentations de celle-ci qui est en jeu, ce que nous vivons vraiment. Ou alors c'est le silence, la fin, la stérilité artistique et de l'imaginaire, la condamnation à la médiocrité, au recommencement du train train idiot des images, des scènes, des idées et des propos stéréotypés : "Coupez !"

A la fin, je le disais le comédien a refusé le rôle, mais sent bien qu'il a fait une erreur, il se retrouve à jouer un rôle de policier municipal, muet, méprisé, qui une fois que la scène est terminée, ne sait plus où aller. Il n'y a plus de lieu pour lui qui soit vivable, il s'est lui-même coupé les ailes, la langue...

Je trouve, pour finir, que "Coupez !" est un film qui aurait dû être plus long, au montage plus nerveux, ce qui lui aurait donné la possibilité de faire ce pour quoi il milite : un cinéma libre des préjugés, ou se jouant d'eux, par les moyens du cinéma (des corps en mouvement). C'est pourquoi le revois toujours avec un grand plaisir, car il représente une promesse, une brèche.

Brèche déjà ouverte, je trouve, par des oeuvres comme celles de Marie-Jeanne Tomasi, Gérard Guerrieri, Thierry de Peretti.

Mais tout ceci est éminemment discutable, non ?

(A noter que le numéro 10 de la revue Fora ! consacre un dossier au sujet "Amours et sexualités" et évoque lui aussi le court métrage de Laurent Simonpoli : voir ici).

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