Voici le tout premier paragraphe d'un livre corse que je n'ai pas encore lu... que j'aimerais pouvoir prendre le temps de lire, passant de sa version italienne originale à sa traduction française... dont je me souviens que Leonu Alessandri en disait du bien... (j'avais par ailleurs beaucoup aimé son "Indépendandiste corse", incroyable chronique, notamment du projet de "prise" de Bastia : qu'on ait pu imaginer ça, et le planifier !).
Voici ces premières lignes (de qui sont-elles ? : Francesca et MB n'ont pas le droit de jouer avant que deux jours se soient passés...), lignes qui montrent bien que l'absence de récit - ce silence-là - est le pire des malheurs !
Fra le tante disgrazie patite della Corsica sotto il governo de' Genovesi, non debbe a mio credere la menoma stimarsi quella di esser quel Regno stato mai sempre negletto dai molti e famosi storici, che tolsero il genio laudabile, di esercitare la leggiadria delle lor penne erudite nello Raccontamento fedele di tutti gli avvenimenti, guerre, e mutanze di stato della nostra Italia, e dell'Europa tutta. Conciossiachè il silenzio degli scrittori sinceri non pure ha tenute celate agli occhi del mondo, e de' Principi gli antichi pregi di quell'Isola e suoi Nazionali, ma ancor libero ha ceduto il campo ai Signori Genovesi di farla comparire ai guardi altrui tutta diversa da quel che rimasse fino all' anno 1729, perloché vilipesa e derisa dalle Nazioni tutte si pianse la Corsica. quando per l'opposito nel cuor di tutte svegliar potevano e doveano alta pietade le sue afflizioni, e lodevole rinomanza le naturali sur doti, il valore, e virtù de' suoi popoli, che anche fralle tenebre del vilipeso lor nome non intralasciarono di un qualche raggio di gesta gloriose diffondere al cospetto del mondo.
Parmi toutes les souffrances que la Corse a endurées sous le gouvernement des Génois, il ne faut pas, à mon avis, considérer comme la moins cruelle celle de se voir oubliée de la foule des historiens célèbres qui ont exercé l'art de leurs plumes érudites dans le récit fidèle de tous les événements, guerres et changements de gouvernement de notre Italie et de l'Europe entière. Si bien que le silence des écrivains sincères non seulement a tenu caché aux yeux du monde les mérites anciens de l'île et de ses nationaux, mais encore a laissé le champ libre à Messieurs les Génois pour la présenter aux étrangers tout à l'opposé de ce qu'elle fut jusqu'en 1729. Ainsi la Corse se vit avec tristesse méprisée et moquée par toutes les nations, au moment où ses malheures pouvaient et devaient dans le coeur de toutes éveiller la plus profonde pitié, et lorsque devaient lui valoir une renommée louangeuse ses dons naturels, le courage et la vertu de son peuple qui jamais, même dans les ténèbres de l'opprobre, n'a cessé de faire briller devant l'univers la lumière de sa geste glorieuse.
Ce blog est destiné à accueillir des points de vue (les vôtres, les miens) concernant les oeuvres corses et particulièrement la littérature corse (écrite en latin, italien, corse, français, etc.). Vous pouvez signifier des admirations aussi bien que des détestations (toujours courtoisement). Ecrivez-moi : f.renucci@free.fr Pour plus de précisions : voir l'article "Take 1" du 24 janvier 2009 !
Je crois bien avoir trouvé, et même que j'ai lu le livre lorsque j'étais étudiant, mais comme je n'ai pas le droit de jouer... (Arrighi est bien dans le coup en tout cas, non ?)
RépondreSupprimerSinon j'ai lu aussi le livre de Pantaléon Alessandri, écrit en collaboration avec la journaliste Marie-Ange Poyet. C'est un témoignage me semble-t-il des plus sincères sur l'esprit l'engagement désintéressé de nombreux militants corses des années 70 et 80, et sur la dose de romantisme qui traversait alors le nationalisme corse. C'est plus ce côté là qui m'a marqué que la seconde partie du témoignage, les dérives et l'affrontement interne.
Et puis Alessandri n'est pas qu'un militant intègre de son combat, c'est un vrai conteur, quelqu'un qui possède cette fibre "paisana", terrienne, sensible, comme pouvaient l'avoir certains de nos anciens. Je me souviens d'un passage où il raconte que sa grand mère avait écrit un poème pour lui alors qu'il était en prison. C'est personnellement un des passages qui m'ont le plus ému dans ce livre.
Mais par contre je n'ai jamais réussi à mettre la main sur "Ghjente d'Orezza", ce livre écrit alors qu'il était en détention et qui, si ma mémoire est bonne, fut couronné d'un prix du livre corse.
Etonnant personnage que ce militant sincère, parfois extrême tout autant que naïf (aïe le fameux projet pour s'emparer de Bastia...),qui a assumé avec d'autres des crimes de sang, mais qui a aussi trouvé refuge dans l'écriture et parfois la littérature.
MB
MB,
RépondreSupprimernon Jean-Marie Arrighi n'est pas impliqué dans l'édition de ce texte : il ne s'agit donc pas du "Disinganno intorno alla Guerra di Corsica"(1736) de Giulio Matteo Natali.
J'ai très envie de reprendre ce texte, lu il y a bien longtemps et oublié maintenant (sauf le passage que j'ai "commenté" sur le site d'Interromania : www.interromania.com / Studii / FXRenucci Cumenti, petite anthologie de la littérature corse).
Je vais aller revoir le livre de Pantaléon Alessandri, les passages que tu indiques.
Oui, il a reçu le Prix du livre corse, en 1984 je crois, alors qu'il était en prison ; il me semble que c'est Rinatu Coti qui a reçu le Prix pour lui. C'était pour un recueil de nouvelles écrites en langue corse, "Filette orezzinche" (Cismonte è Pumonti edizione).
Evidemment, comment trouver de tels livres aujourd'hui en librairie ? La bibliothèque corse est en grande partie inaccessible (il faut voir le bon côté : cela fait travailler l'imaginaire...). Il y a eu une traduction en français "Gens et Terre d'Orezza", 1996, même éditeur. Il faudrait demander à Jean-Pierre Graziani qui s'occupait me semble-t-il de cette maison d'édition, ou à Rinatu Coti. Je peux prêter ceux que j'ai.
Je m'étais amusé à regarder de façon un peu allégorique une de ses nouvelles : voir sur le site Interromania, comme indiqué plus haut.
Sebastiano Costa, votre honneur !
RépondreSupprimerci-devant "ex-Auditeur-Général de la Nation Corse", puis "Grand Chancelier et premier secrétaire du dit Roi" (c'est à dire Théodore 1er). Un drôle de type... comme cette période a su en fabriquer un bon nombre...
Un drôle de bouquin aussi et un travail gigantesque de traduction de la regrettée Renée Luciani. Il faut demander une nouvelle édition de ce texte fondamental... (même s'il faudra proablement couper au moins une forêt entière pour cela... deux tomes, 1800 pages ! je ne crois pas qu'il y ait jamais eu d'équivalent dans la production insulaire.
Bravo à l'Anonyme de 21:33 !
RépondreSupprimerIl s'agit bien des "MEMORIE riguardanti IL RE TEODORO scritte di proprio carattere da Sebastiano COSTA già Auditore Generale della Nazione Corsa nel 1735 e quindi Gran Cancelliere e Primo Secretario di Stato del detto Re che visse col medesimo e lo accompagnò nei di lui viaggi"...
C'est vrai que l'ouvrage est très imposant (édité en 1972, à Aix-en-Provence !)
L'introduction de Renée Luciani est très intéressante. Notamment ceci :
"Ces "Mémoires", singulièrement attachants, vaudront sans doute à leur auteur, par leurs mérites littéraires, de prendre la place qui lui revient parmi ses contemporains, de Pietro Giannone à Métastase. Mais aussi l'histoire corse, avec cet ouvrage, retrouve le document qui manquait pour comprendre et connaître les événements de 1732 à 1736. Voltaire, pour écrire son chapitre sur la Corse dans le "Précis du siècle de Louis XV", ne pouvait puiser que dans les Gazettes et les livres de Hollande, dont il connaissait pourtant le défaut d'information. Les historiens du XIXème siècle se sont contentés des "Mémoires" de Rostini dont ils n'ont pas vu la supercherie, ou de ceux de Guelfucci, sans voir que cet auteur laisse libre cours à son imagination. Faute de documents, nos contemporains, à leur tour, font trop souvent appel à la fantaisie, ou bien recourent à des interprétations trop modernes qui rejettent un schéma d'explication préfabriqué sur une réalité qu'il déforme et dont il est impuissant à saisir tous les aspects. Costa nous donne donc, croyons-nous, le document essentiel qui nous manquait, d'une incontestable valeur.
Témoin engagé, Costa est en effet aussi un témoin exceptionnellement véridique : chez lui la passion patriotique a consumé tout intérêt personnel ; le don total qu'il a fait de lui-même lui permet de dominer les factions ; il n'a pas d'oeillères et juge librement. Il ne connaît ni la haine, ni les rivalités personnelles. Bien loin de vouloir dénigrer ses adversaires, il se plaît à trouver, derrière leurs défauts qui mettent en péril le bien commun, les nobles sentiments dont ils sont également animés. Un témoin impassible aurait-il pu pénétrer aussi bien que lui les ressorts des actions et la complexité des âmes ?
Les "Mémoires" nous permettent enfin de retrouver la véritable nature, quelque peu oubliée, du sentiment patriotique corse, et de comprendre l'unité de la volonté, de sentiments et d'idées qui, malgré les heurts et les conflits entre les personnes, les pièves, les générations, lie tous les acteurs de cette guerre de quarante ans."
Maintenant, voici ma question : est-ce qu'Anonyme 21:33 peut nous révéler quelles sont les pages qui le transportent d'aise ? Quelle page voudrait-il (elle) nous mettre sous les yeux ?
J'aurai un peu de mal à répondre à votre sollicitation. Je n'ai fait que survoler l'ouvrage (mais c'est aussi une manère très en vogue de lire, non?).
RépondreSupprimerJe trouve par contre que votre choix de la première page est intéressant car il me renvoie pour ma part à des propos du grand poète palestinien Mahmoud Darwish qui écrivait "who writes the history, inherits the land of that story". Sans historiens difficile d'exister. Tout au moins dans l'acception "moderne" et occidentale du concept d'existence. Le bon Costa avait donc appréhendé cette réalité.
Notons que Darwish poursuit par un lien d'une grande puissance avec le statut du poète. Qui nous concerne aussi. On retrouve ceci dans un entretien filmé par Godard.
Je voudrais aussi dire que je n'ai aucun mérite à avoir trouvé l'auteur de ce texte, bien qu'ayant un peu fanfaronné - comme à un jeu radiophonique - car j'ai eu à le parcourir récemment dans le cadre d'un autre projet concernant les "père fondateurs des révolutions corses" d'Evelyne Luciani et Dominique Taddei. Ayant eu la primeure de cette lecture, je ne peux que dire mon admiration devant la puissance de ces quelques précurseurs. Les textes datent de 1729 à 1733 (trois ans avant Théodore, Costa n'ayant pas encore fait parler de lui). Ils sont incroyablement avant-gardistes et si on a l'habitude de revenir à Rousseau, Voltaire, et ce philosophe napolitain dont paoli aurait suivi les enseignements lors de son exil d'enfance et dont j'ai oublié le nom, pour expliquer les extraordinaires avancées de l'époque de l'indépendance paolienne (écrits politiques, institutionnels, etc.), on se dit que quand même pour l'époque en question ici, 1730 c'est tôt... et que le monde des intellectuels (pas encore formellement des Lumières) est quand même pas si proche de la Castagniccia d'où sont issus nombres de ces pères fondateurs (Citons-les pour le plaisir : Orticoni, le balanin, Giafferi,Ceccaldi, Paoli (u babbone di a patria!), Natali, et d'autres).
Le mystère résiderait dans la diffusion de la philosophie thomiste auprès de nos preti. Bon, même ça c'est quand même extraordinaire car, même avec Saint Thomas en poche il en faut une sacrée dose de désespoir (et donc d'espoir) de courage et de clairevoyance pour écrire les textes en question et risquer sa vie et celle des siens dans une partie où d'avance vous savez que vous êtes le plus faible. Un premier tour d'horizon avait été fait par D.Taddei, E.luciani et L.Belgodere avec leurs "trois prètres balanins". Je trouve pour ma part cette effervescence intellectuelle, politique, stratégique, vraiment bluffante.
Quand on pense à ce qu'il faut déployer comme stratégies pour avoir un seul pauvre député estampillé "nustrale" à Strasbourg et que l'on est contents... on peut se rendre compte du chemin parcouru. Il aura fallu presque trois siècle pour atteindre le degré zéro de la politique et ce, malgré un nombre à nulle part ailleurs égal de personnel politique de tout acabit...
Il doit manquer un souffle quelque part.
Voilà, c'est ce que anonyme 21:33 avait à dire ce soir.
(cher FX vous pouvez retirer la tirade finale qui n'a rien à faire là, mais ça soulage...).
Merci pour ces précisions, je reviens sur certains points :
RépondreSupprimer- les différents types de lecture : le survol (variation du parcours) est tout à fait légitime et très ancien (au moins depuis que les livres existent ; il faudrait vérifier). Vvous avez dû voir le billet consacré à Pierre Bayard et à son "Comment parler des livres que l'on n'a pas lus" ; voir à son nom ; billet intitulé "Du soutien".
- oui, j'ai choisi uniquement le premier paragraphe des "Mémoires" de Costa, la suite nous aurait conduit vers d'autres sujets et c'est bien la question historiographique que je voulais évoquer avec cet auteur.
- j'irai voir les ouvrages consacrés à ces figures historiques de la Révolution corse ; et notamment les "Trois prêtres balanins". Et j'attendrai donc la sortie (juin 2009, dit le site "Culombaghja") de votre ouvrage sur les Pères fondateurs de la Révolution corse.
- le professeur de Paoli à Naples est Antonio Genovesi.
- pourriez-vous fournir les références précises des propos de Mahmoud Darwich (et de ce film avec Godard, qui doit être plus facile à trouver) ? Cela m'intéresserait de le lire plus avant.
- "admiration, incroyable, extraordinaire, bluffant" : après cela, il faudrait absolument que vous fassiez part des passages des textes de ces Pères fondateurs qui ont suscité un tel enthousiasme chez vous ! Ecrivez-moi afin que je place ces extraits commentés par vous dans un nouveau billet ; vous savez que ce blog a été créé pour cela (et pas seulement pour recevoir "mes" billets et "vos" commentaires).
- d'accord avec vous sur le "souffle" qui manque (votre "tirade" finale ne me semble pas déplacée) ; je suis pourtant persuadé que ce n'est pas manque de poumons, de coeurs et de d'esprits avisés ; la question pourrait être la suivante : quelles conditions sont nécessaires pour débloquer un tel "souffle" ? ; variante : que faut-il faire pour se rendre compte que ce "souffle" existe déjà ? Nous sommes nombreux à participer et à vouloir participer en conscience à une "effervescence", non ?