Ce blog est destiné à accueillir des points de vue (les vôtres, les miens) concernant les oeuvres corses et particulièrement la littérature corse (écrite en latin, italien, corse, français, etc.). Vous pouvez signifier des admirations aussi bien que des détestations (toujours courtoisement). Ecrivez-moi : f.renucci@free.fr Pour plus de précisions : voir l'article "Take 1" du 24 janvier 2009 !
mardi 3 août 2010
Comment ça fonctionne ici (7) : le retour de Roubaud (Jacques)
Après discussion avec André Blanchemanche, concernant Jacques Roubaud, poète et mathématicien, oulipien, à l'oeuvre abondante et enthousiasmante, je retourne quelques cartons dans le garage, déplace un vieille étagère à démolir, et la saisissant, fais glisser quatre livres ayant échappé aux cartons ; quatre livres dont "La Boucle" de Jacques Roubaud !
Je m'en saisis, je le feuillette, je décide de m'arrêter sur les pages suivantes (car j'y vois - moi aussi - beaucoup de choses...) :
Récit
Chapitre 1
Fleur inverse
1 Pendant la nuit, sur les vitres,
Pendant la nuit, sur les vitres, le gel avait saisi la buée. Je vois qu'il faisait nuit encore, six heures et demie, sept heures ; en hiver donc, dehors noir ; sans détails, noir ; la vitre couverte des dessins du gel à la buée ; sur la vitre la plus basse, à la gauche de la fenêtre, à hauteur du regard, dans la lumière ; d'une ampoule électrique, de l'ampoule jaune ; jaune contre le noir intense, opaque, hivernal, la buée s'interposant ; pas une buée uniforme, comme à la pluie, mais une gelée presque transparente au contraire, dessinant ; un lacis de dessins translucides, ayant de l'épaisseur, une petite épaisseur de gel, variable, et parce que d'épaisseur variable dessinant sur la vitre, par ces variations minuscules, comme un réseau végétal, tout en nervures, une végétation de surface, une poignée de fougères plates ; ou une fleur.
(...)
3 Ma fréquentation de cette image
Ma fréquentation de cette image est, elle-même, déjà ancienne : quand je pense le passé, le passé le plus éloigné (selon les repères chronologiques dont je dispose), elle m'apparaît parmi les premières : par le moment, hypothétique, de sa trace, tout autant que par sa rapidité à m'apparaître. Elle est une des visions les plus significatives de l'enfance. Elle est intense, importante, chargée d'émotion. C'est une image des débuts du temps. J'ai l'habitude de voir sa vitre nocturne, couverte des fleurs du gel.
(...)
Mais un jour (que je ne peux dater avec précision, sinon qu'il remonte à plus de vingt ans sans doute, et en tout cas ne peut qu'être postérieur au rêve qui fut la cause lointaine de toute cette écriture, de cette entreprise qui, depuis maintenant quatre ans, dévore les premières heures, nocturnes, de mes journées), un jour j'ai associé cette image à une parole, une parole de poésie (si j'admets pour un moment que la poésie est parole, une "musique de bouche proférant paroles métrifiées", comme disait Eustache Deschamps), une parole donc, déposée sur un papier il y a des siècles, et prise, sur ce papier, entre les blancs, les "bords" qui définissent un vers :
Er resplan la flors enversa
Ces mots emplissent, sans fractures, le premier vers d'une canso (une "chanson", un poème-musique) du troubadour Raimbaut d'Orange, composée il y a plus de huit siècles, dans une langue aujourd'hui quasi morte mais qui est pour moi la langue-origine de la poésie, le "provençal" : "Maintenant brille (resplendit) la fleur inverse." Je la nomme dans ce récit "provençal", plutôt qu'occitan ou lemozi comme la désignaient jadis les Catalans : ces autres désignations ouvrent à des imaginations différentes, et pour moi moins émouvantes, de cette poésie. Pour choisir la première, j'ai mes raisons. Raimbaut d'Orange ne laisse pas longtemps ignorer le sens premier de ce groupement étrange : "quals flors" dit-il ("quelle fleur ?"). Et il se répond à lui-même, renchérissant sur le solipsisme spontané, absolu, de tout vers : "neus gels e conglapis" (neige, gel et "conglapi"), présentant en ce dernier vocable, si rare qu'il n'apparaît que là, on ne sait exactement quoi de gelé, mais que je décide de comprendre, pour les besoins de ma composition, précisément comme la conjonction vitrifiée de neus (neige) et de gels, comme la condensation d'un bruit-buée et d'une froide substance, emblématique du froid même, entendant en lui tout un "glapissement", et le crissement des copeaux du froid, transparents, glissant et criant sous l'ongle :
Er resplan la flors enversa
Pels trencans rancx e pels tertres.
Quals flors neus gels e conglapis
Que cotz e destrenh e trenca.
(Alors brille la fleur inverse
entre falaises tranchantes et collines.
quelle fleur ? neige gel et glace
qui coupe et tourmente et tranche.)
Or toute aube est un printemps, même une aube de gel. Et dans ce début paradoxal d'une canso amoureuse Raimbaut d'Orange, au lieu de laisser retentir, comme le veut la tradition, les chants doux et didactiques d'amour des instituteurs-oiseaux, les essenhadors del chan, fait parler des rossignols abstraits (l'expression "enseignants du chant" est d'un autre troubadour, Jaufre Rudel : les oiseaux sont ceux qui "enseignent le chant" dans la "douce saison suave", "enseigner" devant être compris ici à la manière languedocienne d'aujourd'hui, comme "apprendre à trouver" : "je t'enseignerai la lièvre" disait, et je l'entends dans mon oreille après cinquante années, un chasseur à un chasseur). Il met des glaçons à la place des gorges rouges-absentes, des gosiers transis de loriots ou d'alouettes, de leur chant mort de froid :
Vey mortz quils critz brays siscles
(je vois morts appels, cris, bruits, sifflets)
(...)
Car il ne s'agit pas là simplement d'une métamorphose insolente de la métaphore "printanière" de la tradition (les commencements du chant de poésie, au printemps, identifiés au chant amoureux des oiseaux), mais aussi de l'affirmation d'une façon de dire en poésie, qui se prolonge bien au-delà du moment privilégié de la découverte des fleurs chantantes du gel. On pourrait la définir comme étant la Voie de la double négation (qui a ses versions parentes et parallèles, philosophiques, théologiques, et même logiques) : le gel nie la fleur et le chant. Mais dans le désert du gel fleurit une fleur paradoxale, dans son silence résonne une insistante disharmonie, et de cette floraison "hirsute", comme de cette atonalité polaire, renaissent, à l'évocation vibratoire du vers, simultanément la musique heureuse et sa disparition désespérée.
(Concernant la photo trouvée sur Flickr :
Notes:
This digital image represents the millionth item scanned for the Prints & Photographs Division at the Library of Congress.
Data provided by the Bain News Service on the negatives or caption cards: Schaefer, Washington.
Photo shows Herman A. "Germany" Schaefer (1876-1919), one of the most entertaining characters in baseball history, trying out the other side of the camera during the Washington Senators visit to play the New York Highlanders in April, 1911. Germany Schaefer, a versatile infielder and quick baserunner, played most of his career with the Detroit Tigers and the Washington Senators. hdl.loc.gov/loc.pnp/pp.ggbain
Forms part of: George Grantham Bain Collection (Library of Congress).
Subjects:
Baseball players.
Cameras.
Baseball
Format: Glass negatives.
Rights Info: No known restrictions on publication.
Repository: Library of Congress, Prints and Photographs Division, Washington, D.C. 20540 USA, hdl.loc.gov/loc.pnp/pp.print
General information about the Bain Collection is available at hdl.loc.gov/loc.pnp/pp.ggbain
Persistent URL: hdl.loc.gov/loc.pnp/ggbain.09131)
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Nous devons être aux environs des 7 heures,au moment où les premières pressions de la rosée ont déjà été bues par des escargots sans abris.
RépondreSupprimerCela était simplement dit pour situer la bulle de temps.Place maintenant à Monsieur Jacques Roubaud.Il n'aimerait pas le Monsieur,et il aurait raison,tout comme Jules Laforgue dont il parle si bien,ce mathématicien de la couleur,ce "géométricien" des nuances."La boucle" si mon souvenir est encore alerte date des années 1990 à quelques chose près,quelques années auparavant,il donnait à notre lecture un ouvrage,puisque vous parlez d'enthousiasme,absolument annonciateur-je tiens à cette terminologie-.Bon allez place à lui:"...cette image se présente pour la millième fois à neuf avec la même violence elle ne peut pas ne pas se répèter indéfiniment une nouvelle génération de mes céllules si temps il y a trouvera cette duplication onéreuse........ces tirages photographiques internes je n'ai pas le choix maintenant...... Rien ne m'influence dans la noirceur...."
Je ne peux pas continuer à le citer de mémoire.
Mais quelle brillante idée vous avez eue en vous faisant un temps corsaire dans les îles de votre garage!!!Jacques Roubaud dont on ne parle pas assez et Raimbaud d'Orange dont il parle si bien.
Merci et bon petit déjeuner.;;;
conglapi !
RépondreSupprimerce poème est bien parlant
que vous comprites immédiatement
le sens en ce mot tapi
conglapi !
qui mèle neiges et vent
froid, gel et puis sifflement
des fines goutes de pluie
conglapi !
oyez le glapissement
de même le crissement
de l'hiver et de la nuit
conglapi !
c'est une pluie glacée
d'ultime souffle d'hiver
qui tombe drue et serrée
gel et eau de matière
conglapi !
la pluie froide
de mars
roide
la garce !
(desolé...)
JPA
(ah, au fait, insignà, en corse aussi veut dire indiquer, montrer: "insegnami a strada o amicu !"