C'est avec un grand plaisir que je relaie dans ce billet un message écrit par Olivier Jehasse et Jean-Marie Arrighi.
Le duo d'historiens répond point par point aux objections et critiques émises dans les commentaires au billet "Toutes les réponses sont dans ce billet !"...
Le combat (pardon, le débat) continue !
(J'ai simplement ajouté des intertitres en rouge - peut-être en léger décalage avec les propos des auteurs - et souligné en gras les phrases qui ouvrent des pistes de travail, mais l'ensemble est à discuter, bien sûr).
Voici ce que nous pouvons répondre aux différents intervenants du blog :
Un Etat corse au XVIIIème siècle : matière à interprétations
Pour nous il ne s’agit évidemment pas de nier le travail de ceux avec qui nous avons des désaccords. Mais, au contraire d’autres époques que l’on peut envisager de plus loin et plus sereinement, l’histoire du XVIIIIe siècle corse est étroitement liée aux choix politiques et sociaux actuels. C’est l’époque des révolutions et de la formation des nations modernes. La Corse y a disposé d’un Etat jusqu’à la conquête française, c’est un fait admis de tous.
C’est sur l’interprétation de ce fait que les divergences surgissent : s’agissait-il d’un Etat solide, détruit par l’intervention militaire d’une grande puissance, ou d’un Etat non viable, que ses contradictions internes condamnaient à disparaître de toute façon ?. Si on pense que les Corses ont « adhéré » en 1789 à la nation française de manière définitive, on est tenté de monter en épingle les difficultés du régime de Paoli, que nous signalons pour notre part (problèmes financiers, petit nombre de cadres compétents, volonté d’affirmation des notables). Si on pense que la Corse était et reste une nation, on risque de mettre en valeur les seules réussites de Paoli, bien plus évidentes. Dans les deux cas, aucun historien n’invente, mais choisit quels faits mettre en valeur. S’il est de surcroît membre d’un parti politique, et même de sa direction, ce qui est le cas pour Rovere et Casanova, mais pas nous, il peut difficilement s’en abstraire. On trouve parfois ce qu’on ne cherchait pas, mais bien plus souvent ce que l’on espérait trouver.
Nous pouvons ajouter que, dans le cas du XVIIIe siècle corse, l’analyse communiste traditionnelle présente des blocages qui sont liés à l’histoire du marxisme français (survalorisation du peuple nécessairement de gauche, sous valorisation de la nation nécessairement de droite) malgré un texte de Staline sur les nations qu’il faudrait réétudier mais qui était occulté par la direction intellectuelle du PCF dans ses revues théoriques et dans ses productions historiques : l’époque révolutionnaire avait été prise en main par Soboul qui de la Sorbonne mandarinait toutes les problématiques historiques (j’ai été son étudiant - parenthèse d'Olivier Jehasse) au nom du peuple souverain ce qui l’enfermait dans une vision très hostile aux mouvements nationalitaires (à l’époque ils n’étaient que régionalistes d’ailleurs) et suprême drôlerie au nom de l’internationalisme prolétarien, ce qui était très beau intellectuellement mais complètement décalé par rapport aux aspirations de la jeunesse des années 70 qui était entrée dans une production théorique beaucoup plus libertaire. Il faudrait avoir le temps de raconter tout ça, parce que ce fut un grand moment. En Corse le PCF et ses historiens ont ressenti le développement du mouvement corse comme une attaque frontale contre lui (ce qui n’était pas faux) et sa production intellectuelle s’en est ressentie car les premiers autonomistes faisaient fort : ils piquaient Jean Nicoli au panthéon de la Résistance, parce que cela contrariait l’histoire officielle de la résistance écrite par Choury qui était la bible du PC. Ils s’étaient saisi du concept de peuple et les productions explicatives (elles n’étaient pas encore de la théorie, quoique !) réalisées par des idéologues de formation marxiste qui hésitaient entre antistalinisme et neostalinisme (c’est beau l’histoire intellectuelle de la revendication corse, elle mériterait une enquête sérieuse tant elle est foisonnante !) donnaient des boutons au PC qui défendait toujours une ligne ouvriériste, alors qu’avec Mao qui, avec la Révolution culturelle était devenu la nouvelle référence de la jeunesse politisée, c’était l’idée du peuple paysan qui prenait le dessus. D’où des débats forts et fermes (nous nous souvenons de quelques fêtes de Terre Corse à Ajaccio et Bastia en 76-77 où on avait bien ri mais sacrément discuté avec de bons dirigeants locaux). Bref nous nous connaissons bien, nous nous affrontons idéologiquement mais pas humainement et en 2009 le débat continue toujours et pourtant la roue à tourné et les conditions historiques sont totalement nouvelles.
Le "parti français" en Corse : combien de divisions ?
Concernant l’existence d’un « parti français » au XVIIIe, sa présence est certaine, même si le mot parti apparaît trop fort par rapport à l’état idéologique des Corses. Le mot parti recouvre le corse partitu et ce système d’allégeance ancien (il date du Moyen Age, voire plus tôt) ne correspond pas exactement à l’intérêt que les élites corses pouvaient porter à l’histoire et au pouvoir français dont les aventures italiennes ne les avaient pas laissées ignorantes de son poids naissant en Méditerranée. Son importance a cependant été très exagérée. Antonio Colonna, souvent cité à ce sujet, est à peu près de tous les « partis » autres que génois. Il existe une politique française consciente à partir de la création du Royal Corse, mais elle ne concerne qu’une petite minorité de Corses.
Le ralliement des notables après la conquête pose un autre problème. Pour beaucoup de ceux-ci, la cause de la révolte était l’impossibilité de toute promotion dans le cadre génois. Une fois Gênes chassée, toute solution qui garantit aux Corses des emplois et des titres est bonne à prendre : un Etat corse, ou bien une grande puissance, la France mais aussi l’Angleterre un peu plus tard, sans oublier les Etats italiens auxquels beaucoup sont liés par leur histoire familiale (cf Vergé-Franceschi).
Après la Révolution française, on a non pas un mais deux « partis français » : un monarchique, celui des ralliés de 1769 ; un républicain composé d’anciens patriotes qui ont quitté Paoli (qu’on pense à Antoine Gentili, ancien compagnon d’exil, à Abbatucci, etc.).
Paoli face à l'Angleterre
Concernant la dépendance envers l’Angleterre on ne peut totalement suivre le point de vue exprimé : Paoli est un politique et justement il est en rupture avec la tradition corse du mercenariat, et il ouvre un nouveau système d’alliance stratégique reposant sur une pensée totalement neuve : transformer les structures communautaires traditionnelles corses, en proto démocratie (nous disons proto parce que cette démocratie du XVIIIe ne correspond pas à notre vision post seconde guerre mondiale. Quant à sa liberté vis-à-vis de la couronne elle est totale, la royauté anglaise ne fonctionne pas comme l’état français, elle garde toujours plusieurs solutions sous la main et ne manipule pas. Enfin là encore il faudrait développer… car nous ne sommes pas atteint d’angélisme ni d’anglophilie….
L’appel de Paoli aux Anglais en 1793 va de soi dans une situation qu’on peut considérer comme de guerre mondiale. Si on rompt violemment avec un des camps, on est condamné à s’allier à l’autre pour survivre, surtout quand on n’a pas seul les moyens militaires de conquérir les ports tenus par l’adversaire. Paoli le fait sans renoncer à ses idées démocratiques et à son estime pour la révolution française, comme Elliot le constate avec surprise. Mais la guillotine, c’est désagréable. Napoléon fera suggérer plus tard à Paoli de dire qu’il a rompu non avec la France mais avec la Terreur.
La situation de Paoli au moment de la révolution américaine est du même genre (affrontement mondial entre deux grandes puissances, l’une alliée et l’autre ennemie). Il est pensionné de l’Angleterre, comme nombre des siens, et en espère le rétablissement de l’indépendance corse quand la conjoncture le permettra. Ses partisans sont des exilés embauchés dans l’armée britannique, pas explicitement pour combattre les Américains. Dans la guerre d’Amérique, comme plus tard dans les guerres napoléoniennes, il y a des Corses des deux côtés. L’histoire consiste aussi à accepter de se placer dans les situations concrètes de l’époque concernée plutôt que de s’en tenir à un point de vue de principe atemporel.
Paoli à Londres ne s’exprime pas sur la politique anglaise en général, ni sur la révolution américaine, sauf par le vague « non posso voler male agli Americani ». Les affinités idéologiques des deux révolutions sont évidentes même si le « remember Paoli » fait allusion en effet au massacre par les Anglais de troupes américaines près de la « General Paoli’s tavern » dont le nom montre bien la diffusion du mythe.
De la Nation, une nouvelle fois
Le terme de nation a un sens ancien, celui d’origine commune. Depuis la révolution française, il peut se définir soit sur des bases politiques (choix de vivre ensemble dans le même cadre, de créer ensemble un Etat), soit sur des bases « objectives », linguistiques, historiques, géographiques, etc.. L’accord est loin d’être total même aujourd’hui « en droit et en sciences politiques », notamment d’un pays à un autre. La première définition, dominante en France, présente le risque de confondre nation et Etat. Que dire de la Pologne qui de 1795 à 1918 n’a plus d’Etat ? Cesse-t-elle d’être une nation ? La seconde, de tradition allemande mais aussi ensuite marxiste et léniniste, risque d’interdire le libre choix des populations. En Corse les trois sens sont présents au XVIIIe : « nation » peut indiquer les Corses en général, ceux de l’intérieur par rapport aux villes contrôlées par Gênes, ou seulement ceux qui participent à la lutte patriotique.
Paoli, un ange ?
Sur le fait qu’il n’y ait pas à « angéliser » Paoli, ni aucun autre homme politique, c’est bien évident. Tout ce qu’on peut dire c’est que son régime doit être évalué par rapport à son temps et aux autres révolutions de l’époque, et qu’il apparaît nettement moins dictatorial et moins sanguinaire que ce qu’on connaît alors en Europe.
Et le "paolisme" ?
Etre paoliste pour nous, en résumé, cela veut dire défendre des valeurs universelles sans transiger, dans le cadre d’une société donnée dont on respecte l’identité. Ce n’est pas contradictoire.
Ce blog est destiné à accueillir des points de vue (les vôtres, les miens) concernant les oeuvres corses et particulièrement la littérature corse (écrite en latin, italien, corse, français, etc.). Vous pouvez signifier des admirations aussi bien que des détestations (toujours courtoisement). Ecrivez-moi : f.renucci@free.fr Pour plus de précisions : voir l'article "Take 1" du 24 janvier 2009 !
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O FXR ùn la facciu più à seguità, chì ritimu!
RépondreSupprimerOK, prenons un peu de temps, et de recul.
RépondreSupprimerIl est vrai que j'ai quelques livres à lire...
Vous voyez là l'effet obsessionnel de la littérature corse : un objet mystérieux et peut-être inexistant qui réclame donc beaucoup d'efforts pour accéder au merveilleux statut de "fantôme imprécis" (cf l'expression de Pierre Bayard, voir le billet "Du soutien").