lundi 22 juin 2009

Un récit de lecture : Francesca

Voyant - via la liste de diffusion "Cuurdinazione corsa" - que Francesca faisait la promotion enflammée du premier livre de Jean-Pierre Arrio (que je n'ai pas lu), j'ai sollicité ce "récit de lecture" (vous savez comment il est défini sur ce blog, et que chacun d'entre vous peut proposer le sien).

C'est avec plaisir que nous recevons donc trois extraits commentés de "Cosu Nostru" (édition Albiana, 2009) ! (Evidemment, si vous n'étiez pas du même avis que Francesca, un propos contradictoire et argumenté serait le bienvenu.)

Le message sur Cuurdinazione corsa

A lire sans se prendre la tête, un excellent polar 100% ajaccien, « Cosu nostru » : en français mais avec de nombreuses incursions du corse dans les dialogues (comme dans la vie), la vie ajaccienne plus vraie que nature, de l’humour, de la « macagna », ce qui n’exclut pas une vision de la Corse d’aujourd’hui intéressante, tous les ingrédients du « polar » dans une veine authentiquement corse. On rit, il y a du suspense, on se reconnaît, ou alors on identifie son voisin (or, tout est fiction, inutile de chercher des modèles existants)…

Chez Albiana. par Jean-Pierre ARRIO, dont c’est un coup d’essai : un coup de maître.


Récit de lecture 1

L'ispettore Battì Stellini hè un "estetu" à modu soiu...mi sò spanzata :

Sans être particulièrement calmes, les nuits ajacciennes n'étaient plus secouées par les nuits bleues des années quatre-vingts, où l'on pouvait compter trente ou quarante botti en ville même ou sur la rive sud, dont le bruit arrivait alors en roulant sur les flots du golfe, grondant comme la répercussion d'un coup de tonnerre.

Parfois c'était imperceptible, seules les grandes vitres des baies de l'appartement tremblaient. D'autres fois l'écho renvoyait le son amplifié : ça, c'est si ça sautait vers le quartier des Salini ? Le mieux, niveau sonorité, c'était l'attentat urbain : ça claquait sec ! le coeur faisait un bond dans la poitrine.

Mais l'idéal, le fin du fin, le dessert de l'inspecteur, c'était le mélange de tout ça les soirs d'hiver glacé. Une "ambiance Belfast" de révolution en marche ! Mieux qu'une séance ciné : l'impression que l'inéluctable était en route. Combien avait-il passé de nuits étoilées à évaluer les charges, à chercher la localisation, à réfléchir sur les destinataires putatifs ?

Tiens ! Cette nuit promettait finalement : un concert de sirènes de bon aloi trouait la nuit de son cri d'espoir, traversant la ville vers le lieu, peut-être, de quelque tentative... qui sait ? L'inspecteur se cala confortablement dans son fauteuil et alluma sa Marlboro.

Vingt-trois heures cinquante. Une détonation sourde et courte, un léger écho, pas de vitre qui tremble... : petit attentat vers la sortie de la ville, un véhicule peut-être, une vengeance, sûrement.

Minuit et six minutes. La déflagration avait surpris l'inspecteur en train d'allumer une autre clope : forte, pas d'écho, la vitre derrière lui qui vibre... : plein centre. Une banque certainement, ou non, tiens ! les impôts plutôt. Il ferma les yeux à demi et renversa langoureusement sa tête sur le dossier du fauteuil en laissant lentement s'échapper la fumée de sa cigarette.

Minuit seize. Elle est puissante celle-là...

è a surpresa pè l'ispettore serà putente anch'ella!

Un veru stilu d'autore, un spiritu cù a distanza, hè què chì mi piace.

Arrio sfrutta tutti l'ingredienti "nustrali" per fà un veru "polar", Aiacciu hè l'Aiacciu urdinariu in a so vita cuttidiana ma piglia un visu neru, stranu, tuttu fenduci ride à ogni pagina.

A dicu subitu, ùn sò fan di i polar, ma cunnoscu u generu cumè tutt'ognunu (cumu fà altrimenti, simu nutriti da u sinemà americanu è u sinemà francese ùn pare più capace di fà altru chè u polar (micca cusì bonu, d'altronde). Mi pare di rispettà tutte e regule di l'arte quessu, cù in più un "cosu nostru"...

Récit de lecture 2

Nantu à i raporti trà a Corsica è u cuntinente, eccu un passagiu chè trovu bè vistu nantu à a "tendenza" di i Francesi, di qualsiasi categuria suciale o intellettuale, à caccià a parolla "Republica" cum'è un esorcistu caccia u so crucifissu da alluntanà u Diavule, ogni volta ch'ellu si tratta di a Corsica ; ghjuveria a Corsica da unificatrice di a Francia, da cunsulatrice di tutti i so guai, da ersatz di a so grandezza culuniale persa...?

Battì avait découvert avec étonnement dès ses premiers pas sur le continent que des gens d'horizon divers, des progressistes, des humanistes, des fonctionnaires souvent, se découvraient immanquablement, au sujet de la Corse, des missions à accomplir ; ou une vocation de civilisateurs francocentristes dès l'abord des côtes de l'île. Effectivement l'homo corsicanus s'étonnait encore vaguement que tel libre penseur libertin libertaire occupé d'ordinaire à philosopher sur l' art contemporain dans l'éducation des masses mute instantanément en parangon de vertu républicaine au contact de ce fief de bouseux rétrogrades ; tel écrivain raffiné se transformait illico en censeur jacobin ; tel recteur d'académie ouvert et fin lettré y devenait en moins de temps qu'il ne faut pour le dire un beauf de première zone ! Tel amuseur télévisuel à l'esprit d'ordinaire acéré et subtil se changeait, dès que le sujet était abordé, en raseur balourd. Tel artiste tourmenté et hypocondriaque se découvrait aussi sec un point d'équilibre immuable et transcendant : l'idéal français!
Même chose pour certains flics... Celui-là appartenait apparemment à la portée.
Nous sommes le révélateur de l'unité républicaine, là est le rôle des Corses, leur voie ; là est le chemin : participer à donner à cette nation en souvenir un idéal commun autour de la remembrance originelle, de la fade réminiscence d'un passé colonial unificateur.

(...)

Nantu à l'architettura senza ambizione nè identità di a cità d'Aiacciu, peghju, u scempiu di i so lochi storichi, qualchì nota intelligente è ghjusta in u passagiu quì sottu :

(L'ispettore, mudernista, celibatariu dipoi a partenza di a moglie, si cerca un loft, chiestula impussibule in Aiacciu.)

C'était un bourg endormi et ronronnant, bien que jeune, et sans activité commerciale particulière, contrairement à sa soeur ennemie, Bastia, nettement plus industrieuse et avec une réelle histoire citadine qui se reflétait dans ses quartiers, ses rues et ses immeubles.

Le "vieil" Ajaccio en revanche ressemblait à un hameau, certes charmant, mais constitué seulement de quelques artères et venelles et entouré d'une immense banlieue. Même les "beaux quartiers" s'apparentaient plus à une zone périphérique de cité-dortoir qu'à une ville méditerranéenne : aucun charme, aucun cachet, aucune unité... C'était à se demander comment les prix de l'immobilier avaient pu atteindre de tels sommets pour des constructions si peu élégantes.

Pas une seule des municipalités qui se succédaient depuis des décennies n'avait été en mesure d'appréhender correctement ce phénomène. Résultat, des immeubles sans style continuaient à pousser dans l'anarchie la plus totale au gré des ventes de terrain, sans plan d'ensemble ni réflexion.

Sans ambition surtout : ici, nul building de verre ne venait enrichir le paysage de sa touche de modernité; aucune voie nouvelle n'était tracée pour former de nouveaux quartiers et impulser une nouvelle force à la cité; pas de concours d'architectes non plus pour réaliser d'ambitieux plans d'habitats ou de bureaux plus humains en projetant l'identité traditionnelle de la ville dans le futur.

Au contraire, on paraissait s'y délecter d'effacer les seules traces intéressantes du passé : la piazzetta était devenue invisible au promeneur, la fontaine du cours et la caserne avec sa terrasse ombragée de platanes avaient été rasées ; les noms de lieux aux rondes saveurs latines disparaissaient des panneaux signalétiques au fur et à mesure que poussaient les "résidences du Soleil" et autres "allée des Lauriers-Roses"... un gâchis, quoi!

Hè per tutte 'sse note chì u libru mi pare d'andà al di là di u "polar" per porghjeci un ritrattu d'una irunia acuta di a nostra sucetà è in particulare di a cità d'Aiacciu...

4 commentaires:

  1. "enflammée"??

    O FXR, caccia qualcosa...lol

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  2. Iè, mantengu l'aghjettivu ! Parli tù di "excellent" è di "coup de maître"...
    Ma sò d'accordu : hè un pocu forte issa parolla ; ma ghjove l'esagerazione : hè un aperitivu chì face vene a sete.

    Un esempiu : "U più bellu capu d'opera di a literatura corsa hè senza dubbitu "A funtana d'Altea" di Ghjacumu Thiers (edizione Albiana, 1989)"... Chì ne pinsate tutti ?

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  3. Pas mal LARRIO ton polar

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  4. Pas mal ANONYME 20:59 votre commentaire : un extrait aimé de l'oeuvre lue serait la bienvenue ; quelle page serait "pas mal" (et pourquoi, et comment, etc ?)

    Merci de votre venue, à très bientôt.

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