Donc un immense merci à Francesca pour l'envoi de sa lecture/présentation du deuxième ouvrage de Jean-Pierre Arrio ! Bonne lecture et bonne discussion :
UN OVNI dans la littérature corse
"Young trip" de Jean-pierre ARRIO (éditions ALBIANA, collection "nera" )
Il fait chaud, c'est l'été, vous avez la flemme de lire...
Installez-vous bien, avec une boisson bien frappée, de la musique rock à fond et saisissez ce livre mince qui ne vous fera pas peur.
D'abord c'est un bel objet, noir de chez noir, du plus bel effet sur votre table basse : couverture noire lisse et brillante, fond noir, écrin pour des photos ... des photos que je ne peux guère décrire : insaisissables, indéfinissables.
Alors commencez par les photos, cela c'est à votre portée, même affalé dans votre chaise longue?
Paysages et objets pris sous un angle insolite, objets abîmés, baskets élimées, éléments salis ou cassés, parfois étranges, ou qu' on a du mal à identifier, mais tout cela avec des jeux de couleurs, d'ombre et de lumières, de flous et de fumées, ambiance assurée : on décolle! Le voyage peut commencer (photos Lesia Pietri)
Votre curiosité sera piquée au vif : mais qu'a-t-il bien pu écrire Arrio pour illustrer ces photos, irracontables. ? Et... vous lisez! CQFD.
Eh bien il n'a rien "illustré" du tout, lui aussi ces photos l'ont embarqué dans un voyage et il a écrit quelque chose qui ne ressemble à rien d'autre dans la littérature corse. On dirait le scénario d'un road movie, un vrai trip, on est partis.
Cela commence bien : un voyage de noces bis type seconde lune de miel, croyez-vous, d'un jeune couple vivant à Atlanta, un couple qui essaie de recoller les morceaux, un homme qui semble toujours très amoureux de sa petite femme aux cheveux "cannelle", d'origine indienne.
Ils cherchent une rivière, "leur" rivière. Pourquoi, on verra plus tard... Vous vous dites, une histoire indienne?
Musique fétiche : Neil Young, "Down the river", qu'il met à fond dans la Ford Mustang "Just married", sans clim aïaïaï, avec cette chaleur.
L'homme au volant monologue, sa dulcinée étonnament muette, c'est lui qui parle pour elle...
Alabama, Mississipi, Arkansas, Oklahoma... on en trouve des rivières, ce n'est pas encore la bonne, on traverse vite des paysages, des déserts, des villes, on s'arrête dans des motels, des restaus crades, des stations essence.
Ce n'est pas un guide de voyage dans l'Ouest américain. Voir la halte à Gallup, j'adore l'humour et... quelque chose déjà s'insinue en vous, qui vous retient de rire complètement :
"Aztec avenue! Mais putain Rosa, d'après toi hein? Que seraient venus foutre dans ce bled paumé les Aztèques? (...) Tu ne ris pas. Ah moi ça m'éclate d'imaginer ces mecs en pagne doré, la cour, sa suite, les boeufs chargés d'or et tout et tout, en train de se demander pourquoi on construit Gallup... Monctezuma debout, seul au milieu du désert, les sourcils froncés : "C'est pas l'Pérou!"
Gallup, c'est improbable, non ? Y'a rien bon sang. Ils ont dû s'y faire chier les Aztèques, avec Cortès à leurs trousses .. Cortès the killer! ("Cortès the killer", autre chanson de Neil Young)He came dancing across the water
With his galleons and guns "
Soyez attentifs! CHAQUE DETAIL COMPTE. Il distille des indices savamment, le narrateur-conducteur...
Ah là là il y en a des extraits que je voudrais vous donner, qui m'ont frappée, mais je ne peux pas car je déflorerais l'"histoire".
Le temps parfois s'embrouille : est-il toujours à Atlanta promettant ce fameux voyage de réconciliation à Rosa et le rêvant? Ou les dialogues qu'il nous restitue par bribes ne sont-ils que des réminiscences?
C'est comme un calendrier de l'Avent, il vous ouvre de petites fenêtres de temps en temps mais c'est pas Noël, vous commencez à comprendre peu à peu, à écarquiller les yeux, à frissonner.
"Chéri! Il faut que je te dise, il faut que je t'explique..."
Mais non Rosa. Tu n'as rien à dire, rien à expliquer. Encore moins à jutifier. On va le faire ce long voyage qu'on s'est toujours promis de réaliser.
On va rouler d'abord les yeux fermés d'Atalanta à Auburn et là commencera le voyage, en Alabama. Où on verra si Neil Young et les Lynyrd Skynyrd se tirent encore la bourre. On cherchera la rivière. On la trouvera. On s'y baignera.
On s'y aimera.
Merde, Rosa, c'est beau comme du Faulkner!"
La scène avec les flics qui contrôlent la voiture à l'arrivée au Texas, un morceau d'anthologie (digne de "Tarrori è Fantasia", le regretté Blog de Marcu Biancarelli) mais là je ne peux plus rien vous dire, désolée...
Et maintenant attachez vos ceintures, car pour un amour fou, c'est un amour FOU.
Allez, un petit morceau de bravoure que vous comprendrez en lisant le livre.
"Par une piste pentue qui s'ouvrait entre les yucas et les genévriers, nous sommes remontés jusqu'à la route de l'Ouest. Les soldats du colonel Mackenzie s'étaient arrêtés au bord du fleuve, derrière nous, ma ruse avait fonctionné, le fracas des trompettes diminuait.
Je ne voulais pas être exilé dans l'Oklahoma, même avec toi, Rosita. Loin de mes territoires de chasse, de mon canyon, des esprits de la tribu...
Hue! Yah! "
Continuez, continuez on n'est pas encore arrivés.
"Ah là oui, Rosa cannelle, c'est pittoresque, cela pourrait être le bout de la route. Non, n'est-ce pas, nous n'avons pas encore écouté "on the beach"...
Tu veux te baigner? Attends, attends, que je t'enlève ton bracelet de cheville"
Allez, je vous laisse finir le voyage. Je vais remettre le disque. N'oubliez pas : la musique !
UN OVNI dans la littérature corse
"Young trip" de Jean-pierre ARRIO (éditions ALBIANA, collection "nera" )
Il fait chaud, c'est l'été, vous avez la flemme de lire...
Installez-vous bien, avec une boisson bien frappée, de la musique rock à fond et saisissez ce livre mince qui ne vous fera pas peur.
D'abord c'est un bel objet, noir de chez noir, du plus bel effet sur votre table basse : couverture noire lisse et brillante, fond noir, écrin pour des photos ... des photos que je ne peux guère décrire : insaisissables, indéfinissables.
Alors commencez par les photos, cela c'est à votre portée, même affalé dans votre chaise longue?
Paysages et objets pris sous un angle insolite, objets abîmés, baskets élimées, éléments salis ou cassés, parfois étranges, ou qu' on a du mal à identifier, mais tout cela avec des jeux de couleurs, d'ombre et de lumières, de flous et de fumées, ambiance assurée : on décolle! Le voyage peut commencer (photos Lesia Pietri)
Votre curiosité sera piquée au vif : mais qu'a-t-il bien pu écrire Arrio pour illustrer ces photos, irracontables. ? Et... vous lisez! CQFD.
Eh bien il n'a rien "illustré" du tout, lui aussi ces photos l'ont embarqué dans un voyage et il a écrit quelque chose qui ne ressemble à rien d'autre dans la littérature corse. On dirait le scénario d'un road movie, un vrai trip, on est partis.
Cela commence bien : un voyage de noces bis type seconde lune de miel, croyez-vous, d'un jeune couple vivant à Atlanta, un couple qui essaie de recoller les morceaux, un homme qui semble toujours très amoureux de sa petite femme aux cheveux "cannelle", d'origine indienne.
Ils cherchent une rivière, "leur" rivière. Pourquoi, on verra plus tard... Vous vous dites, une histoire indienne?
Musique fétiche : Neil Young, "Down the river", qu'il met à fond dans la Ford Mustang "Just married", sans clim aïaïaï, avec cette chaleur.
L'homme au volant monologue, sa dulcinée étonnament muette, c'est lui qui parle pour elle...
Alabama, Mississipi, Arkansas, Oklahoma... on en trouve des rivières, ce n'est pas encore la bonne, on traverse vite des paysages, des déserts, des villes, on s'arrête dans des motels, des restaus crades, des stations essence.
Ce n'est pas un guide de voyage dans l'Ouest américain. Voir la halte à Gallup, j'adore l'humour et... quelque chose déjà s'insinue en vous, qui vous retient de rire complètement :
"Aztec avenue! Mais putain Rosa, d'après toi hein? Que seraient venus foutre dans ce bled paumé les Aztèques? (...) Tu ne ris pas. Ah moi ça m'éclate d'imaginer ces mecs en pagne doré, la cour, sa suite, les boeufs chargés d'or et tout et tout, en train de se demander pourquoi on construit Gallup... Monctezuma debout, seul au milieu du désert, les sourcils froncés : "C'est pas l'Pérou!"
Gallup, c'est improbable, non ? Y'a rien bon sang. Ils ont dû s'y faire chier les Aztèques, avec Cortès à leurs trousses .. Cortès the killer! ("Cortès the killer", autre chanson de Neil Young)He came dancing across the water
With his galleons and guns "
Soyez attentifs! CHAQUE DETAIL COMPTE. Il distille des indices savamment, le narrateur-conducteur...
Ah là là il y en a des extraits que je voudrais vous donner, qui m'ont frappée, mais je ne peux pas car je déflorerais l'"histoire".
Le temps parfois s'embrouille : est-il toujours à Atlanta promettant ce fameux voyage de réconciliation à Rosa et le rêvant? Ou les dialogues qu'il nous restitue par bribes ne sont-ils que des réminiscences?
C'est comme un calendrier de l'Avent, il vous ouvre de petites fenêtres de temps en temps mais c'est pas Noël, vous commencez à comprendre peu à peu, à écarquiller les yeux, à frissonner.
"Chéri! Il faut que je te dise, il faut que je t'explique..."
Mais non Rosa. Tu n'as rien à dire, rien à expliquer. Encore moins à jutifier. On va le faire ce long voyage qu'on s'est toujours promis de réaliser.
On va rouler d'abord les yeux fermés d'Atalanta à Auburn et là commencera le voyage, en Alabama. Où on verra si Neil Young et les Lynyrd Skynyrd se tirent encore la bourre. On cherchera la rivière. On la trouvera. On s'y baignera.
On s'y aimera.
Merde, Rosa, c'est beau comme du Faulkner!"
La scène avec les flics qui contrôlent la voiture à l'arrivée au Texas, un morceau d'anthologie (digne de "Tarrori è Fantasia", le regretté Blog de Marcu Biancarelli) mais là je ne peux plus rien vous dire, désolée...
Et maintenant attachez vos ceintures, car pour un amour fou, c'est un amour FOU.
Allez, un petit morceau de bravoure que vous comprendrez en lisant le livre.
"Par une piste pentue qui s'ouvrait entre les yucas et les genévriers, nous sommes remontés jusqu'à la route de l'Ouest. Les soldats du colonel Mackenzie s'étaient arrêtés au bord du fleuve, derrière nous, ma ruse avait fonctionné, le fracas des trompettes diminuait.
Je ne voulais pas être exilé dans l'Oklahoma, même avec toi, Rosita. Loin de mes territoires de chasse, de mon canyon, des esprits de la tribu...
Hue! Yah! "
Continuez, continuez on n'est pas encore arrivés.
"Ah là oui, Rosa cannelle, c'est pittoresque, cela pourrait être le bout de la route. Non, n'est-ce pas, nous n'avons pas encore écouté "on the beach"...
Tu veux te baigner? Attends, attends, que je t'enlève ton bracelet de cheville"
Allez, je vous laisse finir le voyage. Je vais remettre le disque. N'oubliez pas : la musique !
Personnellement, j'ai trouvé que les photos étaient très fortes, parce qu'elles donnaient le sentiment d'avoir été prises aux Etats-Unis (alors que...), comme quoi c'est bien un livre sur nos imaginaires (la force de nos imaginaires qui investissent n'importe quel objet ou presque). J'ai trouvé que le ton aussi, le ton du narrateur était très vivant, faisant passer des émotions très variées (une version théâtralisée serait superbe, je pense). Un livre comme un jeu, qui s'amuserait à rejouer les morceaux aimés et à les lier dans une histoire à la fois drôlatique et sordide (dans la lignée des road movies, entre liberté et virée suicidaire). Je note tout de même que c'est encore une histoire d'amour tragique (pour un auteur qui aimerait que la chanson corse soit joyeuse !).
RépondreSupprimerEn plus de le relire à haute voix, ce livre me donne envie de découvrir toutes les chansons citées (vite sur Internet !) et de me replonger dans "O Révolution" de Danielewski... (Et pourquoi les auteurs de cet ouvrage ne proposeraient-ils pas une version numérique, donc multimédia, de cet ouvrage : le premier ouvrage vraiment numérique des éditions Albiana... ? Ce n'est pas une bonne idée ?