Ce blog est destiné à accueillir des points de vue (les vôtres, les miens) concernant les oeuvres corses et particulièrement la littérature corse (écrite en latin, italien, corse, français, etc.). Vous pouvez signifier des admirations aussi bien que des détestations (toujours courtoisement). Ecrivez-moi : f.renucci@free.fr Pour plus de précisions : voir l'article "Take 1" du 24 janvier 2009 !
mercredi 5 janvier 2011
Lente naissance : "Corsica Calling"
Toujours fait comme ça : par le truchement des paroles des autres (qui eux-mêmes d'ailleurs...), exprimer mes pensées... Inévitable, non ?
Alors, dans ce billet informatif (une information toute bête, somme toute), se trouvent tout de même les paroles d'un pilote de guerre ami de Saint-Exupéry (grand écrivain corse bien sûr), puis celles d'un pilote de guerre ami de Jean Israël, avant de se conclure avec l'information de la création d'une association dans laquelle je travaille désormais.
1. Témoignage de Jean Israël : mon livre (vous trouverez ce texte dans l'édition de 1982 - pas celle en Folio de 1994 - des "Ecrits de guerre 1939-1944", de Saint-Exupéry, chez Gallimard ; il écrivit ce témoignage le 7 janvier 1978, à la demande des responsables de l'édition de ce volume ; toujours adoré ces histoires de livres cachés, perdus et retrouvés, objets qui se métamorphosent et nous métamorphosent) :
Dans un coin de ma bibliothèque se terre un livre noir sale triste usé. Sous sa reliure grossière les pages d'un gris profond gardent la trace des nombreuses mains peu lavées qui les ont tournées.
Ces mains étaient celles d'une partie des huit mille officiers français enserrés dans un camp de prisonniers en 1943. Ce livre était l'unique exemplaire dans ce camp d'une édition condamnée par la censure.
Revêtu d'un magnifique faux cachet geprüft ("vu"), il résista aux fouilles et contrôles divers de l'autorité de fait. Son état de délabrement au bout de quelques mois de circulation m'avait amené à la confier à un atelier de reliure. Il m'avait été rendu en état de reprendre du service, habillé d'une robuste toile de paillasse qui lui permit d'affronter la cohorte des lecteurs suivants.
Ce livre, c'était Pilote de guerre, première édition française, achevé d'imprimer le 27 novembre 1942 à Montrouge. D'abord autorisé (visa de censure n° 14 327), il fut interdit quelques semaines plus tard. Un exemplaire, acheté à temps par ma mère et envoyé dans un paquet réglementaire de nourriture, fut sauvé grâce à un vol judicieux commis dans la baraque d'arrivée des colis.
Pourquoi cette interdiction tardive, alors que ce livre avait reçu l'autorisation d'être imprimé en France ?
C'est une critique "littéraire" de Pierre-André Cousteau publiée par l'hebdomadaire Je suis partout qui déclencha le processus. Saint-Exupéry y était traité, entre autres, de judéo-belliciste pour avoir fait l'éloge du "copain Israël, étalon de la vaillance française". Cet article fut suivi d'un deuxième plus virulent encore, provoquant l'interdiction de la vente et la mise au pilon du livre. Mon cher bouquin, qui avait survécu à la captivité, faillit disparaître en revenant en France. Je repris contact avec le sol national à Lille, où quelques heures de battement me permirent d'aller humer l'air français. A mon retour, ma sacoche contenant quelques hardes avait disparu, volée. Sans espoir de la retrouver, je vais à la gare prendre mon train. Sur le quai, la sacoche, vide de ses affaires, mais contenant - oui - mon Livre.
2. Ce texte de Jean Israël, je l'ai lu ce matin, ouvrant une nouvelle fois (et cette fois au hasard) ces Ecrits de guerre de Saint-Exupéry (édition imprimée en 1982). Puis je retourne vers mon propre Pilote de guerre (collection Folio, imprimé à Barcelone en juin 2007), que j'avais lu il y a quelques mois et que je reprenais ces derniers temps ; j'avais corné les pages 23, 42, 60, 68 et 150. Je retourne aujourd'hui vers ces pages, je m'arrête finalement sur les pages 59 à 61 ; et je reproduis ici ce que j'ai aimé y lire (et que Jean Israël a lu, forcément...) :
J'ai vu remonter un homme, en Espagne, après quelques journées de travail, de la cave d'une maison écrasée par une torpille. La foule entourait en silence et, me semblait-il, avec une soudaine timidité, celui-là qui revenait presque de l'au-delà, revêtu encore de ses gravats, à de mi abruti par l'asphyxie et par le jeûne, semblable à une sorte de monstre éteint. Quand quelques-uns s'enhardirent à l'interroger, et qu'il prêta aux questions une attention glauque, la timidité de la foule se changea en malaise.
On essayait sur lui des clefs maladroites, car, l'interrogation véritable, nul ne savait la formuler. On lui disait : "Que sentiez-vous... Que pensiez-vous... Que faisiez-vous..." On jetait ainsi, au hasard, des passerelles au-dessus d'un abîme, comme l'on eût usé d'une première convention pour atteindre, dans sa nuit, l'aveugle sourd-muet que l'on eût tenté de secourir.
Mais lorsque l'homme put nous répondre, il répondit :
- Ah ! oui, j'entendais de longs craquements...
Ou encore...
- Je me faisais bien du souci. C'était long... Ah ! c'était bien long...
Ou encore...
- J'avais mal aux reins, j'avais très mal...
Et ce brave homme ne nous parlait que du brave homme. Il nous parla surtout de sa montre, qu'il avait perdue...
- Je l'ai cherchée... j'y tenais beaucoup... mais dans le noir...
Et certes, la vie lui avait enseigné la sensation du temps qui s'écoule ou l'amour des objets familiers. Et il se servait de l'homme qu'il était pour ressentir son univers, fût-ce l'univers d'un éboulement dans la nuit. Et, à la question fondamentale, que nul ne savait lui poser, mais qui gouvernait toutes les tentatives : "Qui étiez-vous ? Qui a surgi en vous ?", il n'eût rien pu répondre, sinon : "Moi-même..."
Aucune circonstance ne réveille en nous un étranger dont nous n'aurions rien soupçonné. Vivre, c'est naître lentement. Il serait un peu trop aisé d'emprunter des âmes toutes faites !
Une illumination soudaine semble parfois faire bifurquer une destinée. Mais l'illumination n'est que la vision soudaine, par l'Esprit, d'une route lentement préparée. J'ai appris lentement la grammaire. On m'a exercé à la syntaxe. On a éveillé mes sentiments. Et voilà brusquement qu'un poème me frappe au coeur.
Certes je ne ressens pour l'instant aucun amour, mais si, ce soir, quelque chose m'est révélé, c'est que j'aurai pesamment apporté mes pierres à l'invisible construction. Je prépare une fête. Je n'aurai pas le droit de parler d'apparition soudaine, en moi, d'un autre que moi, puisque cet autre que moi, je le bâtis.
Je n'ai rien à attendre de l'aventure de guerre, sinon cette lente préparation. Elle paiera plus tard, comme la grammaire...
3. Et voilà.
L'information est la suivante : aujourd'hui est créée à Aix-en-Provence une association loi 1901 nommée "Corsica Calling". Elle a pour objectif de promouvoir, hors de l'île, les oeuvres littéraires et artistiques corses (à travers diverses rencontres, conférences, cafés, manifestations, festivals, débats, échanges, critiques...). Et ce en partenariat évidemment privilégié avec l'Amicale corse d'Aix (où je travaille aussi), et dans un esprit de coopération avec tous les organismes divers et variés qui, dans l'île et hors de l'île, poursuivent le même objectif.
Précision importante, ce blog n'est pas une émanation ni une vitrine de l'assocation "Corsica Calling" ; il reste ce qu'il était depuis le début, c'est-à-dire un des lieux (certes imparfait, je sais) de discussion autour des lectures des livres de littérature corse (avec des écarts vers d'autres arts), ouvert à tous, anonymes ou non, induve si pò scrive in corsu o in francese o in talianu o in inglese...
(la photo)
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Moi je l'adopte volontiers dans la "littérature corse", Saint Ex (on tire de plus en plus sur la corde, FXR ? -)).
RépondreSupprimerJ'ai raflé quelques exemplaires restants du "principellu" (traduction de Casta) dans une librairie ajaccienne; c'est mon cadeau privilégié aux enfants. Je ne désespère pas de le voir réédité un de ces jours.
J'aimerais que Saint Ex ait enfin un collège à son nom dans la région au Sud de Bastia, près de l'aéroport où il a décollé pour la dernière fois.
"Corsica calling"? cela me paraît plus qu'intéressant : peut-on en savoir plus, FXR?
Pace e salute à toutes et à tous ON pourrait peut-être parler du St Exupery des décades de Pontigny de 1924 à 1927.Cela pourrai être un bon début,surtout que cette période est assez méconnue.A vous de dire
RépondreSupprimerCordialement Pierre
Francesca,
RépondreSupprimer"Saint-Ex" écrivain corse, il s'agit bien sûr d'une plaisanterie ! Mais enfin Ghjacumu Fusina a écrit une magnifique chanson, "Citadella da fà", qui prend sa source dans l'oeuvre de cet auteur.
Pierre,
vous le savez ce blog est consacré à la littérature corse (dans son acception la plus large, et d'ailleurs tout à fait discutable et discutée). Donc, vous pouvez tout à fait évoquer le Saint-Exupéry de Pontigny si tant est que vous imaginiez un "enjeu" qui fasse un lien avec l'imaginaire corse, la création corse, la créativité littéraire insulaire.
j'avais bien compris la plaisanterie et je répondais sur le même ton, mais en tout cas c'est un auteur que j'affectionne particulièrement et je pense sincèrement qu'il mérite de voir donner son nom à l'un de nos collèges au sud de Bastia.
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