lundi 31 août 2009

Ouessant 2009 : Salon du Livre Insulaire : Alexis Gloaguen

Il fallait bien que je dise quelques mots : invité à faire partie du jury du Prix du Livre insulaire 2009, accueilli comme auteur, sollicité comme présentateur, j'ai passé une semaine absolument formidable sur la petite île d'Ouessant, du dimanche 16 au dimanche 23 août 2009.

Petit île en forme de crabe, dont les pinces sud et nord enserrent la baie de Lampaul ; et au milieu de la baie, le "caillou", qui émerge, et qui est submergé les jours de tempête (nous avons passé une semaine de beau temps). Quelques dizaines de lampadaires éclairent le bourg la nuit, mais sur le reste de l'île c'est une nuit sublime qui règne - dôme complet des étoiles - nuit balayée par les lumières des cinq phares d'Ouessant (surtout celles du Stif et du Créac'h (prononcer "créache"). Sublime ballet des huit rayons du Créac'h, lorsqu'on se trouve à son pied, face à la mer et aux étoiles, les rayons tournaient autour de nous plongeant dans l'eau de l'océan, à soixante kilomètres de là...

Commençons par la dernière nouvelle : la 12ème édition du Salon, en 2010 (entre le 18 et le 22 août) mettra l'accent - enfin, pourrait-on dire - sur les "îles bretonnes" et sur l'un de ses auteurs emblématiques, Henri Quéffelec (dont ce sera alors le centenaire de la naissance et que je n'ai jamais lu !).

Il faut ensuite que j'insiste sur un fait : l'association CALI qui organise le Salon (Isabelle Le Bal, Joël Richard, Franck, Joëlle, Jean-Pierre, etc. et j'en oublie) et tous les bénévoles se démènent pour transporter les auteurs, les journalistes, pour que tout se passe bien. Ce Salon semble fait pour que les rencontres soient les plus fructueuses possibles : on peut aborder facilement tous les auteurs, éditeurs, lecteurs, ouessantins ou non soit devant les stands du Salon (dans le gymnase), soit dans les rues ou sur les routes (à vélo), soit à la "cantine des îles" (avec les voisins d'en face, de droite et de gauche), devant la "place à jaser" où se déroulent les cafés littéraires, dans la salle de conférences, devant les expositions, aux différents comptoirs (du Salon, des cafés et pubs, notamment le Ty Korn), au moment des chants ("Les roses d'Ouessant") ou des concerts, de jour comme de nuit...

Je reviendrai dans d'autres billets sur mes rencontres et mes lecteures d'Ouessant.

Je voulais simplement engager tous ceux qui feront un voyage en Bretagne à passer au Salon l'année prochaine : c'est l'île rêvée pour les amoureux de la lecture et des expressions littéraires du monde entier.

Je me souviens d'Alexis Gloaguen, breton vivant à Saint-Pierre et Miquelon (d'ailleurs était-ce à Saint-Pierre ou à Miquelon ?). Il n'était pas derrière son stand, j'ai ouvert un de ses opuscules, "Petit Nord" (Citadel Road Editions, à Vannes, 2006), attiré par le surprenant titre (j'ai tellement en tête, comme bien d'autres, la vague notion du "Grand Nord"...), j'ai acheté l'ouvrage et j'ai commencé à le lire. Description de Terre-Neuve, description (dans le deuxième texte de l'ouvrage, intitulé "Le troisième affût") des oiseaux qui nichent dans les grottes. Il écrit - m'a-t-il dit - sur le lieu même de ses observations, même la nuit. Je voudrais citer un passage (ne me dites pas que ce n'est pas de la littérature corse !... je suis sûr que des échos sont possibles, mais lesquels ?, ou bien alors ce texte-là pointera-t-il du doigt un manque dans notre littérature, le manque de textes qui regarderaient la nature autrement que comme l'élément d'une identité, personnelle ou collective ? Je fais ici écho à la question que posait Marcu Biancarelli à propos du "hobo" : voir ici et ici. Evoquer ce qui manquerait à une littérature c'est encore la construire, non ?).

Eccu :

Lorsque je me coule dans le troisième affût, j'entre en ma nuit.
J'ai derrière moi, ininterrompue, la traversée de la montagne et de la brume, et viens de descendre, prise par prise, la falaise jusqu'en son deuxième tiers. L'abri est là, accroché en cellule de guêpe maçonne. Il suinte de son eau et tremble du vent qui heurte les pentes.
Je sors ma longue-vue, transportée sans pied. J'ouvre la lucarne de contreplaqué, en soulève le crochet et la fais tourner sur un gond rouillé pour l'enclencher à l'extrémité d'un clou. Je travaille au-dessus du vide comme une larve de poliste en son nid d'argile.
De là, mon regard darde sur le monde, sur le vol des mouettes, des petits pingouins et des goélands argentés aux alentours de leurs nids. Les grands cormorans font leur toilette sous la pluie ou se livrent à leurs jeux d'amour dans l'éternel, se proposant des brindilles lors de conversations d'une interminbale douceur. Je vois, dans une crevasse que voile une cacade, luire leur oeil bleu et vitreux, leurs mentons blancs et les commissures orangées de leurs becs. Les cercles d'une mouette trdicatyle me donnent le tournis dans cette cage et une sorte de vertige au noir, avec l'impression de tomber.

(...)

Soudain, c'est un mascaret d'oiseaux hors des falaises, incomparable avec l'effervescence - très localisée - qu'il m'arrive de produire. Les mouettes tridactyles tournoient en éruption et cirent, les goélands survolent de leur nuage, les cormorans filent droit et les petits pingouins impriment une granulation rapide sur la mer.
Je vois apparaître un grand rapace, centre de cette clameur. Il est harcelé par deux corbeaux qui le repoussent hors de leur chasse gardée. Il fait écran au sommet de la montagne et sa taille devient plus évidente.
C'est un aigle à tête blanche : envergure sombre en porte à deux vantaux, tête et queue pâles, bec jaune à carène longue. Vaincu, il fait une boucle et rebrousse cemin. Aussitôt le tumulte s'apaise. La langage des oiseaux tends vers le silence des esprits, vers un souffle de contemplation.
Une respiration sur la mer, comme celle - nocturne - d'un troupeau en prairie : une baleine à bosse tourne interminablement, montre son aileron et arrache sa vaste queue à la surface. Et c'est curieux : en cette soirée, il n'est plus trace de l'homme. Le monde entre en clandestinité.

Voir ici des extraits du premier texte, "Petit Nord", sur le blog des éditions Citadel Road.

Ah, oui, concernant la Corse à Ouessant, je peux signifier notamment que le stand des librairies Ravy et La Procure proposaient entre autres un assortiment d'ouvrages corses (j'ai failli prendre le superbe travail sur les églises baroques corses par Nicolas Mattei...) mais que tout le monde s'est désolé de l'absence des éditeurs corses ! Nous en reparlerons (puisque ces réflexions sur une meilleure diffusion des productions littéraire et artistiques corses ont été relancées par le Manifeste de Luri initié par Jean-Pierre Santini : voir ici).

8 commentaires:

  1. Face sunnià a to descrizzione di Ouessant di notte o FXR, si vede quì to talentu di scrivanu : mi trica di leghjeti (induve si trovanu i to testi?)

    A literatura ùn dipende chè di a brama di scrive di l'autori è s'elli ci sò "manchi", forse 'ssi manchi deranu a voglia à certi scrivani di scrive ciò ch'elli ùn trovanu micca...

    È s'ellu esistia in a literatura corsa cose ch'ùn esistenu, chì "mancherianu" in l'altre literature? (per avà ùn vecu micca, ma sò sicura chì si pò truvà...lol)

    In ribombu à u "manifestu" di Luri in quantu à a nuzione di "desertu" eccu un passagiu di Kenneth White in "Corsica, l'itinéraire des rives et des monts" p 47 "jours tranquilles à Cala Rossa"):

    "On a l'impression d'être le cul des Zouaves"
    C'était une jeune fille qui parlait. Elle était originaire de Parsi mais elle vivait depuis dix ans en Corse, où elle travaillait dans l'hôtellerie.

    Si elle parlait ainsi du Sud de la Corse, c'est qu'elle trouvait que tout le secteur était un désert culturel. Je me suis risqué à dire que les déserts étaient somme tute référables aux champs de foireet que, peut-être, si elle parvenait à se faire une idée plus active et plus individuelle de la culture, ça irait mieux pour elle. Mais elle ne parut pas convaincue. Alors, comme je n'isiste jamais, je l'ai laissée à ses impressions."

    By the way, dans le même livre, White confirme tout à fait la "petitesse d'esprit" que je vois chez Mérimée...Thanks, Mr White!

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  2. Ai, mi scusu pè e "sculisciate" di tastera(travagliu di notte...LOL) Paris, somme toute, préférables, insiste

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  3. Bonjour François-Xavier,

    Une petite question concernant ce salon : s'il s'agit du salon du "livre insulaire", les ouvrages et les auteurs sont sélectionnés en fonction de la localisation insulaire des éditeurs ? est-ce que c'est bien ça ? si oui quelle place est faite aux auteurs insulaires édités en "Terre Ferme" ou à une littérature sur les îles en général ?

    Et Ouessant c'est aussi l'un des hauts lieux en France de l'ornithologie. L'extrait d'Alexis Gloaguen est très beau ; quant à son écho dans une littérature corse, pas d'aigle à tête blanche dans cette île-ci, mais on peut imaginer un texte voisin de marche en montagne en quête d'un des derniers Gypaètes barbus, ou au coeur des laricci de l'Ospedale à voir grimper une sitelle...

    Amitiés,
    Pascal

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  4. Francesca,
    sè tù voli leghje qualcosu di FXR, poi cumprà unu libru "Un lieu de quatre vents" publicatu da Albiana (2005) ; ci ne hè parechji esemplarii ind'è a libreria La Marge in Aiacciu.
    Eccu u legame nant'à u situ di Albiana : http://www.albiana.fr/article-un-lieu-de-quatre-vents_288.html

    Sè tù leghji issu testu, aghju bisognu u to puntu di vista, sinceru !

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  5. Pascal,
    merci pour les questions.

    Oui le Salon du Livre insulaire est ouvert à toutes les expressions littéraires des auteurs insulaires ou des auteurs de Terre ferme évoquant des terres insulaires ; le choix est donc très vaste.
    C'est aussi une occasion en or pour les éditeurs et auteurs de lieux peu connus de se rencontrer, de se faire connaître, de promouvoir leur production.
    Il faut bien sûr que chacun fasse de son mieux pour faire connaître le Salon, son intérêt, le palmarès de ses prix, etc.

    Les éditeurs et auteurs de l'Océan indien ont animé cette année 2009 un beau carré. Les îles francophones de l'Atlantique Nord étaient les invitées d'honneur. Il y avait la Librairie du Québec. Les Bretons aussi bien sûr et plein d'auteurs auteurs ou artistes. Mais il serait vraiment bien que la Corse et la Caraïbe soient présents systématiquement, ce sont tout de même des ensembles insulaires très productifs.

    Concernant les auteurs insulaires édités par des éditeurs "continentaux", ils sont évidemment les bienvenus, ils sont d'ailleurs présents (je pense à Eugène Nicole, publié par L'Olivier - son grand oeuvre, que je commence à peine, "L'oeuvre-des-mers"), ils sont aussi primés (je pense à Jean-Noël Chrisment avec "Pollen" dans la collection blanche de Gallimard, prix Poésie 2009 à Ouessant). Mais je ne crois pas avoir vu les livres de Marie Ferranti et Angelo Rinaldi. Il faudra y réfléchir pour l'année prochaine.

    Concernant les oiseaux à Ouessant, j'ai essayé de photographier, à vélo, deux craves à bec rouge mais ils se sont envolés bien sûr. Mes exploits s'arrêtent là (on distingue deux points noirs sur la photo !). Pour voir à quoi il ressemble, possibilité d'aller sur Internet : http://www.oiseau-libre.net/Oiseaux/Especes/Crave-bec-rouge.html

    Mais mon interrogation était : y a-t-il de tels textes poétiques sur la nature corse ? (C'est certainement une question grossière et maladroite !, je pense par exemple aux textes d'Anghjulu Canarelli, mais je ne les connais pas bien, auteur présenté ainsi sur le blog Avali : "innamuratu di a natura corsa è di i so circondi rucchisgiani, Anghjulu si ghjova assai di a prosa puetica da scalpiddinà un universu muntagnolu beddu cà particulari."

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  6. Eccu un strattu di " un pezzu di petra nera" di Anghjulu Canarelli : chì suchju!

    "L'inguernu vistia a muntagna da Cintu à Cagna. Stracciona di nivi è brandona di ghjacciu si puniani è s'appiccaiani da par tuttu. U spinursali firmaia biancu lisciu lisciu è a prima uchjata 'llu soli scunghjiva l'appinuchja di biancu di a puppula. Da a Paglia Orba chì s'affaccaia à manca d'Usciolu à a Tafunata 'lli Paliri tuttu era biancu cutratu, è da tuttu u circondu si vidia sta puppula nera subranata da tamantu cantonu quadratu.
    U branu sbucciava in verdu tennaru i fai chiralbi vittuli è subastri in i vangona di i Peddi Nieddi l'Agnone è Monte Tignosu.
    L'istati accurbbidava l'Acunita Corsa u longu 'lli pozzi indù si ciuttavani pizzini è pizzona di celi schiettu. Tutti l'anni a muntanera sbalasgiava usci è balcuneddi ingrunchjati in u silenziu di l'inguirnonu. È da maghju à uttrovi, cum'è tanti rusgiuledda, cristiani è animali mansi si sparghjivani in quiddi loca.(...)

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  7. Merci, François, pour toutes ces précisions.

    Concernant ta question, mes maigres connaissances en la matière ne sont ici d'aucune aide... Sans doute peut-être faut-il chercher plus du côté de la poésie, car j'ai l'impression que le roman est d'avantage porté par une énonciation plus identifiée (à un personnage, un auteur, une culture, un lieu, etc.), la relation à la nature y étant par-là plus aisément "l'élément d'une identité". Dans l'extrait cité d'Alexis Gloaguen, le rapport à la nature est celui d'un être passionné par l'observation d'oiseaux dans leur milieu, ce qui implique concrètement une sorte de dispositif à la fois de disparition et d'éveil, qu'il n'y ait pas de mise en jeu d'autres choses que cette relation entre celui qui observe (et écrit) et un spectacle qui a sens par lui-même, par l'organisation de la vie. En un sens, c'est la littérature d'un sujet naturaliste, et je ne sais pas comment envisager une littérature corse qui n'impliquerait pas la formation d'un sujet de l'identité corse, même si ce sujet entre dans un corps à corps avec elle, s'en débat, etc. Mais bon, peut-être je fais fausse route...

    A bientôt et merci pour ce blog et tout ce qu'il donne de bon à découvrir

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  8. Ti prumettu una sincerità tutale o FXR! -))

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