Rouvrant le livre, je tombe là-dessus, le début du chapitre V, avec cette litanie (j'avais refeuilleté le livre déjà, plusieurs fois, sans arriver à me remémorer l'histoire, avec le vague souvenir entêtant d'une virée à Marseille du journaliste qui est le personnage principal, je l'avais refeuilleté sans avoir été "arrêté" par un passage en particulier ; façon de faire, je le concède, qui n'est guère charitable pour un livre, et cette fois-ci - ce soir du mardi 7 juillet 2009 - je tombe là-dessus, sur cette litanie, cette longue phrase avec un vrai sentiment qui m'envahit, un sentiment qui me fait dire "où nous conduit donc cette phrase ?" et aussi "pourvu qu'elle ne se termine pas", la voici) :
Pas Le Christ mort de Mantegna sur sa pierre aux veinures d'éternité, pas les crânes des vanités peintes, leurs yeux absents, pas l'un des danseurs des cauchemars émaciés de Holbein, pas le Che Guevara, sa peau bouffie et piquée de balles, pas la gloire horizontale des gisants et leur sévérité inaltérable, pas les corps en momies des catacombes de Palerme, leurs paroles douces aux survivants, pas Jim Morrison à la fin, noyé dans sa déraison d'avoir voulu le monde tout de suite, pas les miliciens de Pascal Paoli, leurs cris de défaite et leurs blessures en ricochets sur le fleuve des patries perdues, pas les suppliciés dans leur chemise de douleurs, entourés des chants nasillards de leur espérance, pas les sacrifices de Carthage, la complaisance punique pour l'atrocité, pas les défunts bien connus de Borgu-Serenu, ployant sous les couronnes et les gerbes, lorsque, tirés par le cheval des deuils ils pouvaient encore remonter le Cours central, pas les bergers de nos villages, errants résignés à rejoindre la crypte commune des églises, pas le condamné à mort dans l'épouvante de son corps dissocié, pas les éternels assis des cimetières syriens, pas l'un de nos patriciens, dans l'attente que soit achevée la gloire présomptueuse d'une salute ou d'un mausolée, mais lui.
Voilà la phrase. Je ne cite pas maintenant la suite du paragraphe, car c'est bien cette phrase qui accroche notre regard, sous le chiffre romain du chapitre (V), lui-même suspendu dans le vide du premier tiers de la page 89. Je ne me rappelle pas du reste du livre (que j'avais aimé, beaucoup et que j'ai maintenant grandement envie de relire - et qu'est-ce que sont 124 pauvres pages sinon l'assurance d'une lecture rapide ? Mais je me doute maintenant que de nombreuses phrases vont arrêter ma lecture parce que finalement ce livre conte une histoire toute tracée - tragique à souhait - qui devrait nous conduire aussi facilement qu'un rapide ruisseau jusqu'à la catastrophe mais avec des phrases qui entremêlent ainsi les figures, les temps, les sentiments, on se rend bien compte qu'elles deviennent de petits tourbillons dont il est très difficile d'avoir envie de sortir), je ne me rappelle pas du reste du livre, donc, et j'ai pourtant la sensation d'être tombé au centre de son système nerveux.
Voici la suite :
Lui sans comprendre quand il se retourne et aperçoit une voiture, lui dans l'automne d'un rendez-vous anodin, presque une promenade, lui qui doit nous rejoindre et qui a préféré partir seul. Lui, Jean Masseria, préservé de l'inquiétude, si peu attentif aux signes et au ciel lourd de ce jour-là. Lui, Masseria, à qui Pierrot Finesse, le parrain et quelques faux amateurs d'opéra ont refusé le droit de mettre ses affaires en ordre avant de partir, et qui avance, sur la route, insensible aux gestes et aux regards machinaux de deux vieillards sur un banc, à l'entrée du hameau avant le col qu'il n'atteindra pas, derniers regards humains posés sur lui, fatigués d'années, d'ennui, rendus inquiets par la pluie qui menace. Il connaît la route, la plaine qui s'efface, remarque pour la première fois les restes de volets vert amande au milieu des ruines d'une maison, bientôt il apercevra la mer. Les lacets arrivent, au bout de la ligne droite qu'enserrent des oliviers, la voiture qui le suit, cette voiture rouge le double et le force à piler. Deux hommes s'approchent, et dans l'air tiède, devant les oliviers qui secouent leur indifférence et protestent au milieu des nuages, il s'apprête à leur demander ce qu'ils veulent. Avant qu'il puisse parler, l'air flambe et il entre dans la mort.
Et bien sûr, pour moi (et pour vous ?), le réflexe et le plaisir de revenir à la première phrase :
Pas Le Christ mort de Mantegna...
Le livre est de Jean-Baptiste Predali, journaliste bien connu, mais surtout, pour nous, écrivain, auteur de deux romans dont je n'ai lu que le premier, cité ici, et qui s'intitule "Une affaire insulaire", et qui fut publié aux éditions Actes Sud, en 2003. Peut-être y a-t-il d'autres pages de ce livre que vous aimeriez citer, et présenter ?
Ce blog est destiné à accueillir des points de vue (les vôtres, les miens) concernant les oeuvres corses et particulièrement la littérature corse (écrite en latin, italien, corse, français, etc.). Vous pouvez signifier des admirations aussi bien que des détestations (toujours courtoisement). Ecrivez-moi : f.renucci@free.fr Pour plus de précisions : voir l'article "Take 1" du 24 janvier 2009 !
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J'ai lu comme toi le premier roman, et il faut absolument que je lise le second.
RépondreSupprimerJe tiens à signaler que nous publions dans le numéro 30 de A Pian d'Avretu, qui vient de sortir, une interview de Jean-Baptiste Predali. Il y dit entre autre ceci : "Je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire, la littérature corse. Je pense que ce que j'écris à quelque chose à voir avec la Corse. Je n'écris pas sur la Corse mais à partir de la Corse. Cela signifie que je ne la considère pas comme un objet muséal... Je dirais plutôt que je me situe en périphérie de la littérature française, et ce mot de périphérie ne doit pas être compris uniquement dans un sens géographique".
Je signale également dans le même numéro un texte inédit de Predali (quel beau cadeau pour la revue !) : 1975, notice Dylan... qui évoque la possible présence en Corse de Bob Dylan à cette date ô combien significative.
MB
Donc, lisons "Autrefois Diana" de JB Predali (toujours chez Actes Sud) et parlons-en.
RépondreSupprimerSes propos pour "A Pian'd'Avretu" me convainquent de me procurer le dernier numéro de la revue bilingue quand je serai à Ajaccio la semaine prochaine. J'espère qu'il continue à écrire !
Bob Dylan en Corse en 1975... Et dire que Jim Morrison a effectué son dernier voyage au printemps 1971 en Corse avant de mourir à Paris... (figure poétique et musicale que nous partageons toi, JB Predali - voir extrait de "Une affaire insulaire" dans le billet qui lui est ici consacré - et moi, et bien d'autres encore ? ; moi aussi j'ai lu "Lords and New Creatures" ou d'autres livres...)