mardi 2 août 2011

De retour d'Erbalunga : passionnant.

J'assistai donc à la deuxième soirée de la manifestation littéraire organisée par l'association Cap Lecture à Erbalunga, hier soir, sur la place Bach. Dans le cadre des festivités de l'été 2011 de la commune de Brando. (La veille de ce jour, c'était l'écrivain et académicien Jean-Marie Rouart qui était convié à répondre aux questions des animateurs et du public.)

Le lundi soir, entre 18 h et 20 h, furent invités Etienne Meloni, homme de tous les défis (sportifs mais surtout psychologiques et existentiels et qui publiera un livre retraçant son parcours extraordinaire aux éditions Gallimard en décembre 2011), puis, ensemble, Jérôme Ferrari et Georges de Zerbi.

Riche idée, je trouve que cette association occasionelle de deux écrivains ; elle permet de mieux comprendre, par contraste, les façons et enjeux respectifs des deux oeuvres.

Sébastien Bonifay et Pierre Négrel, journalistes et libraires (Librairie des Deux Mondes, à Bastia ; "deux mondes", car l'un s'est passionné pour les Sciences humaines quand l'autre a une prédilection pour le polar), ont mené avec énergie et pertinence les entretiens croisés avec les deux écrivains.

J'ai mieux compris à cette occasion l'aspect "bienveillant" et l'objectif "réconciliateur" de l'oeuvre de Georges de Zerbi (je n'ai lu que son premier roman, "L'Ultima Pagina", éditions Albiana/CCU), cherchant à réconcilier les Corses du Continent avec les jeunes insulaires dans ce premier roman, la langue corse avec l'Italien. Et puis bientôt dans un prochain livre, les Corses avec le pouvoir gênois (au XVème siècle). Le deuxième roman (que je n'ai pas encore lu, "U rimitu di Collu à Boziu", éditions Albiana/CCU) évoque la révolution corse au XVIIIème siècle et met en scène le "fantôme" d'un "ermite" ("u rimitu") directement issu de cette période et qui vient en plein XXème siècle raconter ce que fut la réalité de son époque à un jeune étudiant en histoire de l'université de Corse. Aux dires mêmes de l'auteur, l'introduction fantastique d'un tel "revenant" a pour objectif premier de produire un effet de réel et de permettre au lecteur de "sentir" l'époque et non plus seulement de la comprendre de façon abstraite. Il insista aussi sur le fait que ce personnage était "sérieux" et qu'il ne s'agissait donc pas de troubler le lecteur ou d'introduire un doute sur la valeur de son témoignage.

Au contraire, le travail de Jérôme Ferrari a été présenté comme une plongée dans le Mal, avec des intrigues qui interroge des problèmes moraux (sans donner de leçons de morale), cherchant volontairement à présenter la complexité de situations humaines où se mêlent, apparemment contradictoirement, la cruauté et l'amour, atitudes suicidaires et élans vitaux. Et justement, il y a un personnage "historique" issu du XVIIIème siècle corse qui vient hanter un personnage du XXème siècle dans les textes de Jérôme Ferrari ! Belle occasion de rapprocher ces deux figures pour mieux comprendre, par contraste et par opposition aussi peut-être, les oeuvres respectives de Ferrari et de Zerbi...

Le "fantôme" de Ferrari s'appelle Gianfranco de Lanfranchi (si ma mémoire est bonne) et se trouve dans une des nouvelles de "Variétés de la mort" (Albiana) et dans le roman "Balco Atlantico" (Actes Sud). L'auteur a souligné que son projet était à la fois burlesque et (aïe l'adjectif précis m'échappe, si vous étiez là vous aussi n'hésitez pas à compléter ce billet !), nous dirons donc "satirique". Car ce Gianfranco, au contraire du Rimitu, est un personnage infréquentable, menteur, sadique, violeur, tueur, se retournant contre ses compatriotes insulaires, faisant régner la terreur. La question pour l'auteur était de se demander comment la mémoire collective se débrouille avec des réalités impensables, inexcusables, horribles. Et il ajouta que c'était une façon pour lui d'engager les lecteurs, par l'intermédiaire d'un personnage "historique", à regarder les horreurs insulaires contemporaines.

Ainsi, associer ce soir ces deux oeuvres, c'était peut-être une façon intéressante de montrer deux voies possibles de la littérature corse contemporaine : une bienveillante qui retravaille une certaine mythologie historique (comme chez de Zerbi), et une cruelle qui ouvre des failles dans la mémoire collective et y déniche des éléments occultés qui finissent par se transformer en maladies mortelles.

Mais vous avez peut-être un point de vue différent ? Ou alors vous trouvez, certainement avec raison, que je coupe les cheveux en quatre ?...

Cette soirée à Erbalunga fut très agréable. Une centaine de personnes au moins dans le public, c'est génial. Mais la parole collective ne fut pas au rendez-vous, dommage. Je posai la première question (à propos des deux personnages de "fantômes"), Anne Meistersheim (me semble-t-il) posa la seconde (sur le statut particulier du roman "Balco Atlantico" qu'elle dit apprécier particulièrement et qui selon l'auteur ne connut pas le succès notamment du fait qu'évoquer de cette façon particulière - c'est-à-dire sans donner d'explication définitive aux affrontements entre nationalistes dans les années 1990 - ne pouvait intéresser le public sur le Continent).

Bref, j'attends avec impatience la deuxième édition de ces deux journées littéraires organisées par Cap Lecture (l'été prochain ?). Et vous ?

5 commentaires:

  1. Par l'intermédiaire du blog d'Angèle Paoli je découvre votre espace... J'y retrouve des noms qui me sont familiers... J'ai connu et beaucoup fréquenté "La librairie des deux mondes" alors qu'elle était "La bouquinerie des jardins"... Chez Angèle Paoli, j'ai apprécié votre note relative à Saint-Exupéry, auteur que j'aime beaucoup, et que je relis très régulièrement, "Terre des hommes" étant pour moi une sorte de "Bible"... Comment aussi ne pas avoir une pensée pour ce grand homme lorsque nos pas nous mènent à Poretta?
    Vos mots me plaisent. Vos sujets m'intéressent. Je reviendrai vous lire.

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  2. Merci pour le commentaire ; je fréquente régulièrement le site d'Angèle, "Terres de femmes", comme vous. J'irai voir maintenant votre propre blog ! Et puis, vous le savez, c'est le but de ce lieu-ci, je serais ravi que vous participiez un jour à ces échanges de lecture de livres corses. Si jamais, un jour ?

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  3. On me dit (me signalant ainsi que c'est peut-être une erreur de ma part ou du moins que cela est discutable) que j'ai mis sur le même plan les oeuvres de Jérôme Ferrari et de Georges de Zerbi ; qu'il faudrait tout de même en signaler les différences d'ambition dans le style et les thèmes.

    Alors bien sûr, ce billet n'était là que pour indiquer des voies simultanées de la littérature corse contemporaine. Je préfère la prose des romans de Jérôme Ferrari à celle de "L'ultima pagina" ; pour être honnête je ne pense pas être le mieux placé (du fait de mon niveau trop médiocre) pour évaluer les qualités d'écriture en langue corse, c'est donc sur le plan des histoires et des perspectives proposées par les livres que je me place : et je préfère de loin un personnage comme celui de Gianfranco de Lanfranchi qui interroge une mémoire collective à la fois oublieuse et hypocrite plutôt qu'un personnage qui proposerait une vision trop lisse de la réalité. Bon, bon, d'accord, je vais lire "U rimitu di Collu à Boziu" avant d'aller plus loin, mais la lecture de "L'ultima pagina" m'avait laissé quelque peu sur ma faim, puisque le personnage de Corse ayant vécu sur le Continent et qui rentre dans l'île pour finir par se rendre compte de la valeur du combat de deux jeunes nationalistes m'est apparu quelque peu idyllique, surtout quand on publie un tel ouvrage après les années 1990. L'auteur a expliqué que l'ouvrage prenait sa source dans l'année 1989, cela explique peut-être l'aspect anachronique du roman. Enfin, à discuter, bien sûr, avec tous ceux qui veulent bien en discuter ici ou là (mais sur Internet, histoire qu'il y ait quelques traces à discuter, parce qu'au téléphone les paroles volent).

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  4. Des gens vous téléphonent pour vous insulter, Ranucci ? Et pour vous faire ravaler vos choix littéraires des plus contestables ? Ils ont raison !

    Je trouve personnellement scandaleux le sous-traitement que vous faites de la créativité des lettres mirvellaises, malgré deux misérables mentions dans votre dernier post. Mentions qui n'ont pour objectif, d'ailleurs, que de vous mettre vous-même en valeur, tout en dénigrant dans le même temps la personnalité remarquable de notre intendant, le Capitaine Ghjuvan Filici.

    C'est un casus belli, Ranucci, et vous allez en répondre en temps et heure.

    Cavaglieri di Mirvella

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  5. Bienvenue à vous, Gran'Cavaglieri d'Onore, sur cet humble blog que vous honorez plus qu'il ne le mérite et de votre présence et de vos propos élogieux ! J'avoue ne pas comprendre certaines récriminations de votre part, il doit y avoir erreur, sera)ce dû à la mauvaise orthographe de mon nom, un quasi-homonyme chercherait-il à mettre à feu et à sang le pauvre champ littéraire corse, où ne pousse déjà pas grand chose ? Dans le doute, je me prosterne tout de même à vos pieds et vous conjure de croire en mon absolu dévouement.

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