lundi 6 juillet 2009

Michel Chaillou : de la lecture

Il faut conserver des traces (papier, écrits numériques, rêves racontés plus tard, propos au café, vidéos sur internet ou fichiers audios, etc) ; et si possible des traces denses et elliptiques à la fois, qui donnent le temps de réfléchir, d'y revenir et d'y répondre.

J'espère que de tous les festivals littéraires, rencontres et débats dont nous avons été et serons comblés (voir ici et ici), nous aurons des traces, quelles qu'elles soient. Vous pouvez en faire ici, sur ce blog, notamment.

Un exemple de trace qui me ravit : des propos de Michel Chaillou, prononcés en décembre 1998 et transcrits (?) sur le site de Remue.net le 3 mai 2004. Il évoque ses lectures, la lecture, certains mots lus et élus comme "prophéties" ; je trouve ces propos d'une grande densité, car j'y sens (mais peut-être pas vous ?) le grain de sa voix, le déplacement de ses yeux sur les pages (Barbey d'Aurevilly, Balzac), la forme de son esprit face aux intrigues et aux vocabulaires, face aux rythmes des phrases et aux situations morales des personnages.

Je vous engage à lire ce beau texte sur ce que peut être la lecture.

En voici un extrait :

Une autre chose que je voulais vous dire et que j’ai noté, c’est que dans des livres, aussi, et ça c’est très bon pour la technique, c’est qu’il y a des mots qui sont des prophéties du livre. Je veux dire par là qu’il y a des mots qui contiennent tout le livre, et cela, bien souvent, à l’insu du narrateur, de l’écrivain. C’est-à-dire des mots qui préfigurent en eux-mêmes l’histoire et qu’il n’y aurait plus qu’à déblayer. Des mots qui sont en avance sur le récit. Et ce qui est très intéressant - quand j’enseignais c’est ce que je faisais - c’est d’essayer de montrer dans les textes ces mots qui sont en avance sur l’histoire. Ces mots que l’écrivain, poussé par une espèce de force subtile et obscure, avait notés pour le rythme. Le rythme, c’est la façon dont les mots ont cette manière subtile de s’accrocher les uns aux autres. Mais justement, les mots sont en avance et donc ils contiennent déjà en germe toute l’histoire. Et c’est cette espèce de succession germinative de l’histoire qu’il est intéressant de remarquer au fur et à mesure qu’on lit. Vous me direz que dans beaucoup de livres qui paraissent, il n’y a rien de tout cela. C’est-à-dire qu’il n’y a que le lieu commun de l’époque qui s’est déversé, et en général ce sont les livres qui ont du succès. Je ne dis pas que tous les livres qui ont du succès sont ainsi, mais les livres qui ont du succès ce sont les livres, les best-sellers comme on peut dire, remplis de lieux communs. Le lieu commun c’est un lieu où déjà tout le monde est, et donc c’est à l’insu des lecteurs qui apportent ce qui manque au livre. D’ailleurs ces livres, quand l’époque a disparu, le manque subsiste et le livre disparaît aussi. Et il y a plein d’exemples : qui se rappelle de Paul de Saint-Victor, par exemple, qui occupait une plus grande place que Baudelaire dans la revue L’Artiste. Il avait deux pages, Baudelaire avait un mince filet... Il y a plein d’exemples de cet ordre.

Et nous pourrions ensuite nous interroger : quels sont les "mots-prophéties" du dernier livre corse que nous avons aimé ?

(Je découvre aussi avec beaucoup d'intérêt le blog-notes de ce beau lecteur qu'est Michel Chaillou).

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