samedi 5 septembre 2009

Charlie Galibert / Ouessant 2009

Le jury du Prix du Livre Insulaire de Ouessant a primé cet auteur corse, dans la catégorie Science/Essai.

La délibération - dont j'étais - a tourné à l'avantage de l'ouvrage de Charlie Galibert sans trop de difficultés, mais en même temps d'autres ouvrages ont attiré notre attention, et notamment le travail de Philippe Verdol, "L'île-monde dans l'oeil des pesticides" (chez Ibis Rouge). Une étude passionnante sur l'usage des pesticides en Guadeloupe pour la culture des bananes et ses conséquences sur l'environnement, la santé publique et les comportements alimentaires, sociaux, psychologiques des Guadeloupéens. Passionnante étude parce qu'extrêmement informée et objective (les passages juridiques et politiques sont justement parfois un peu arides pour un lecteur non averti) et liant l'intime de l'auteur (qui se considère contaminé comme beaucoup de Guadeloupéens) avec les enjeux environnementaux, psychologiques et économiques mondiaux. Je le recommande donc chaudement parce qu'il est bienvenu de voir de vraies études scientifiques se marier à un engagement au service de la vérité et du bien général.

Le travail de Charlie Galibert - "Sarrola 14-18. Un village corse dans la Première Guerre mondiale" - combine les qualités du précédent ouvrage avec un art plus maîtrisé du tissage narratif, interprétatif, documentaire et philosophique.

Son ouvrage ne peut que susciter la curiosité des personnes attachées à la période de la Première Guerre mondiale conçue comme le fondement de notre monde, comme un événement majeur pour l'histoire de l'humanité. L'auteur multiplie les approches, historique, anthropologique, philosophique pour essayer de mieux saisir ce qui peut paraître mystérieux : l'obéissance aux ordres et l'acceptation de l'horreur quatre années durant ; le rôle d'un conflit meurtrier dans la fabrication et la transformation des identités (personnelles et collectives).

De fait, l'ouvrage est absolument passionnant pour ceux qui s'intéressent à la Corse en général, à ce qu'elle était avant 1914 (et même bien avant, puisque l'auteur retrace l'histoire "guerrière" de notre société plusieurs siècles auparavant) et ce qu'elle est devenue après 1918 (le dernier chapitre conduit jusqu'à l'érection du monument aux morts de Sarrola en 1929 et même jusque dans les années 1930). Et comment la guerre mondiale a contribué à l'évolution d'une société entre ces deux dates. L'auteur multiplie - parfois de façon trop systématique ou moins convaincante ai-je trouvé personnellement, mais cela ne m'a pas empêché de lui accorder avec plaisir mon vote - les échelles de grandeur : de la Grande Histoire à la petite (celle d'un couple du village de Sarrola, dont le mari part à la guerre avant de revenir et de devenir maire) en proposant des analyses générales liées à des études très précises des langages utilisés dans des documents familiaux (lettres, carnets, devoirs de classe) ou publics ou officiels (chansons, ouvrages scientifiques ou de fiction - la littérature corse est donc très présente... - voir par exemple la très belle inteprétation du discours d'inauguration du monument aux morts, pages 473 et sq.).

Bref, j'arrête là, n'ayez pas peur des presque 500 pages et de l'écriture serrée, l'auteur a fait en sorte avec les jeux de typographie et de mise en page que la lecture soit aisée et agréable. Les dernières phrases me semblent fixer un horizon mental susceptible de donner envie de lire tout ce qui les précèdent et aident à mieux les comprendre :

Mon approche de la guerre de 1914-1918 en Corse s'arrête sur cet héritage, désormais durablement installé, d'émigration hors de l'île. La continuité de ces discours et critiques ne manquent pas d'être toujours validés par certains observateurs de la société corse contemporaine. Pour décrire l'absence de développement des îles d'Océanie, Ray Watters propose le mot de "MIRAGE" : MI comme migration, R pour récépissé des mandats, A pour aide publique, G pour gouvernement (dans le sens d'emploi de la fonction publique territoriale) et E pour éducation. A la Corse de faire en sorte que ce ne soit pas là pour elle l'ultime forme historique, l'héritage, un siècle plus tard, de la der des ders.

Vous avez peut-être lu cet ouvrage avec un autre oeil, plus critique que le mien : n'hésitons pas à discuter des mérites et des défauts de l'ouvrage !

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